Le pouvoir mafieux de Ben Ali balayé, l’union des forces sociales intervenue au cours de la révolution tunisienne se fissure progressivement. C’est normal. Dans tout processus révolutionnaire, la période de transition est en réalité une bataille rangée entre ceux qui veulent aller au bout du changement et ceux qui, pour conserver les situations acquises, veulent s’arrêter. C’est ce qui se passe aujourd’hui à Tunis.
Le problème institutionnel principal concerne la nature du régime politique qui sera adopté. Il n’y a pas de consensus sur ce point. Les élections pour la Constituante, qui devaient avoir lieu le 24 juillet, ont été retardées pour cette raison. Dans l’épreuve qui s’est engagée entre, d’un côté, le pouvoir de la révolution - incarnée par la Haute instance présidée par Yadh ben Achour et les principaux partis d’opposition, y compris les islamistes - et, d’un autre côté, le gouvernement composé de membres de l’ancien régime et de vieux militants du parti du Néodestour de l’époque de Bourguiba, c’est la légitimité révolutionnaire qui l’a emporté: les élections ont été reportées au 23 octobre 2011.
L’argument des partisans d’élections rapides était qu’il fallait rapidement mettre un terme à l’absence de légitimité institutionnelle du pouvoir et au chaos économique; l’argument des représentants de la société civile est qu’un pays qui n’a jamais connu de démocratie ne peut pas adopter un modèle institutionnel au pas de course: il faut, au contraire, engager un débat dans la société pour choisir des institutions solides qui soient réellement garantes de l’irréversibilité du processus démocratique. L’Etat de droit ne doit pas se construire dans le dos des citoyens. Cette solution a prévalu.
Au-delà de cette divergence, il y a deux points conflictuels qui taraudent le champ politique: la question sociale et celle de la sécularité de l’Etat. Ces deux questions sont liées. La première ne peut être résolue sans la mise en place d’une grande politique de développement dans laquelle l’Etat devrait jouer un rôle stratégique. Or les milieux d’affaires qui ont soutenu la dictature voudraient aujourd’hui un redémarrage rapide de l’activité économique sans donner des gages sur les droits sociaux des salariés. Ils plaident pour un libéralisme dur, alors que la révolution est le résultat des désastres économiques et sociaux provoquées par les privatisations sauvages de l’ère Ben Ali et la corruption qui en constituait le cœur. Ils ne veulent pas d’un Etat social, qui leur imposerait une part des sacrifices que tout le monde est disposé à faire. La question sociale divise donc de plus en plus. Et les partis issus de la révolution la chevauchent dans la compétition politique pour les élections.
Le syndicat UGTT joue le rôle d’un quasi-parti; il est un élément clé de la lutte pour un Etat social. Il se rachète ainsi de ses accommodements passés avec la dictature. Mais rien ne dit qu’il parviendra à conserver son hégémonie sur les salariés. Car l’économie tunisienne est constituée à environ 50% par le secteur informel; les chômeurs non syndiqués sont des centaines de milliers.
La radicalité religieuse est ici à l’affût. Les islamistes, qui n’ont joué aucun rôle dans la révolution, font assaut de démagogie sociale pour se donner une légitimité. Ils peuvent, par leurs propositions extrêmes, séduire une partie de la population, désorientée par l’absence de changement de sa situation.
Deuxième question de fond: celle de la sécularité et des libertés individuelles. Une très dure bataille est en cours. Nadia El Fani, cinéaste courageuse, a fait un film intitulé significativement Ni Allah, ni maître. Elle a proclamé à la télévision son athéisme en demandant le respect pour ceux qui pensent comme elle. Les fanatiques islamistes la vouent aux gémonies: attaques contre la salle de cinéma qui projette le film, menaces de mort contre la cinéaste, attitude plus que réservée du gouvernement dans le soutien à la liberté de conscience.
Par ailleurs, les islamistes «modérés» du parti Ennahdha viennent d’abandonner la Haute instance de la révolution, se préparant probablement à pactiser avec les partisans de l’ancien régime encore au pouvoir… à moins qu’ils ne se croient assez forts pour se séparer, déjà, d’une révolution séculière qui n’est pas la leur. Le message est en tout cas clair pour tous: le deuxième acte de la révolution est commencé. La bataille future tournera inévitablement à l’affrontement idéologique avec les islamistes qui prétendent respecter la liberté d’expression, mais refusent la sécularité de l’Etat. La révolution tunisienne est loin d’être terminée.
Sami Naïr
Ancien député européen
Professeur à l’université Pablo de Olavide, Séville
07.07.11
Source: medelu
mardi 12 juillet 2011
lundi 11 juillet 2011
Le négationisme aussi, à géométrie variable?
La Nakba effacée d’un manuel scolaire français
A en croire une dépêche de l’Agence France Presse (AFP) datée du 4 juillet, «des passages de nouveaux manuels d’histoire contemporaine à destination des classes de première générale, contestés par des associations juives, vont être “modifiés” à l’occasion de l’impression des versions définitives, a indiqué lundi l’éditeur Hachette Education».
Ces modifications concerneraient la description du «partage de la Palestine» par les «manuels de premières L, S et ES à la rentrée 2011». Et l’agence de citer le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui dénonce une «présentation du conflit israélo-palestinien tout à fait scandaleuse». M. Richard Prasquier voit notamment dans l’emploi du terme Nakba («catastrophe», en arabe) une «idéologisation» et s’en prend à des «erreurs factuelles», sans toutefois, observe l’AFP, «préciser lesquelles». Pour sa part, note enfin la dépêche, «le Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA) a reproché aux auteurs du manuel d’“interpréter les faits historiques, de tronquer la vérité, de prendre parti”».
A défaut de précisions du Ministère de l’éducation nationale, qui a refusé de commenter ces informations, on se perd en conjectures.
Responsable, en dernier ressort, du contenu des manuels scolaires destinés aux lycéens français, le Ministère ne tombe-t-il pas dans le communautarisme, si souvent vilipendé par le président de la République et le premier ministre, en acceptant de laisser un éditeur en réviser le contenu à la demande d’associations ou de groupes d’influence représentant (ou prétendant représenter) diverses «communautés»?
La question se pose d’autant plus que la prise de position du CRIF rejoint la loi récemment votée par l’Assemblée nationale israélienne interdisant la commémoration, sous le nom de Nakba, de l’exode des Palestiniens durant la guerre judéo-palestinienne, puis israélo-arabe de 1947-1949… Ce qui pose une question supplémentaire: le CRIF a-t-il pour objectif de faire appliquer en France la législation israélienne et la République française doit-elle se plier à cette exigence, notamment en matière d’éducation?
S’agissant enfin de manuels d’histoire, le plus raisonnable ne serait-il pas que le ministère exige de l’éditeur qu’il s’appuie sur les travaux des historiens, en premier lieu des plus concernés: les chercheurs palestiniens et israéliens? Or l’immense majorité d’entre eux affirment (pour les premiers) et reconnaissent (pour les seconds) que la plupart des Palestiniens ayant dû quitter leur foyer à cette époque y ont été contraints, souvent à la suite de massacres.
Même l’Israélien Benny Morris, qui a justifié en 2004 la politique du gouvernement Sharon, a réaffirmé, sur ce point, les résultats de ses vingt années de plongée dans les archives israéliennes. L’homme qui est allé jusqu’à défendre le «nettoyage ethnique» – «Un Etat Juif n’aurait pas pu être créé sans déraciner 700.000 Palestiniens. Par conséquent, il était nécessaire de les déraciner», avait-il déclaré dans une interview au quotidien Haaretz le 8 janvier 2004 – serait-il, aux yeux du CRIF, un «antisémite»?
M. Richard Prasquier, qui prétend parler au nom des Juifs de France (voir Le Monde diplomatique de juillet 2011), est sans doute un bon cardiologue. Cela ne suffit pas, de toute évidence, à faire de lui un bon historien…
Dominique Vidal
07.07.11
Source: le monde diplo
dimanche 10 juillet 2011
Emploi: le miracle allemand
L'Allemagne vient d'aligner un 24è mois de baisse continue du chômage, qui s'établit désormais à 7%, confirmant les espoirs de reprise annoncés par sa croissance de 1,5% au premier trimestre de l'année 2011. Quelles sont les recettes de ce miracle économique allemand qui crée des emplois tout en conservant des salaires honorables? Avec quelle contrepartie?
- Atlantico: La nouvelle baisse du chômage allemand vous surprend-elle?
- Isabelle Bourgeois: Pas du tout, c'est une confirmation que l'Allemagne est bien sortie de la récession. Elle a été l'une des économies les plus rudement affectées par la crise, mais qui avait le potentiel pour en sortir rapidement.
La reprise de la demande mondiale, et notamment des pays émergents, tire ses exportations et la production industrielle, ce qui favorise les embauches et les investissements des entreprises. La spirale vertueuse est donc enclenchée. D'ailleurs, le gros des embauches est intervenu dans l'industrie et les services liés, qui sont les secteurs les plus ouverts à l'international. La crise avait été importée, le retour à la croissance aussi!
- Ce dynamisme est-il attribuable à la politique économique menée par le gouvernement Merkel?
- Il est difficile de mesurer l'impact des mesures de soutien à la conjoncture, en Allemagne comme en France. Ce qui est le plus important, ce sont les mesures adoptées au sein des entreprises ou des branches économiques. Au plus profond de la crise, les patrons ont thésaurisé leurs compétences en misant systématiquement sur tous les outils de flexibilité interne qui avaient été créés conjointement par le patronat et les syndicats, comme par exemple le compte épargne-temps. Ensuite, le gouvernement a soutenu financièrement l'usage massif du chômage partiel, par exemple. Il y a eu une solidarité conjointe entre patronat et salariés pour faire tourner la machine malgré la crise, et cela explique le retour rapide à la prospérité: en plus de maintenir les emplois, la reprise de l'activité a permis de nouvelles embauches.
Contrairement à ce que l'on croit en France, l'Allemagne ne s'est jamais désindustrialisée. On riait de l'«économie de grand papa» allemande, mais la crise a montré que ce modèle faisait ses preuves pour donner à manger aux gens!
- Quels autres facteurs expliquent-ils le miracle de l'emploi allemand?
- Les entreprises allemandes mènent une politique d'innovation systématique: elles ont mis la crise à profit pour innover mieux, en redoublant d'efforts pour améliorer leur productivité. Cela leur a permis de réagir très vite et de sortir par le haut. Ce phénomène n'a été impulsé par aucune action politique: c'est quasiment culturel en Allemagne! Les entreprises, et notamment les PME, ont toujours le regard rivé sur la demande pour améliorer leur position et leur réactivité, et sont aidées par leur travail en réseau.
Parallèlement, de plus en plus de gens cherchent un petit salaire d'appoint pour mettre du beurre dans les épinards: qu'ils s'agisse de retraités, de femmes au foyer ou d'étudiants, un nombre croissant de personnes vont par exemple distribuer le courrier ou se lancer dans les services à la personne. Ces petits boulots qui se multiplient étaient auparavant impossibles à pourvoir car les syndicats refusaient d'abaisser les planchers salariaux. Mais grâce aux accords des partenaires sociaux, ce segment a pu s'ouvrir, offrant des emplois à des gens qui n'auraient jamais pu travailler.
Par ailleurs, le chômage des jeunes n'existe pas en Allemagne: cela s'explique essentiellement par l'apprentissage et l'adéquation entre l'offre de formation et la demande du marché.
Enfin, à très long terme, on peut observer les effets bénéfiques de la modération salariale pratiquée quasiment depuis la réunification, que la France lui a souvent reprochée. Cela a pourtant permis aux entreprises de garder les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans l'outil de travail, et donc embaucher.
- Cela ne se traduit-il pas par une situation sociale plus difficile pour les travailleurs allemands?
- L'idée selon laquelle les salaires allemands seraient bas est encore un fantasme français. Ils sont extrêmement élevés dans l'industrie! Je gagnerais nettement plus en étant ouvrier dans l'industrie allemande que chercheur en France...
Pendant la récession, les salariés ont dû faire un effort, mais ils sont maintenant récompensés, notamment par des primes cette année. Les salaires sont régulièrement réajustés, mais ils restent toujours en-deçà de la progression de la productivité: c'est ça le secret du succès allemand!
- Quid des inégalités sociales qui s'accroissent ?
- Ce n'est pas lié au modèle allemand, mais aux mutations économiques qui touchent tous les pays européens. Elles ont notamment pour origine la libéralisation d'anciens services publics, l'extension du secteur des services et le boom des prestations qui exigent de faibles qualifications et qui sont rémunérées en conséquence.
- Existe-t-il des menaces à l'encontre de la reprise économique allemande?
- Une belle mécanique est toujours fragile! Il y a d'abord le problème de la démographie: l'Allemagne devra amener plus de femmes à l'emploi qualifié, et combler les manques dans certains domaines grâce à la mobilité intra-européenne. Des inquiétudes demeurent également autour de la crise des dettes souveraines, pas seulement en Allemagne, mais aussi chez les autres. Par ailleurs, le risque inflationniste demeure fort, notamment du fait de l'envolée des matières premières.
Et enfin, de grosses incertitudes entourent la sortie du nucléaire, qui va coûter très cher. Les Allemands sont en train de discuter de la façon de gérer le problème, en espérant en tirer un regain de compétitivité, mais rien n'est moins sûr.
Isabelle Bourgeois
Chargée de recherches au Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC) et rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande. Bulletin économique du CIRAC.
Auteur de PME allemandes : les clés de la performance (Cirac, 2010)
07.07.11
Source: atlantico.fr
- Atlantico: La nouvelle baisse du chômage allemand vous surprend-elle?
- Isabelle Bourgeois: Pas du tout, c'est une confirmation que l'Allemagne est bien sortie de la récession. Elle a été l'une des économies les plus rudement affectées par la crise, mais qui avait le potentiel pour en sortir rapidement.
La reprise de la demande mondiale, et notamment des pays émergents, tire ses exportations et la production industrielle, ce qui favorise les embauches et les investissements des entreprises. La spirale vertueuse est donc enclenchée. D'ailleurs, le gros des embauches est intervenu dans l'industrie et les services liés, qui sont les secteurs les plus ouverts à l'international. La crise avait été importée, le retour à la croissance aussi!
