jeudi 30 juin 2011

La constitution du Maroc et le Cèdre de l'Atlas

De robustes fougères s’agrippent et enserrent des roches fendues, suintantes et revêtues de mousse aux couleurs de feu. Cistes et lauriers abondent et n’exhalent que peu à cette heure où le chemin escarpé s’escalade à la première aube. Thym, asphodèles et flouve odorante accompagnent le buis puis s’épuisent à l’entrée de la futaie. Immenses, majestueux et solitaires. À leurs pieds, leurs épines. À la population des cèdres du Moyen Atlas, entre Azrou, Ain Leuh et les sources de l’Oum Al Rabii, seul convient un hommage silencieux.

Une colonie de singes magots peut venir quémander ou chaparder avec insolence puis détaler non sans lancer quelques cris railleurs. Ici la forêt est moins dense, ses augustes personnages peuvent avoir un port de 50 mètres et se contemplent en léger retrait. Puis une trouée et une vaste clairière. Des rondins de bois solidement assemblés de main d’homme constituent une plateforme. Lieu d’où les invités de la chasse royale à l’abri et parvenus jusques là dans des jeeps de l’armée tiraient le sanglier rabattu en amont et piégé par un découvert sans issue.

 Ici était reçu Shimon Pérès, actuel Président de l’entité sioniste par le roi Hassan II. Ici se sont préparées les étapes qui ont conduit à la signature de paix de Camp David entre Anouar Sadate et Menahim Begin.
Hassan II aura été l’initiateur de l’idée auprès des États arabes d’une paix juste et globale au Moyen Orient incluant l’OLP présidée par Arafat et l’occupant sioniste et son infatigable militant. Son philosémitisme très appuyé, il le devait à une croyance profonde. Une protection estampillée par Israël lui épargnerait une nouvelle tentative de renversement. Les essais avortés de 1971 puis de 1972 avaient eu la validation de la CIA incarnée (déjà) dans le personnel de l’ambassade US à Rabat.

La chasse royale est désertée depuis des décennies. Les boulevards gravillonnés taillés dans la cédraie qui conduisaient les hôtes de marque depuis la route goudronnée au site même d’un exercice sans risque de rater la cible restent les cicatrices toujours déshabitées de cette époque.

Époque révolue ?
En mars 2009, la rupture diplomatique décidée par le Maroc avec l’Iran a été une mesure disproportionnée avec les motifs allégués. Le prétendu prosélytisme chiite auprès de la communauté marocaine à l’étranger et sur le sol national est une fiction élaborée dans une piètre officine. Les sectes évangélistes étasuniennes très actives depuis une bonne décennie abondent et prospèrent dans les médinas, habitent chez l’habitant, ne semblent pas gêner pas les autorités religieuses du pays. Il est vrai qu’elles ne séduisent pas les Marocains. Même démunis, ils tiennent à leur foi. L’usage qu’ils ont des prénoms Hassan ou Nasrallah pour leurs enfants vient en gratitude pour la victoire de 2006 du Hezbollah sur la désormais non invincible armée d’occupation.

En mars 2009, Tzipi Livni a dû annuler un séjour au Royaume-Uni pour échapper à un mandat d’arrêt émis à son encontre par un juge britannique. Elle faisait partie du gouvernement qui avait commis la nouvelle expédition punitive meurtrière sur le million et demi d’assiégés de Gaza décembre 2008-janvier 2009. En novembre de la même année, elle est reçue en grandes pompes par le fils du ministre des Affaires Étrangères du Maroc, président d’un Institut de coopération Amadeus créé dans le sillage du projet mort-né de l’Union pour la Méditerranée et soutenu financièrement par celle-ci même.

Le Maroc ne s’offusque guère quand des militants sionistes nantis travaillent ouvertement depuis son territoire pour leur cause et ne trouve rien à objecter qu’un homme d’affaire veuille faire admettre à la justice marocaine l’équation de l’Anti-Defamation League qui fait passer la lutte contre le sionisme (voler un territoire et en chasser les occupants) pour un racisme. (1)
Il tolère, plein de clémence.

