jeudi 31 décembre 2009

Compte-rendu de l'entrevue à l'ambassade d'Egypte

Mardi 29 décembre, à 13h30, une délégation d’une vingtaine de personnes, dirigée par Nordine Saïdi, s’est rendue à l’ambassade d’Egypte à Bruxelles.

Après une courte discussion, l’ambassadeur a autorisé la délégation à entrer dans les bâtiments. Deux personnes, Nordine Saïdi et Luk Vervaet, ont pu s’entretenir avec l’ambassadeur, son conseiller en matière politique ainsi que le premier secrétaire. Voici le récit de cette entrevue.

Nordine Saïdi : «Pour commencer, nous avons signalé que nous n’avons aucun doute sur la solidarité que porte le peuple égyptien au peuple palestinien. Nous avons fait part de notre indignation face au mur allant jusqu’à 20 à 30 mètres sous terre, tout au long de la frontière égyptienne avec Gaza. Nous avons expliqué que nous ne comprenons pas le refus des autorités égyptiennes de laisser passer le convoi «Viva Palestina», ainsi que les délégations internationales de marcheurs bloqués au Caire.

L’ambassadeur a tenu à nous dire que, ce n’est pas uniquement le peuple égyptien qui est solidaire du peuple palestinien, mais que le gouvernement égyptien est lui-même solidaire et que les milliers d’Egyptiens qui ont perdu la vie dans les cinq guerres en sont la preuve.
Il nous rappelle que le peuple palestinien est le plus proche, que ce soit au niveau géographique, de la langue ou de la religion.
Il nous a aussi dit que l’Egypte est le pays arabe le plus courageux sur cette question !

L’ambassadeur nous met en garde sur le fait que c’est Israël qui est responsable, selon le Droit international, des territoires occupés. Selon lui, Israël a toujours comme option de se décharger de Gaza via l’Egypte et de n’avoir de la sorte plus aucune responsabilité sur ce qui s’y passe.
Il nous rappelle qu’il n’y a qu’une seul frontière commune entre l’Egypte et la Palestine, tandis qu’Israël ferme les cinq autres points de passage.

Le tourisme étant la première rentrée financière du pays, il se doit d’être irréprochable sur les questions liées à la sécurité. Nous lui avons fait remarquer qu’aujourd’hui, c’est l’Egypte et non Israël qui a une mauvaise image dans le monde».

Luk Vervaet : «Concernant les convois de «Viva Palestina», il nous a été signalé que s’il y avait tant de problèmes, c’est parce que ceux-ci n’ont pas écouté les injonctions qui leur ont été faites, c'est-à-dire de passer par Al Arish et non via Aqaba. Pour ceux qui sont au Caire, nous trouverons une solution ! Il nous a été demandé de comprendre que l’Egypte doit maintenir un certain équilibre entre les Etats-Unis, l’Europe et Israël. L’ambassadeur nous a promis que nos demandes vont être relayées en Egypte».

Nous vous encourageons à continuer à écrire ou téléphoner à l’ambassade d’Egypte et faire ainsi pression pour que la frontière s’ouvre et que le mur ne soit pas construit .

Coordonnées utiles :
Ambassade de la République arabe d’Egypte, 19 avenue de l’Uruguay, 1000 Bruxelles.
eg.sec.be@hotmail.com Tél: 02.663.58.00 - 02.663.58.08 - 02.663.58.20 - 02.663.58.
Fax: 02.675.58.88

Voici les dernières nouvelles en provenance d’Egypte :
Les participants français à la MARCHE POUR GAZA, dont le but est de dénoncer le blocus inhumain imposé aux Gazaouis sont encerclés par la police égyptienne devant l'ambassade française au Caire! Ils ne peuvent pas se rendre comme prévu à Gaza, ils ne peuvent même pas bouger du trottoir devant l'ambassade, car l'Égypte ne les y autorise pas!

Vidéo : http://www.dailymotion.com/video/xbo88p_marche-pour-gaza_news

Nous relayons ci-dessous, les nouvelles postées par l’une des marcheuses du groupe français, envoyées au fur et à mesure par sms.

Bras de fer entre les Marcheurs et le gouvernement égyptien
Le statu quo se poursuit sur place. La police égyptienne tente de faire renoncer les Marcheurs, parqués sur le trottoir devant l’ambassade de France, à leur projet de rejoindre la frontière avec la bande de Gaza. Il était prévu initialement d’y parvenir pour le 31 décembre mais leur détermination demeure intacte.

Nouveaux messages de Leïla ce soir :
A 20h
"Les Egyptiens nous ont proposé trois solutions :
1 - Nous transférer au lycée français où on sera bouclé sans possibilité de se déplacer jusqu’à vendredi et isolés de tous médias ou autre ;
2 - Nous mettre dans des avions demain ;
3 - Rester sur le trottoir jusqu’à vendredi dans des conditions de merde c’est-à-dire avec un rationnement de nourriture et d’eau (il y a 1h30 d’attente pour accéder à l’unique WC).
Aucune sortie individuelle n’est autorisée pour le moment.

La majorité a voté pour la solution 3 car c’est la seule chance qu’il nous reste, en comptant sur la mobilisation internationale pour mettre la pression sur les ambassades et les consulats égyptiens partout dans le monde. Un autre rassemblement a lieu devant le siège de l’ONU au Caire mais c’est impossible dans ces conditions que nous nous unissions."

Leïla ajoute que "le premier ministre israélien est en visite officielle au Caire demain donc pas question de se taire et de baisser les bras. Des gazaouis nous ont appelé hier pour nous confier que leur situation empire de jour en jour".

A 21h30
"Les autorités égyptiennes nous rendent les conditions de vie sur la bande de trottoir de pire en pire. Ils empêchent également les journalistes de venir nous voir! Ils resserrent la vis pour nous faire craquer alors que le deal incluait des conditions potables. On avale le CO2 à pleine bouche".

Nordine Saïdi
Mouvement Citoyen Palestine
30.12.09

mercredi 30 décembre 2009

Que s'est-il passé après Gaza ?

Il ne s'est rien passé à Gaza. Il ne s'est rien passé. C'est ce que distillait le leitmotiv lancinant de Marguerite Duras à propos de Hiroshima. Toute tragédie qui n'est pas protégée par un bouclier historique est vulnérable à la manipulation. Il y a un an l'offensive «Plomb durci» faisait 1.417 morts d'un côté dont 926 civils incluant près de 400 enfants et dix soldats plus trois civils de l'autre. Et le langage politiquement correct va très vite transformer cette boucherie en une réaction disproportionnée.

Dénoncer ces faits aujourd'hui, c'est au mieux se faire taxer de propagande, au pire d'antisémitisme. Car alors que rien n'a changé depuis l'offensive militaire, ni le blocus, ni la misère, ni les destructions, ni l'économie des tunnels, ni le contrôle du Hamas sur Gaza, alors que ces morts ont été massacrés en vain, l'heure est plutôt à l'apaisement. Surtout ne pas réveiller la colère de l'immigration musulmane dans nos pays, ne pas susciter de dérapages antisémites, éviter l'ire de milieux intégristes des deux bords, surtout pas de casse. On lisse le message et on attend Obama comme on attend sœur Anne. C'est-à-dire en vain.

Il y a un an, avec quelques députés européens, je réussissais à pénétrer à Gaza pendant l'intervention militaire et à y rencontrer des responsables de l'UNRWA, l'agence onusienne aux réfugiés. Les locaux de l'UNRWA avaient été bombardés, une école qui servait de refuge à la population également et le choix de ces cibles civiles avait bouleversé le monde entier. C'est sous les bombes que nous avons quitté Gaza, emportant pour toujours les visages affolés des enfants, avec la mauvaise conscience des survivants. Libres ! Aujourd'hui encore je porte ce privilège de la liberté comme un deuil. Et comme une responsabilité : combattre le déni. Oui, il y a eu crimes et massacres à Gaza. Et le blocus qui perdure bafoue le droit international. Mais je ne suis pas seule à traquer les assauts de l'oubli : un bouclier de vérité se met en place.

Il y a d'abord eu le rapport du Juge Goldstone. Ce magistrat sud- africain a, à la demande de l'ONU, diligenté une enquête sur l'offensive de Gaza. Il y dénonce des crimes assimilables à des crimes contre l'humanité. Si les agissements du Hamas, comme ceux du Fatah sont sévèrement critiqués dans le document, c'est le gouvernement israélien qui essuie les reproches les plus lourds. Goldstone demande que les parties nommées initient des enquêtes indépendantes sur les faits répertoriés. Israël, à ce jour, s'est borné à des enquêtes ponctuelles et militaires pour juger des actes de ses soldats. Le Fatah amorce un mouvement. Rien ne filtre encore du Hamas. C'est en février qu'on discutera à l'ONU des suites du rapport Goldstone.

En attendant, le magistrat d'origine juive est traîné dans la boue et taxé d'antisémitisme par une partie de la presse israélienne. Mais ce sont des associations des droits de l'homme tant israéliennes que palestiniennes qui surveillent le progrès des enquêtes. L'Union européenne quant à elle a recensé toutes les destructions observées par satellite, et a estimé leur coût. Le dossier est lourd mais il est inattaquable.

Autre document à marquer d'une pierre blanche : le rapport sur Jérusalem-Est établi par des diplomates de l'Union européenne. Sorti en décembre 2009, il n'a pas été adopté comme tel par le Conseil, ni rendu public, mais chacun le lit sous le manteau. C'est un réquisitoire implacable sur la politique de colonisation de Jérusalem-Est par le gouvernement israélien. Rappelons que l'Union na jamais accepté cette politique d'annexion. D'où la conclusion très ferme du Conseil des Affaires Étrangères de décembre 2009 : Jérusalem doit être la capitale de deux États.
Faut-il voir dans cette fermeté inattendue de l'Union européenne le retour à des fondamentaux du droit international, ou le message ultime de la présidence suédoise ?
On l'ignore mais cette fermeté transparaît également dans les déclarations sur le Moyen-Orient de Cathy Ashton après sa nomination comme Haute représentante auprès de l'Union. On sent donc enfin un frémissement politique dans l'Union européenne.

Troisième signal : celui que donnent les innombrables associations humanitaires, activistes des droits de l'homme, personnalités culturelles et politiques qui prennent la route de Gaza, quitte à se faire bloquer à Rafah par les autorités égyptiennes. Il n'y a pas de semaine, pas de mois sans ce cortège d'ambulances, de chaises roulantes, de vivres, d'instruments de musique, qui font une concurrence éclatante à l'économie trouble des tunnels et pèsent de leur poids symbolique. Nous sommes tous des emmurés, disent-ils en substance. Comme nous avons tous été des Berlinois, ou des Juifs, ou des Noirs.

Ces signes, alors que l'horizon politique est sombre, éclairent un peu le chemin. Difficile de savoir s'ils conduisent à une impasse ou à une véritable issue politique. Soutenir qu'il ne s'est rien passé à Gaza est devenu impossible depuis le rapport Goldstone. Mais constater qu'il ne s'est rien passé après Gaza serait un crime de l'impuissance dont nous serions tous comptables. L'Europe mérite mieux que cela.

Véronique de Keyser
Députée européenne (PS)
29.12.09

Source: Carte blanche, Le Soir

mardi 29 décembre 2009

Lettre ouverte de la Gaza Freedom March au Président Mubarak

Dans une lettre ouverte, les organisateurs de la Marche pour la Liberté à Gaza, représentant 1 362 personnes venues de 43 pays, appellent le président Mubarak à leur accorder le passage dans Gaza. Lire ci-dessous :


Le Caire, samedi 26 décembre 2009

Cher Président Mubarak,

nous, représentants de 1362 personnes venues de 43 pays au Caire pour participer à la Marche pour la liberté de Gaza, nous faisons appel aux Egyptiens et à votre réputation d’hospitalité.

Nous sommes des artisans de la paix. Nous ne sommes pas venus en Egypte pour créer des troubles ou susciter des conflits. Au contraire. Nous sommes venus parce que nous croyons que tous les peuples - y compris les Palestiniens de Gaza - devraient avoir accès aux ressources dont ils ont besoin pour vivre dans la dignité. Nous nous sommes rassemblés en Egypte parce que nous croyions que vous accueilleriez et soutiendriez notre objectif noble et que vous nous aideriez à atteindre Gaza en traversant votre pays.

En tant qu’individus qui croient en la justice et aux Droits de l’homme, nous avons dépensé nos revenus durement gagnés, et parfois très minimes, pour acheter des billets d’avion, commander des chambres d’hôtel et assurer notre transport uniquement pour nous tenir par solidarité auprès des Palestiniens de Gaza qui vivent sous un blocus israélien écrasant.

Nous sommes des médecins, des avocats, des étudiants, des universitaires, des poètes et des musiciens. Des jeunes gens et des personnes âgées. Des musulmans, des chrétiens, des juifs, des bouddhistes et des laïcs. Nous représentons les groupes de la société civile de nombreux pays, groupes qui se sont réunis pour coordonner ce vaste projet en compagnie de la société civile de Gaza.

Nous avons collecté des dizaines de milliers de dollars d’aide médicale, de fournitures scolaires et de vêtements d’hiver pour les enfants de Gaza. Mais nous avons conscience qu’outre l’aide matérielle, les Palestiniens de Gaza ont également besoin d’un soutien moral. Nous sommes venus leur offrir ce soutien lors du premier et douloureux anniversaire d’une invasion qui leur a occasionné tant de souffrances.