- Ce dynamisme est-il attribuable à la politique économique menée par le gouvernement Merkel?
- Il est difficile de mesurer l'impact des mesures de soutien à la conjoncture, en Allemagne comme en France. Ce qui est le plus important, ce sont les mesures adoptées au sein des entreprises ou des branches économiques. Au plus profond de la crise, les patrons ont thésaurisé leurs compétences en misant systématiquement sur tous les outils de flexibilité interne qui avaient été créés conjointement par le patronat et les syndicats, comme par exemple le compte épargne-temps. Ensuite, le gouvernement a soutenu financièrement l'usage massif du chômage partiel, par exemple. Il y a eu une solidarité conjointe entre patronat et salariés pour faire tourner la machine malgré la crise, et cela explique le retour rapide à la prospérité: en plus de maintenir les emplois, la reprise de l'activité a permis de nouvelles embauches.
Contrairement à ce que l'on croit en France, l'Allemagne ne s'est jamais désindustrialisée. On riait de l'«économie de grand papa» allemande, mais la crise a montré que ce modèle faisait ses preuves pour donner à manger aux gens!
- Quels autres facteurs expliquent-ils le miracle de l'emploi allemand?
- Les entreprises allemandes mènent une politique d'innovation systématique: elles ont mis la crise à profit pour innover mieux, en redoublant d'efforts pour améliorer leur productivité. Cela leur a permis de réagir très vite et de sortir par le haut. Ce phénomène n'a été impulsé par aucune action politique: c'est quasiment culturel en Allemagne! Les entreprises, et notamment les PME, ont toujours le regard rivé sur la demande pour améliorer leur position et leur réactivité, et sont aidées par leur travail en réseau.
Parallèlement, de plus en plus de gens cherchent un petit salaire d'appoint pour mettre du beurre dans les épinards: qu'ils s'agisse de retraités, de femmes au foyer ou d'étudiants, un nombre croissant de personnes vont par exemple distribuer le courrier ou se lancer dans les services à la personne. Ces petits boulots qui se multiplient étaient auparavant impossibles à pourvoir car les syndicats refusaient d'abaisser les planchers salariaux. Mais grâce aux accords des partenaires sociaux, ce segment a pu s'ouvrir, offrant des emplois à des gens qui n'auraient jamais pu travailler.
Par ailleurs, le chômage des jeunes n'existe pas en Allemagne: cela s'explique essentiellement par l'apprentissage et l'adéquation entre l'offre de formation et la demande du marché.
Enfin, à très long terme, on peut observer les effets bénéfiques de la modération salariale pratiquée quasiment depuis la réunification, que la France lui a souvent reprochée. Cela a pourtant permis aux entreprises de garder les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans l'outil de travail, et donc embaucher.
- Cela ne se traduit-il pas par une situation sociale plus difficile pour les travailleurs allemands?
- L'idée selon laquelle les salaires allemands seraient bas est encore un fantasme français. Ils sont extrêmement élevés dans l'industrie! Je gagnerais nettement plus en étant ouvrier dans l'industrie allemande que chercheur en France...
Pendant la récession, les salariés ont dû faire un effort, mais ils sont maintenant récompensés, notamment par des primes cette année. Les salaires sont régulièrement réajustés, mais ils restent toujours en-deçà de la progression de la productivité: c'est ça le secret du succès allemand!
- Quid des inégalités sociales qui s'accroissent ?
- Ce n'est pas lié au modèle allemand, mais aux mutations économiques qui touchent tous les pays européens. Elles ont notamment pour origine la libéralisation d'anciens services publics, l'extension du secteur des services et le boom des prestations qui exigent de faibles qualifications et qui sont rémunérées en conséquence.
- Existe-t-il des menaces à l'encontre de la reprise économique allemande?
- Une belle mécanique est toujours fragile! Il y a d'abord le problème de la démographie: l'Allemagne devra amener plus de femmes à l'emploi qualifié, et combler les manques dans certains domaines grâce à la mobilité intra-européenne. Des inquiétudes demeurent également autour de la crise des dettes souveraines, pas seulement en Allemagne, mais aussi chez les autres. Par ailleurs, le risque inflationniste demeure fort, notamment du fait de l'envolée des matières premières.
Et enfin, de grosses incertitudes entourent la sortie du nucléaire, qui va coûter très cher. Les Allemands sont en train de discuter de la façon de gérer le problème, en espérant en tirer un regain de compétitivité, mais rien n'est moins sûr.
Isabelle Bourgeois
Chargée de recherches au Centre d'Information et de Recherche sur l'Allemagne contemporaine (CIRAC) et rédactrice en chef de Regards sur l'économie allemande. Bulletin économique du CIRAC.
Auteur de PME allemandes : les clés de la performance (Cirac, 2010)
07.07.11
Source: atlantico.fr
samedi 9 juillet 2011
L’Europe sous les bottes d’Israël
Il aura fallu que deux événements arrivent presque en même temps pour enfin mesurer la soumission européenne à l’Etat sioniste d’Israël.
Le premier concerne la Flotille de la Liberté 2 qui a pour mission de briser le blocus illégal et meurtrier contre la bande de Gaza. Ce blocus, considéré comme une honte de l’humanité, maintient une population civile à la merci du bon vouloir d’un Etat colonial, arrogant, raciste et guerrier. Ce blocus a maintes fois été déclaré illégal par plus d’un organisme international ou européen.
Malgré ces déclarations verbales, l’Union européenne a décidé de se plier à l’Etat sioniste, considérant que la Méditerranée est une mer soumise aux puissances impériales, et aux sionistes en premier lieu. La décision de la Flotille de la Liberté 2 de briser le blocus n’est pas humanitaire, même si la population de Gaza est meurtrie, victime de la sauvagerie sioniste. Les vivres peuvent passer, les médicaments aussi, par le biais de l’Egypte. Mais le blocus est politique. L’Etat sioniste arrogant en a décidé ainsi, et les pays européens, dépourvus désormais de toute volonté, ont accepté le diktat israélien, faisant fi de tout l’humanisme dont ils pensent abreuver le monde, et de tout sentiment de fraternité qu’ils chantent à longueur de journée. Il n’y a pas plus hypocrite que les régimes européens. Mais cela n’est pas nouveau. Juste une nouvelle confirmation.
La Grèce, jadis pays ami du peuple palestinien, est soumis aux pressions non seulement de l’entité coloniale, mais aussi de l’ONU et des pays européens. Ce pays qui croule économiquement croit pouvoir s’en sortir en vendant son âme à l’injustice la plus criante, à l’Etat dont les crimes dépassent en horreur tout ce qui a pu être commis dans le monde, dès sa création. Mais l’Etat grec n’aurait pas pris cette attitude honteuse et inhumaine, injuste et criminelle, si l’Union européenne n’exerçait pas non plus une pression des plus graves. Au peuple grec de montrer qu’il refuse cette politique criminelle, car ce n’est ni l’aide européenne, ni internationale, ni surtout sioniste qui va pouvoir l’aider à dépasser sa crise économique, au contraire. Toute l’aide qui lui sera accordée la plongera dans une dépendance de plus en plus grave et la placera sous les bottes du diktat américano-sioniste.
De l’autre côté de l’Europe, la Grande-Bretagne a voulu jouer au «plus malin» en arrêtant sheikh Raed Salah. Les explications britanniques officielles sont aussi ridicules que scandaleuses. Elles font d’abord courir le bruit que Sheikh Raed Salah serait rentré dans le pays par fraude, et qu’il aurait utilisé un faux nom. Alors qu’elles «découvrent» plus tard que ce n’est pas vrai. Il est arrêté par la police chargée de lutter contre l’immigration «clandestine», alors qu’il s’agit d’un acte politique. Les autorités britanniques voulaient humilier Sheikh Raed Salah, sheikh d’Al-Aqsa. Les sionistes avaient essayé de faire pareil, en 2005, lorsqu’ils l’avaient arrêté soi-disant pour «blanchiment d’argent». Ils ont dû le relâcher, faute de preuve, alors que la planète entière sait que Sheikh Raed Salah, sheikh d’Al-Aqsa, fut emprisonné parce qu’il mobilise le peuple palestinien pour sauver al-Aqsa, al-Qods et la Palestine, contre le nettoyage ethnique mené en Palestine occupée.
L’arrestation de sheikh Raed Salah, au regard de l’embarras de la ministre britannique de l’intérieur, fut clairement une soumission à la propagande et diktat sionistes. C’est l’Etat sioniste qui a dicté cette arrestation, soi-disant parce qu’il aurait eu des paroles «antisémites» (nouvelle version), mais personne en Palestine occupée ne l’avait arrêté pour cela, et même, les occupants sionistes n’auraient pas osé le faire. C’est à la Grande-Bretagne qu’ils délèguent cette provocation. sheikh Raed Salah est un homme avisé. Il a compris ce que les sionistes envisageaient de faire: le faire passer pour un «clandestin» ou pour un «criminel de droit commun». Il refuse son expulsion, quitte à rester en prison, et réclame une audience judiciaire. La Grande-Bretagne, soi-disant Etat de droit, est empêtrée jusqu’au cou. Ce n’est pas sa décision que d’arrêter une personnalité palestinienne de cette importance, mais elle a dû le faire, et même si cela la fait plonger dans une situation juridique intenable. Pourquoi l’avoir arrêté? Personne ne le sait plus. Des responsables britanniques parlent à présent «d’atteinte à l’ordre public» (troisième version).
Sheikh Raed Salah a réussi, par son attitude ferme et digne, à plonger l’empire britannico-sioniste dans la boue, jusqu’au cou. Les messages de solidarité lui parviennent, du monde arabo-islamique d’abord, mais surtout des peuples libres dans le monde. La Grande-Bretagne, qui a voulu l’humilier, en se plaçant sous les ordres sionistes, n’a pas su à qui elle a affaire.
Ces deux récents exemples, la Flotille de la Liberté 2 et l’arrestation de sheikh Raed Salah, confirment que les pays européens sont sous les bottes de l’Etat colonial d’Israël. Anciennes puissances impériales et coloniales pour la plupart, elles ne sont plus que des pays soumis. Les peuples européens vont-ils enfin secouer le joug sioniste ou bien accepter de supporter toute cette arrogance coloniale, et céder au chantage de l’accusation d’antisémitisme, jusqu’à la dernière goutte de leur dignité?
Rim al-Khatib
07.07.11
Source: ism-france
vendredi 8 juillet 2011
Yémen: La révolution inachevée
Lancée par la jeunesse urbaine comme un mouvement pacifique, la contestation au Yémen est aujourd’hui récupérée par des forces politiques traditionnelles et armées. Face à ce soulèvement, le régime du président Saleh garde de véritables atouts et une capacité manœuvrière, d’autant que les partenaires internationaux du pays jouent un jeu ambigu.
Dans un contexte régional marqué par les révolutions tunisienne et égyptienne, le Yémen connait depuis fin janvier 2011 un soulèvement populaire inédit. La diversité sociologique de celles et ceux qui, depuis maintenant plus de trois mois, réclament dans la rue le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis juillet 1978, a surpris diplomates, journalistes et chercheurs. Plus encore, la persistance du caractère exclusivement pacifique de la mobilisation, y compris face à la répression, et l’émergence de répertoires d’action originaux (sit-in, poésie, théâtre, rôle des militantes, etc.) continuent à susciter l’enthousiasme et l’étonnement.
A la jeunesse urbaine souvent indépendante des partis politiques qui a initié la révolte s’est progressivement joint l’opposition partisane, tout particulièrement les socialistes et les Frères musulmans rassemblés depuis le milieu des années 2000 dans le Forum commun (al-Liqa al-mushtarak). Au départ pourtant, cette frange institutionnelle de l’opposition s’était montré quelque peu réticente et avait semblé se satisfaire des réformes politiques promises par le président immédiatement après les premières manifestations. Au fil des mois de mars et d’avril, l’adoption du slogan, radical mais pacifique, «dégage (irhal)» par tous, y compris par certaines tribus des hauts plateaux du nord, par les partisans de la rébellion dite «houthiste» se revendiquant de l’identité zaydite chiite et par les sécessionnistes de l’ex-Yémen du Sud (unique république socialiste du monde arabe jusqu’à son unification avec le Nord en mai 1990), laissait entrevoir la possibilité de convergences entre des mouvements qui s’ignoraient largement, voire se combattaient.
Suite au massacre de 52 manifestants à Sanaa le 18 mars, le pouvoir se trouvait fragilisé par d’importantes défections, notamment au sein de l’armée. Un proche du président, le général Ali Muhsin, responsable des basses œuvres du régime et honnis par les manifestants rejoignait même leurs rangs et promettait de les protéger. Les défections comme l’alignement des différentes oppositions (possédant par ailleurs une réelle «puissance de feu» et de l’armement) sur les demandes de la jeunesse révolutionnaire (shabab al-thawra) témoignent toutefois d’une reprise en main potentiellement inquiétante. En effet, cette jeunesse qui a initié le mouvement se voit aujourd’hui supplantée et rétrogradée au second plan. La création d’un équilibre de la puissance entre régime et opposants, et la militarisation effective de la contestation mettent en effet en péril le caractère pacifique de cette dernière. Un tel processus laisse par ailleurs craindre une captation et un encadrement de la révolution par les forces politiques traditionnelles (partis, rébellions, tribus et bureaucraties), permettant à ces dernières de préserver certains avantages clientélistes acquis ou les ressources que leur opposition leur a permis d’engranger, parfois au niveau local.