La mention dans le discours royal du 17 juin 2011 (2) annonçant le référendum pour la Nouvelle Constitution d’une langue hébraïque comme composante historique de la culture marocaine a pu dans un premier temps évoquer une bévue, de la hauteur de celle du Président de la République de France qui a porté à la connaissance de son auditoire l’existence d’une langue et d’une culture koufiques. La religion juive fait partie du patrimoine de toute la zone méditerranéenne, elle est l’un des sédiments multiples de la terre marocaine. Mais les juifs marocains ont parlé amazigh puis arabe mais jamais l’hébreu. Qu’il n’y ait nulle trace relevable de cette langue parmi les anciennes tribus juives du Tafilalet aux traditions étroitement conservées affermit la thèse reprise par l’auteur de L’invention du peuple juif, Shlomo Sand. Il n’y a pas eu d’exode significatif depuis la Palestine à aucun moment de l’histoire. L’expansion de la religion juive, limitée puis contrariée par celle du christianisme, est liée à des conversions obtenues par des éléments qui pratiquaient un prosélytisme fervent.

Comment passer outre cette erreur nourrie de l’inculture diffusée par le discours ambiant puisqu’elle converge vers le projet politique sioniste qui revendiquera bientôt non seulement l’aire entre le Nil et l’Euphrate mais bientôt jusqu’à l’Atlantique?

L’erreur devient une faute grave, elle est réitérée dans le Préambule du projet de Constitution du Maroc et on l’y retrouve dès le troisième paragraphe: «Son unité, forgée par la convergence de ses composantes arabo-islamique, amazighe et saharo-hassanie, s’est nourrie et enrichie de ses affluents africain, andalou, hébraïque et méditerranéen.» (3)

La Constitution soumise au peuple marocain comporte une autre complaisance grave aux inventions discursives occidentales. Dans son article Premier, il est énoncé que la nation s’appuie sur la religion musulmane modérée pour réaliser son unité.  Le dogme de cette religion est simple, il est admis ou non, et il n’y a pas d’intensité pour lui marquer son adhésion. Il existe des interprétations des textes sacrés certes, ayant donné lieu à des écoles d’exégèse multiples tout au long des 1400 ans de son existence, mais pas d’échelle établie de zéro à cent ou dix pour les qualifier.

Dans l’attente d’une définition de l’Islam modéré exigible auprès des rédacteurs de ce texte, fournie sans doute dans le kit des penseurs à poitrail dénudé et chevelure artistiquement décoiffée (4), il est à souhaiter que le peuple ne lui réserve ni acquiescement ni même refus. Ses approximations, incorrections, inexactitudes pointées dès ses premières lignes corroborent l’idée qu’il a été conçu selon des compétences très modestes d’abord en français (5), langue semi-officielle, avant d’être traduit pour la consommation locale.

Laquelle Constitution, adoptée ou non, ne réglera en rien les problèmes du devenir économique et des immenses disparités sociales qui fragmentent le pays. Le problème se pose d’abord dans les termes d’une sous-économie de services ancillaires et de braderie touristique dominée et précaire dans le contexte de la globalisation. Les constructeurs d’un Maroc vrai et non halluciné doivent se mobiliser contre la mutation financière d’une économie largement mondialisée depuis le 19è siècle. Il n’est aucune vertu thérapeutique magique à l’incantation des mots droits politiques inscrits et démocratie. Comme ses augustes cèdres, d’un bois imputrescible, le Maroc fera glisser entre ses ramures ce vent mauvais.

Nul besoin d’aller plus avant, Préambule et Article I se ressentent des effets Foxman et BHL. Le fondement est falsifié, les deux perles de l’islam modéré et de l’hébraïté marocaine suffisent à disqualifier ce montage grossier de copié-collé.

Les tribus magots se raréfient en lisière, se marginalisent. Leur vivacité et vélocité sont la partition touffue et blonde qui anime d’un trait espiègle et vif le peuple solennel des cèdres. Ils signifieraient tout justement à l’inopportun Shimon Pérès que la langue hébraïque n’a jamais élu domicile (6) dans le pays barré de ce géant Atlas. Il n’est pas le bienvenu. Lui qui reconnaît un terme (7) à l’aventure criminellement utopique de l’effacement d’un peuple et d’une réalité au profit d’un viol et d’un piètre rafistolage de l’histoire.
Israël ne se sauvera pas lui-même de lui-même.
Un procureur de la République de France n’a pas requis de peine (8) contre un mouvement qui revendique le boycott du régime de Tel Aviv.
Les citoyens du monde mettent au ban une aberration co-substancielle à la déstabilisation de toute la zone et bien au-delà où elle a voulu s’implanter.