L’idée de la Marche pour la liberté de Gaza - une marche non violente jusqu’au carrefour israélien d’Erez - est apparue lors d’un de nos brefs voyages à Gaza, en mai, voyage qui fut aimablement facilité par le gouvernement égyptien. Depuis lors, cette idée a fait son chemin, nous nous sommes adressés à votre gouvernement par le biais de vos ambassades à l’étranger, puis, directement, en discutant avec vos ministre des Affaires étrangères. Vos représentants ont été très aimables et très coopératifs.

On nous a demandé de fournir des renseignements sur l’ensemble des participants - passeports, dates de naissance, professions - et nous nous sommes exécutés en toute bonne foi. Nous avons répondu à chaque question, avons satisfait à toutes les exigences. Des mois durant, nous avons travaillé en présumant que votre gouvernement allait nous faciliter le passage, comme il l’a fait naguère en de si nombreuses occasions. Nous avons attendu, et longtemps attendu une réponse.

Dans l’intervalle, le temps est devenu pressant et nous avons dû commencer à nous organiser. Voyager en période de Noël n’est pas facile dans les pays où vivent bon nombre d’entre nous. Il faut commander ses billets des semaines, voire des mois à l’avance. C’est ce qu’ont fait ces 1362 personnes. Elles ont dépensé leurs propres deniers ou ont collecté des fonds parmi leur propre communauté afin de payer leur voyage. Ajoutez à cela le temps précieux, les efforts et les sacrifices consentis par toutes ces personnes pour quitter leurs foyers et les êtres qui leur sont chers en ces temps de fêtes.

À Gaza, les groupes de la société civile - étudiants, associations, femmes, agriculteurs, groupes de réfugiés - ont travaillé d’arrache-pied des mois durant pour organiser la marche. Ils ont mis sur pied des ateliers, des concerts, des conférences de presse, d’innombrables meetings en ne comptant que sur leurs maigres ressources. Ils ont été soutenus par la présence escomptée de tous ces citoyens du monde qui allaient venir appuyer leur juste cause.

Si le gouvernement égyptien décide d’empêcher la Marche pour la liberté de Gaza, tout ce travail et tous les frais qu’il a nécessités seront perdus.

Et ce n’est pas tout. Il est pratiquement impossible, au point où en sont les choses actuellement, d’empêcher toutes ces personnes de se rendre en Egypte, même si nous le voulions. En outre, la plupart n’ont d’autre projet en Egypte que de converger vers un lieu de rendez-vous d’où elles feront route ensemble pour se rendre à la frontière du côté de Gaza. Si ces plans sont annulés, cela entraînera une souffrance accrue et injustifiée pour les Palestiniens de Gaza et pour plus d’un millier de personnes de toutes nationalités qui n’avaient à l’esprit que de nobles et louables intentions.

Nous vous prions de nous autoriser à poursuivre notre Marche pour la liberté de Gaza afin que nous puissions rejoindre les Palestiniens de Gaza en une marche commune, ce 31 décembre 2009.

Dans le réel espoir de recevoir de votre part une réponse positive, nous vous remercions de votre aimable assistance.

Les organisateurs de la Marche pour la Liberté à Gaza
28.12.09

Source: le Grand Soir

dimanche 27 décembre 2009

L’Etat le plus moderne du « village global » : La Palestine !

Mi-novembre, après la déclaration de différents responsables palestiniens du parti de M. Abbas «d’envisager» le dépôt d’une requête au Conseil de sécurité des Nations unies visant à proclamer unilatéralement l’Etat de Palestine, il n’avait guère fallu plus de 48h pour voir s’agiter les habituels guignols de l’info, de Sarkozy à Netanyahou en passant par Clinton et Barroso et y allant chacun de sa petite intervention pour balayer d’un revers de main ou d’un haussement d’épaules, la saugrenue et irrecevable proposition palestinienne. Ainsi, même l’hypothèse, l’éventualité de simplement proposer la reconnaissance de l’indépendance d’«un futur» Etat palestinien s’est soldée par un refus immédiat, une fin de non-recevoir, catégorique et unanime d’Israël, de l’UE et des USA.

Il faut bien avouer que le contraire nous eût étonnés…

La Palestine se révèle donc une fois encore et à la face de ces puissants, l’Etat le plus moderne de la planète : il n’existe – ô ça, il existe bien sûr, il suffit de voir l’agitation qu’il suscite et la manière dont tout ce beau monde en parle – qu’à l’état virtuel. Et ce, depuis des décennies. Ainsi, à l’heure où notre environnement général est lui-même de plus en plus envahi par le virtuel : au boulot (quand on en a encore) ; en famille (quand elle n’est pas totalement dissoute) ; dans nos rapports sociaux et nos rencontres (innombrables à travers les sites têêêllement conviviaux, mais de moins en moins vécus) ; dans la culture (cfr. la dernière sous-merde du cinéma américain : «2012») ; etc… cet Etat fait figure de fer de lance. Avec ses frontières, continuellement réajustées ; sa population, sans reconnaissance en termes de nationalité ; sa capitale, déclarée «capitale éternelle et indivisible» par des illuminés s’affirmant «élus» d’un dieu ; ses rares passeports, jordaniens ; sa proclamation d’indépendance, régulièrement reportée ; ses couloirs souterrains, pour permettre la survie d’une partie de sa population ; son appareil d’Etat à l’image de son territoire, divisé ; son espace aérien, inexistant ; ses eaux territoriales, sous contrôle militaire étranger ; sa capacité à se défendre, privé d’armée ; et j’en passe… la vague mais tenace idée d’un Etat palestinien tient du rêve, du leurre, ou disons-le enfin : du mensonge !

Dans le même ordre d’idées, ses habitants ont-ils d’ailleurs jamais existé aux yeux des sionistes et de leurs suppôts qui ne les voyaient déjà pas sur cette «terre sans peuple» ? C’est dire ! Du plus haut de la pyramide étatique jusqu’au plus bas des sionistes les plus obtus, la cécité fait loi face à la réalité du terrain : point d’habitants en Palestine ! Ou alors, quelques rares bédouins en voie de disparition probablement, parqués derrière de hautes murailles, et les autres, tous les autres en voie de transfert pour quelques vagues contrées extérieures, et donc proches de la virtualité, là aussi. Malheur aux quelques égarés qui traînent encore sur cette terre : ils se font tuer comme dans un abject jeu vidéo. Homme, femme, enfant, vieillard, malade, tout devient cible pour l’occupant sioniste. Au point que dernièrement, un colon ne s’est pas privé d’en écraser un avec sa rutilante berline, en y repassant même en marche arrière puisque de toute façon, pour ce qu’il faut bien considérer comme des malades, un Palestinien, cela n’existe pas… Même la police israélienne, présente sur les lieux, regarde sans réagir. Virtuels, ce corps et ces cris de douleur… [Voir : http://www.youtube.com/watch?v=3IHD08b0jco ]

Dès lors, puisque l’impunité est générale pour ces détraqués, il fallait juste oser, et cela en dit long sur les mentalités qui ont prévalu à l’installation d’un Etat et de ses colonies depuis des dizaines et des dizaines d’années, sous prétexte que le pays était vierge de toute population. Les quelques Palestiniens perdus qui se trouvaient-là n’y étaient sans doute que de passage ou par hasard, et leurs centaines de villes et villages ont fondu comme neige dans le désert, se sont évaporés tout comme la population qui s’en est allée de son plein gré, comme tout le monde sait…

Face à cette effroyable réalité, en nos pays autoproclamés «des Lumières» – mais en-dehors de celles féeriques et illusoires causées par la gabegie des guirlandes de Noël, où sont-elles ? – nous persistons pourtant dans l’aveuglement et ses ténèbres : en effet, nous ressassons à l’envi, telles des chimères, nos vaines promesses ; nous multiplions d’innombrables sommets, dont les dépenses incalculables n’ont d’égales que leur inefficacité ; nous perpétuons nos détestables réflexes paternalistes et coloniaux, plutôt que de prendre les décisions politiques requérant courage et équité ; nous organisons faussement émus, des cérémonies de souvenirs scrupuleusement choisis, et dès lors particulièrement partisans ; bref, nous déployons une débauche de moyens, sans qu’il y ait la moindre avancée sérieuse dans la solution à cette flagrante injustice. Et ainsi, de la parole aux actes, l’écart est devenu abyssal. La même arrogance et la même bassesse se sont étendues à l’ensemble des parrains penchés sur le berceau de ce nouvel Etat qui n’en finit pas de naître et de renaître depuis plus de 60 ans que dure cet accouchement, et dont tous, de gauche à droite, voient comme dans un mirage, le proche avènement. C’est peu dire qu’il risque de présenter quelques rides au moment de sa naissance… mais, elles ne seront probablement que virtuelles, elles aussi. Comme tout ce qui touche à la Palestine, cet Etat décidément le plus moderne de notre village désormais global ! Ainsi, comme l’écrit Jean-François Legrain, chercheur au CNRS/GREMMO (1) : «Le recours à l’État proclamé par l’OLP, pour se conserver le soutien de la communauté internationale et d’Israël accordé jusqu’ici à l’AP de Ramallah, se devra de n’être qu’un artifice institutionnel.»

En cette Terre, trois fois (en)sainte – paraît-il – c’est Noël, avorté chaque jour !

Daniel Vanhove
Observateur civil
25.12.09

Note :
(1) Palestine : un Etat ? Quel Etat ? voir http://www.gremmo.mom.fr

samedi 26 décembre 2009

La fin de la pauvreté, vraiment ?

La sortie en France du film «The end of poverty ?» de Philippe Diaz, le 16 décembre, est un évènement majeur pour qui veut mettre en perspective la crise économique et financière actuelle avec cinq siècles de mondialisation. Commencée en 1492 avec l’arrivée des Espagnols en Amérique, cette globalisation a vu au fil des ans l’appropriation mondiale des terres de manière illégitime par les empires européens (espagnol, hollandais, anglais, français, …) et l’exploitation effrénée tant des êtres humains que des ressources naturelles du Sud. Le système capitaliste, qui commençait à se développer, a utilisé cette main d’œuvre quasi-gratuite et ces richesses volées aux peuples du Sud pour financer la révolution industrielle du 19è siècle. A partir des années 1850, les puissances dominantes (Europe, Amérique du Nord, Japon) ont imposé la monoculture à leurs colonies et ont brisé net toutes leurs industries, comme celle du textile en Indonésie ou en Inde, rendant toutes ces colonies complètement dépendantes de la métropole. Les produits bruts étaient exportés par les colonies qui devaient importer des produits transformés ailleurs, où la valeur ajoutée créait des profits colossaux. Aujourd’hui encore, le café et le thé produits au Kenya sont vendus à l’état brut pour une bouchée de pain à des transnationales de l’agrobusiness qui les transforment et les revendent partout dans le monde, y compris dans ces pays. Les indépendances officielles, dans les années 1950-1960 pour l’Asie et l’Afrique, n’ont pas apporté la moindre souveraineté économique.

Au contraire, la fin de la seconde guerre mondiale a vu l’instauration d’un ensemble institutionnel qui a réussi à imposer une nouvelle forme de colonialisme aux pays dits «en développement». En fait, c’est plutôt le néolibéralisme qui y est en développement ! Au cœur de cet ensemble, figurent le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, renforcés en 1995 par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Leur combat fut d’instaurer une forme plus subtile, mais tout aussi efficace, d’empire global. La dette en a été le ressort essentiel.

Nombre de pays ont hérité d’une dette coloniale au moment de leur indépendance. La Banque mondiale a notamment procédé à de telles manipulations complètement illégales. Cette dette les a poussés à rester connectés à l’économie mondiale et à servir les intérêts des puissances dominantes, dans un cadre de dépendance accrue. La corruption des élites locales a permis que cette transition s’effectue au mieux pour les grands créanciers. Loin d’orienter leur économie selon les besoins des populations, les pays du Sud se sont surendettés pour financer des mégaprojets, comme des grands barrages, destinés à faciliter l’extraction et l’exportation de leurs richesses. Tandis que les grandes entreprises du Nord bénéficient depuis lors de marchandises à très bas coût qui leur génèrent des profits gigantesques reversés à leurs actionnaires, le Sud subit une triple peine : ses richesses lui rapportent très peu alors que la dépendance se perpétue et que le remboursement de la dette provoque une véritable hémorragie de capitaux. La mondialisation néolibérale organise donc l’appauvrissement et la détérioration des conditions de vie du plus grand nombre pour parvenir à l’enrichissement démesuré d’une minorité. En 2008, les pouvoirs publics des pays en développement ont remboursé 182 milliards de dollars au titre de leur dette extérieure, soit 27 milliards de plus que ce qu’ils ont reçu en nouveaux prêts. Pendant ce temps, le nombre de millionnaires en dollars dans le monde s’élevait à 8,6 millions, pour un patrimoine cumulé de 32 800 milliards de dollars. Un prélèvement annuel de 0,25% sur ce patrimoine suffirait à trouver les 80 milliards de dollars nécessaires pour assurer en 10 ans à la totalité de la population les services sociaux essentiels (éducation primaire, santé, eau, assainissement).