Tout enthousiasmant et légitime qu’est le mouvement engagé par la jeunesse, il ne peut faire oublier les ressources du régime, même affaibli. Sur le plan armé d’abord, en dépit des défections de militaires et de chefs de tribus, les partisans d’Ali Abdallah Saleh conservent la main sur de nombreux organes de sécurité. Ensuite, les partenaires internationaux et régionaux du Yémen, Etats-Unis et Arabie Saoudite en tête, continuent à jouer un rôle ambigu. L’obsession sécuritaire qu’ils partagent et la coopération anti-terroriste engagée avec le régime d’Ali Abdallah Saleh contre al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) amènent de nombreux acteurs à faire le pari de la continuité. Si le départ de Saleh semble maintenant souhaité par les acteurs internationaux, la révolution pourrait ne se faire qu’à minima, au risque alors de provoquer la frustration des manifestants et de maintenir un système politique générateur de conflits et incapable de répondre aux défis socio-économiques qui se posent. Pour ce qui concerne la «menace al-Qaida», il semble même que le maintien du régime, avec ou sans Saleh, soit potentiellement vecteur de davantage de violence qu’une réforme politique, certes vraisemblablement désordonnée mais néanmoins profonde, qui serait à même de saper la légitimité du discours jihadiste.
Une médiation quelque peu chaotique des pays du Golfe a donné lieu mi-avril à une proposition de règlement de la crise politique: un calendrier impose le départ du président, garantit son immunité ainsi que celle de ses proches et prévoie des élections générales à brève échéance. Bien qu’irréaliste car négligeant la phase de transition (réduite à deux mois pour organiser des élections qui depuis quatre ans sont sans cesse repoussées) et manquant de garantie (notamment pour l’observation du processus électoral), un tel calendrier a reçu le soutien du Forum commun mais a été rejeté par une frange importante des manifestants qui réclament le départ immédiat de Saleh. Le 24 avril, le président faisait mine d’accepter l’initiative portée par les pays du Golfe, puis s’en détournait implicitement dans ses discours laissant entendre qu’il ne serait défait que dans les urnes. En continuant à souffler le chaud et le froid, Ali Abdallah Saleh est parvenu à diviser de nouveau ses opposants et à maintenir l’incertitude sur son sort ainsi que sur celui du pays tout entier.
Au-delà même de la dimension répressive, la reprise en main du mouvement par les acteurs traditionnels, témoigne d’une certaine inertie des systèmes politiques autoritaires qui tentent de se recycler ou de capter la contestation, avant et même après la chute du dictateur. Face à ces nombreux détours et soubresauts, le cas yéménite illustre combien la temporalité révolutionnaire, nécessairement longue, se distingue de la temporalité médiatique. Cette révolution yéménite encore inachevée laisse par là entrevoir la diversité des fortunes à venir des révolutions arabes de l’année 2011 et ne peut qu’inviter à la patience.
Laurent Bonnefoy
30.06.11
Source: cetri
Dans un contexte régional marqué par les révolutions tunisienne et égyptienne, le Yémen connait depuis fin janvier 2011 un soulèvement populaire inédit. La diversité sociologique de celles et ceux qui, depuis maintenant plus de trois mois, réclament dans la rue le départ du président Ali Abdallah Saleh, au pouvoir depuis juillet 1978, a surpris diplomates, journalistes et chercheurs. Plus encore, la persistance du caractère exclusivement pacifique de la mobilisation, y compris face à la répression, et l’émergence de répertoires d’action originaux (sit-in, poésie, théâtre, rôle des militantes, etc.) continuent à susciter l’enthousiasme et l’étonnement.
A la jeunesse urbaine souvent indépendante des partis politiques qui a initié la révolte s’est progressivement joint l’opposition partisane, tout particulièrement les socialistes et les Frères musulmans rassemblés depuis le milieu des années 2000 dans le Forum commun (al-Liqa al-mushtarak). Au départ pourtant, cette frange institutionnelle de l’opposition s’était montré quelque peu réticente et avait semblé se satisfaire des réformes politiques promises par le président immédiatement après les premières manifestations. Au fil des mois de mars et d’avril, l’adoption du slogan, radical mais pacifique, «dégage (irhal)» par tous, y compris par certaines tribus des hauts plateaux du nord, par les partisans de la rébellion dite «houthiste» se revendiquant de l’identité zaydite chiite et par les sécessionnistes de l’ex-Yémen du Sud (unique république socialiste du monde arabe jusqu’à son unification avec le Nord en mai 1990), laissait entrevoir la possibilité de convergences entre des mouvements qui s’ignoraient largement, voire se combattaient.
Suite au massacre de 52 manifestants à Sanaa le 18 mars, le pouvoir se trouvait fragilisé par d’importantes défections, notamment au sein de l’armée. Un proche du président, le général Ali Muhsin, responsable des basses œuvres du régime et honnis par les manifestants rejoignait même leurs rangs et promettait de les protéger. Les défections comme l’alignement des différentes oppositions (possédant par ailleurs une réelle «puissance de feu» et de l’armement) sur les demandes de la jeunesse révolutionnaire (shabab al-thawra) témoignent toutefois d’une reprise en main potentiellement inquiétante. En effet, cette jeunesse qui a initié le mouvement se voit aujourd’hui supplantée et rétrogradée au second plan. La création d’un équilibre de la puissance entre régime et opposants, et la militarisation effective de la contestation mettent en effet en péril le caractère pacifique de cette dernière. Un tel processus laisse par ailleurs craindre une captation et un encadrement de la révolution par les forces politiques traditionnelles (partis, rébellions, tribus et bureaucraties), permettant à ces dernières de préserver certains avantages clientélistes acquis ou les ressources que leur opposition leur a permis d’engranger, parfois au niveau local.
Tout enthousiasmant et légitime qu’est le mouvement engagé par la jeunesse, il ne peut faire oublier les ressources du régime, même affaibli. Sur le plan armé d’abord, en dépit des défections de militaires et de chefs de tribus, les partisans d’Ali Abdallah Saleh conservent la main sur de nombreux organes de sécurité. Ensuite, les partenaires internationaux et régionaux du Yémen, Etats-Unis et Arabie Saoudite en tête, continuent à jouer un rôle ambigu. L’obsession sécuritaire qu’ils partagent et la coopération anti-terroriste engagée avec le régime d’Ali Abdallah Saleh contre al-Qaida dans la péninsule Arabique (AQPA) amènent de nombreux acteurs à faire le pari de la continuité. Si le départ de Saleh semble maintenant souhaité par les acteurs internationaux, la révolution pourrait ne se faire qu’à minima, au risque alors de provoquer la frustration des manifestants et de maintenir un système politique générateur de conflits et incapable de répondre aux défis socio-économiques qui se posent. Pour ce qui concerne la «menace al-Qaida», il semble même que le maintien du régime, avec ou sans Saleh, soit potentiellement vecteur de davantage de violence qu’une réforme politique, certes vraisemblablement désordonnée mais néanmoins profonde, qui serait à même de saper la légitimité du discours jihadiste.
Une médiation quelque peu chaotique des pays du Golfe a donné lieu mi-avril à une proposition de règlement de la crise politique: un calendrier impose le départ du président, garantit son immunité ainsi que celle de ses proches et prévoie des élections générales à brève échéance. Bien qu’irréaliste car négligeant la phase de transition (réduite à deux mois pour organiser des élections qui depuis quatre ans sont sans cesse repoussées) et manquant de garantie (notamment pour l’observation du processus électoral), un tel calendrier a reçu le soutien du Forum commun mais a été rejeté par une frange importante des manifestants qui réclament le départ immédiat de Saleh. Le 24 avril, le président faisait mine d’accepter l’initiative portée par les pays du Golfe, puis s’en détournait implicitement dans ses discours laissant entendre qu’il ne serait défait que dans les urnes. En continuant à souffler le chaud et le froid, Ali Abdallah Saleh est parvenu à diviser de nouveau ses opposants et à maintenir l’incertitude sur son sort ainsi que sur celui du pays tout entier.
Au-delà même de la dimension répressive, la reprise en main du mouvement par les acteurs traditionnels, témoigne d’une certaine inertie des systèmes politiques autoritaires qui tentent de se recycler ou de capter la contestation, avant et même après la chute du dictateur. Face à ces nombreux détours et soubresauts, le cas yéménite illustre combien la temporalité révolutionnaire, nécessairement longue, se distingue de la temporalité médiatique. Cette révolution yéménite encore inachevée laisse par là entrevoir la diversité des fortunes à venir des révolutions arabes de l’année 2011 et ne peut qu’inviter à la patience.
Laurent Bonnefoy
30.06.11
Source: cetri
jeudi 7 juillet 2011
«Le libre-échange, c’est la dictature des entreprises»
Écrivain, physicienne, prix Nobel alternatif, la militante écologiste indienne Vandana Shiva est une résistante infatigable contre les entreprises qui pillent son pays, comme Monsanto. Elle pose un regard lucide sur les enjeux de la période: crise écologique, financière, protectionnisme, risque nucléaire, OGM... Quelle civilisation sommes-nous en train de construire? Comment redonner du pouvoir aux citoyens face aux multinationales? Comment construire de réelles alternatives globales? Entretien.
- Basta!: Les combats que vous menez sont liés à la souveraineté – alimentaire, sur les terres, l’eau, les semences. Qu’est-ce que la souveraineté? En quoi est-ce un enjeu majeur du 21è siècle?
Vandana Shiva: La redéfinition de la notion de «souveraineté» sera le grand défi de l’ère post-globalisation. La mondialisation était fondée sur l’ancienne notion de souveraineté, celle des États-nations héritée de la souveraineté des monarques et des rois. La nouvelle notion de souveraineté est le fondement de la résistance à la mondialisation. Cette résistance se traduit par le slogan: «Le monde n’est pas une marchandise.» Actuellement, les Grecs disent: «Notre terre n’est pas à vendre, nos biens ne sont pas à vendre, nos vies ne sont pas à vendre.» Qui parle? Les peuples. Revendiquer la souveraineté des peuples est la première étape de la souveraineté alimentaire, de l’eau ou des semences. Mais il y a une seconde partie: les peuples revendiquent le droit de protéger la Terre, et non celui d’abuser d’elle comme d’autres la maltraitent. Ainsi la souveraineté des terres, des semences, des rivières rejoint la souveraineté des peuples. Avec la responsabilité de protéger ce cadeau de la Terre et de le partager équitablement.
- Pour garantir cette souveraineté, faut-il fermer davantage les frontières?
Aucune frontière n’est jamais totalement fermée. C’est comme la frontière de notre peau, qui nous protège de l’invasion de toute infection: des ouvertures permettent à la transpiration de sortir, pour maintenir notre équilibre, préserver notre santé. Toutes les frontières sont poreuses. Un corps souverain sait comment réguler ces entrées et sorties. Il sait quand trop de chaleur entre dans le corps. Il sait comment s’opposer aux virus. Quand un corps perd cette autonomie, cette souveraineté, il devient malade. C’est la même chose pour un pays, gouverné par un peuple souverain et autonome. Ce peuple peut dire: «Notre lait est vendu 14 roupies/litre, votre lait européen qui débarque à 8 roupies/litre va détruire l’économie laitière en Inde, donc j’ai le droit de réguler ce qui entre.» La régulation est vitale pour tout système vivant. La dérégulation, c’est l’appel de la mort. Un corps dérégulé meurt. De même, une nation, une économie dérégulée meurt.
Nous ne disons pas «non au commerce», mais «non au commerce dérégulé». Non à un marché dérégulé où les conditions des échanges sont déterminées par l’avidité des entreprises, qui s’approprient nos impôts, créent des prix artificiels, entraînant dumping social et destruction de la souveraineté alimentaire. Ce système nuit aux paysans d’Inde. Et il nuit aux paysans d’Europe qui ne peuvent pas gagner leur vie, car les coûts de production sont supérieurs aux prix de vente du lait. L’agrobusiness et ses profits sont au centre de cette équation. Elle a pour conséquence le dumping, l’accaparement, le meurtre de nos paysans, le massacre de nos terres, et tous ces gens qu’on tue avec une alimentation empoisonnée.
- Le protectionnisme peut-il être une solution face à cette exploitation du vivant, en empêchant les multinationales d’avoir accès à ces ressources qu’elles exploitent?
Tout comme nous devons redéfinir la notion de souveraineté, nous devons repenser la notion de protectionnisme. Un protectionnisme lié à la protection des écosystèmes, à l’écologie, est un impératif. Nous devons dire stop à la dévastation de nos rivières, stop aux déchets toxiques, stop au dumping des OGM par la manipulation des politiques mondiales par une multinationale. Cette protection est un devoir. Le cycle de Doha [1] n’a entraîné aucun progrès depuis une décennie à cause d’un seul facteur: le problème de la subsistance des paysans. En 1993, nous avons organisé un rassemblement d’un demi-million de personnes pour faire pression sur le gouvernement indien: «Si vous signez les accords du GATT, nos paysans vont mourir.» Résultat: les accords du GATT ont été signés, et 250.000 paysans indiens se sont suicidés, notamment à cause de leurs dettes!
Cet endettement des paysans est lié à une décision politique particulière: la dérégulation du marché des semences, qui a permis à Monsanto de devenir par exemple l’unique vendeur de semences sur le marché du coton. La multinationale contrôle 95% de ce marché et dicte les prix. Une équipe de scientifiques indiens vient de montrer que les OGM ne fonctionnent pas. Dans les champs, c’est manifeste: les paysans doivent utiliser 13 fois plus de pesticides avec les OGM. Ce qui est formidable pour Monsanto qui les commercialise. Mais une cause d’endettement pour les paysans, et donc une cause de suicides.
La protection de nos paysans est un «protectionnisme vital». Le protectionnisme est vu comme un «péché», car la dérégulation a été érigée en norme. Interférer dans la corruption, les manipulations et l’avidité des multinationales, c’est du protectionnisme. Et donc, pour certains, c’est mauvais. Non! C’est un devoir social, c’est un devoir écologique. Et la cupidité des multinationales n’est pas un droit! Elles écrivent à l’OMC, rédigent des accords et disent: «Maintenant nous avons des droits et personne ne peut les changer.» Nous les changerons.
- Vous écrivez que «le libre-échange est un protectionnisme pour les puissants». Doit-on construire un protectionnisme pour les plus «faibles»?