Badia Benjelloun 
26.06.11
Notes: 
1) "A la demande d'un homme d'affaires israélien résidant à Essaouira, la justice marocaine sommée d'assimiler l'antisionisme à l'antisémitisme", Ibn Kafka, 15 août 2010. 
2) "Le roi Mohammed VI annonce un référendum populaire pour le 1er juillet sur le projet de nouvelle constitution", Atlas Info, 18 juin 2011. 
3) Constitution marocaine, Bladi.net 
4) BHL dispose d’une résidence à Marrakech. À Tanger également.  
5) "La constitution a été écrite en arabe puis traduite en français", Bladi.net, 20 juin 2011 
6) L'Université Al-Karaouine, fondée à Fes en 859, la plus ancienne du monde toujours en activité.
http://www.kcgrupp.ee/maroko/?content=135>ici 
7) "Israël menacé dans son existence, mais par lui-même", De Defensa.org, 20 juin 2011 
8) "Au procès d'Olivia Zémor : la procureure refuse de requérir la condamnation", Capjpo-Europalestine, 20 juin 2011
Source: ism-france 

mercredi 29 juin 2011

Maroc: pour ou contre la nouvelle Constitution?



Depuis le début des révoltes, révolutions et mouvements sociaux qui ont cours dans les pays arabes, les Marocains vont être les premiers à se prononcer sur une nouvelle Constitution.

En effet, la commission ad hoc, composée de manière discrétionnaire par le roi Mohammed VI à l’issue de son discours du 9 mars dernier, a rendu son projet de révision de la Constitution (lire le texte intégral ici [1]) qui a été validé par le Palais. Le monarque a par ailleurs annoncé, dans son discours du 17 juin, que ce projet sera soumis à référendum le 1er juillet, soit tout juste deux semaines après avoir été rendu public. Il a appelé les Marocains à voter favorablement au texte proposé et a invité les partis politiques à s’engager pour appeler à voter pour ce projet. Mais en fait qu’en est-il sur le fond?

La plupart des responsables politiques marocains, répétant ce que le roi a autoproclamé d’«historique», qualifient ce projet d’«historique», présentant des avancées très importantes. Au-delà de ces commentaires, attardons-nous sérieusement sur le contenu du texte.

Le contexte de la nouvelle Constitution soumise à référendum
Tout d’abord, rappelons que ce projet de Constitution n’est pas une initiative spontanée du roi, mais une concession de ce dernier face à la pression de la rue et des premières manifestations du 20 février. En effet, il suffit de constater que Mohamed VI est roi depuis juillet 1999 et qu’il n’a jamais initié, avant le 9 mars 2011, la moindre révision constitutionnelle. Il a donc cédé à la pression et il ne faudrait pas que la monarchie récupère ou s’attribue cette «avancée», alors qu’elle l’a essentiellement subie. Par ailleurs, rappelons que la voie retenue par le roi pour réviser la Constitution n’est pas un modèle de processus démocratique: Mohammed VI a en effet écarté la voie de l’élection d’une Assemblée constituante au suffrage universel pour lui préférer un mécanisme lui permettant de contrôler étroitement le processus de révision de la Constitution. Il a préféré créer une commission ad hoc restreinte, dont il a choisi de façon discrétionnaire tous les membres, et dont il a fixé la feuille de route. Plus lente mais plus légitime, l’élection d’une Assemblée constituante aurait été préférable.