Le FMI et la Banque mondiale sont parvenus à leurs fins en forçant les pays surendettés à signer des programmes d’ajustement structurel, comprenant la fin des subventions aux produits de base pour les rendre accessibles aux plus pauvres, la baisse des budgets sociaux, des politiques de recouvrement intégral des coûts dans le secteur de la santé et de l’éducation, la suppression des protections commerciales comme les barrières douanières, l’abandon du contrôle des mouvements de capitaux (ce qui crée une forte instabilité et renforce les paradis fiscaux), des privatisations massives (ce qui augmente les prix de biens essentiels et réduit l’accès aux services de base)… En Bolivie, à Cochabamba, la privatisation du secteur de l’eau en 2000 s’est accompagnée d’une forte hausse des prix et pour assurer les profits de l’opérateur privé, les sources, qui appartenaient jusque là aux communautés villageoises, ont été mises sous contrôle, tout comme les réserves contenant l’eau de pluie. Les populations se sont révoltées et, malgré la répression, ont réussi à obtenir l’expulsion de la multinationale Bechtel qui avait profité de cette privatisation. L’histoire s’est répétée en 2005 à El Alto, dans la banlieue de la capitale La Paz, avec l’expulsion de Suez.

Les dictatures des années 1970-1980, comme celle de Pinochet au Chili, ne sont plus la seule solution utilisée pour imposer le néolibéralisme à l’échelle de la planète. Les grandes puissances utilisent le levier de la dette et de la corruption pour imposer leurs volontés à ceux qui ont des velléités d’autonomie économique. En ultime recours, comme en Iran en 1953 ou en Irak récemment, une intervention militaire est programmée quand la persuasion habituelle a échoué : c’est l’armée qui vient ouvrir toutes grandes les portes permettant de faire entrer l’économie de marché. Les promoteurs de la mondialisation néolibérale, FMI et grandes puissances en tête, imposent donc de manière brutale un système économique antidémocratique, profondément inégalitaire, générateur de dette, de corruption et de pauvreté.

Depuis 1970, les pays en développement ont remboursé l’équivalent de 106 fois ce qu’ils devaient en 1970, mais entre temps leur dette a été multipliée par 52. A l’autre extrémité, les risques de plus en plus grands pris par les banques privées et les spéculateurs pour assurer des profits faramineux ont mené le monde à une crise aux multiples facettes d’une ampleur exceptionnelle. Cette crise a été rendue possible par les politiques de dérégulation de l’économie prônées partout par le FMI et la Banque mondiale, avec l’appui des dirigeants des pays riches. En 2009, le nombre de personnes sous-alimentées de manière chronique a franchi le cap du milliard : tout un symbole de l’échec du capitalisme imposé depuis cinq siècles. Une question doit être posée : qui doit à qui ?

Aujourd’hui, 25% des habitants de la planète utilisent 80% des ressources disponibles et génèrent 70% de la pollution mondiale. A l’heure du sommet de Copenhague sur le climat, il est nécessaire de comprendre que la logique du dieu Marché et de l’ajustement structurel fait partie du problème et non de la solution. L’aide apportée au Sud par les pays du Nord est d’un montant ridicule et orientée vers les pays qui présentent un intérêt géostratégique : ceux qui en profitent ne sont pas ceux qui en ont le plus besoin. Au contraire, l’annulation totale et immédiate de la dette du tiers-monde, l’abandon des politiques d’ajustement structurel, le remplacement du FMI et de la Banque mondiale par des institutions démocratiques centrées sur la garantie des droits humains fondamentaux et le respect de l’environnement, la réappropriation des ressources naturelles par les peuples, la réforme agraire radicale, une vaste redistribution des richesses à l’échelle mondiale sont les étapes fondamentales qui doivent permettre un changement complet de système dont l’urgence s’impose un peu plus chaque jour.

Damien Millet
Porte-parole du CADTM France et auteur avec Eric Toussaint du livre La Crise, Quelles Crises ?, Aden-CADTM-Cetim, à paraître début 2010.
20.12.09

vendredi 25 décembre 2009

Témoignage de militant(e)s depuis Le Caire

Nous sommes bien arrivés ce 24 décembre vers 16h00 au Caire.
Nous avons été accueilli par David, notre coordinateur sur place, qui avait de très mauvaises nouvelles pour nous : les autorités égyptiennes interdisent formellement tout déplacement vers la frontière de Gaza. De plus, elles ont décrété que tout rassemblements des marcheurs et toute autre action politique étaient aussi interdites. De plus, nous apprenons, en cours de soirée, que nous devons tenir le Ministère de l'Intérieur au courant de tous nos déplacements et visites.

Nous avions un plan A qui était de participer à la marche pacifique à l'intérieur de la bande de Gaza. Nous avions même envisagé malgré nous que notre séjour à Gaza soit réduit à deux journées seulement. Nous voulions manifester à la frontière entre Gaza et Israël, en partenariat avec des associations pacifistes du côté Israélien.

Devant les contraintes de plus en plus fortes survenant lors des préparations de l'action avec les autorités égyptiennes, nous avions mis sur pied un plan B : deux jours de vidéo-conférence avec des responsables de Gaza depuis l'université américaine du Caire... Ce plan B nous est aussi interdit, de même que toute conférence de presse et toute manifestation publique, même pacifique.

Nous avons peine à y croire.
Pour la première fois, un mouvement de conscientisation en faveur de la justice et du droit envers le peuple Palestinien rassemblait au niveau international un nombre important de pacifistes... Notre espoir était à la mesure de cet évènement. Depuis des mois nous préparions nos cœurs à cette action... nous avons donné de nos forces, de notre temps . Est-ce que le gouvernement égyptien peut annihiler cet élan de bonne volonté en faveur de la justice et de la paix ?

Pour l'instant, nous refusons toujours de croire à la fin de tous ces efforts.
Nous sommes en train de nous concerter... nous envisageons des alternatives qui puissent être un soutien au peuple palestinien et, spécifiquement aux habitants de la zone de Gaza.
Pendant ce temps, d'autres «marcheurs» en provenance du monde entier continuent d'arriver au Caire... Nous vous tiendrons au courant de l'évolution de notre vécu commun et de nos émotions au fur et à mesure des jours qui passent.

Vous devez savoir que les autorités egyptiennes ont donné l'autrisation aux convois Viva Palestina de passer à Gaza et seulement à eux.
Nous vous demandons de bien vouloir dénoncer cette situation déplorable auprès des institutions, des parlementaires du gouvernement et PRESSE et ceci au plus vite !!

Farah, Fatima-Zhora,Sanaa, Zohra et le groupe Luxembourgeois
25.12.09

Plainte contre le Hamas devant la justice belge

Des Israéliens ont annoncé jeudi avoir déposé une plainte devant la justice belge contre le mouvement islamiste Hamas, accusé de crimes de guerre pour avoir tiré des roquettes à partir de la Bande de Gaza.

Les quinze Israéliens qui ont porté plainte contre le Hamas devant la justice belge résident dans les environs de Gaza et possèdent la nationalité belge, indique le Jerusalem Post dans son édition de jeudi. Le quotidien Haaretz précise, de son côté, qu’il s’agit aussi d’Israéliens ayant la nationalité belge et qui ont été blessés, ont eu leur maison détruite ou ont perdu un membre de leur famille.
La plainte vise des dirigeants du Hamas tels que Khaled Mechaal qui vit a Damas, le Premier ministre Ismaïl Haniyeh, l’ancien ministre des Affaires étrangères Mahmoud Zahar ainsi que les hauts gradés de l’armée Ahmed Jabri et Mohammed Def. Au total, 10 responsables politiques et militaires sont visés, précise Haaretz.

La plainte est basée « sur des éléments solides qui prouvent les liens entre ces dirigeants du Hamas et les attaques dans lesquelles des ressortissants belges ont subi des dommages », poursuivent les journaux en citant les propos de Me Coveliers à l’AFP.
Les plaignants affirment avoir été victimes à des degrés divers des roquettes palestiniennes. Des milliers d’entre elles ont été tirées depuis la Bande de Gaza, faisant sept morts en Israël, depuis que le Hamas a pris le pouvoir dans ce territoire en juin 2007.

Cette action a été engagée par un lobby pro-israélien en Europe, «L’initiative européenne», en réponse aux tentatives de déférer des responsables israéliens devant des tribunaux étrangers.
La plainte s’appuie notamment sur le rapport du juge sud-africain Richard Goldstone qui a accusé Israël, mais aussi les groupes armés palestiniens, de «crimes de guerre» durant l’offensive israélienne dans la bande de Gaza en décembre-janvier derniers.

Selon le droit belge, les tribunaux peuvent juger «des crimes internationaux si les victimes sont des Belges ou ont vécu en Belgique pendant au moins trois ans au moment où les faits ont été commis».
Jusqu’à 2003, la loi «de compétence universelle» accordait aux tribunaux le droit de juger les auteurs présumés de crimes internationaux, même si ni les auteurs ni les victimes n’avaient aucun lien avec la Belgique.

AFP, BELGA
Rédaction en ligne
24.12.09

jeudi 24 décembre 2009

Le doute planait... nous voici quelque peu, éclairés...

L’antiviral Tamiflu se révèle être une grossière supercherie
Les études de Roche sont basées sur une fraude scientifique

Pour vendre des produits chimiques qui prétendent traiter la grippe H1N1, l'industrie pharmaceutique n’a que deux options : les vaccins et les anti-viraux. Le Tamiflu est l’antiviral de loin le plus populaire. C’est en fait un médicament dérivé d’une plante médicinale chinoise traditionnelle, appelée étoile d’anis.

Mais le Tamiflu n'est pas une plante. C’est une concentration potentiellement mortelle de composants chimiques qui ont essentiellement été bio-piratés à partir de la médecine chinoise. Et quand vous isolez et concentrez des produits chimiques spécifiques de ces plantes, vous perdez la valeur (et la sécurité) de la phytothérapie de spectre complet.

Cela n’a pas empêché Roche, le fabricant du Tamiflu, d’essayer de développer un marché de plusieurs milliards de dollars pour son médicament. Cependant pour conquérir ce marché, Roche a du rassembler les preuves que le Tamiflu était à la fois sûr et efficace.

Roche s'engage dans une fraude scientifique
Roche prétend qu’il existe dix études prouvant que le Tamiflu est sûr et efficace. Selon la société, le Tamiflu présente toutes sortes d'avantages, y compris une réduction de 61% des hospitalisations des personnes grippées soignées au Tamiflu.
Le problème de ces assertions est qu'elles ne sont pas vraies. Elles ont simplement été inventées de toute pièce par Roche.
Un article dévastateur récemment publié par le British Medical Journal accuse Roche de tromper les gouvernements et les médecins sur les avantages du Tamiflu. Sur les dix études citées par Roche, il s'avère que seules deux d’entre elles ont été publiées dans des journaux scientifiques. Et que sont devenues les données originales de ces deux études ? Perdues.

Les données ont disparu. Des dossiers ont été jetés. Le chercheur d'une étude dit qu'il n’a même jamais vu les données. Roche a pris soin de tout cela, explique-il. Ainsi la Collaboration Cochrane, chargée d’examiner les données sur le Tamiflu, a décidé de mener l’enquête. Les demandes répétées à Roche pour obtenir les données originales des études sont restées lettre morte. Le seul ensemble de données complet qu'elle ait reçu était une étude non publiée de 1.447 adultes qui a prouvé que le Tamiflu n'était pas meilleur que le placebo. Les données des études montrant l’efficacité du Tamiflu ont apparemment été perdues pour toujours.

Comme l’indique le magazine The Atlantic, c’est à ce moment-là que d’anciens employés de Adis International (essentiellement une société de relations publiques de Big Pharma) ont choqué le monde médical en annonçant qu’ils avaient été mandatés pour écrire anonymement les études pour Roche.

Mais le meilleur reste à venir : Roche a dit à ces chercheurs ce qu'ils devaient écrire !
Comme l’a indiqué un de ces rédacteurs fantômes au British Medical Journal :
"Les dossiers du Tamiflu proposaient une liste de messages clé que vous deviez inclure. Cela avait été préparé par le département marketing [de Roche] et votre mandat était de suivre ces lignes directrices. Dans l'introduction… je devais dire à quel point la grippe était un problème majeur. Je devais également arriver à la conclusion que le Tamiflu en constituait la réponse."

En d'autres termes, le département marketing de Roche a conçu la science et a indiqué à des chercheurs quelles conclusions tirer des tests cliniques. Des chercheurs engagés pour conduire une recherche scientifique ont été contrôlés par des commerciaux tireurs de ficelles. Quelles que soient leurs découvertes scientifiques, les chercheurs avaient déjà été contraints d’aboutir à la conclusion que «le Tamiflu constituait la réponse.»

Alors, je ne sais ce qu’il en est pour vous, mais chez moi on appelle ça de la «fraude scientifique». Et comme l’ont montré de nombreuses investigations sur NaturalNews, c’est plutôt la règle que l’exception dans l'industrie pharmaceutique.
Personnellement, je ne peux pratiquement faire confiance à aucune «étude scientifique» conduite par les entreprises pharmaceutiques parce que ce n’est pas réellement de la science. Pour moi c’est essentiellement de la propagande prenant les habits de la science pour y ressembler.
Tristement, même le Centre pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) a été dupé par cette escroquerie de test clinique.
Comme l’indique l’auteur Shannon Brownlee dans le magazine The Atlantic : «… le centre pour le contrôle et la prévention des maladies semble fonctionner dans une sorte d’univers alternatif, où la science de qualité n'importe plus pour les affaires publiques. Les recommandations pour la grippe se confondent avec les arguments avancés par Roche que le médicament peut sauver des vies – en dépit des résultats de la FDA et du manque d'études pour prouver une telle assertion. Qui plus est, ni la CDC ni la FDA n'ont exigé les études scientifiques qui pourraient déterminer de façon univoque que les assertions de la société sont valides, à savoir que le Tamiflu réduit le risque de complications sérieuses et permet de sauve des vies. Nancy Cox, qui dirige le programme grippe du CDC, nous a dit il y a quelques mois qu’elle s'oppose à une étude avec contrôle placebo (dans laquelle la moitié des patients recevrait le Tamiflu et l'autre moitié un placebo), parce que les avantages du médicament avaient déjà été prouvés.»