Le libre-échange, dans la manière dont il a été façonné, n’est pas du tout libre. Il n’est pas démocratique. Cinq entreprises se rencontrent, écrivent un accord sur les droits de la propriété intellectuelle et cela donne à Monsanto le droit de considérer des semences comme sa «propriété intellectuelle»! Cela permet à des entreprises comme Novartis de voler les médicaments aux plus pauvres et de les faire payer 10 fois plus cher. Un mois de traitement contre le cancer, avec les médicaments génériques disponibles en Inde, coûte 10.000 roupies. Et Novartis veut faire payer 175.000 roupies par mois. Quand le tribunal juge qu’il n’est pas possible de déposer un brevet, car ces médicaments existent déjà et que ce n’est pas une «invention», Novartis défie les lois indiennes. La plupart des Indiens ne pourront pas payer le prix demandé par la multinationale. Novartis répond: «Seuls 15% de Indiens nous importent.» Cinq entreprises ont écrit une loi sur la propriété intellectuelle, et affirment ensuite que 85% des gens peuvent mourir du manque de médicaments! C’est un système criminel.
Quand cinq géants commerciaux, comme Cargill (multinationale états-unienne de l’agroalimentaire), rédigent l’accord sur l’agriculture, ils définissent l’alimentation non comme le droit de chaque humain à se nourrir, mais comme une marchandise qu’ils veulent contrôler. Ce n’est pas la liberté, ce n’est pas le libre-échange. C’est du commerce monopolistique, c’est du commerce coercitif. Cela revient à tuer des gens, car un milliard de personnes souffrent aujourd’hui de la faim dans le monde, à cause de ce système. Le libre-échange actuel, c’est la dictature des entreprises. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réelle liberté, pour chaque personne, chaque enfant, chaque femme, chaque espèce sur Terre. Une réelle liberté, liée à la vie.
- Vous étiez récemment aux États-Unis dans le Wisconsin pour soutenir les manifestants qui se battent pour défendre leurs droits et les services publics. Les services publics sont-ils aussi un bien commun à protéger?
Il y a deux types de biens communs. Les ressources vitales – eau, terre, semences, air, océans – données par la nature et modifiées par les humains. Et les services liés aux besoins essentiels: l’éducation, la santé, la façon de gérer nos villes, comme les services de lutte contre les incendies... Ce sont des services publics vitaux. Ce qui compte, c’est «l’esprit de service» : quand un pompier lutte contre le feu, quand il aide les gens, il ne regarde pas le danger. Et quand ces services sont privatisés, les coûts augmentent. Un tiers des emprunts en Inde sont liés à l’achat de médicaments. La principale raison pour laquelle les gens vendent leurs maisons aujourd’hui, c’est pour se soigner. La privatisation des services publics prive la société de ses droits. Nous devons les défendre comme des biens communs.
- Pensez-vous que le mouvement altermondialiste puisse apporter des solutions aux crises globales: environnementale, économique, financière?
Le mouvement altermondialiste a extrêmement bien réussi: nous avons rendu l’Organisation mondiale du commerce caduque. L’OMC ne s’est jamais relevé après les mobilisations lors du Sommet de Seattle, en 1999. On avait imaginé que 5.000 personnes viendraient à Seattle, et nous étions 30.000! On ne s’attendait pas à voir les syndicats. Ni les étudiants, qui étaient pourtant majoritaires. Le sommet de Doha en 2001 a ensuite été marqué par les événements du 11 septembre, avec une grande pression militaire. J’y étais. Certains ont dit aux gouvernements que s’ils ne signaient pas les accords de Doha, ils seraient traités comme des membres d’Al-Qaïda: «Vous êtes avec nous ou contre nous.» Résultat: rien n’a bougé à Doha, à cause de cette pression sur les gouvernements!
Des mouvements plus ciblés ont aussi été très fructueux. Nous avons par exemple mis la question de la «souveraineté» sur l’agenda politique. Personne ne peut plus aujourd’hui ignorer cette question. Nous avons mis en avant la défense de l’eau comme un bien public. Et regardez le référendum en Italie! 95% des Italiens ont dit non à la privatisation de l’eau. Idem dans le domaine des semences: je vais bientôt publier un rapport sur Monsanto, sur ses mensonges, sur la situation de monopole qu’ils ont créée et l’échec des technologies OGM à accroître les rendements. Le mouvement pour une alimentation sans OGM est très bien organisé.
Le mouvement altermondialiste a besoin de franchir une nouvelle étape. Quand on parle de la Banque mondiale, du FMI et des plans d’ajustement structurels, la plupart des gens se focalisent sur les pays du Sud, sur le «monde en développement». Mais aujourd’hui le FMI est en Europe! En Grèce, en Irlande… Des pays en crise, non du fait d’une mauvaise gestion, mais à cause des banques de Wall Street, à cause d’un système financier corrompu qui a provoqué cette crise totale. Nous devons maintenant faire trois connections vitales. La première est la question Nord-Sud. Aujourd’hui tout le monde est «au Sud». Le Nord? Ce sont les multinationales et les gouvernements. Nous devons tous nous considérer comme le «monde du Sud» et nous organiser en fonction de cela. La seconde connexion nécessaire, c’est de dépasser le fossé entre économie et écologie. Dans nos esprits, mais aussi dans nos organisations. 45% des jeunes sont au chômage en Espagne, nous devons nous tourner vers l’écologie pour créer de nouvelles opportunités d’emploi, car ce ne sont pas les banques ou Wall Street qui les fourniront. La troisième connexion, c’est entre démocratie économique et démocratie politique. La démocratie a été réduite au droit de vote. Les responsables de la crise ont mis l’Espagne dans un tel état que José Zapatero est obligé d’agir contre ceux qui ont voté pour lui, et il perdra peut-être les prochaines élections. Si les politiques sont bons, ils ont les mains liées, et s’ils sont mauvais, ils sont une part du problème. Nous devons aller vers une démocratie profonde où les gens ont vraiment la possibilité de prendre des décisions.
- Vous voulez un mouvement qui permette de sortir de la culture dominante de violence et de destruction. Mais face à la violence du système économique, des acteurs économiques, comment rester non-violents?
Personne n’a mieux parlé du pouvoir de la non-violence que Gandhi. «Nous ne pouvons pas démanteler la maison du maître avec les outils du maître», a dit la poétesse américaine Audre Lorde [2]. Nous avons besoin d’outils différents. Ils doivent être non-violents, parce que la non-violence est plus soutenable, et qu’elle efface vos peurs. Ceux qui luttent de manière violente doivent se cacher tout le temps. Je préfère me tenir droite face aux multinationales pour leur dire ce que je pense d’elles. Agir «sans peur» est notre plus puissante arme. Et la non-violence crée également un soutien plus large. Et nous vivons à une époque où une poignée de personnes ne peut pas mener les batailles pour toute la société. C’est toute la société qui doit être engagée. Les actions non-violentes sont une invitation à toute la société à participer au combat.
- Vous dites que dans la civilisation industrielle prédomine en permanence le vocabulaire de la guerre. Notre civilisation est-elle en état de guerre?
Le paradigme dominant de la civilisation industrielle est définitivement un paradigme de guerre. Des scientifiques comme Newton ou Descartes ont créé ce cadre: tous enseignent la guerre de l’humanité contre la nature. Tout est défini à partir de cela. Les outils eux-mêmes sont liés à la conquête sur la nature. Regardez les noms des pesticides: Round Up, Scepto, Machete. Il est toujours question de «tuer». Mais on ne peut pas gérer la vie à travers le meurtre. Un élément crucial du mouvement émergent est de faire la paix avec la Terre et la paix dans nos esprits. Et ce qui est beau, c’est qu’alors tout devient possible. Quand vous réalisez que tout est en relation, de nouvelles communautés peuvent être créées. Quand vous réalisez que nous sommes partie prenante de la Terre, de nouvelles opportunités de travail peuvent être créées. Si vous pensez que vous êtes en guerre, vous passez tout votre temps à la conquête violente. Cela demande beaucoup d’énergie, et détruit beaucoup. Et ça ne laisse pas de place pour l’humanité, et pour les autres espèces.
- L’énergie nucléaire est-elle une dimension de cette guerre de l’homme contre la Terre et contre lui-même?
Aux débuts de l’utilisation de l’atome, il y a la Seconde Guerre mondiale. Même quand il n’est pas question d’armes nucléaires, la technologie nucléaire est toujours guerrière. La fission de l’atome, c’est déjà une guerre. Utiliser la fission de l’atome pour faire bouillir de l’eau est d’ailleurs une stupidité. Et que dire de cette énorme quantité de déchets qui vont perdurer pendant 250.000 années! Nous avons besoin de plus en plus d’énergie, pour maintenir la sécurité énergétique. C’est une guerre permanente. Le nucléaire est une guerre injustifiée et infondée contre la Terre et l’humanité. Fukushima a été un réveil. Cette catastrophe nous montre que nous ne sommes pas plus puissants que la nature.
La plus grande centrale nucléaire du monde est construite en ce moment en Inde, à Jaitapur, par Areva. Tout ce projet repose sur des subventions, y compris l’accaparement de terres fertiles. Et quand les habitants osent dire non, par des manifestations contre cette centrale, ils se font tuer. Personne ne peut protester. Les gens ne sont pas autorisés à se réunir. Tous les élus locaux ont démissionné, affirmant qu’ils n’ont plus aucune raison d’être s’ils ne peuvent pas se réunir pour prendre des décisions. Si vous allez à Jaitapur, vous verrez une zone de guerre. J’espère que les Français rejoindront les habitants de Jaitapur pour demander à Areva de se retirer de ce projet. Et nous pourrons alors vivre en paix.
- Peut-on «réformer» notre civilisation?
Tout d’abord, y aura-t-il une civilisation? Nous avons deux options: soit continuer dans la voie actuelle et nous enfoncer dans une impasse. Une impasse économique, comme avec la Grèce; politique, comme ce qui a mené au printemps arabe; écologique, comme nous le voyons partout, quand les ressources naturelles sont volées aux peuples pour alimenter l’économie mondiale. La seconde voie que l’on peut suivre, c’est celle de la paix. Une paix qui n’est pas un signe de faiblesse, mais un signe de force. Ceux qui sont exclus aujourd’hui, ceux qui ne sont pas partie prenante de la guerre de conquête, joueront alors un rôle de leadership: les communautés indigènes, les jeunes, les femmes...
La construction de cette paix façonnera la nouvelle prospérité. Nous avons été fous de penser que plus il y aurait d’argent dans le monde, et dans les poches des banques, des grosses entreprises et des nouveaux oligarques, meilleure serait la société. La crise grecque est causée par des banques. Et les gens disent: «Basta! Plus jamais ça! Nous ne donnerons pas plus.» La réelle prospérité, c’est la santé de la nature et des humains. C’est une communauté forte où chacun peut prendre soin des uns et des autres. La civilisation que nous devons construire est une civilisation de larges réseaux de communautés souveraines, organisées de manière autonome, et non dominées par un pouvoir centralisé, politique ou économique.
- Voyez-vous des signes d’espoir aujourd’hui?
Je vois des signes d’espoir partout où il y a une résistance. Chaque communauté en Inde qui se bat contre l’accaparement des terres, qui participe à notre mouvement Navdanya pour que les semences restent un bien public, tous ceux qui tournent le dos à l’économie suicidaire de Monsanto ou pratiquent l’agriculture biologique. Toute communauté qui se bat contre la privatisation de l’eau. Tout ce qui se passe dans les rues de Madrid, en Irlande, en Islande, en Grèce. Les résultats du référendum en Italie sur le nucléaire ou la privatisation de l’eau. Ce sont d’incroyables signes d’espoir. Ce qu’il faut maintenant, c’est une nouvelle convergence mondiale, de tous les combats. Et un déchaînement de notre imagination: il n’y a pas de limites à ce que nous pouvons construire.
Agnès Rousseaux, Nadia Djabali
04.07.11
Notes:
[1] Placé en 2001 sous l’égide de l’OMC était constitué d’une série de négociations portant principalement sur l’agriculture et l’accès des pays en développement au marché des prix agricoles. Aucun accord n’est survenu.
[2] «The master’s tools will never dismantle the master’s house»
Source: bastamag
- Basta!: Les combats que vous menez sont liés à la souveraineté – alimentaire, sur les terres, l’eau, les semences. Qu’est-ce que la souveraineté? En quoi est-ce un enjeu majeur du 21è siècle?
Vandana Shiva: La redéfinition de la notion de «souveraineté» sera le grand défi de l’ère post-globalisation. La mondialisation était fondée sur l’ancienne notion de souveraineté, celle des États-nations héritée de la souveraineté des monarques et des rois. La nouvelle notion de souveraineté est le fondement de la résistance à la mondialisation. Cette résistance se traduit par le slogan: «Le monde n’est pas une marchandise.» Actuellement, les Grecs disent: «Notre terre n’est pas à vendre, nos biens ne sont pas à vendre, nos vies ne sont pas à vendre.» Qui parle? Les peuples. Revendiquer la souveraineté des peuples est la première étape de la souveraineté alimentaire, de l’eau ou des semences. Mais il y a une seconde partie: les peuples revendiquent le droit de protéger la Terre, et non celui d’abuser d’elle comme d’autres la maltraitent. Ainsi la souveraineté des terres, des semences, des rivières rejoint la souveraineté des peuples. Avec la responsabilité de protéger ce cadeau de la Terre et de le partager équitablement.
- Pour garantir cette souveraineté, faut-il fermer davantage les frontières?
Aucune frontière n’est jamais totalement fermée. C’est comme la frontière de notre peau, qui nous protège de l’invasion de toute infection: des ouvertures permettent à la transpiration de sortir, pour maintenir notre équilibre, préserver notre santé. Toutes les frontières sont poreuses. Un corps souverain sait comment réguler ces entrées et sorties. Il sait quand trop de chaleur entre dans le corps. Il sait comment s’opposer aux virus. Quand un corps perd cette autonomie, cette souveraineté, il devient malade. C’est la même chose pour un pays, gouverné par un peuple souverain et autonome. Ce peuple peut dire: «Notre lait est vendu 14 roupies/litre, votre lait européen qui débarque à 8 roupies/litre va détruire l’économie laitière en Inde, donc j’ai le droit de réguler ce qui entre.» La régulation est vitale pour tout système vivant. La dérégulation, c’est l’appel de la mort. Un corps dérégulé meurt. De même, une nation, une économie dérégulée meurt.