Des avancées réelles en matière d’énonciation des droits de l’homme
Le texte consacre plus de vingt articles à la question. Les principales avancées portent sur l’interdiction tacite de la peine de mort puisque le texte consacre le «droit à la vie» comme étant «le premier droit de tout être humain» et que «la loi protège ce droit», la prohibition formelle de la torture et des traitements dégradants et portant atteinte à la dignité, les droits fondamentaux en matière d’arrestation et de détention, avec le droit de connaître les motifs de l’arrestation et de la détention, le droit de recours de chacun, dans le cadre d’un procès, devant la Cour constitutionnelle pour faire annuler une loi qui «porte atteinte aux droits et libertés garantis par le Constitution», les droits de la défense dans le cadre d’un «procès équitable» qui doit se dérouler dans un «délai raisonnable».

Le texte organise également des institutions et des mécanismes pour promouvoir et veiller au respect des droits de l’Homme en instituant un Conseil national des droits de l’Homme et un Médiateur. Si l’énonciation et l’affirmation de ces droits est certainement une avancée importante, il faut cependant rester vigilant quant aux lois qui devront assurer leur mise en œuvre. En effet, la tentation sera certainement grande, chez certains, de faire en sorte que les lois de mise en œuvre de ces droits prévoient des mécanismes ou des conditions d’exercice de ces droits tels qu’ils ne seront pas effectifs!

Il sera en effet difficile de faire cesser les réflexes autoritaires et arbitraires de la police et du makhzen, de faire cesser les passe-droits dont ils font régulièrement usage, et de leur faire renoncer à la torture, aux arrestations et détentions arbitraires, aux écoutes illégales, etc. Comment ceux qui ont été les commanditaires et les auteurs de violences, d’arbitraires, de délits d’initié, d’actes de corruption - qu’ils soient en haut de la pyramide ou en bas de celle-ci - vont, du jour au lendemain, devenir des personnes respectueuses des droits de l’Homme? La simple énonciation des droits de l’Homme dans la Constitution ne permettra pas de garantir des comportements vertueux.

Le projet de nouvelle Constitution apporte par ailleurs trois autres avancées positives:
1. la reconnaissance du berbère comme langue officielle, bien que cela n’ira pas sans difficulté de mise en œuvre (obligation de traduire toutes les lois dans cette langue avec le risque de différences d’interprétation d’un même texte, jugements rendus également dans cette langue, ensemble des actes administratifs en deux langues etc. );
2. l’affirmation de l’égalité homme-femme, bien que le discours du roi du 17 juin laisse planer une ambigüité en affirmant que cette égalité se fait «dans le respect des dispositions de la Constitution, ainsi que des lois inspirées de la religion musulmane» (l’égalité homme-femme butera-t-elle sur la règle religieuse prévoyant qu’en matière de succession, une femme hérite de la moitié de ce qu’hérite un homme?);
3. et enfin, l’ouverture à des mécanismes de démocratie participative (droit des citoyens de faire des propositions de loi pouvant être reprises par les partis politiques ou les groupes parlementaires et droit de pétition).

Un texte qui ne propose pas un régime politique démocratique
Le progrès certain qu’offre ce projet en matière d’énonciation des droits de l’Homme ne doit pas cacher les insuffisances majeures en matière d’institutions et de fonctionnement politiques démocratiques.

Un roi qui continue de gouverner et de disposer de pouvoirs exécutifs exorbitants 
Au terme du projet proposé, le roi règne, mais gouverne aussi, tout en bénéficiant d’une immunité totale puisque sa personne «est inviolable, et respect Lui est dû». Ainsi, manifestement, le roi a droit à un respect supérieur à celui auquel ont droit les autres Marocains. Certes, auparavant sa personne était en plus «sacrée», faisant de lui un monarque de droit divin!

Le pouvoir du roi s’étend sur le gouvernement: s’il ne dispose plus de la liberté totale de choisir son chef, puisqu’il doit le choisir au sein du parti politique arrivé en tête aux élections législatives, il nomme les ministres qui lui sont proposés par le chef du gouvernement. Ce qui obligera ce dernier à négocier avec le roi le choix des ministres. Cela sera particulièrement vrai des ministres de la défense, du culte, de l’intérieur, de la justice, des affaires étrangères et de l’économie.