Avez-vous bien compris cette dernière phrase ? Le CDC n’est pas intéressé par une étude sur le Tamiflu parce que «les avantages du médicament sont déjà prouvés». Sauf qu’ils ne le sont pas. Mais c'est la façon dont fonctionne l'industrie pharmaceutique:
Étape 1) Fabriquer des preuves que votre médicament fonctionne.
Etape 2) Utiliser des preuves frauduleuses pour faire approuver votre médicament.
Etape 3) Utiliser la peur pour créer une demande des consommateurs pour votre médicament (et encourager les gouvernements à faire des stocks.
Etape 4) Eviter tout essai scientifique réel en affirmant qu’il a déjà été prouvé que le médicament fonctionne (et citer vos études frauduleuses originales en guise de preuve).

C'est la recette que la CDC suit pour le moment avec le Tamiflu. C’est bien sûr une recette de stupidité scientifique et de la logique circulaire, mais cela semble de nos jours être étrangement commun au sein de la communauté médicale.
Même la FDA dit que le Tamiflu de marche pas. De façon assez remarquable, la FDA n’est pas complètement tombée dans la supercherie du Tamiflu. Ils ont exigé de Roche que le démenti suivant soit imprimé sur les notices de Tamiflu – un démenti qui admet ouvertement qu’il n’a jamais été prouvé que le médicament fonctionne.

«Il n’a pas été démontré que le Tamiflu avait un impact positif sur les conséquences potentielles (telles que hospitalisations, mortalité, ou impact économique) sur la grippe saisonnière, aviaire ou pandémique.»

Mieux encore. Un porte-parole de la FDA a dit au British Medical Journal, «Les tests cliniques… n’ont démontré aucune différence significative dans les taux d'hospitalisation, de complications ou de mortalité chez les patients recevant du Tamiflu ou un placebo.»
C’est toujours le même sempiternel message, comme un disque rayé : le Tamiflu ne marche pas. Et la "science" qui affirme que le Tamiflu fonctionne a apparemment été fabriquée depuis le départ.

Le scandale du stockage du Tamiflu
De la science pourrie, mais suffisamment bonne pour le gouvernement états-unien. Sur base de preuves en grande partie fabriquées et de la propagande de Big Pharma, le gouvernement des États-Unis a dépensé $1.5 milliards pour stocker du Tamiflu. Cela s'est avéré être une bonne opération pour Roche, mais un piètre investissement pour les citoyens des États-Unis qui ont donc consenti une dépense énorme pour un médicament qui ne marche pas.

Comme énoncé dans le magazine The Atlantic :
Pour recommander et stocker le Tamiflu, les gouvernements, les agences de santé publique, et les agences internationales telles que l'Organisation mondiale de la santé, ont tous basé leurs décisions sur les études qui avaient semblé indépendantes, mais qui en fait avaient été financées par la société [Roche] et avaient été écrites presque entièrement par des employés de Roche ou des consultants universitaires rétribués.
(...)
Le résultat de tout ceci, c’est que les gouvernements de par le monde dépensent des milliards de dollars en stockant un médicament qui essentiellement ne fonctionne pas – un médicament promu par de la propagande et par de la fraude scientifique.
Ce n’est bien sûr pas la première fois que votre gouvernement gaspille l’argent du contribuable, mais cet exemple est particulièrement préoccupant étant donné que tout ceci a été fait avec l'excuse que les remèdes normaux sont inutiles et que seuls les vaccins et le Tamiflu peuvent vous protéger contre une pandémie virale.
Mais il s'avère que les vaccins et le Tamiflu sont inutiles et que seuls les remèdes normaux fonctionnent vraiment. C’est la raison pour laquelle tant de personnes informées dans monde avaient stocké de la vitamine D, de l'ail, des teintures antivirales et des compléments alimentaires pour se protéger contre une pandémie potentielle que la plupart des gouvernements du monde n’ont aucune manière d’enrayer.

Je trouve fascinant que les gouvernements du monde stockent des médicaments qui ne marchent pas, alors que les personnes informées en matière de santé naturelle stockent des remèdes normaux qui fonctionnent. Si une véritable pandémie frappe jamais notre monde, il n’y a aucun doute sur ceux qui seront les survivants (NB : ce ne seront pas les gens naïfs qui stockent des pilules de Tamiflu…).

Quels sont les remèdes qui fonctionnent vraiment pour amplifier la fonction immunitaire et pour protéger le corps contre la maladie infectieuse ? J’ai publié un rapport révélant mes cinq meilleurs remèdes recommandés. Je recommande également la vitamine D3 à haute dose (...)

A propos, je n'ai aucun lien financier avec les sociétés dont les produits sont cités. À la différence de l'industrie pharmaceutique, je ne fonctionne pas purement pour le profit. Mon travail consiste à transmettre de l'information valable aux gens – de l'information qui peut aider à sauver des vies et à réduire la souffrance. C'est le travail que la FDA et la CDC devraient faire mais qu’ils ont abandonné depuis longtemps en trahissant le peuple états-unien.

Mike Adams
17.12.09

Article original, Natural News, publié le 14 décembre 2009.
Traduction Jean-Luc Guilmot, http://www.asanat.org/, le 17 décembre 2009
Source: mondialisation.ca

mercredi 23 décembre 2009

«Affaire DHKP-C» : camouflet pour le Parquet fédéral

COMMUNIQUÉ DE PRESSE : «AFFAIRE DHKP-C»
Les juges de la Cour d’Appel de Bruxelles ont rendu leur verdict dans le procès, recommencé pour la quatrième fois, contre six membres présumés de l’organisation turque.

CAMOUFLET POUR LE PARQUET FÉDÉRAL… ACQUITTEMENT POUR BAHAR KIMYONGÜR !

D’abord annoncé pour le 14 juillet 2009, puis postposé au 16 décembre, l’Arrêt – que devaient rendre les juges de la 13ème Chambre de la Cour d’Appel de Bruxelles – a finalement été prononcé ce mercredi 23 décembre 2009.

«Trois acquittements, trois condamnations avec sursis»: tel a été l’ultime coup de théâtre asséné ce jour – dans une affaire pénale, policière et politique, qui aura été secouée depuis ses débuts (en 1999) par d’incroyables et incessants rebondissements [1].

Dehors : 25 membres de la police fédérale chargés de filtrer les entrées et de vérifier les titres d’identité.
Dedans : 150 sympathisants, journalistes et cameramen. Autant dire que la salle d’audience est pleine.
Carl Alexander, Paul Beckaert, Jan Fermon, Nadia Lorenzetti et Raf Jespers (pour la défense) ; Johan Delmulle et sa «partenaire» An Franssen (au nom du Ministère public) ; Kris Vinck, pour l’Etat turc…
A 9 heures 5 tapantes, le Président Boyen entame la lecture d’un Arrêt assurément dispendieux – si on se réfère aux verdicts précédents (lors du jugement rendu, en novembre 2006 par la Cour d’Appel de Gand par exemple, cette lecture avait pris pas moins de 11 heures…). Toutes les parties se mettent à prendre des notes fébriles.
9 heures 20, un ange passe. Un jeune noir traverse le prétoire d’un pas assuré et, devant les trois juges éberlués, transmet une pièce d’identité au greffier. Interrompu une fraction de seconde, le prononcé de l’Arrêt se reprend.
A 9 heures 58, surprise. Antoon Boyen (d’une voix toujours aussi monocorde) en est déjà arrivé… aux sentences. Ni cassantes, ni fracassantes : inattendues. Seuls les trois prévenus appréhendés à Knokke le 26 septembre 1999 font l’objet de condamnations, avec sursis (la Cour d’Appel de Bruxelles reprenant ici presque telles quelles, les sanctions édictées par
la Cour d’Appel d’Anvers en février 2008)…

Musa Asoglu (condamné, avec sursis, à une peine de 3 ans d’emprisonnement par la Cour anversoise) : même peine.
Fehriye Erdal (condamnée, avec sursis, à une peine de 2 ans d’emprisonnement par la Cour d’Appel d’Anvers) : même peine.
Et Kaya Saz (condamné, avec sursis, à une peine de 21 mois d’emprisonnement par la Cour d’Appel d’Anvers) : 24 mois…

Seuls changements par rapport aux décisions des juges d’Anvers, concernant les trois personnes précitées… : la Cour d’Appel de Bruxelles considère qu’elles formaient bien, entre elles, une «association de malfaiteurs» – compte-tenu des armes et des faux papiers qui avaient été retrouvés en leur possession à Knokke-Duinbergen (toutefois, les juges bruxellois ne s’aventurent pas à expliciter un lien quelconque entre cette «association délictueuse» et le DHKP-C en tant que tel)… Par contre, le tribunal reconnaît (pour cette imputation pénale) l’Etat turc comme partie lésée, lui accordant… un euro de dommages et intérêts.

Qui plus est, arrivent enfin les plus confondantes des «sentences» prononcées ce jour. La Cour d’Appel ne reconnaît nullement la seconde des incriminations portées par le Parquet fédéral contre l’ensemble des six inculpés : une prétendue appartenance à une soi-disant structure «criminelle». En effet, rien dans le dossier d’instruction (à part les affabulations du Procureur fédéral J. Delmulle) ne laisse supposer (de quelque manière que ce soit) une quelconque intention de s'enrichir en commettant des délits. De même, les trois juges de la 13ème Chambre flamande de la Cour d’Appel de Bruxelles déclarent non constituée la troisième des infractions avancées par le Ministère public : avoir, dans le chef de Musa Asoglu et Bahar Kimyongür, participé à une entreprise terroriste. D’une part, les activités menées par le Bureau d’Information du DHKC (dont Bahar et Musa étaient les porte-paroles) ont toujours ressorti de la liberté d’expression ; d’autre part, la conférence de presse donnée le 24 juin 2004 aussi, car elle procède clairement, selon les juges, du même droit constitutionnel. Pour le surplus, la Cour d’Appel réaffirme explicitement que rien dans le dossier à charge ne peut laisser supposer des liens entre les inculpés et des «attentats» commis en Turquie.

Faut-il le dire : ce jugement-éclair, expédié en 62 minutes, a été salué par des applaudissements rassérénés. En la circonstance (ce mercredi 23 décembre 2009), une certaine magistrature «assise» aura fait preuve de courage et de ténacité, en refusant d’accréditer les thèses poisseuses du Ministère public [2].

Utile précision cependant : le Parquet fédéral a maintenant quinze jours pour éventuellement se pourvoir (une nouvelle fois) en Cassation. Ce mercredi, c’était donc le temps des conclusions provisionnées mais (encore et) toujours provisoires.

Jean FLINKER
membre du Comité pour la Liberté d’Expression et d’Association (CLEA)
23.12.09

==> Demain jeudi 24 décembre à 10 heures 30,
au café El Metteko (88 bd Anspach, près de la Bourse), le Comité pour la Liberté d'Expression et d'Association (CLEA) vous invite à une conférence de presse relative au verdict prononcé ce jour par la Cour d'Appel de Bruxelles dans le procès "DHKP-C".

Seront présents :
Bahar Kimyongür
l'avocat Jan Fermon,
Lieven De Cauter (Platform voor Vrije Meningsuiting)
Benoît Van Der Meerschen (président de la Ligue des Droits de l'Homme)

Notes:
[1] : Voir «Quatre procès, deux Cassations»
http://www.leclea.be/pdf/4-proces_2-cassations_mai-2009.pdf
[2] : «Un moment de vérité pour nos libertés» (Carte Blanche publiée dans La Libre, le 11 décembre 2009, cosignée par Jean-Claude Paye, Jean Cornil, Josy Dubié, Jean-Marie Dermagne, Dan Van Raemdonck, Jean-Marie Klinkenberg, Christine Pagnoulle, Jean Bricmont, Anne Morelli, José Gotovich, Jean Pestieau, Eric Therer, Bernard Francq, Ludo Abicht, Karel Arnaut, Eric Balliu, Ludo De Brabander, Lieven De Cauter, Herman De Ley, Stephan Galon, Rudi Laermans, Francine Mestrum, Saddie Choua, Erik Swyngedouw, Jean-Pierre Rondas, Fernand Tanghe, Dirk Tuypens, Karim Zahidi,…).
http://e-s-g.blogspot.com/2009/12/un-moment-de-verite-pour-nos-libertes.html

mardi 22 décembre 2009

Exclusif. Identité nationale, sarkozysme, Israël... Finkielkraut-Badiou: le face-à-face

NDLR : une fois n'est pas coutume, voici un (très) long texte qu'il nous est paru intéressant de reproduire ici, non seulement suite aux sujets abordés mais aussi, à la présence d'Alain Badiou à Bruxelles, il y a juste quelques semaines...

Réunis pour la première fois dans la presse, l'auteur d'«Eloge de l'amour» et celui d'«Un coeur intelligent», débattent de l'identité nationale, de la politique sarkozyste et d'Israël. Un affrontement idéologique d'une rare violence, qui a été arbitré au «Nouvel Observateur» par Aude Lancelin, et dont voici le verbatim intégral.

Le Nouvel Obs - Un débat sur «l'identité nationale» a été imposé au pays pour des raisons largement électorales. Maintenant que de façon assez prévisible il dérape, comment y faire face ?