Nous ne disons pas «non au commerce», mais «non au commerce dérégulé». Non à un marché dérégulé où les conditions des échanges sont déterminées par l’avidité des entreprises, qui s’approprient nos impôts, créent des prix artificiels, entraînant dumping social et destruction de la souveraineté alimentaire. Ce système nuit aux paysans d’Inde. Et il nuit aux paysans d’Europe qui ne peuvent pas gagner leur vie, car les coûts de production sont supérieurs aux prix de vente du lait. L’agrobusiness et ses profits sont au centre de cette équation. Elle a pour conséquence le dumping, l’accaparement, le meurtre de nos paysans, le massacre de nos terres, et tous ces gens qu’on tue avec une alimentation empoisonnée.
- Le protectionnisme peut-il être une solution face à cette exploitation du vivant, en empêchant les multinationales d’avoir accès à ces ressources qu’elles exploitent?
Tout comme nous devons redéfinir la notion de souveraineté, nous devons repenser la notion de protectionnisme. Un protectionnisme lié à la protection des écosystèmes, à l’écologie, est un impératif. Nous devons dire stop à la dévastation de nos rivières, stop aux déchets toxiques, stop au dumping des OGM par la manipulation des politiques mondiales par une multinationale. Cette protection est un devoir. Le cycle de Doha [1] n’a entraîné aucun progrès depuis une décennie à cause d’un seul facteur: le problème de la subsistance des paysans. En 1993, nous avons organisé un rassemblement d’un demi-million de personnes pour faire pression sur le gouvernement indien: «Si vous signez les accords du GATT, nos paysans vont mourir.» Résultat: les accords du GATT ont été signés, et 250.000 paysans indiens se sont suicidés, notamment à cause de leurs dettes!
Cet endettement des paysans est lié à une décision politique particulière: la dérégulation du marché des semences, qui a permis à Monsanto de devenir par exemple l’unique vendeur de semences sur le marché du coton. La multinationale contrôle 95% de ce marché et dicte les prix. Une équipe de scientifiques indiens vient de montrer que les OGM ne fonctionnent pas. Dans les champs, c’est manifeste: les paysans doivent utiliser 13 fois plus de pesticides avec les OGM. Ce qui est formidable pour Monsanto qui les commercialise. Mais une cause d’endettement pour les paysans, et donc une cause de suicides.
La protection de nos paysans est un «protectionnisme vital». Le protectionnisme est vu comme un «péché», car la dérégulation a été érigée en norme. Interférer dans la corruption, les manipulations et l’avidité des multinationales, c’est du protectionnisme. Et donc, pour certains, c’est mauvais. Non! C’est un devoir social, c’est un devoir écologique. Et la cupidité des multinationales n’est pas un droit! Elles écrivent à l’OMC, rédigent des accords et disent: «Maintenant nous avons des droits et personne ne peut les changer.» Nous les changerons.
- Vous écrivez que «le libre-échange est un protectionnisme pour les puissants». Doit-on construire un protectionnisme pour les plus «faibles»?
Le libre-échange, dans la manière dont il a été façonné, n’est pas du tout libre. Il n’est pas démocratique. Cinq entreprises se rencontrent, écrivent un accord sur les droits de la propriété intellectuelle et cela donne à Monsanto le droit de considérer des semences comme sa «propriété intellectuelle»! Cela permet à des entreprises comme Novartis de voler les médicaments aux plus pauvres et de les faire payer 10 fois plus cher. Un mois de traitement contre le cancer, avec les médicaments génériques disponibles en Inde, coûte 10.000 roupies. Et Novartis veut faire payer 175.000 roupies par mois. Quand le tribunal juge qu’il n’est pas possible de déposer un brevet, car ces médicaments existent déjà et que ce n’est pas une «invention», Novartis défie les lois indiennes. La plupart des Indiens ne pourront pas payer le prix demandé par la multinationale. Novartis répond: «Seuls 15% de Indiens nous importent.» Cinq entreprises ont écrit une loi sur la propriété intellectuelle, et affirment ensuite que 85% des gens peuvent mourir du manque de médicaments! C’est un système criminel.
Quand cinq géants commerciaux, comme Cargill (multinationale états-unienne de l’agroalimentaire), rédigent l’accord sur l’agriculture, ils définissent l’alimentation non comme le droit de chaque humain à se nourrir, mais comme une marchandise qu’ils veulent contrôler. Ce n’est pas la liberté, ce n’est pas le libre-échange. C’est du commerce monopolistique, c’est du commerce coercitif. Cela revient à tuer des gens, car un milliard de personnes souffrent aujourd’hui de la faim dans le monde, à cause de ce système. Le libre-échange actuel, c’est la dictature des entreprises. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une réelle liberté, pour chaque personne, chaque enfant, chaque femme, chaque espèce sur Terre. Une réelle liberté, liée à la vie.
- Vous étiez récemment aux États-Unis dans le Wisconsin pour soutenir les manifestants qui se battent pour défendre leurs droits et les services publics. Les services publics sont-ils aussi un bien commun à protéger?
Il y a deux types de biens communs. Les ressources vitales – eau, terre, semences, air, océans – données par la nature et modifiées par les humains. Et les services liés aux besoins essentiels: l’éducation, la santé, la façon de gérer nos villes, comme les services de lutte contre les incendies... Ce sont des services publics vitaux. Ce qui compte, c’est «l’esprit de service» : quand un pompier lutte contre le feu, quand il aide les gens, il ne regarde pas le danger. Et quand ces services sont privatisés, les coûts augmentent. Un tiers des emprunts en Inde sont liés à l’achat de médicaments. La principale raison pour laquelle les gens vendent leurs maisons aujourd’hui, c’est pour se soigner. La privatisation des services publics prive la société de ses droits. Nous devons les défendre comme des biens communs.
- Pensez-vous que le mouvement altermondialiste puisse apporter des solutions aux crises globales: environnementale, économique, financière?
Le mouvement altermondialiste a extrêmement bien réussi: nous avons rendu l’Organisation mondiale du commerce caduque. L’OMC ne s’est jamais relevé après les mobilisations lors du Sommet de Seattle, en 1999. On avait imaginé que 5.000 personnes viendraient à Seattle, et nous étions 30.000! On ne s’attendait pas à voir les syndicats. Ni les étudiants, qui étaient pourtant majoritaires. Le sommet de Doha en 2001 a ensuite été marqué par les événements du 11 septembre, avec une grande pression militaire. J’y étais. Certains ont dit aux gouvernements que s’ils ne signaient pas les accords de Doha, ils seraient traités comme des membres d’Al-Qaïda: «Vous êtes avec nous ou contre nous.» Résultat: rien n’a bougé à Doha, à cause de cette pression sur les gouvernements!
Des mouvements plus ciblés ont aussi été très fructueux. Nous avons par exemple mis la question de la «souveraineté» sur l’agenda politique. Personne ne peut plus aujourd’hui ignorer cette question. Nous avons mis en avant la défense de l’eau comme un bien public. Et regardez le référendum en Italie! 95% des Italiens ont dit non à la privatisation de l’eau. Idem dans le domaine des semences: je vais bientôt publier un rapport sur Monsanto, sur ses mensonges, sur la situation de monopole qu’ils ont créée et l’échec des technologies OGM à accroître les rendements. Le mouvement pour une alimentation sans OGM est très bien organisé.
Le mouvement altermondialiste a besoin de franchir une nouvelle étape. Quand on parle de la Banque mondiale, du FMI et des plans d’ajustement structurels, la plupart des gens se focalisent sur les pays du Sud, sur le «monde en développement». Mais aujourd’hui le FMI est en Europe! En Grèce, en Irlande… Des pays en crise, non du fait d’une mauvaise gestion, mais à cause des banques de Wall Street, à cause d’un système financier corrompu qui a provoqué cette crise totale. Nous devons maintenant faire trois connections vitales. La première est la question Nord-Sud. Aujourd’hui tout le monde est «au Sud». Le Nord? Ce sont les multinationales et les gouvernements. Nous devons tous nous considérer comme le «monde du Sud» et nous organiser en fonction de cela. La seconde connexion nécessaire, c’est de dépasser le fossé entre économie et écologie. Dans nos esprits, mais aussi dans nos organisations. 45% des jeunes sont au chômage en Espagne, nous devons nous tourner vers l’écologie pour créer de nouvelles opportunités d’emploi, car ce ne sont pas les banques ou Wall Street qui les fourniront. La troisième connexion, c’est entre démocratie économique et démocratie politique. La démocratie a été réduite au droit de vote. Les responsables de la crise ont mis l’Espagne dans un tel état que José Zapatero est obligé d’agir contre ceux qui ont voté pour lui, et il perdra peut-être les prochaines élections. Si les politiques sont bons, ils ont les mains liées, et s’ils sont mauvais, ils sont une part du problème. Nous devons aller vers une démocratie profonde où les gens ont vraiment la possibilité de prendre des décisions.
- Vous voulez un mouvement qui permette de sortir de la culture dominante de violence et de destruction. Mais face à la violence du système économique, des acteurs économiques, comment rester non-violents?
Personne n’a mieux parlé du pouvoir de la non-violence que Gandhi. «Nous ne pouvons pas démanteler la maison du maître avec les outils du maître», a dit la poétesse américaine Audre Lorde [2]. Nous avons besoin d’outils différents. Ils doivent être non-violents, parce que la non-violence est plus soutenable, et qu’elle efface vos peurs. Ceux qui luttent de manière violente doivent se cacher tout le temps. Je préfère me tenir droite face aux multinationales pour leur dire ce que je pense d’elles. Agir «sans peur» est notre plus puissante arme. Et la non-violence crée également un soutien plus large. Et nous vivons à une époque où une poignée de personnes ne peut pas mener les batailles pour toute la société. C’est toute la société qui doit être engagée. Les actions non-violentes sont une invitation à toute la société à participer au combat.
- Vous dites que dans la civilisation industrielle prédomine en permanence le vocabulaire de la guerre. Notre civilisation est-elle en état de guerre?
Le paradigme dominant de la civilisation industrielle est définitivement un paradigme de guerre. Des scientifiques comme Newton ou Descartes ont créé ce cadre: tous enseignent la guerre de l’humanité contre la nature. Tout est défini à partir de cela. Les outils eux-mêmes sont liés à la conquête sur la nature. Regardez les noms des pesticides: Round Up, Scepto, Machete. Il est toujours question de «tuer». Mais on ne peut pas gérer la vie à travers le meurtre. Un élément crucial du mouvement émergent est de faire la paix avec la Terre et la paix dans nos esprits. Et ce qui est beau, c’est qu’alors tout devient possible. Quand vous réalisez que tout est en relation, de nouvelles communautés peuvent être créées. Quand vous réalisez que nous sommes partie prenante de la Terre, de nouvelles opportunités de travail peuvent être créées. Si vous pensez que vous êtes en guerre, vous passez tout votre temps à la conquête violente. Cela demande beaucoup d’énergie, et détruit beaucoup. Et ça ne laisse pas de place pour l’humanité, et pour les autres espèces.
- L’énergie nucléaire est-elle une dimension de cette guerre de l’homme contre la Terre et contre lui-même?
Aux débuts de l’utilisation de l’atome, il y a la Seconde Guerre mondiale. Même quand il n’est pas question d’armes nucléaires, la technologie nucléaire est toujours guerrière. La fission de l’atome, c’est déjà une guerre. Utiliser la fission de l’atome pour faire bouillir de l’eau est d’ailleurs une stupidité. Et que dire de cette énorme quantité de déchets qui vont perdurer pendant 250.000 années! Nous avons besoin de plus en plus d’énergie, pour maintenir la sécurité énergétique. C’est une guerre permanente. Le nucléaire est une guerre injustifiée et infondée contre la Terre et l’humanité. Fukushima a été un réveil. Cette catastrophe nous montre que nous ne sommes pas plus puissants que la nature.
La plus grande centrale nucléaire du monde est construite en ce moment en Inde, à Jaitapur, par Areva. Tout ce projet repose sur des subventions, y compris l’accaparement de terres fertiles. Et quand les habitants osent dire non, par des manifestations contre cette centrale, ils se font tuer. Personne ne peut protester. Les gens ne sont pas autorisés à se réunir. Tous les élus locaux ont démissionné, affirmant qu’ils n’ont plus aucune raison d’être s’ils ne peuvent pas se réunir pour prendre des décisions. Si vous allez à Jaitapur, vous verrez une zone de guerre. J’espère que les Français rejoindront les habitants de Jaitapur pour demander à Areva de se retirer de ce projet. Et nous pourrons alors vivre en paix.
- Peut-on «réformer» notre civilisation?
Tout d’abord, y aura-t-il une civilisation? Nous avons deux options: soit continuer dans la voie actuelle et nous enfoncer dans une impasse. Une impasse économique, comme avec la Grèce; politique, comme ce qui a mené au printemps arabe; écologique, comme nous le voyons partout, quand les ressources naturelles sont volées aux peuples pour alimenter l’économie mondiale. La seconde voie que l’on peut suivre, c’est celle de la paix. Une paix qui n’est pas un signe de faiblesse, mais un signe de force. Ceux qui sont exclus aujourd’hui, ceux qui ne sont pas partie prenante de la guerre de conquête, joueront alors un rôle de leadership: les communautés indigènes, les jeunes, les femmes...
La construction de cette paix façonnera la nouvelle prospérité. Nous avons été fous de penser que plus il y aurait d’argent dans le monde, et dans les poches des banques, des grosses entreprises et des nouveaux oligarques, meilleure serait la société. La crise grecque est causée par des banques. Et les gens disent: «Basta! Plus jamais ça! Nous ne donnerons pas plus.» La réelle prospérité, c’est la santé de la nature et des humains. C’est une communauté forte où chacun peut prendre soin des uns et des autres. La civilisation que nous devons construire est une civilisation de larges réseaux de communautés souveraines, organisées de manière autonome, et non dominées par un pouvoir centralisé, politique ou économique.
