vendredi 21 mai 2010

La guerre des juifs, par Clara et Marek Halter



La Guerre des juifs est le titre d'un livre culte de Flavius Josephe. Celui-ci y raconte la guerre que se livraient les juifs à Jérusalem en révolte, assiégée par les légions romaines de Titus en l'an 70 de notre ère. Pourquoi ce titre nous vient-il à l'esprit au moment où circulent plusieurs manifestes sur Israël? Peut-être parce qu'ils émanent tous de juifs qui se revendiquent comme tels.


Nous ne doutons pas des bonnes intentions des signataires dont certains sont nos amis. Pourtant nous ressentons comme un malaise auquel se mêle de la colère.

Depuis longtemps, nous aussi nous avons lancé de multiples appels. Mais toujours des appels pour la paix, non pour donner des leçons de morale à Israël ou à la Palestine. Nous n'avons jamais écrit non plus, même avec les précautions d'usage, que la politique du gouvernement israélien pourrait alimenter "un processus de délégitimation inacceptable d'Israël en tant qu'État".
Les mots sont des bombes. Ils pulvérisent tout sur leur passage, y compris les meilleures intentions.
Une politique, nous le savons, peut délégitimer un régime. Jamais un Etat, sauf aux yeux d'un Ahmadinejad.

Sous la dictature de Franco, personne n'aurait osé écrire que, faute de changer de politique, l'Espagne pouvait perdre sa légitimité en tant qu'Etat. Mais voilà: certains, en France ou ailleurs, auraient préféré avoir des cousins, là-bas en Israël, un peu plus "présentables". Ils oublient que personne n'est responsable pour sa famille. En revanche, tout le monde l'est pour ce qu'il affirme, pour ce qu'il écrit et pour ce qu'il signe.

Quant à nous, nous l'avons dit et répété, nous sommes pour la création d'un Etat palestinien. Non pour "sauver Israël" qui risquerait de disparaître en l'absence de cet Etat mais tout simplement parce que c'est juste. Comme il était juste que des dizaines d'Etats parviennent à l'indépendance après la seconde guerre mondiale, y compris celui d'Israël.

S'appuyer sur les forces vives israéliennes et palestiniennes.
Nous avons été parmi les premiers à réclamer la cohabitation de deux Etats, israélien et palestinien. Nous avons été parmi les premiers à prendre contact avec les dirigeants palestiniens, y compris ceux du Hamas, tout en gardant des rapports permanents avec les responsables israéliens, quelle que fût leur couleur politique. Nous n'allions pas les voir pour leur donner des leçons, mais pour tenter de les amener à des négociations de paix.

Pour réussir, nous nous sommes toujours appuyés sur les forces vives tant en Israël que dans les territoires, comme à Gaza. Nous avons toujours eu à l'esprit qu'au-delà de nos propres idées, il s'agissait d'abord des Israéliens et des Palestiniens. C'est ainsi que nous nous sommes trouvés à l'origine des premières rencontres israélo-arabes.

Quant à nos appels, nous n'avons jamais demandé que seuls des juifs puissent les signer. Cela ne tenait pas seulement à notre méfiance devant le communautarisme : nous pensions et nous continuons à penser que la paix au Proche-Orient ne concerne pas que les Juifs.

La paix n'est pas venue. C'est que les hommes qui s'y étaient engagés ne sont plus : Anouar el-Sadate et Yitzhak Rabin assassinés, Yasser Arafat décédé. D'autres prendront la relève. À nous de les aider. Mais ce n'est pas une raison pour les menacer d'une intervention extérieure s'ils n'écoutent pas nos conseils. C'est pourtant ce que font les pétitionnaires qui pressent l'Amérique et l'Europe d'intervenir.

La paix n'est pas un cessez-le-feu que l'on peut imposer et protéger plus ou moins efficacement par des casques bleus. La paix doit correspondre avant tout aux désirs et aux intérêts des belligérants. Les intérêts se découvrent lors d'une négociation. Ce n'est donc pas un hasard si notre premier appel, celui que nous avons publié en 1967, juste avant la guerre des Six-Jours, s'intitulait: Pour la paix négociée au Proche-Orient. Cet appel a été co-signé par la plupart des intellectuels qui comptaient de par le monde, israéliens et palestiniens compris.

Pour nous, l'objectif n'a pas changé.

Clara Halter est artiste et Marek Halter est écrivain.
20.05.10
Source: lemonde

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