Cet ascendant du roi sur le gouvernement est d’autant plus réel qu’il peut de façon discrétionnaire révoquer chacun des ministres sans l’accord du chef du gouvernement. Dès lors, une fois nommés, les ministres verront dans le roi leur chef véritable puisque leur maintien en fonction dépendra de ce dernier, étant précisé que le chef du gouvernement ne pourra révoquer ses ministres sans l’accord du roi.

Par ailleurs, le roi dispose du pouvoir exclusif en matière religieuse et en matière militaire puisque non seulement il «est chef suprême des forces armées royales» mais en plus il «nomme (seul) aux emplois militaires». Le pouvoir de nomination du roi s’étend aux autres domaines: sur proposition du chef du gouvernement, il nomme les walis et gouverneurs (préfets), les directeurs d’administrations chargées de la sécurité intérieure (c’est-à-dire la police, les renseignements généraux, la gendarmerie etc.), les ambassadeurs (étant précisé que c’est lui qui signe les traités internationaux et qui accrédite les ambassadeurs), le directeur de la banque centrale, mais aussi les «responsables des établissements et entreprises stratégiques» (ce qui vise, concrètement, la Caisse des dépôts marocaine puisqu’il s’agit d’un établissement stratégique.

C’est aussi lui qui nomme les dirigeants des grandes entreprises marocaines telle que l’OCP, la RAM, ou encore les directeurs des établissements de mise en œuvre de la politique du tourisme puisque ce secteur est, au Maroc, stratégique etc. De plus, en présidant le conseil des ministres, le roi aura son mot à dire notamment sur la loi de finance annuelle puisque, avant d’être soumise au Parlement, elle devra être délibérée d’abord en conseil des ministres. Par ailleurs, en matière de justice, la nomination des magistrats ne peut se faire sans son approbation: il préside le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire et dispose, de manière discrétionnaire, du droit de grâce.

En substance, sont de son ressort exclusif ou quasi-exclusif, l’armée, la police, le champ religieux et les affaires étrangères. Il a par ailleurs la haute main sur la magistrature, ainsi qu’un droit de regard certain sur le champ économique! En revanche, le projet proposé est muet sur la limitation de l’intervention du roi et de la famille royale dans l’économie. Prévoir un encadrement de cet interventionnisme serait de bon aloi.

Au-delà du gouvernement et de l’administration, le roi va pouvoir également exercer son ascendant sur le Parlement par deux leviers: il dispose de la faculté discrétionnaire de dissoudre le Parlement et il peut, avant sa promulgation, demander la relecture d’une loi votée. Rappelons que les parlementaires ne peuvent émettre une opinion qui «met en cause la forme monarchique de l’Etat, la religion musulmane ou qui constitue une atteinte au respect dû au roi».

Un exécutif et un gouvernement encore trop faibles
Face à un roi qui demeure puissant, le chef du gouvernement apparait faible et dépendant. Il est dépendant de la confiance que doit lui donner le Parlement, mais surtout il doit son maintien au roi, puisque ce dernier peut le révoquer ou révoquer un ou plusieurs ministres individuellement. Le pouvoir de nomination du gouvernement est restreint puisqu’il dépend, dans de nombreux domaines, du roi! Par ailleurs, son pouvoir de créer une norme juridique a été restreint car, le champ des questions qui relèvent de la loi a été étendu.

Le conseil de gouvernement, présidé par le chef du gouvernement, est une nouvelle instance qui a une double fonction: d’une part, préparer les questions qui relèvent du conseil des ministres présidé par le roi, et, d’autre part, traiter les questions qui relèvent du gouvernement, c’est-à-dire les nominations dont le roi ne veut pas connaître, les décrets d’application des lois, et les projets de lois à soumettre au Parlement (sous réserve que certains doivent d’abord être validés par le conseil des ministres), décliner en politiques sectorielles la politique générale et stratégique définie en conseil des ministres, puis enfin, prendre position sur des questions d’actualité notamment en matière de droit de l’Homme. Enfin, si le projet de Constitution lui donne le pouvoir de «superviser l’action des entreprises et des établissements publics» ,il aura du mal à exercer ce pouvoir sur les administrations, établissements et entreprises publics dont les directeurs seront nommés par le roi!