- Voyez-vous des signes d’espoir aujourd’hui?
Je vois des signes d’espoir partout où il y a une résistance. Chaque communauté en Inde qui se bat contre l’accaparement des terres, qui participe à notre mouvement Navdanya pour que les semences restent un bien public, tous ceux qui tournent le dos à l’économie suicidaire de Monsanto ou pratiquent l’agriculture biologique. Toute communauté qui se bat contre la privatisation de l’eau. Tout ce qui se passe dans les rues de Madrid, en Irlande, en Islande, en Grèce. Les résultats du référendum en Italie sur le nucléaire ou la privatisation de l’eau. Ce sont d’incroyables signes d’espoir. Ce qu’il faut maintenant, c’est une nouvelle convergence mondiale, de tous les combats. Et un déchaînement de notre imagination: il n’y a pas de limites à ce que nous pouvons construire.
Agnès Rousseaux, Nadia Djabali
04.07.11
Notes:
[1] Placé en 2001 sous l’égide de l’OMC était constitué d’une série de négociations portant principalement sur l’agriculture et l’accès des pays en développement au marché des prix agricoles. Aucun accord n’est survenu.
[2] «The master’s tools will never dismantle the master’s house»
Source: bastamag
mercredi 6 juillet 2011
L’Atlas accouche d’un grain de sable
Le Maroc a organisé un referendum sur une nouvelle constitution ce vendredi 1er juillet 2011. Malgré une stabilité de façade que le royaume veut faire passer pour une exceptionnalité hors norme, le pays n’échappe point aux remous populaires agissant le monde arabe en ce moment.
A ce titre, la proposition royale d’édulcorer, à nouveau, la constitution ne relève point du hasard. Bien plus qu’une simple coïncidence, cette concession de forme s’inscrit naturellement dans la logique des événements en cours. C’est, à n’en pas douter, la conséquence directe des soubresauts contestataires que vit la région depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi. Tout à fait conscient de l’effet de contagion en ce sens, le Makhzen choisit, comme d’habitude, d’accompagner subtilement la vague au lieu de braver de force le courant.
En allant, ainsi, au devant de la scène, le monarque chérifien espère pouvoir contrôler l’élan du mouvement. Ce faisant, il escompte réduire, au minium, l’impact sur le trône de l’onde de choc du Printemps Arabe. D’où, donc, sa décision de nommer, très vite, un conseil d’experts pour la confection d’un nouveau projet de constitution à soumettre à un référendum populaire. La tâche est rendue d’autant plus aisée que, outre l’essoufflement du mouvement de révolte après la tragédie libyenne et le drame syrien, la classe politique du pays, dans sa quasi-totalité, lui est d’avance fidèlement acquise. En fait, la sclérose des partis d’opposition au Maroc n’a d’égale que la docilité de l’establishment politique pro-royal que cristallise si bien la flagornerie légendaire de la nomenclature du sérail. Aucune des demandes formulées par les manifestants du Mouvement du 20 février ne figurait pourtant jusqu’ici à l’ordre du jour des programmes des principaux partis politique d’opposition. D’où le contraste entre le dynamisme du mouvement social de la jeunesse contestataire et la passivité compromettante des partis politiques traditionnels. Un hiatus qui illustre un décalage générationnel de taille: l’aspiration d’une nouvelle génération, sans complexe, résolument tournée vers le futur, et l’immobilisme d’une classe politique dépassée par les événements, plus que jamais hantée par le spectre de son passé macabre.
En effet, hormis des groupuscules radicaux de gauche et quelques mouvements islamistes ou des personnalités indépendantes de la société civile, l’opposition politique organisée au Maroc n’est plus, depuis longtemps, que l’ombre de son passé. Les années de braise d’Hassan II ont, assurément, porté un coup de semonce fatal à la contestation politique partisane au royaume. La répression systématique des militants politiques a fini par décimer une véritable tradition de la contestation qui remonte aussi loin que l’époque du protectorat, c’est à dire vielle de plusieurs décennies!
La gauche marocaine qui osait braver les interdits en contestant la mainmise totale du Palais sur la vie publique en paya, hélas, le prix le plus cher. Le lâche assassinat de Mehdi Ben Barka, figure emblématique du tiers-mondisme en son temps et leader politique arabe hors pair, marqua un tournant historique dans l’évolution de la trajectoire politique du royaume. La longue nuit noire des détenus de Tazmamart symbolisé par le calvaire du célèbre militant, Abraham Serfaty, marqua l’acmé d’une période de lutte et d’engagement, sans précédent, sous la dynastie alaouite. Toutefois, le séjour infernal dans les bagnes de l’époque réduisit à néant l’ardeur de plus d’un militant. Au fil des ans, grâce une oppression sans limite, conjugué à un travail d’endoctrinement minutieux, la démission et la peur ont progressivement intégré l’Inconscient collectif des Marocains et fini par conditionner leurs comportements. D’où le désillusionnement de l’opposition politique traditionnelle. D’où la méfiance et l’aversion du commun des citoyens à l’égard de la politique.
La psyché marocaine porte encore les cicatrices béantes de cette période de torture et de souffrance. La phobie des commissariats, la culture de la délation, l’obsession du Makhzen, le reflexe de soumission, une certaine révérence pour les emblèmes officiels: autant d’anomalies propres à une société forgée par la propagande d’un type particulier de despotisme absolu: la tyrannie du Seigneur Sacré. En effet, dans l’imaginaire élevé du monarque chérifien, tous les sujets du royaume sont d’eternels cadets sociaux; la rigidité du protocole royal participe de cette mentalité hautement paternaliste et féodale. Le rituel de prosternation en masse et du baiser obligatoire de l’Auguste Main sanctifie, ici, la distinction de rang et de naissance. Du fait de l’onction de droit divin qui l’enveloppe, le statut du pouvoir royal est ainsi accepté, dans l’obéissance, comme par résignation; c’est, là, l’effet d’admission fataliste du peuple croyant, nous dirait-on!
Indispensable outil de légitimation politique, la religion demeure, donc, une source d’inspiration et un référent essentiel pour le trône. Cependant, ce statut spirituel du roi ne l’empêche pas d’assumer d’autres rôles plus profanes et peu compatibles avec la sacralité supposée de son rang. D’où cet étonnant dédoublement de fonction en vigueur aujourd’hui: le Commandeur des Croyants est aussi un homme d’affaires prospère. Le sens aigu de l’affairisme que Mohamed VI cultive depuis son accession au trône est devenu somme toute la marque de trait principale de son règne. Ce Commandeur des Croyants alaouite, à la tête d’un état millénaire, est aussi le CEO et actionnaire principal de la holding capitaliste: Maroc Inc. En dix ans de règne, le «Roi des Pauvres» a accumulé une fortune privée estimée par le magazine Forbes à près de 2 milliards d’euros. Et ce grâce aux revenus tirés de l’exportation d’une richesse nationale: les phosphates. La société en charge de l’exploitation de ce minerai est une propriété royale personnelle par excellence. En fait, ce groupe contrôle maintenant, au travers de ses innombrables succursales des pans entiers de l’économie du pays. De l’agrobusiness à l’énergie, de la finance aux télécoms, la voracité de l’ONA-SNI n’a de limite que l’avidité du Palais.
Pour les millions de Marocains qui peinent à joindre les deux bouts cette situation de monopole économique est un obstacle de trop. Ici comme ailleurs la domination économique est d’autant plus difficile qu’elle complique les perspectives de démocratisation et d’ouverture politique du système. Car pour assurer la loyauté de certains, le Palais a besoin d’argent. Pour acheter les consciences indispensables à la garantie de la stabilité, il emprunte les prébendes nécessaires pour cela à la bourse du Makhzen. D’où la culture de la gabegie au sein de l’administration et le règne de l’incurie au sommet de l’état.
D’où surtout l’impossibilité de reformes de fond étant donné le degré élevé d’imbrication de l’argent et du pouvoir. Dans ces conditions, un rafistolage constitutionnel de plus est de la poudrière aux yeux pour les millions de Marocains aspirant à un changement institutionnel d’envergure de nature à améliorer leur sort. La preuve: au lieu d’amoindrir les pouvoirs du roi, la nouvelle constitution entérine ses prérogatives les plus exorbitantes tout en donnant l’impression d’étendre, par des améliorations d’ordre protocolaire, le pouvoir du premier ministre qui devient, dans la nouvelle constitution, le chef du gouvernement. Un chef de gouvernement habilité désormais à proposer à la nomination des ministres, des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires, des gouverneurs de province, et même doué de la compétence de dissoudre le parlement, mais à la condition expresse d’obtenir l’aval du conseil des ministres présidé, lui, par l’incontournable roi.
Au-delà de la rhétorique sémantique du texte, il s’agit là d’un ajustement formel tout au plus. En effet, le roi demeure, jusqu'à preuve du contraire, le chef suprême des forces armées seul habilité à nommer les grands officiers de corps, le chef suprême du judicaire (il nomme 6 membres du conseil constitutionnel), le chef du haut conseil de la sécurité nationale, le guide spirituel de la nation. Mieux, il est encore, et plus que jamais, constitutionnellement en mesure de gouverner par simple dahir (décret royal) non susceptibles de recours. En d’autres termes, il peut déclencher une guerre de manière unilatérale sans consulter personne. Et si dans la nouvelle constitution sa personne n’est plus nominalement sacrée, elle n’en demeure pas moins éminemment inviolable.
Voilà, en substance, le changement proposé aux Marocains. Un plébiscite majoritaire pour le oui est d’autant plus garanti que l’aval des élites corrompues n’a d’égal que la prédisposition à la manipulation des masses politiquement inconscientes et illettrées en grand nombre. Aujourd’hui près de la moitié, par exemple, des Marocaines ne savent ni lire ni écrire. Un nombre incalculable d’entre elles travaillent comme domestiques, souvent mineures, sans protection légale ni couverture sociale. La jeunesse du pays, y compris celle diplômée, n’aspire, dans son écrasante majorité, qu’à une chose: l’émigration vers l’Europe. Aller brouter des miettes dans les dépotoirs de l’Occident postindustriel, voilà le rêve ultime des jeunes Marocains d’aujourd’hui.
La responsabilité de ce fiasco social est imputable en premier lieu au système politique très verrouillé du pays. Sans possibilité d’élire librement, ou rendre comptable de leurs actes leurs dirigeants, les Marocains n’ont pas droit de cité dans la manière dont ils sont gouvernés ou dans la façon dont leur avenir est planifié. Ils ne participent, donc, pas effectivement dans le processus de décision ayant trait à la gestion de leur pays. Autant dire que l’autodétermination politique demeure, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, toujours un vœu pieux au pays du soleil couchant!
Mohamed VI n’est, certes, pas le pire des rois. Loin s’en faut! Mais dans le monde d’aujourd’hui une monarchie d’essence autre que démocratique et parlementaire n’a simplement pas sa place dans le concert de nations civilisées. Les monarques arabes ont un choix: ou ils reforment leurs systèmes politiques archaïques, de fond en comble, pour les mettre au diapason des aspirations légitimes de leurs citoyens, ou ils se préparent à rejoindre dans la poubelle de l’histoire une litanie de despotes républicains déchus de force par la volonté de la vox populi.
Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba
Universitaire
02.07.11
Source: alter-info
A ce titre, la proposition royale d’édulcorer, à nouveau, la constitution ne relève point du hasard. Bien plus qu’une simple coïncidence, cette concession de forme s’inscrit naturellement dans la logique des événements en cours. C’est, à n’en pas douter, la conséquence directe des soubresauts contestataires que vit la région depuis l’immolation de Mohamed Bouazizi. Tout à fait conscient de l’effet de contagion en ce sens, le Makhzen choisit, comme d’habitude, d’accompagner subtilement la vague au lieu de braver de force le courant.
En allant, ainsi, au devant de la scène, le monarque chérifien espère pouvoir contrôler l’élan du mouvement. Ce faisant, il escompte réduire, au minium, l’impact sur le trône de l’onde de choc du Printemps Arabe. D’où, donc, sa décision de nommer, très vite, un conseil d’experts pour la confection d’un nouveau projet de constitution à soumettre à un référendum populaire. La tâche est rendue d’autant plus aisée que, outre l’essoufflement du mouvement de révolte après la tragédie libyenne et le drame syrien, la classe politique du pays, dans sa quasi-totalité, lui est d’avance fidèlement acquise. En fait, la sclérose des partis d’opposition au Maroc n’a d’égale que la docilité de l’establishment politique pro-royal que cristallise si bien la flagornerie légendaire de la nomenclature du sérail. Aucune des demandes formulées par les manifestants du Mouvement du 20 février ne figurait pourtant jusqu’ici à l’ordre du jour des programmes des principaux partis politique d’opposition. D’où le contraste entre le dynamisme du mouvement social de la jeunesse contestataire et la passivité compromettante des partis politiques traditionnels. Un hiatus qui illustre un décalage générationnel de taille: l’aspiration d’une nouvelle génération, sans complexe, résolument tournée vers le futur, et l’immobilisme d’une classe politique dépassée par les événements, plus que jamais hantée par le spectre de son passé macabre.
En effet, hormis des groupuscules radicaux de gauche et quelques mouvements islamistes ou des personnalités indépendantes de la société civile, l’opposition politique organisée au Maroc n’est plus, depuis longtemps, que l’ombre de son passé. Les années de braise d’Hassan II ont, assurément, porté un coup de semonce fatal à la contestation politique partisane au royaume. La répression systématique des militants politiques a fini par décimer une véritable tradition de la contestation qui remonte aussi loin que l’époque du protectorat, c’est à dire vielle de plusieurs décennies!