Alain Finkielkraut - Je ne sais si le débat est opportun mais l'inquiétude est légitime. Dans sa fameuse conférence de 1882, Renan commence par écarter toute définition raciale de la nation. «L'histoire humaine diffère essentiellement de la zoologie», dit-il, et il définit la nation comme un principe spirituel, comme une âme (il ne faut pas avoir peur de ce mot), composée de deux éléments : un riche legs de souvenirs, un héritage de gloire et de regrets à partager d'une part, et de l'autre, le consentement actuel, le désir de continuer la vie commune. Or la France est aujourd'hui le théâtre d'une double crise : de l'héritage et du consentement. L'exécration de la France est à l'ordre du jour dans une fraction non négligeable des nouvelles populations françaises. Il faut vivre à l'abri du réel pour considérer que cette francophobie militante est une réponse au racisme d'Etat ou à la stigmatisation de l'étranger.

Quant à l'héritage, l'école, depuis quarante ans, travaille avec ardeur à sa dilapidation. De plus en plus de Français, élites comprises, sont aujourd'hui étrangers à leur langue, à leur littérature, à leur histoire, à leurs paysages. C'est parce que la civilisation française est peut-être en train de disparaître que cette question de l'identité nationale intéresse tant de monde alors que personne n'est dupe de la manœuvre électorale. Ce qu'on peut reprocher au gouvernement ce n'est pas de s'occuper de l'identité nationale, c'est de s'en décharger sur un débat. J'aurais préféré une vraie politique de la transmission de l'héritage.

N.O. - Les actes du gouvernement Sarkozy vont pourtant en sens inverse de son discours sur l'héritage : voyez par exemple cette volonté de supprimer l'enseignement de l'histoire dans les terminales S...

A. F. - C'est une contradiction. Entre Richard Descoings et Marc Bloch il faut choisir. Mais une refondation de l'école dans ce sens (recentrage autour de la culture et rétablissement de l'exigence) jetterait dans la rue collégiens, lycéens, syndicats d'enseignants et fédérations de parents d'élèves. L'inculture pour tous est une conquête démocratique sur laquelle il sera très difficile de revenir.

Alain Badiou - Une discussion organisée par le gouvernement sur «l'identité française» ne peut qu'être la recherche de critère administratifs sur «qui est un bon Français qui ne l'est pas». Les sérieux juristes du gouvernement Pétain avaient bien travaillé dans ce sens ! Ils avaient montré, avec une science bien calme, que les Juifs et autres métèques n'étaient pas des bons Français... On peut donc, on doit, être très inquiet de l'initiative Sarkozy-Besson. Quand l'Etat commence à se soucier d'une légitimité identitaire, on est dans la réaction la plus noire, l'expérience historique le montre. Cette initiative est donc non seulement stupide et incohérente, comme on le voit tous les jours, mais elle s'inscrit aussi dans ce que j'ai appelé le «pétainisme transcendantal» du gouvernement Sarkozy.

Dès que les considérations identitaires sont injectées dans la politique, dans le pouvoir d'Etat, on est dans une logique qu'il faut bien appeler néo-fasciste. Car une définition identitaire de la population se heurte à ceci que toute population, dans le monde contemporain, étant composite, hétérogène et multiforme, la seule réalité de cette identification va être négative. On ne parviendra nullement à identifier ce qu'est la «civilisation française», entité dont j'ignore ce qu'elle signifie, on va juste clairement désigner ceux qui n'en sont pas.

Il y a dans notre pays des millions de gens qui sont ici parfois depuis des décennies, qui ont construit nos routes, nos ponts, nos maisons, qui vivent dans des conditions déplorables, qui ont fait tout ça pour des salaires de misère, et que les gouvernements successifs, depuis trente ans, accablent de lois persécutrices, expulsent, enferment dans des zones de non-droit, contrôlent, empêchent de vivre ici avec leurs familles... Or on sait d'avance que ce sont ces gens qu'on va désigner comme n'étant pas vraiment français. Cette vision politique, est absolument répugnante, et je pèse mes mots.

D'autre part je suis très frappé de voir que les catégories utilisées par Alain Finkielkraut sont celles, très traditionnelles, de la réaction. L'héritage du passé et le consentement, voilà des catégories totalement passives dont l'unique logique est l'impératif «famille, patrie». Il s'agit d'un portrait de l'identité française réactif et conservateur. L'héritage de la France c'est un héritage que je suis prêt à assumer quand il s'agit de la Révolution française, de la Commune, de l'universalisme du 18ème siècle, de la Résistance ou de Mai 68. Mais c'est un héritage que je rejette catégoriquement quand il s'agit, de la Restauration, des Versaillais, des doctrines coloniales et racistes, de Pétain ou de Sarkozy. Il n'y a pas «un» héritage français. Il y a une division constitutive de cet héritage entre ce qui est recevable du point de vue d'un universalisme minimal, et ce qui doit être rejeté précisément parce que ça renvoie en France à l'extrême férocité des classes possédantes et à l'accaparement par une oligarchie d'affairistes, de politiciens, de militaires et de serviteurs médiatiques du motif de «l'identité nationale».

On parle toujours, notamment Alain Finkielkraut, du sang que les autres, les «totalitaires», comme il dit, ont sur les mains. Mais «l'identité nationale» a donné en la matière les plus formidables exemples. Pour trouver une boucherie aussi dépourvue de tout sens et atroce que celle de 14-18, il faut se lever de bonne heure. Or elle était strictement articulée sur l'identité nationale, c'est ça qui a fait marcher les gens. Il est très clair que l'identité nationale, référée à une mémoire non divisée et à un consentement héréditaire et familial, n'est que le retour aux catégories fatiguées de la tradition, et ne prépare que la guerre, intérieure contre les «mauvais français», extérieure contre «les autres». Le débat d'opinion est aujourd'hui entre deux orientations désastreuses : d'un côté l'unanimisme marchand et la commercialisation universelle et de l'autre côté, la crispation identitaire, qui constitue contre cette mondialisation un barrage réactionnaire, et qui plus est totalement inefficace.

A. F. - Il est vrai qu'on peut avoir une conception raciale et déterministe de cette identité, en faire un caractère fixe et biologiquement transmissible, mais c'est précisément contre cette idée que le président de la République a construit son discours de La Chapelle-en-Vercors. Il y a débat a-t-il dit, mais la race est hors débat : «On est Français parce qu'on ne se reconnaît pas dans une race parce qu'on ne va pas se laisser enfermer dans une origine et pas davantage dans une religion». Il est légitime et même nécessaire de pointer la contradiction entre le désir affiché de transmettre l'identité et une politique de la dilapidation de l'héritage.

Mais pourquoi cette surdité ? Pourquoi dénoncer comme raciste un discours aussi ostensiblement antiracial ? Parce que, aux yeux de l'antiracisme et de l'antifascisme dominant, c'est l'identité elle-même qui, quelle qu'en soit la définition, est «nauséabonde» ou «répugnante», pour reprendre le mot d'Alain Badiou. La tâche qui s'impose donc à nous, c'est la résiliation de tout prédicat identitaire. C'est la désaffiliation. Pour être nous-mêmes, c'est-à-dire fidèles à notre vocation universelle, il faudrait effacer tous nos signes particuliers. Pour n'exclure personne, il faudrait faire le vide en soi, se dépouiller de toute consistance, n'être rien d'autre, au bout du compte, que le geste même de l'ouverture.

N. O. - Il y a les mots du président de la République, qui sont ceux d'un chef de parti en campagne, et puis il y a la réalité du débat, où clairement des suspects sont désignés et vous savez bien lesquels...

A. F. - C'est avoir, comme disait Koestler des communistes, «des yeux pour voir et un esprit conditionné pour éliminer ce qu'il voit» que de tenir pour nulles et non avenues, par exemple, les manifestations qui ont célébré la victoire de l'Algérie sur l'Egypte huit ans après les sifflets du match France/Algérie. Je rappelle tout de même que le regroupement familial a été instauré en 1974. Ce qui me gêne beaucoup dans cet hyperbolisme c'est qu'il ne fait plus la différence entre Marc Bloch et Pétain, entre Simone Weil et Drumont, entre Bernanos et Brasillach, entre de Gaulle, obsédé de l'identité nationale, et Hitler. La plupart des résistants se sont référés à l'héritage national indivis pour justifier leur résistance, et qu'a dit Simone Weil ? Qu'il n'y a pas de plus hideux spectacle qu'un peuple qui n'est tenu par rien, par aucune fidélité.

A. B. - Fidélité à quoi ?

A. F. - Au sacre de Reims, à la Fête de la Fédération...

A. B. - Mais oui, mais oui, mais attention... Il y a énormément de gens dans ce pays qui sont fidèles à bien d'autres choses et d'abord à la transmission de leur patrimoine par héritage et cela depuis le fin fond des temps. Ils sont fidèles aux séquences de l'Histoire où les forces populaires ont été désorganisées. Dans la Résistance elle-même, ils passent volontiers sous silence le caractère en définitive déterminant, qu'on le veuille ou non, des forces armées communistes. Pris isolément, «héritage» ou «fidélité» ne veulent rien dire. Il s'agit de dire : héritage de qui ? Fidélité à quoi ? Vous supposez en fait, et c'est pourquoi votre démarche est absolument tautologique, que le problème de l'identité a déjà été résolu. C'est à cette identité unifiée, mais inexistante que vous déclarez qu'il faut être fidèle. Moi je suis d'une fidélité aussi exemplaire que possible à la France révolutionnaire, à son universalité paradigmatique. A la constitution de 1793 qui disait que quand un homme, n'importe où dans le monde, accueillait et élevait un orphelin, eh bien par là même il acquerrait la nationalité française.

Une identité de ce genre, immédiatement transmissible de façon universelle, j'en veux bien. Mais je ne connais pas d'exemple où l'inclusion dans la conception de l'Etat d'une figure identitaire puisse être considérée comme progressiste, en aucun sens. La question de l'engagement dans la Résistance outrepassait de beaucoup, et vous le savez très bien, la question de la libération du territoire national, et n'avait nul rapport à une «identité». Les groupes armés résistants les plus actifs en France étaient composés de communistes venus de toute l'Europe, et que Pétain, au nom de l'identité française, accusait de traîtrise, ce qui est un comble ! Lorsque Aragon écrit : «Mon Parti m'a rendu les couleurs de la France», il faut insister sur les deux aspects, la France sans doute, mais le Parti, qui est pour lui le nom de la vision internationaliste et communiste.

A. F. - Si un inventaire doit être établi, il faut commencer par faire aussi celui du communisme... A criminaliser ou à déconstruire violemment le désir que se perpétue la civilisation française, on ne fait qu'épouser le processus actuel qui nous conduit en effet à la world music, la world cuisine, la civilisation planétaire, le village global. C'est aller un peu loin que de qualifier de «résistance» à Sarkozy cette reddition au processus qui nous emporte.

N.O. - Mais le sarkozysme ne participe-t-il pas lui-même de ce processus ?

A. F. - C'est bien ce que je lui reproche.

A. B. - Vos catégories philosophiques et politiques vous rendent prisonnier d'une conception extraordinairement étroite de la question. Vous êtes pris entre d'un côté le consentement à la marchandisation universelle, la dilution de tout dans le village planétaire, et de l'autre une théorie de l'identité qui serait le seul et unique appui contre ça. C'est exactement comme si Marx avait dit, en 1848, que la seule alternative était : ou le capitalisme mondial ou le nationalisme français. Mais justement, Marx, il y a tout de même un siècle et demi, a défini une figure de l'internationalisme politique qui n'est réductible ni à l'un ni à l'autre. Or c'est ça notre problème aujourd'hui.

Notre problème aujourd'hui n'est pas de nous crisper sur de prétendues «identités» qu'on tire de la tradition et qu'on croit devoir restaurer pour organiser une résistance fantomatique à la puissance gigantesque de la marchandisation universelle. Le problème c'est de trouver une voie qui ne soit ni la souveraineté du capital et de sa phraséologie «démocratique», ni la construction forcenée d'ennemis intérieurs supposés saper notre «identité». Et là, nous sommes adossés à la seule tradition qui se soit constituée ainsi, qui ait refusé de se laisser embrigader au XIXè siècle par le nationalisme pur et dur, à savoir la tradition internationaliste révolutionnaire. C'est la seule. C'est du reste pourquoi elle a constitué partout, et singulièrement en France, le noyau dur de la résistance au fascisme identitaire.

N. O. - Pensez-vous en effet, comme vous le prête Alain Badiou, que l'assignation identitaire est le seul levier dont nous disposions pour résister à cette unification planétaire marchande que vous aussi dénoncez à votre façon ?

A. F. - Je déplore la perte des choses, mais il n'y a pas que la civilisation française qui risque d'être perdue. Je suis sensible aussi à la dévastation de la terre, au progrès de la laideur, à la destruction de la faculté d'attention, à la disparition du silence, à l'entrée dans l'âge technique de la liquéfaction de tout. Et précisément il me semble que pour faire face à ce désastre, nous ne pouvons pas nous contenter d'une politique de la libération. Nous avons besoin aussi d'une politique de la responsabilité. Ce qui me gêne dans l'idée qu'Alain Badiou se fait de la politique c'est qu'il n'y a aucune place pour la gratitude, la fidélité, et pour ce qu'Hannah Arendt appelle l'amour du monde. Voilà dans quel horizon philosophique et existentiel je me situe, et d'une manière plus générale encore, je suis frappé par la pauvreté critique de la critique de la domination.

