Le crime occidental dont parle Viviane Forrester est au moins double : crime envers les Juifs, et crime de s’être déchargé de ce crime sur d’autres, les Arabes de Palestine, devenus les Palestiniens. Ce livre simple et bien écrit empoigne une question cruciale, la plupart du temps escamotée, lorsqu’il est question du conflit israélo-palestinien, à savoir la part que l’Occident y a prise et le rôle qu’il y joue encore, ne serait-ce qu’en prétendant se placer comme arbitre neutre face à un problème qui ne le regarderait pas. Or, dans cette histoire, la part de l’Occident est directe, décisive, immense, écrasante. Tellement écrasante, à vrai dire, que nous rechignons à l’admettre.
Admettre cette responsabilité, pourtant, aiderait les adversaires israéliens et palestiniens à se reconnaître une sorte de fraternité entre victimes. S’ils se percevaient tous deux comme victimes de l’Occident, il leur serait sans doute plus facile de se parler. Cette reconnaissance ne constitue évidemment pas la clé magique d’une solution. En tout état de cause, les négociations susceptibles d’aboutir à une paix équitable et acceptable pour les deux parties seront dures et nécessiteront, de part et d’autre, des sacrifices difficiles. Le livre ne dit pas en quoi ces sacrifices pourraient consister, il n’offre délibérément aucune piste concrète de solution. Il pose ce qu’on pourrait appeler un préalable idéologique à toute possibilité de négociation directe fructueuse, hors de la tutelle occidentale.
Les éléments du dossier présenté par Viviane Forrester sont connus, ou du moins disponibles, et l’auteure ne dévoile pas de nouvelles sources. Elle puise à des travaux et à des témoignages existants, dont les références, malheureusement trop sommaires, figurent en notes placées à la fin du volume. Il est dommage en effet que ces renvois ne précisent pas les pages des livres cités, précision qui n’aurait en rien alourdi l’ouvrage et beaucoup accru sa crédibilité. Cette réserve technique étant faite, les propos de Forrester semblent honnêtement étayés. Elle fait de la bonne vulgarisation, et celle-ci est très nécessaire, indispensable même, concernant un conflit dont l’actualité tristement spectaculaire tend toujours à cacher les racines. Or, ces racines plongent en Europe, dans l’antijudaïsme séculaire de la Chrétienté et dans l’antisémitisme moderne qui a trouvé son point culminant avec les camps de la mort nazis.
Le mot « nazi », ici, est très commode. Il permet aux « non nazis » de se dédouaner de ce qu’Hitler et sa clique ont perpétré. Forrester insiste courageusement sur la scandaleuse tolérance, voire la complicité, dont les dirigeants de l’Allemagne nazie ont bénéficié de la part des autres puissances occidentales, États-Unis compris, avant, pendant et même après la Seconde guerre mondiale. Elle indique comment cette attitude antisémite « générale », en Occident, « partagée » par les adversaires du troisième Reich, s’inscrit dans une longue tradition d’extermination, de massacre, d’oppression, de racisme et de mépris envers tout ce qui n’est pas blanc et chrétien (amérindiens, aborigènes, noirs, basanés de toutes teintes, tziganes, etc.). Il n’est donc pas étonnant que l’Occident ait cru pouvoir se débarrasser de la « question juive » en la déportant vers la Palestine, quitte à faire peser le fardeau de sa faute inexpiable sur un peuple « colonial », jugé peu digne de considération, et qui n’y était pour rien.
Thierry Hentsch
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