La gauche marocaine qui osait braver les interdits en contestant la mainmise totale du Palais sur la vie publique en paya, hélas, le prix le plus cher. Le lâche assassinat de Mehdi Ben Barka, figure emblématique du tiers-mondisme en son temps et leader politique arabe hors pair, marqua un tournant historique dans l’évolution de la trajectoire politique du royaume. La longue nuit noire des détenus de Tazmamart symbolisé par le calvaire du célèbre militant, Abraham Serfaty, marqua l’acmé d’une période de lutte et d’engagement, sans précédent, sous la dynastie alaouite. Toutefois, le séjour infernal dans les bagnes de l’époque réduisit à néant l’ardeur de plus d’un militant. Au fil des ans, grâce une oppression sans limite, conjugué à un travail d’endoctrinement minutieux, la démission et la peur ont progressivement intégré l’Inconscient collectif des Marocains et fini par conditionner leurs comportements. D’où le désillusionnement de l’opposition politique traditionnelle. D’où la méfiance et l’aversion du commun des citoyens à l’égard de la politique.
La psyché marocaine porte encore les cicatrices béantes de cette période de torture et de souffrance. La phobie des commissariats, la culture de la délation, l’obsession du Makhzen, le reflexe de soumission, une certaine révérence pour les emblèmes officiels: autant d’anomalies propres à une société forgée par la propagande d’un type particulier de despotisme absolu: la tyrannie du Seigneur Sacré. En effet, dans l’imaginaire élevé du monarque chérifien, tous les sujets du royaume sont d’eternels cadets sociaux; la rigidité du protocole royal participe de cette mentalité hautement paternaliste et féodale. Le rituel de prosternation en masse et du baiser obligatoire de l’Auguste Main sanctifie, ici, la distinction de rang et de naissance. Du fait de l’onction de droit divin qui l’enveloppe, le statut du pouvoir royal est ainsi accepté, dans l’obéissance, comme par résignation; c’est, là, l’effet d’admission fataliste du peuple croyant, nous dirait-on!
Indispensable outil de légitimation politique, la religion demeure, donc, une source d’inspiration et un référent essentiel pour le trône. Cependant, ce statut spirituel du roi ne l’empêche pas d’assumer d’autres rôles plus profanes et peu compatibles avec la sacralité supposée de son rang. D’où cet étonnant dédoublement de fonction en vigueur aujourd’hui: le Commandeur des Croyants est aussi un homme d’affaires prospère. Le sens aigu de l’affairisme que Mohamed VI cultive depuis son accession au trône est devenu somme toute la marque de trait principale de son règne. Ce Commandeur des Croyants alaouite, à la tête d’un état millénaire, est aussi le CEO et actionnaire principal de la holding capitaliste: Maroc Inc. En dix ans de règne, le «Roi des Pauvres» a accumulé une fortune privée estimée par le magazine Forbes à près de 2 milliards d’euros. Et ce grâce aux revenus tirés de l’exportation d’une richesse nationale: les phosphates. La société en charge de l’exploitation de ce minerai est une propriété royale personnelle par excellence. En fait, ce groupe contrôle maintenant, au travers de ses innombrables succursales des pans entiers de l’économie du pays. De l’agrobusiness à l’énergie, de la finance aux télécoms, la voracité de l’ONA-SNI n’a de limite que l’avidité du Palais.
Pour les millions de Marocains qui peinent à joindre les deux bouts cette situation de monopole économique est un obstacle de trop. Ici comme ailleurs la domination économique est d’autant plus difficile qu’elle complique les perspectives de démocratisation et d’ouverture politique du système. Car pour assurer la loyauté de certains, le Palais a besoin d’argent. Pour acheter les consciences indispensables à la garantie de la stabilité, il emprunte les prébendes nécessaires pour cela à la bourse du Makhzen. D’où la culture de la gabegie au sein de l’administration et le règne de l’incurie au sommet de l’état.
D’où surtout l’impossibilité de reformes de fond étant donné le degré élevé d’imbrication de l’argent et du pouvoir. Dans ces conditions, un rafistolage constitutionnel de plus est de la poudrière aux yeux pour les millions de Marocains aspirant à un changement institutionnel d’envergure de nature à améliorer leur sort. La preuve: au lieu d’amoindrir les pouvoirs du roi, la nouvelle constitution entérine ses prérogatives les plus exorbitantes tout en donnant l’impression d’étendre, par des améliorations d’ordre protocolaire, le pouvoir du premier ministre qui devient, dans la nouvelle constitution, le chef du gouvernement. Un chef de gouvernement habilité désormais à proposer à la nomination des ministres, des ambassadeurs, des hauts fonctionnaires, des gouverneurs de province, et même doué de la compétence de dissoudre le parlement, mais à la condition expresse d’obtenir l’aval du conseil des ministres présidé, lui, par l’incontournable roi.
Au-delà de la rhétorique sémantique du texte, il s’agit là d’un ajustement formel tout au plus. En effet, le roi demeure, jusqu'à preuve du contraire, le chef suprême des forces armées seul habilité à nommer les grands officiers de corps, le chef suprême du judicaire (il nomme 6 membres du conseil constitutionnel), le chef du haut conseil de la sécurité nationale, le guide spirituel de la nation. Mieux, il est encore, et plus que jamais, constitutionnellement en mesure de gouverner par simple dahir (décret royal) non susceptibles de recours. En d’autres termes, il peut déclencher une guerre de manière unilatérale sans consulter personne. Et si dans la nouvelle constitution sa personne n’est plus nominalement sacrée, elle n’en demeure pas moins éminemment inviolable.
Voilà, en substance, le changement proposé aux Marocains. Un plébiscite majoritaire pour le oui est d’autant plus garanti que l’aval des élites corrompues n’a d’égal que la prédisposition à la manipulation des masses politiquement inconscientes et illettrées en grand nombre. Aujourd’hui près de la moitié, par exemple, des Marocaines ne savent ni lire ni écrire. Un nombre incalculable d’entre elles travaillent comme domestiques, souvent mineures, sans protection légale ni couverture sociale. La jeunesse du pays, y compris celle diplômée, n’aspire, dans son écrasante majorité, qu’à une chose: l’émigration vers l’Europe. Aller brouter des miettes dans les dépotoirs de l’Occident postindustriel, voilà le rêve ultime des jeunes Marocains d’aujourd’hui.
La responsabilité de ce fiasco social est imputable en premier lieu au système politique très verrouillé du pays. Sans possibilité d’élire librement, ou rendre comptable de leurs actes leurs dirigeants, les Marocains n’ont pas droit de cité dans la manière dont ils sont gouvernés ou dans la façon dont leur avenir est planifié. Ils ne participent, donc, pas effectivement dans le processus de décision ayant trait à la gestion de leur pays. Autant dire que l’autodétermination politique demeure, après plus d’un demi-siècle d’indépendance, toujours un vœu pieux au pays du soleil couchant!
Mohamed VI n’est, certes, pas le pire des rois. Loin s’en faut! Mais dans le monde d’aujourd’hui une monarchie d’essence autre que démocratique et parlementaire n’a simplement pas sa place dans le concert de nations civilisées. Les monarques arabes ont un choix: ou ils reforment leurs systèmes politiques archaïques, de fond en comble, pour les mettre au diapason des aspirations légitimes de leurs citoyens, ou ils se préparent à rejoindre dans la poubelle de l’histoire une litanie de despotes républicains déchus de force par la volonté de la vox populi.
Mohamed El Mokhtar Sidi Haiba
Universitaire
02.07.11
Source: alter-info
mardi 5 juillet 2011
Le mariage grec très lucratif de Netanyahu
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu semble souvent trop arrogant et sûr de lui. Cependant, contrairement à d'autres occasions, il y a ce week-end quelques justifications à sa morgue.
L'investissement personnel de Netanyahu dans sa relation avec le Premier ministre grec George Papandreou, depuis un an et demi, au cours duquel il a multiplié les liens diplomatiques avec la nation européenne en stagnation semble avoir planté le clou final dans le cercueil de la Flottille pour Gaza.
Dans son discours de jeudi soir lors de la cérémonie de remise de diplômes de l'école des pilotes de l'armée de l'air israélienne, Netanyahu a évoqué les efforts diplomatiques déployés pour empêcher la Flottille de Gaza de prendre la mer. Le seul dirigeant dont Netanyahu a mentionné le nom dans son discours fut celui de George Papandreou.
La veille, le premier ministre s'était entretenu avec son homologue grec, l'implorant d'émettre une ordonnance empêchant les bateaux d'appareiller de Grèce vers la Bande de Gaza. Contrairement au passé, Papandreou a répondu positivement, et un responsable israélien ayant participé aux pourparlers entre le premier ministre grec et Netanyahu a dit qu'Israël savait dès jeudi après-midi que la Grèce bloquerait les bateaux dans ses ports.
La romance entre Netanyahu et Papandreou a commencé en février 2010, lorsqu'ils se sont rencontrés par hasard dans le restaurant Pouchkine à Moscou. Netanyahu a profité de l'occasion pour discuter avec le premier ministre grec de l’extrémisme turc contre Israël et ils sont vite devenus amis. Les deux dirigeants israélien et grec ont eu des contacts au moins une fois par semaine depuis leur rencontre à Moscou.
La Flottille turc pour Gaza de mai 2010 a provoqué de vives inquiétudes dans les rangs des services secrets et militaires en Grèce, qui ont commencé à faire pression sur le gouvernement pour qu'il renforce ses liens diplomatiques avec Israël. Il n'a pas fallu beaucoup pour convaincre Papandreou.
En juillet 2010, il est arrivé à Jérusalem, la première visite officielle d'un premier ministre grec en Israël depuis 30 ans. Quelques semaines après, Netanyahu est allé à Athènes, et il a passé une journée entière avec Papandreou et d'autres responsables sur une île voisine.
Les diplomates israéliens peuvent témoigner que l'amitié naissante entre les deux pays au cours de l'année et demie passée a été tout simplement spectaculaire. Les communications du renseignement se sont accrues, les armées de l'air israélienne et grecque ont conduit plusieurs exercices communs et Netanyahu a demandé l'aide de Papandreou pour faire passer plusieurs messages au Président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas.
La plupart des discussions entre Netanyahu et Papandreou, ces derniers mois, ont tourné autour de la grave crise financière que subit actuellement la Grèce. Netanyahu a récemment décidé de venir en aide à son nouvel ami lors d'une réunion des ministres des affaires étrangères et des dirigeants européens, les implorant de fournir à la Grèce une aide financière.
"Netanyahu est devenu le lobbyiste de la Grèce auprès de l'Union européenne", a déclaré un diplomate israélien.
Ces dernières semaines, alors que les efforts pour empêcher le départ imminent de la Flottille pro-palestinienne pour Gaza devenaient urgents, Netanyahu a récolté les fruits de son investissement dans les liens Israël-Grèce et son pari sur le pays européen a payé.
Il a pu créer une alternative viable aux relations avec la Turquie à plusieurs égards, montrant à Erdogan qu'Israël n'hésitera pas à se rapprocher de son pire ennemi en Occident. Et quand le moment de vérité est arrivé, la Grèce a suivi et a ordonné le blocage de tous les départs de ses ports pour Gaza (1). La décision de la Grèce, avec l'annonce de la Fondation d'aide humanitaire turque IHH qu'elle n'enverrait pas le Mavi Marmara, et la déclaration du Président de Chypre interdisant aux bateaux d'appareiller pour Gaza ont scellé le sort de la Flottille presque entièrement.
"Les organisateurs de la Flottille n'ont pas tenu compte du fait que la Grèce de juillet 2011 n'est pas la Grèce de mai 2010," a dit un responsable israélien qui a travaillé intensivement, ces derniers mois, pour empêcher la mission de la Flottille pour Gaza d'avoir lieu.
"Aujourd'hui, il y a une Grèce différente lorsqu'il s'agit d'Israël", a-t-il ajouté. "Les organisateurs de la Flottille ne l'ont pas compris, et aujourd'hui ils en paient le prix."
Barak Ravid
02.07.11
Note:
(1) Lire la traduction en français de la décision ministérielle grecque sur le site Un Bateau français pour Gaza: http://www.unbateaupourgaza.fr/index.php/La-Campagne/La-decision-du-ministere-grec-d-interdire-le-depart-de-la-Flottille
Traduction: MR pour ISM
Source: ism-france
lundi 4 juillet 2011
Le dilemme politique de Barack Obama
Le président des Etats-Unis est tenu pour être la personne la plus puissante du monde moderne. Ce que Barack Obama découvre à son vif regret, c’est qu’il dispose toujours d’un énorme pouvoir pour faire du mal. Mais il ne dispose pratiquement plus de pouvoir pour faire le bien. Je pense qu’il s’en rend compte et qu’il ne sait pas comment y remédier. Le fait est qu’il ne peut pas y faire grand chose.
Prenons par exemple son plus gros dossier du moment, la deuxième révolte arabe: ce n’est pas lui qu’il l’a lancée; elle l’a pris par surprise, comme presque tout le monde; sa réponse immédiate fut de penser, à juste titre, qu’elle mettait grandement en péril l’ordre géopolitique déjà instable de la région. Les Etats-Unis cherchèrent autant qu’ils le purent à limiter les dégâts, à maintenir leur propre position et à rétablir l’«ordre». On ne peut pas dire qu’ils y aient vraiment réussi. Chaque jour qui passe démontre de toutes les façons possibles que la situation devient plus désordonnée et échappe à leur contrôle.
Barack Obama est par conviction et par caractère le centriste par excellence. Il recherche le dialogue et le compromis entre les «extrêmes». Il agit après mûre réflexion et ne prend ses grandes décisions qu’avec prudence. Il est favorable à un changement lent et ordonné, un changement qui ne menace pas les fondements d’un système dont il fait non seulement partie mais dont il est la figure centrale consacrée et l’acteur individuel le plus puissant.
On le pousse de toutes parts à sortir de ce rôle. Il continue néanmoins à vouloir le jouer. Il se dit évidemment en son for intérieur: que puis-je faire d’autre? Le résultat est que d’autres acteurs (y compris ceux qui furent jadis ses alliés obéissants) le défient ouvertement, sans vergogne et sans risquer de sanction, diminuant ce faisant encore son pouvoir.
Nétanyahu s’adresse au Congrès américain et celui-ci applaudit à tout rompre aux absurdités dangereuses et intéressées du Premier ministre israélien comme s’il était George Washington réincarné. Obama a reçu une gifle en pleine figure même si, de fait, en s’adressant auparavant devant le Comité américain pour les affaires publiques d’Israël (AIPAC), il avait déjà retiré de la table sa timide proposition de retenir les frontières israélo-palestiniennes de 1967 comme base d’une solution.