N. O. - Vous pensez à quoi ? A quel courant, à quelle pensée au juste ?

A. F. - A tous. Au schéma qui divise le monde en dominants et en dominés. Et qui est si solidement ancré que personne ne proteste quand une décision de la Cour Européenne demande aux écoles italiennes de retirer leurs crucifix, alors que la décision suisse de ne plus construire de minarets est qualifiée de honteuse par une presse quasi unanime. Les crucifix aujourd'hui, même désactivés (l'école publique en Italie est laïque), sont perçus comme les insignes de la domination et les minarets voire les burqas, comme les emblèmes des dominés, des exclus, des réfractaires. Nous sommes constamment renvoyés à ce grand partage.

A. B. - Ces questions sont insignifiantes, c'est ça ma conviction. Moi je suis sur ces questions un nietzschéen rigoureux. Dieu est mort, et depuis longtemps. Donc il faut partir de l'idée que quand on est face à des phénomènes dits de civilisation ou de religion, ils dissimulent autre chose que leur qualité apparente. Qu'est-ce qui se tient vraiment là-derrière ? On ne voit pas de nouvelles figures mystiques, des penseurs religieux profonds, une théologie novatrice, etc. On ne voit rien de ce genre. On voit des agitateurs organisés, des attentats anonymes, des phraséologies tout à fait stéréotypées. Alors quelle est la figure politique qui se dissimule derrière cette phraséologie de l'islamisme radical ? En tout cas, pour ce qui est d'être identitaire, elle l'est ! Et vous voudriez l'imiter, vous voudriez lui opposer une défense quasi désespérée de la «civilisation occidentale», ou de l'«identité française», investie et menacée par les barbares...

A. F. - Ah non, non !

A. B. - Mais si, mais si... N'esquivez pas les conséquences de vos propos identitaires ! Quand vous voyez des jeunes hurler en faveur de l'Algérie, ce sont à votre avis des barbares anti-français. A mon avis ils ne le sont pas plus que ne l'étaient les supporters du club de rugby de Tyrosse dans les Landes quand, il y a cinquante ans, ils hurlaient contre les supporters du Racing de Paris. C'est l'imaginaire assez miteux du conflit identitaire, dont le sport est un exutoire bien connu. Une dernière vague d'immigration reste toujours solidaire de son passé, c'est normal. Déjà au XIXème siècle, on accusait les prolétaires de Paris, avant de vouloir les chasser en juin 48 et de les massacrer, d'être des analphabètes auvergnats, ce n'est pas nouveau tout ça. Dans mon enfance, à Toulouse, on disait en ricanant que les réfugiés de la guerre civile espagnole mettaient le charbon de chauffage dans leur baignoire. Il est consternant de vous voir faire la même chose !

La prolétarisation générale du monde s'est étendue au-delà de notre continent, c'est le seul phénomène nouveau. Après l'Auvergnat, après l'Italien et le Polonais, nous avons le Sri-lankais ou le Malien. Et vous croyez que c'est-là que doit être le problème de la pensée «française» ? Entre nous, alors que le monde est aujourd'hui partout aux mains d'oligarchies financières et médiatiques extrêmement étroites qui imposent un modèle rigide de développement, qui font cela au prix de crises et de guerres incessantes, considérer que dans ce monde-là, le problème c'est de savoir si les filles doivent ou non se mettre un foulard sur la tête, me paraît proprement extravagant. Et j'y vois donc un mauvais signe. C'est le début d'une stigmatisation rampante visant une minorité déterminée. Et prenez garde que cette stigmatisation, sous prétexte d'identité nationale, sous prétexte de valeurs à conserver etc., se répande ensuite dans la population sous des formes incontrôlables.Le vote de millions de Suisses abrutis contre les minarets n'est qu'un épisode de cette dérive, et vous en êtes responsable. Il est clair que les intellectuels et les «féministes» qui ont fait du foin sur le foulard il y a 20 ans sont responsables des phénomènes de minaret maintenant, et demain de bien pire encore. Vous voulez une éthique de la responsabilité ? Eh bien assumez-la !Les intellectuels sont ceux qui ont lancé cette affaire...

A. F. - Régis Debray, Elisabeth de Fontenay, Elisabeth Badinter, Catherine Kintzler et moi...

A. B. - La liste est incomplète, mais exacte. Eh bien c'est une lourde responsabilité. J'ai aussi des amies de longue date qui se réjouissaient que les Américains bombardent Kaboul parce que c'était pour la libération des femmes. Ces choses-là, n'est-ce pas, vous pouvez vous amuser à les lancer localement, comme des coquetteries identitaires, mais elles cheminent ensuite, elles s'emparent des populations, elles deviennent un point de vue grossier et sommaire selon lequel nous sommes très bien et ces gens-là très mauvais. Et on va les décrire dans ces termes de façon de plus en plus systématique. Et des lois vont être votées, année après année, d'orientation de plus en plus ségrégatives et discriminatoires. Dans toutes ces histoires civilisationnelles est mise en route une machine d'introduction de l'identitaire dans la politique que vous ne contrôlerez certainement pas. D'autres le feront.

A. F. - On voudrait nous faire croire aujourd'hui que les Français sont en proie à la haine de l'autre, au rejet de l'autre... Je rappelle quand même que l'école n'exclut personne, elle exclut le foulard, ce qui est tout à fait différent. Je rappelle que si peur il y a aujourd'hui ce n'est pas la peur de l'étranger, c'est la peur de la haine dont certains immigrés ou enfants d'immigrés sont porteurs et qui n'a pas de précédent dans les vagues d'immigration antérieures. A cette haine, il ne s'agit pas de répondre par la stigmatisation, mais de dire qu'il y a, en France, des règles, des valeurs et des traditions qui ne sont pas négociables. La beauté du monde, c'est aussi sa diversité. Les ultra libéraux veulent un monde fluide, dépourvu de significations particulières et de communautés politiques, et que la France ne soit rien d'autre qu'une salle des pas perdus, un rassemblement aléatoire d'individus affairés - mais nous, le voulons-nous ? Voulons-nous que la circulation soit le dernier mot de l'être, et son dernier soupir ? Voilà. C'est tout ce que j'essaie de dire.

N.O. - On connaît le précepte augustinien : «À Rome fais comme les Romains». Mais justement ces gens-là, les gens des «quartiers», ils ne vivent pas à Rome. Très concrètement ils vivent dans des zones de relégation complète, et leur accès à la citoyenneté française reste donc largement théorique...

A. F. - D'abord les choses ne sont jamais aussi simples. Les phénomènes de substitution démographique ne sont pas dus, malgré ce que certains voudraient nous faire croire, à la stigmatisation de l'étranger. Si à Bobigny vous avez besoin de prendre votre voiture pour trouver une boucherie qui ne soit pas hallal, vous déménagez. Voilà la situation. Deuxième réponse : pour vous, Alain Badiou, il n'y a de politique légitime qu'à travers l'affirmation d'égalité. Mais on doit ajouter autre chose, et là l'idée d'héritage commence à prendre forme, nous sommes les héritiers de la galanterie c'est-à-dire d'un certain régime de la coexistence des sexes fondé sur la mixité. Or le voile réduit les femmes à l'état d'objet sexuel. En arabe algérien, on dit qu'une femme dévoilée est nue. Lubrique ou cachée : telle est donc l'alternative. Elle est, pour notre civilisation en tout cas, obscène.

A. B. - Salle des pas perdus pour salle des pas perdus, il faut quand même bien voir que votre affaire laisse en liberté une féroce oligarchie de prédateurs qui est la maîtresse de cette salle des pas perdus. J'aimerais que dans votre discours on s'en prenne d'abord à elle, responsable concentrée et globale de tout ce qui se passe, plutôt qu'au paysan qui vient d'arriver parce qu'il lui est impossible de faire vivre sa famille chez lui, et que donc c'est à la fois une nécessité et un devoir, pour lui, d'aller là il peut trouver les moyens d'exister, comme l'ont fait avant lui les millions de paysans français qui ont quitté leur terre pour aller en ville. Un prolétaire, en somme, j'aime ce vieux mot. Il faut quand même une hiérarchie des importances !

Il est quand même plus important de s'en prendre au noyau du pouvoir actuel que de passer son temps à s'en prendre aux prolétaires, sous le prétexte réactionnaire typique que, venus d'ailleurs, ils ont encore en eux les attributs de cette altérité. Vu la manière dont on les traite, qu'ils ne soient pas pétris d'amour pour ce pays, c'est assez compréhensible. Moi-même je veux bien aimer la France mais dans ce qu'elle a d'aimable. Les formes actuelles du pouvoir en France, celles qui règlent son devenir de nation aujourd'hui, je les hais aussi.

Quand vous dites qu'ils nous haïssent ces gens-là... Ils haïssent qui, quoi ? Ils ne haïssent pas la France, c'est tout à fait faux, croyez-moi. J'ai fait de la politique avec eux, pendant des décennies. J'aurais plutôt tendance à croire qu'ils sont les derniers patriotes véritables : ils croient encore à la France démocratique et révolutionnaire, ils sont encore étonnés et meurtris qu'on les persécute. Au fond, ils sont patriotes parce que, Alain Finkielkraut, ils espèrent que l'actuel discours identitaire et hostile ne représente pas ce qu'est vraiment la France. Ils haïssent uniquement dans la France ce qu'ils perçoivent comme des protocoles de stigmatisation. C'est la France telle qu'elle apparaît dans votre discours fermé et identitaire qu'ils n'aiment pas. Il faut dire que cette France n'a pas bonne mine, ni aujourd'hui ni autrefois.

A. F. - Sur la question de la haine, il y a peut-être un vrai clivage entre nous. Dans une conférence de 1945, Camus parlant de l'amitié française disait : le nazisme nous a contraints à la haine, il importe maintenant de triompher de la haine, et de ne laisser jamais la critique rejoindre l'insulte. Il appelait cela : refaire notre mentalité politique. Sartre a pris la décision contraire. Il a voulu prolonger le climat exceptionnel de la résistance en faisant de la politique la continuation de la guerre absolue, et il a donc écrit : «Toute la valeur qu'un opprimé peut avoir à ses propres yeux, il la met dans la haine qu'il porte à d'autres hommes.» Camus est célébré aujourd'hui, mais c'est Sartre qui rafle la mise. La reductio ad hitlerum fonctionne à plein régime.

Quand vous comparez Sarkozy à Pétain, je vois là, Alain Badiou, un double bénéfice intellectuel et psychologique. Dans ce cadre, tout est simple. On n'a jamais affaire à des dilemmes ou à des problèmes, on ignore les conflits de devoirs, on pantoufle dans l'indignation car on ne rencontre que des scélérats. «Une oligarchie féroce» dites-vous, mais qui pratique quand même l'impôt progressif sur le revenu et qui oblige les plus riches à donner cinquante pour cent de ce qu'ils gagnent.

A. B. - Rappelez un peu l'histoire de cet impôt... et les batailles populaires insensées qui l'ont imposé ! Les gens qui se sont battus pour l'imposer se sont battus contre des ennemis. Vous ne pouvez pas absenter la catégorie d'ennemi. Vous ne le pouvez pas. Et vous ne pouvez pas vous tromper d'ennemi aussi : ce sont plutôt Sarkozy et ses complices que les jeunes des banlieues.

A. F. -Les jeunes de banlieue ne sont pas mes ennemis. Ils ne l'ont jamais été, Alain Badiou, je vous le jure. Quand je dis qu'il faut fixer les règles, je crois au contraire que je leur tends la main, et c'est, au contraire, les abandonner à leur marasme que de leur tendre un miroir flatteur et gratifiant.

A. B. - Ils sont bien avancés avec votre main tendue... Le destin positif et universel de ces jeunes, ce serait de s'organiser dans la visée de la destruction de l'ordre établi : ça, ce serait une issue sublimée et positive. Vous leur proposez juste de devenir des toutous aux ordres de la société.

A. F. - C'est votre poing levé qui les condamne. Et j'en viens au bénéfice psychologique de l'analogie perpétuelle avec les années noires. Si Sarkozy c'est Pétain, alors vous êtes un résistant. Je vous invite, vous et la gauche intellectuelle qui, sous votre égide, devient complètement mégalomane, à cesser de vous raconter des histoires. Sarkozy n'est pas un chef, c'est une cible. L'insulte au Président de la République est devenue l'exercice le plus courant, le plus grégaire, sur le net et dans les médias. Quand le pouvoir politique était fort, il y avait un conformisme de l'obséquiosité, aujourd'hui, ce pouvoir est faible et il y a un conformisme du sarcasme.

A. B. -Vous avez un axiome fondamental qui est de type consensuel. Vivre ensemble. Vous faites comme si on était dans des conditions où il ne devrait pas y avoir d'ennemi véritable, où on devrait nécessairement avoir des rapports de respect avec le sommet de la République. Vous décrivez une scène politique virtuelle qui n'a aucun rapport avec la scène réelle. Dans la vraie scène, il y a des ennemis, des accapareurs du pouvoir, des inégalités monstrueuses, toute une couche de la population qui se voit discriminée dans la loi elle-même. Il y a des règles contrairement à ce que vous dites, mais des règles unilatérales. Et dans cette situation-là, vous semblez considérer que ce qui doit requérir l'attention d'un philosophe c'est l'enthousiasme provincial, comme on le connaît dans le sport, d'une deuxième génération d'immigrés algériens pour la victoire de leur équipe d'origine. Vous ne parlez que de problèmes insignifiants et vous en parlez de manière d'autant plus dangereuse que vous investissez dans ces problèmes une sorte d'affect totalement excessif. Je souhaiterais que cet affect surnuméraire vous l'investissiez en direction des ennemis véritables.