Le gouvernement saoudien a fait très clairement comprendre qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour défendre les régimes en place dans le monde arabe. Il est très remonté contre les concessions qu’Obama fait occasionnellement à la rhétorique des «droits de l’homme». Le gouvernement pakistanais dit très clairement à Obama que si d’aventure ce dernier décidait de durcir sa position, le Pakistan trouverait un ami plus solide en Chine. Les gouvernements russe, chinois et sud-africain ont tous fait savoir très clairement à Obama que si d’aventure les Etats-Unis cherchait à obtenir une action du Conseil de sécurité contre la Syrie, ils ne pourraient compter sur leur soutien ni sans doute même obtenir une majorité simple, écho à l’échec de Bush en 2003 sur la seconde résolution sur l’Irak. En Afghanistan, Karzaï appelle l’OTAN à cesser les attaques lancées par ses drones. Et le Pentagone est mis sous pression pour qu’il se retire d’Afghanistan au motif que cette présence coûte trop cher.
Pour qui craindrait que cet affaiblissement ne concerne que le Moyen-Orient, qu’il se tourne vers le Honduras. Les Etats-Unis avaient quasiment avalisé le coup d’Etat contre l’ancien président Manuel Zelaya. A cause du putsch, le Honduras fut suspendu de l’Organisation des Etats américains (OEA). Les Etats-Unis se démenèrent pour que ce pays retrouve la pleine jouissance de ses droits dans cette organisation au motif qu’un nouveau président avait été officiellement élu. Les gouvernements latino-américains résistèrent à cette idée, Zelaya n’ayant pas été autorisé à revenir et les accusations bidon n’ayant pas été abandonnées.
Que s’est-il ensuite passé? La Colombie, censée être le meilleur ami des Etats-Unis en Amérique latine, et le Venezuela, réputé être leur bête noire dans la région, se sont rapprochés et ont convenu avec le gouvernement hondurien au pouvoir un retour de Zelaya aux conditions de Zelaya. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a eu un sourire blême devant cette rebuffade de fait pour la diplomatie américaine.
Pour terminer, Obama connaît des soucis avec le Congrès américain sur la guerre en Libye. Selon les dispositions de la loi sur les «pouvoirs de guerre» (War Powers Act), Obama était censé pouvoir engager, sans aval explicite du Congrès, des troupes en Libye pour soixante jours seulement. Les soixante jours sont maintenant passés et il n’y a toujours pas eu de décision du Congrès. La poursuite de l’engagement en Libye est donc clairement illégale mais Obama est incapable d’obtenir l’aval du Congrès. Et pourtant, Obama reste engagé en Libye. Et l’engagement américain pourrait connaître une escalade. Preuve qu’Obama peut faire du mal mais pas le bien.
Pendant ce temps-là, Barack Obama se concentre sur sa réélection. Il a de bonnes chances d’y parvenir. Les Républicains dérivent de plus en plus à droite et, politiquement, il ne fait plus guère de doute qu’ils vont trop loin. Mais une fois réélu, le président des Etats-Unis aura encore moins de pouvoir qu’aujourd’hui. Le monde avance d’un pas rapide. Dans un monde caractérisé par autant d’incertitudes et d’acteurs imprévisibles, l’«élément incontrôlable» («loose gun»] le plus dangereux se révèle être les Etats-Unis.
Immanuel Wallerstein
Sociologue au Centre Fernand Braudel à l’Université de Birmigham, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale
14.06.11
Source: medelu
Prenons par exemple son plus gros dossier du moment, la deuxième révolte arabe: ce n’est pas lui qu’il l’a lancée; elle l’a pris par surprise, comme presque tout le monde; sa réponse immédiate fut de penser, à juste titre, qu’elle mettait grandement en péril l’ordre géopolitique déjà instable de la région. Les Etats-Unis cherchèrent autant qu’ils le purent à limiter les dégâts, à maintenir leur propre position et à rétablir l’«ordre». On ne peut pas dire qu’ils y aient vraiment réussi. Chaque jour qui passe démontre de toutes les façons possibles que la situation devient plus désordonnée et échappe à leur contrôle.
Barack Obama est par conviction et par caractère le centriste par excellence. Il recherche le dialogue et le compromis entre les «extrêmes». Il agit après mûre réflexion et ne prend ses grandes décisions qu’avec prudence. Il est favorable à un changement lent et ordonné, un changement qui ne menace pas les fondements d’un système dont il fait non seulement partie mais dont il est la figure centrale consacrée et l’acteur individuel le plus puissant.
On le pousse de toutes parts à sortir de ce rôle. Il continue néanmoins à vouloir le jouer. Il se dit évidemment en son for intérieur: que puis-je faire d’autre? Le résultat est que d’autres acteurs (y compris ceux qui furent jadis ses alliés obéissants) le défient ouvertement, sans vergogne et sans risquer de sanction, diminuant ce faisant encore son pouvoir.
Nétanyahu s’adresse au Congrès américain et celui-ci applaudit à tout rompre aux absurdités dangereuses et intéressées du Premier ministre israélien comme s’il était George Washington réincarné. Obama a reçu une gifle en pleine figure même si, de fait, en s’adressant auparavant devant le Comité américain pour les affaires publiques d’Israël (AIPAC), il avait déjà retiré de la table sa timide proposition de retenir les frontières israélo-palestiniennes de 1967 comme base d’une solution.
Le gouvernement saoudien a fait très clairement comprendre qu’il ferait tout ce qui est en son pouvoir pour défendre les régimes en place dans le monde arabe. Il est très remonté contre les concessions qu’Obama fait occasionnellement à la rhétorique des «droits de l’homme». Le gouvernement pakistanais dit très clairement à Obama que si d’aventure ce dernier décidait de durcir sa position, le Pakistan trouverait un ami plus solide en Chine. Les gouvernements russe, chinois et sud-africain ont tous fait savoir très clairement à Obama que si d’aventure les Etats-Unis cherchait à obtenir une action du Conseil de sécurité contre la Syrie, ils ne pourraient compter sur leur soutien ni sans doute même obtenir une majorité simple, écho à l’échec de Bush en 2003 sur la seconde résolution sur l’Irak. En Afghanistan, Karzaï appelle l’OTAN à cesser les attaques lancées par ses drones. Et le Pentagone est mis sous pression pour qu’il se retire d’Afghanistan au motif que cette présence coûte trop cher.
Pour qui craindrait que cet affaiblissement ne concerne que le Moyen-Orient, qu’il se tourne vers le Honduras. Les Etats-Unis avaient quasiment avalisé le coup d’Etat contre l’ancien président Manuel Zelaya. A cause du putsch, le Honduras fut suspendu de l’Organisation des Etats américains (OEA). Les Etats-Unis se démenèrent pour que ce pays retrouve la pleine jouissance de ses droits dans cette organisation au motif qu’un nouveau président avait été officiellement élu. Les gouvernements latino-américains résistèrent à cette idée, Zelaya n’ayant pas été autorisé à revenir et les accusations bidon n’ayant pas été abandonnées.
Que s’est-il ensuite passé? La Colombie, censée être le meilleur ami des Etats-Unis en Amérique latine, et le Venezuela, réputé être leur bête noire dans la région, se sont rapprochés et ont convenu avec le gouvernement hondurien au pouvoir un retour de Zelaya aux conditions de Zelaya. La secrétaire d’Etat Hillary Clinton a eu un sourire blême devant cette rebuffade de fait pour la diplomatie américaine.
Pour terminer, Obama connaît des soucis avec le Congrès américain sur la guerre en Libye. Selon les dispositions de la loi sur les «pouvoirs de guerre» (War Powers Act), Obama était censé pouvoir engager, sans aval explicite du Congrès, des troupes en Libye pour soixante jours seulement. Les soixante jours sont maintenant passés et il n’y a toujours pas eu de décision du Congrès. La poursuite de l’engagement en Libye est donc clairement illégale mais Obama est incapable d’obtenir l’aval du Congrès. Et pourtant, Obama reste engagé en Libye. Et l’engagement américain pourrait connaître une escalade. Preuve qu’Obama peut faire du mal mais pas le bien.
Pendant ce temps-là, Barack Obama se concentre sur sa réélection. Il a de bonnes chances d’y parvenir. Les Républicains dérivent de plus en plus à droite et, politiquement, il ne fait plus guère de doute qu’ils vont trop loin. Mais une fois réélu, le président des Etats-Unis aura encore moins de pouvoir qu’aujourd’hui. Le monde avance d’un pas rapide. Dans un monde caractérisé par autant d’incertitudes et d’acteurs imprévisibles, l’«élément incontrôlable» («loose gun»] le plus dangereux se révèle être les Etats-Unis.
Immanuel Wallerstein
Sociologue au Centre Fernand Braudel à l’Université de Birmigham, chercheur au département de sociologie de l’université de Yale
14.06.11
Source: medelu
dimanche 3 juillet 2011
Le Sénégal au bord de l’embrasement
Suite aux émeutes du 23 juin, le collectif «Y’en a marre» a appelé au calme et demandé aux autorités de respecter la Constitution. Malgré ce discours d’apaisement, de nouveaux troubles agitent la région de Dakar, soumise aux coupures d’électricité pendant que l’armée se déploie dans les rues.
«Le 23 juin 2011, notre peuple s’est levé, uni et déterminé, pour briser les chaînes du fatalisme et protéger son choix: la République et la Démocratie!» C’est sur ces mots, prononcés juste après l’hymne national, que le Collectif Y’en a marre débute sa «déclaration du 27 juin». Depuis sa création en janvier 2011 par des rappeurs [1], le collectif a fédéré l’énergie de tous ceux qui «ne supportent plus la gestion calamiteuse du pays». Dans une rafale verbale dont les rappeurs ont le secret, le collectif brocarde «les violations des libertés démocratiques, les coupures quotidiennes d’électricité, les hausses incessantes du coût de la vie, les campagnes agricoles chaotiques, la crise scolaire chronique, l’impasse de la santé et de la justice…»
«Nous sommes un mouvement citoyen de veille républicaine, nous sommes des sentinelles de la démocratie et souhaitons remettre le Sénégalais au cœur de la politique de son pays», explique le journaliste Cheikh Fadel Barro, porte-parole du groupe. Les membres de Y’en a marre se définissent comme «des esprits contestataires, des messagers anonymes qui vont de porte en porte pour inciter les Sénégalais à assumer leur responsabilité et à prendre leur carte d’électeur».
«Touche pas à ma Constitution»
Le 23 juin, les Sénégalais étaient descendus dans la rue pour s’opposer au projet du Président Wade de modifier la Constitution sénégalaise afin d’instituer «une majorité absolue à 25%», permettant à un candidat d’accéder dès le premier tour au poste de Président s’il obtenait le quart des suffrages exprimés. Après le retrait complet du projet, la nouvelle bataille du collectif est la reconnaissance de «l’inconstitutionnalité de la candidature de M. Abdoulaye Wade à l’élection présidentielle de 2012».
Abdoulaye Wade, officiellement 85 ans, a accompli deux mandats consécutifs. Il avait annoncé dès 2009 sa volonté de briguer à nouveau la présidence, en contradiction avec la Constitution limitant à deux les mandats présidentiels. L’opposition le suspecte de vouloir imposer par la suite son fils, Karim Wade. «Les membres du Conseil constitutionnel doivent prendre leur responsabilité et demander au Président Wade de respecter la constitution en retirant sa candidature», tonnent les rappeurs durant la conférence de presse télévisée de ce 27 juin.
«Le changement par les urnes, pas le feu!»
Extraordinairement posés et calmes, dans ce contexte de surchauffe générale, les porte-paroles du groupe ne souhaitent pas «embraser le pays comme en Tunisie», et rappellent que les échéances électorales de 2012 sont «une opportunité pour les jeunes de se réapproprier leurs institutions démocratiques en allant s’inscrire sur les listes électorales». Un combat stratégique de première importance lorsque l’on sait qu’en 2010 seulement 12% des 18-22 ans étaient enregistrés sur les listes, soit une réserve de plus d’un million de voix d’après un audit international (le Sénégal compte 14 millions d’habitants dont la moitié a moins de 18 ans).
Les membres féminins du collectif mènent également une campagne stratégique dans la région de Pikine pour inciter les femmes «à ne plus vendre leur vote pour un sac de riz ou des cadeaux de pacotille. Les femmes doivent se réapproprier leur destin et retrouver leur fierté de Sénégalaises!», s’exclame Fatou, animatrice de rue. Refusant d’être assimilés à un quelconque parti de l’opposition, les membres du collectif n’excluent pas pour autant de «jouer un rôle éclairant sur les futurs candidats, de commenter leurs programmes ou de dénoncer ceux qui cherchent à tromper la jeunesse», avertit Cheikh Fadel Barro à la tribune.
Risque du survoltage face au black-out
Face à l’exaspération de la population, ce discours républicain et responsable pourrait atteindre ses limites. Quelques heures après la conférence de presse, de violentes émeutes spontanées ont eu lieu dans plusieurs villes de la banlieue dakaroise suite aux coupures d’électricité prolongées de ces derniers jours. Plusieurs sièges de la Sénélec, la compagnie sénégalaise d’énergie, ont été saccagés dans la nuit. Les maisons de plusieurs ministres ont également fait l’objet d’attaques ciblées, entraînant dans la nuit le déploiement de l’armée pour riposter aux émeutiers. Par ailleurs, les étudiants protestent contre le retard du paiement des bourses universitaires, phénomène qui touche également les salaires de certains fonctionnaires. Le collectif Y’en a marre met «en garde les autorités contre les intimidations et la violence» en appelant les forces de l’ordre «à maîtriser les bavures individuelles» dans ses rangs afin d’éviter «une dérive aux conséquences incalculables». Dans cette ambiance survoltée, le Président Wade saura-t-il réagir raisonnablement pour éviter l’embrasement général qui menace le Sénégal?
Benjamin Sourice
28.06.11
Notes:
[1] Le groupe Keur Gui appuyé par Fou Malade et Simon
Source: bastamag
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