A. F. - La mise en cause des programmes d'enseignement n'est pas un phénomène insignifiant. Je crois aussi que les agressions répétées dont les professeurs sont victimes, ce n'est pas un phénomène insignifiant. Pas plus que le mépris de ces professeurs parce qu'ils ne gagnent que 1.500 € par mois. Nous ne faisons donc pas la même évaluation des choses. Mais je ne plaide absolument pas pour le consensus, je milite contre la mégalomanie résistancielle, et pour un dissensus civilisé. La question que je me pose en vous écoutant et en vous lisant, Alain Badiou, c'est : y a-t-il une place pour un adversaire légitime ? Dans le moment de la lutte, l'adversaire n'est pas légitime, c'est un scélérat il doit être combattu et anéanti. Et une fois qu'il a été anéanti ? C'est l'idylle à perpétuité. La politique communiste est cruelle et son utopie est kitsch. A l'idéal grec de l'amitié, c'est-à-dire du dialogue sur le monde, elle substitue la fraternité, c'est-à-dire la transparence des cœurs, la fusion des consciences.

A. B. - Non, ça c'est une blague...

N. O. - Vous avez souvent dit, Alain Badiou, que ce pouvoir devait être abattu par la rue plutôt que par les urnes. Ces jeunes issus de l'immigration, vous semblez en faire la pointe avancée du mouvement émancipateur que vous prônez, de même que vous militez pour une réhabilitation de l'hypothèse communiste. Un autre point qui vous oppose radicalement à Alain Finkielkraut, qui lui redoute un oubli des leçons du XXème siècle, un reflux de l'antitotalitarisme...

A. B. - Je considère les dirigeants actuels comme Marx les considérait en 1848 : ce sont les «fondés de pouvoir du capital». C'est ce qu'ils sont redevenus de façon de plus en plus insistante depuis les années 80, aidés en cela par la contre-révolution idéologique à laquelle Alain Finkielkraut a activement participé avec d'autres. Et qui a consisté : 1/ à discréditer toutes les formes de l'hypothèse communiste. 2/ à relégitimer la démocratie parlementaire comme horizon indépassable de la politique.

Ma position, la voici. Je suis capable, comme tout le monde, de tirer le bilan désastreux des communismes étatiques du XXème siècle. Mieux que vous d'ailleurs, Alain Finkielkraut, car j'en connais les détails les plus terribles, et que la question du communisme est intimement ma question. Mais ce n'est aucunement une raison de tolérer le train des choses tel qu'il est. Il y a donc des ennemis, auxquels je ne confère pas de légitimité. Par conséquent il faut construire une force idéologique, politique, dont la nature est pour l'heure totalement indistincte. Cette force sera en tout cas nécessairement internationale. Comme Marx l'avait parfaitement vu d'ailleurs. La violence capitaliste et impérialiste a accouché de ceci, qu'il y a un seul monde. La provenance des individus est finalement beaucoup moins déterminante que le choix des valeurs qu'ils vont faire, le choix de leurs organisations, leurs visions. L'émancipation, son noyau fondamental, suppose l'égalité et donc la lutte contre l'emprise sociale totale de la propriété privée.

Moi aussi je propose à ces «jeunes» finalement une forme de règle : la règle de la discipline politique. La discipline politique des plus pauvres, des démunis, on en est aujourd'hui encore très loin hélas. La construction d'une nouvelle discipline c'est le problème de notre époque. Et ça ne passera pas par l'école, ni par aucune des institutions de l'Etat. L'école elle est foutue, comme du reste l'essentiel de l'héritage de la IIIè et de la IVè République. Tout doit se faire à grande échelle en dehors de ces débris, auxquels vous attache une mélancolie de plus en plus crispée.

A. F. - En effet moi j'ai essayé de tirer toutes les leçons de l'expérience totalitaire. Le philosophe polonais L. Kolakowski m'y a aidé. «Le trait essentiel du stalinisme consistait à imposer à la réalité humaine le schéma de l'unique alternative dans tous les domaines de la vie.» Il faut sortir de cela. Le monde de Badiou c'est deux camps, deux blocs, deux forces. Et puis «un», une fois la victoire obtenue. Jamais il n'y a place pour la pluralité dans cette vision prétendument progressiste du monde.

A.B. - Moi dont l'œuvre philosophique entière consiste à élaborer une ontologie du multiple, moi dont un des énoncés essentiels est «l'Un n'est pas», il faudrait tout de même que je sois vraiment inconséquent pour penser contre la pluralité ! C'est vous qui n'en voulez pas, de la pluralité, car elle vous épouvante...

A. F. - Je ne suis pas ce que votre schéma voudrait me faire être à savoir un défenseur de l'état des choses. Je vois ce monde se transformer en un non-monde et je le déplore, comme Lévi-Strauss, et cette tristesse ne fait pas de moi un contre-révolutionnaire.

A. B. - Je vois très bien que chez vous, la donnée subjective fondamentale est une forme de mélancolie. Elle me touche, parce que je peux d'une certaine manière la partager. Il est difficile de trouver plus profondément Français que moi. Une des premières phrases de mon livre, «Théorie du sujet», c'est «j'aime mon pays, la France». Nous pourrions communiquer sur une certaine image du vieux charme français, et nous associer mélancoliquement dans le regret de ce charme évanoui. Seulement chez vous, la mélancolie se fait agressive, elle rêve de ségrégations, d'interdits, d'uniformité. Et cette pente vous entraîne à considérer des phénomènes irréversibles et nouveaux comme périlleux ou nuisibles, alors qu'ils ne sont que la vie historique des choses.

Acceptons une fois pour toutes, je le redis, que l'arrivée massive de gens venus d'Afrique soit la continuation du processus enclenché au XIXè, quand les Auvergnats, les Savoyards sont venus à Paris, puis les Polonais dans les villes du nord et les Italiens à Marseille. Faute de cette vision large, l'image qu'on se fait de la France est étriquée et dangereuse. La seule vison qui puisse donner sens au mot «France», c'est ce qui fait l'universalisme français aux yeux du monde entier, à savoir la filiation avec la Révolution française, avec la politique populaire, ça oui par contre, au moins au niveau subjectif, cela peut être salvateur.

A. F. - Une enseignante a été l'objet d'une lettre de ses élèves de Terminale la mettant en demeure de partir ou de changer d'attitude parce qu'elle poussait l'autoritarisme jusqu'à interdire l'usage des portables en classe ! La communication tue la transmission. On est en train de priver les nouveaux venus sur la terre d'un droit fondamental : le droit à la continuité. J'observe cette mutation, j'interviens pour la combattre mais je n'ai pas le moindre espoir de gagner la bataille.

N. O. - Votre position, Alain Badiou, se caractérise par un universalisme radical, un refus argumenté de faire jouer à toute assignation communautaire un rôle déterminant en matière politique. C'est l'un des points qui vous éloignent le plus d'Alain Finkielkraut, qui au demeurant semble faire une distinction entre la vague d'immigration actuelle et celles qui lui sont antérieures... Pouvez-vous préciser ce différend qui vous oppose tous deux?

A. F. - Je crois en effet, à la différence d'Alain Badiou, qu'il y a une différence profonde entre les vagues d'immigration antérieures et l'actuelle. Je n'en reste pas moins sensible au risque de stigmatisation. Il faut être attentif à ne jamais généraliser. Un militant d'AC le feu, organisation créée après les émeutes de 2005 a dit : «Je ne suis pas un Français issu de l'immigration, je suis un Français faisant partie de la diversité française.» Cela m'a renvoyé à ma propre situation, puisque je suis à ma manière un Français issu de l'immigration. Mon père est arrivé en France à la fin des années 1920, ma mère en 1948, ce sont deux survivants, mes grands-parents on été déportés de Bordeaux, après avoir été dénoncés par un passeur. Mon père a été déporté aussi. Le contentieux avec la France dans ma famille était lourd. Bien sûr. Il y avait chez mes parents une certaine distance. Et en même temps jamais je ne pourrai reprendre à mon compte une phrase pareille. Car c'est une manière de dire : la France en moi, c'est moi. Non. La France c'est quelque chose qui m'est donné en partage. Elle s'est proposée à moi, et c'est sa grandeur, comme une patrie adoptive. La France c'est une langue dans laquelle j'ai grandi. Une culture que j'ai faite mienne. L'école ne m'a rien proposé d'autre et je ne lui demandais rien d'autre.

Aujourd'hui, le concept de diversité change complètement la donne. Tout se passe comme si la seule communauté qui n'avait pas sa place dans notre monde, c'était la communauté nationale : celle-ci devrait se dissoudre au profit des groupes, des minorités, des communautés qui aujourd'hui vivent en France. Si l'identité d'une nation c'est la diversité de ses composantes, alors il n'y a plus d'identité et la France n'est plus un sujet historique, mais un objet sociologique, et c'est une grave inconséquence, de la part du gouvernement, de jouer, comme il le fait, sur les deux tableaux. Je pense profondément que la France ne doit pas être une auberge espagnole où chacun apporte son manger. Le sentiment que j'éprouve c'est un patriotisme de compassion. La tendresse, comme disait Simone Weil, pour une chose belle, précieuse et périssable. Et j'aimerais que ce sentiment soit un peu plus partagé.

A. B. - Ma maxime sur cette affaire c'est : les prolétaires n'ont pas de patrie. Il n'y a de politique novatrice, apte à briser les figures inégalitaires, communautaires, qu'à échelle du monde entier. Déjà Marx pensait que le cadre national était obsolète. La réalité historique de l'apogée du nationalisme français, c'est la guerre de 14. Des millions de morts pour rien. La France n'est digne de faire présent d'elle-même aux nouveaux venus que pour autant précisément qu'elle a été la France qui a été capable de les accueillir dans la politique qui était la sienne. La France qui ne les accueille pas, qui vote loi sur loi pour les discriminer c'est tout simplement la France de la guerre de 14 ou la France de Pétain. C'est-à-dire la France qui se ferme, qui n'a pas d'autre protocole d'existence que sa clôture.

Et vous, vous dites «pas d'auberge espagnole». Mais il faut voir ce que ça veut dire concrètement pour les gens qui vont venir. Ça veut dire camps de rétention, persécutions policières, filtrage constant de gens qui ne sont nullement des islamistes, mais tout simplement des gens d'ici. Des gens dans le même itinéraire difficile, tortueux et réprimé que celui de leurs ancêtres venus de la campagne. Ces gens-là, vous avez beau dire et beau faire, vous êtes partisan de les désigner comme des suspects. Et cela, à mes propres yeux, c'est intolérable. Il faut penser, aujourd'hui plus que jamais, au-delà de l'Etat-nation. Alors la diversité ! Mais tout est divers, tout est composé depuis toujours de diversités absolument extravagantes. La France elle-même, sous Louis XIV n'était même pas unifiée linguistiquement. Donc c'est une pure foutaise que cette oppositions entre unité et diversité de la France.

La France est composée de diversités innombrables, alors pourquoi dirait-elle : «Ah non, là il faut arrêter ! Ce type de diversité, la musulmane par exemple, elle est pas bien, celle-là». Ce sont des méthodes qui sont en définitive policières et persécutoires. Ou bien le fétichisme national ou bien la communauté : encore une fois j'observe que vous vous enfermez dans une alternative étroite. Mais il y a une autre hypothèse. La véritable construction à venir, c'est une vision totalement internationaliste de la figure politique. Et pouvoir construire un internationalisme interne au pays est une chance, non un malheur.

N. O. - On n'a pourtant rien trouvé d'autre jusqu'à présent que le cadre national pour imposer la redistribution par l'impôt, la sécurité sociale et autres acquis sociaux que vous-même, Alain Badiou, défendez par ailleurs. N'en déplaise aux altermondialistes à la Toni Negri, qui en viennent même à réclamer un improbable «salaire minimum mondial», tout cela est rendu possible uniquement par l'adossement à un cadre national....

A. B. - Mais tout cela est provisoire ! Il est absolument indémontré et indémontrable, que ce cadre est indépassable.

N. O. - C'est que vous ne tenez pas compte la finitude, ou plutôt qu'en bon révolutionnariste vous décidez de ne jamais en tenir compte. Contrairement à Jean-Jacques Rousseau, un auteur qui vous est particulièrement cher, et qui considérait qu'une nation trop étendue se condamnait nécessairement à la disparition...

A. B. - Peut-être, c'est assez vrai. On pourrait effectivement dire que ma position est celle d'un rousseauisme de l'infini.

A. F. - Le mot de persécution pour qualifier l'actuelle politique d'immigration me paraît tout à fait exorbitant... Les politiciens européens sont tiraillés par des exigences contradictoires.

A. B. - Ah eh bien ça, c'est parce que vous ne connaissez pas les gens qui en sont victimes. Permettez-moi de vous le dire : vous en parlez de loin.

A. F. - On peut difficilement décrire notre continent comme une forteresse. L'hospitalité donc...

A. B. - On n'appelle pas hospitalité le fait de faire venir des gens parce qu'on en a besoin, je regrette ! Le fait de les faire venir pour trimer dans la restauration, creuser des trous sur les trottoirs pour des salaires de misère, c'est une conception de l'hospitalité très particulière.

A. F. - Et la nécessité de préserver les conquêtes de l'Etat social... si nous vivions sous un régime ultralibéral la circulation des individus serait beaucoup plus facile à assurer. Accueillir c'est donner quelque chose et pour donner quelque chose il faut avoir quelque chose à donner et en face être réceptif. Et je constate la disparition progressive de cette réceptivité.

A. B. - Vous parlez de ce que vous ne connaissez pas. L'écrasante majorité de ces gens-là sont venus trimer mais pas du fait de la grande hospitalité bénéfique de la France... Ils sont venus creuser nos trous et nettoyer notre merde. Et ça pour des salaires inférieurs au SMIC, cependant que notre fameux «Etat social» ne s'applique pas à eux, parce qu'on refuse de leur donner des papiers. Ils ne peuvent même pas se faire soigner dans les hôpitaux correctement. Et ce sont ces gens-là que vous rendez responsables de l'altération de l'identité française ?

A. F. - Un article du «Monde», journal soucieux s'il en est d'éviter les stigmatisations, citait récemment les propos du maire de Cavaillon, ville où règne une violence endémique. Les employés municipaux ont reçu des déchets venus d'une tour. On leur a crié : «Putains de Français, continuez à nettoyer notre merde !».

A. B. - Mais bien sûr ! Des histoires de ce genre, les bons blancs français bien intégrés en ont à la tonne sur les Africains ou les Algériens comme autrefois ils en avaient sur les Juifs ou les «levantins». Quelle vérité ? Quelle importance ? Les Suisses qui votent contre les minarets n'ont jamais vu un Arabe de leur vie. C'est une construction idéologique cette affaire-là. Vous êtes en train de construire idéologiquement les Musulmans comme ont été construits les Juifs dans les années 1930. C'est ça que vous êtes en train de faire, avec les mêmes épithètes : des gens qui ne sont pas vraiment de chez nous, qui nous haïssent secrètement ou publiquement, qui constituent une communauté fermée, qui refusent de s'intégrer dans l'Etat français, etc., etc. Et vous croyez que vous allez faire ça innocemment ? Eh bien, vous vous trompez. Il y aura des gens pour se servir de cette pseudo construction intellectuelle. Car la situation est grave. Mais elle n'est pas grave comme vous pensez.

Ce n'est pas l'identité française qui est menacée, elle en a vu d'autres l'identité française. Ce qui est menacé c'est le minimum de cohésion interne et populaire qui évitera que tout cela se termine un jour ou l'autre par la domination sans partage de forces sinistres. Je sais très bien, Alain Finkielkraut, que vous ne rallierez pas ces forces, mais vous serez en coresponsable. On ne peut pas introduire en politique des désignations identitaires de ce type sans que cela ait des conséquences gravissimes. Vous le savez parfaitement. Il n'y a pas de «problème immigré» en France, il n'y a pas de «problème musulman», pas plus qu'il n'y avait de «problème juif» dans les années 1930. Pourquoi utilisez-vous votre intelligence et votre talent à participer à la construction absolument fantasmatique de ce genre de «problème» à partir d'incidents qu'on peut toujours découvrir, si on ne les invente pas ? Les antisémites aussi trouvaient des «incidents», il y avait toujours un Juif qui avait dit ou fait ci ou çà.

On ne peut pas jouer avec ce genre de chose. Le capitalisme est un système précaire, on va être dans des contextes de crise, de guerre, et la tentation du bouc émissaire va ressurgir avec force. Et quel sera le bouc émissaire dans l'Europe d'aujourd'hui ? Quel sera-t-il ? Sinon ceux qu'on appelle les musulmans, les gens du Maghreb, les Africains ? Ce sera eux. C'est inévitable, c'est gros comme une maison. Et vous serez coresponsable de cela. Je le regrette vivement pour vous, parce que cet avenir n'est pas très loin. Quand on commence à «vérifier» l'identité française, tout devient possible.

N. O. - Alain Badiou porte à votre égard une accusation pour le moins grave... Qu'avez-vous envie de lui répondre ?

A. F. - L'accusation formulée à mon endroit est scandaleuse, mais je vais essayer de ne pas m'énerver. Je vais simplement dire que nous ne tenons pas pour réelles les mêmes choses, Alain Badiou et moi. Nous ne nous faisons pas la même idée du réel. Je me suis très récemment affronté avec l'extrême-droite et j'étais assez seul car toute une partie de la gauche a rejoint sur ce point Marine Le Pen. C'est l'affaire Polanski, bien sûr. On a vu le fascisme procéder comme à l'habitude, en désignant une cible à la vindicte populaire, en créant une victime sacrificielle, accusée de viol de petite fille. Et la gauche n'y trouvait rien à redire. Pourquoi ? Parce que cet homme faisait partie à ses yeux de la caste dominante. Et que donc il devait payer. «Ceux qui s'en prennent aux tournantes dans les banlieues ne devraient pas plaider l'indulgence pour la jet set», a-t-il été dit, et peu importe les faits. Peu importe que l'acharnement de la justice américaine contre ce petit «polak» n'ait rien à voir avec son délit et tout avec sa notoriété.

La comparaison que vous faites entre les Juifs et les Musulmans pourrait aussi me faire sortir de mes gonds. Je vous répondrai simplement ceci : il y a, à mon avis, un même aveuglement devant la montée d'une certaine francophobie et devant la montée d'une nouvelle judéophobie. Pour les mêmes raisons : ceux qui ont l'étiquette de dominés sont nécessairement innocents. Quand on s'en prend aux Juifs et qu'on n'est pas un franchouillard, c'est qu'on est victime de la misère sociale ou solidaire des Palestiniens. Nous sommes mis en demeure de ne pas appeler cet antisémitisme par son nom.

A. B. - Ca n'a jamais été mon cas. Dès les premières pages de «Circonstances III», j'ai dit qu'il existait un antisémitisme arabe, qu'il fallait y prêter la plus grande attention, et qu'en aucun cas je ne pactiserai ni de près ni de loin avec ça. Donc je me sens tout à fait extérieur à ce procès. Ce que je dis est d'une autre nature. L'extrême droite européenne s'est construite depuis maintenant des décennies sur l'hostilité par rapport aux Musulmans, à ce qu'elle nomme l'islamisme. Vous contribuez à alimenter cette hostilité en disant que ces «Musulmans», ces Africains, ne sont pas, du point de vue de la "civilisation", exactement comme nous. Ils ne sont pas intégrables. Ils nous haïssent. Le fait que les Juifs faisaient partie de «l'anti-France» était un argument fondamental de l'extrême droite dans les années 1930. Je ne vois pas pour le moment de différence de principe entre les mécanismes intellectuels au nom desquels vous êtes en train de vous inquiéter de cette présence de masses populaires pauvres islamisées dans notre pays et la manière dont a été construite de toute pièce la stigmatisation des Juifs, lesquels constituaient aussi, massivement dans les pays de l'Est, mais ici même dans les ateliers de confection, des gens pauvres exposés à la stigmatisation.

A. F. - Le racisme anti-arabe me paraît évidemment inqualifiable, comme toutes les autres formes de racisme. Mais l'antiracisme d'aujourd'hui est comme le communisme d'autrefois : un système d'explication du monde, inoxydable et indéfiniment reconductible. Quand Diam's chante :
« Ma France à moi,
elle parle fort,
Elle vit à bout de rêve.
Elle vit en groupe, parle de bled.
Elle déteste les règles.
Elle sèche les cours, le plus souvent pour ne rien foutre.
Le BEP ne permettant pas d'être patron, alors elle se démène et vend de la merde à des bourges »

l'idéologie antiraciste voit dans cet hymne à l'incivilité et à la bêtise une réponse à la xénophobie ambiante. Or la France profonde et prétendument raciste porte aux nues Rama Yade, Yannick Noah et Zidane ! Nous ne vivons pas dans une période raciste de l'histoire de France, ce n'est pas vrai.

A. B. - Mais quand le gouvernement est une saloperie, vous devenez francophobe à la fin des fins... C'est bien normal ! Les Communards se reconnaissaient dans le drapeau rouge, pas dans le drapeau tricolore, qui était celui des Versaillais, des gens qui ont laissé 20.000 morts ouvriers sur le carreau. Vous ne voulez pas employer le vocabulaire de la guerre mais ces gens-là nous font la guerre. Ce sont eux les ennemis, et pas les ouvriers, qui sont les principales victimes de ces gens-là. Sarkozy c'est tout de même pire qu'un ouvrier malien balayeur ! Si quelqu'un est en rupture avec tout ce que ce pays peut avoir d'estimable, c'est le premier, et pas le second. Quelle pensée pauvre, faite pour les journaux réactionnaires à sensation, que de faire croire que l'islamisme est notre adversaire capital. Encore une fois vous vous laissez prendre dans la fausse contradiction : capitalisme mondialisé ou islamisme. Ce n'est pas du tout le monde réel, ça. Pour moi l'islamisme, ce sont des groupuscules fascistes, je ne vois aucun inconvénient à dire ça. Je n'ai aucune espèce de complaisance pour ces gens-là et je les tiens pour absolument nuisibles.

A. F. - Il faut écouter Lévi-Strauss : «En dépit de son urgente nécessité pratique et des fins morales élevées qu'elle s'assigne, la lutte contre toutes les formes de discrimination participe de ce mouvement vers une civilisation mondiale destructrice de ces vieux particularismes auxquels revient l'honneur d'avoir créé les valeurs esthétiques et spirituelles qui donnent son prix à la vie.» Je pense qu'il y a une dimension d'universalité dans la civilisation française, mais il y a aussi un particularisme qui mérite d'être préservé. Et en effet, je rejoins Alain Badiou sur ce point, l'islamisme est loin d'être la seule force dissolvante.

A. B. - Ma théorie générale des vérités c'est justement ce point-là : que toute vérité se construit dans la particularité.

N. O. - Alain Badiou, vous avez affirmé avoir publié «Circonstances III» car vous étiez, je cite, «consterné de voir le mot " juif " mêlé par des intellectuels au soutien qu'une large partie de l'opinion accorde désormais à des politiques fondées sur un nationalisme étriqué , voire un racialisme...». Alain Finkielkraut, niez-vous qu'il y ait bel et bien pu y avoir une instrumentalisation de ce type au profit de politiques réactionnaires ?

A. B. - Je faisais allusion à l'enchaînement qui a conduit à dire qu'anticapitalisme et antiaméricanisme participaient nécessairement de l'antisémitisme...

A. F. - Il ne me semble pas que la politique française actuelle soit racialiste. C'est ce que je disais tout à l'heure au sujet de René Char et Camus. Le modèle de la résistance ne vaut pas pour la situation que nous vivons. D'ailleurs le Président tire toutes ses références de la Résistance...

N. O. - Et au même moment il a pour proche conseiller politique l'ancien rédacteur en chef de «Minute», intellectuel d'extrême-droite notoire, auquel il affirme lui-même devoir une large partie de sa victoire présidentielle en 2007...

A. F. - Je fais partie de ceux qui ont été heurtés par la lecture de «Circonstances III» et en même temps je ne veux pas faire de procès en antisémitisme à Alain Badiou, car je sais ce que c'est qu'être victime de l'accusation de racisme. Parlant de l'horreur nazie, vous écrivez : «On devrait plutôt tirer de ces massacres illimités la conclusion que toute introduction emphatique de prédicats communautaires dans le champ idéologique politique ou étatique qu'elle soit de criminalisation ou de sanctification expose au pire.» Et voilà ce que j'aimerais répondre. J'ai pensé à une phrase de Wladimir Rabbi écrite en 1945 : «Nous avons été réintégrés dans notre condition d'hommes libres mais nous ne pouvons pas oublier que nous avons été la balayure du monde : contre nous, chacun avait licence.» Eh bien la majorité des survivants en ont tiré la conclusion suivante : «Plus jamais ça, plus jamais nous ne serons la balayure du monde ; nous allons quelque part sur la terre retrouver toutes nos prérogatives de peuple.» Ce quelque part, c'est Israël.

Vous entendez le ça du «Plus jamais ça» d'une tout autre oreille, Alain Badiou. Pour vous, c'est la division du même et de l'autre qui expose au pire. C'est l'affirmation de l'identité qui conduit à l'exclusion et à son paroxysme exterminateur. Vous plaidez donc pour une humanité que ne romprait aucune séparation intérieure, et vous ne reconnaissez de légitimité qu'aux Etats cosmopolites «parfaitement indistincts dans leur configuration identitaire». La conclusion implicite, c'est que les sionistes sont les mauvais élèves d'Auschwitz, voire les perpétuateurs de la politique hitlérienne. Cette insinuation est très douloureuse, et d'autant plus injuste que ceux qui en Israël militent pour l'émancipation des Palestiniens sont des patriotes sionistes attachés au maintien du caractère juif et démocratique de leur Etat.

A. B. - Ma position ne remet aucunement en question l'existence de l'Etat d'Israël - bien au contraire. Deux éléments ont conduit à cette situation de Guerre de Cent Ans à laquelle on assiste. L'«exportation» de cette question par les Européens après la guerre, façon commode de s'en laver les mains, combinée à la tension que devait fatalement produire l'introduction du prédicat identitaire juif dans la constitution même de cet Etat. Comment s'en sortir désormais ? Eh bien, je me demande simplement si le maintien de cette assignation identitaire n'est pas plus périlleux aujourd'hui pour les Juifs que la création de cette Palestine binationale pour laquelle je milite depuis longtemps, et qu'Hannah Arendt appelait déjà de ses vœux.

Aude Lancelin
17.12.09
Source: Le Nouvel Obs