Un Parlement dominé
Si le domaine de la loi est étendu, ce qui renforce a priori le rôle du Parlement, d’autres dispositions du projet viennent en partie annuler cette extension. Bien que, concrètement, la menace soit rare, il peut être dissout par le roi. Par ailleurs, la souveraineté du peuple qu’il représente pourra constamment être discutée par le roi qui pourra demander la relecture (comprendre la révision) de toute loi votée par lui. De même, il n’est pas maître de son ordre du jour qui lui est imposé par le gouvernement. Certes, il dispose de la faculté de censurer le gouvernement par la voie d’une motion de censure. Enfin, on peut regretter que le texte ne prévoie aucun contrôle du Parlement sur les nominations du roi ou du gouvernement.

Une justice pas vraiment indépendante
Les dispositions relatives à la justice ne permettent pas de dire que celle-ci est véritablement indépendante. S’il est affirmé que «le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif», qu’«est proscrite toute intervention dans les affaires de la justice» et que, «dans sa fonction judiciaire, le juge ne saurait recevoir d’injonction ou d’instruction, ni être soumis à une quelconque pression», d’autres dispositions relativisent ces déclarations. En effet, il est indiqué que «les magistrats du parquet (..) doivent se conformer aux instructions écrites émanant de l’autorité hiérarchique», c’est-à-dire du gouvernement et du roi, puisque ce dernier approuve les nominations des magistrats et préside le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, lequel nomme les magistrats, gère «leur avancement, leur mise à la retraite et leur discipline», étant précisé qu’au moins la moitié des membres de ce Conseil devront leur place au roi. Ainsi, un procureur sera tenu d’ouvrir une information ou de la clore s’il en reçoit l’instruction du gouvernement ou du roi.

Une liberté de pensée, d’expression et de la presse incertaine
Certes, le projet affirme que l’opposition parlementaire dispose de «la liberté d’opinion, d’expression et de réunion», que «sont garanties les libertés de pensée, d’opinion et d’expression sous toutes ses formes», que «la liberté de la presse ne peut être limitée par aucune forme de censure préalable» et que «tous ont le droit d’exprimer et de diffuser librement et dans les seules limites expressément prévues par la loi, les informations, les idées et les opinions». Il n’en demeure pas moins que la loi peut limiter le droit à l’information, qu’il n’est pas possible d’émettre une opinion qui «remet en cause la forme monarchique de l’Etat, la religion musulmane ou qui constitue une atteinte au respect dû au roi» et qu’il conviendra de réformer le Code de la presse qui prévoit des peines de prison lourdes concernant des délits de presse mineur.

En outre, le texte ne garantit pas la protection des sources des journalistes. Ainsi, cette liberté d’expression et de la presse reste à confirmer. Peut-on, par exemple, dire dorénavant, sans craindre la répression, qu’il n’est pas normal que le roi et la monarchie détiennent des sociétés qui interviennent massivement dans l’économie du pays? Peut-on, sans craindre des poursuites affirmer son désaccord sur les nominations de certaines personnalités par le roi? Peut-on écrire et dire qu’il faut réviser la Constitution pour restreindre les pouvoirs du roi?

Conclusion
Sans nier certaines avancées non négligeables, notamment dans l’exposé des droits de l’Homme, il n’en demeure pas moins que, compte tenu des pouvoirs dont il dispose, le roi règne mais gouverne aussi, mais sans avoir à rendre de comptes, ce qui est contradictoire avec une démocratie où, par nature, celui qui dispose du pouvoir doit rendre compte de son pouvoir et doit être soumis à la critique et au contrôle. On est loin du modèle espagnol.

Le problème que pose donc ce texte est le suivant: est-ce qu’une Constitution qui énonce et veut promouvoir les droits de l’Homme (sous réserve qu’ils soient effectivement mis en œuvre), mais qui n’offre pas des institutions et un fonctionnement politique démocratiques et qui n’offre pas une garantie absolue des droits de la presse et des médias, est véritablement une Constitution démocratique? Peut-on se contenter de ces avancées et remettre à plus tard, on ne sait pas quand, les réformes nécessaires pour enfin instaurer des institutions démocratiques?

Dire «non» au texte proposé et prévoir l’établissement d’une constituante pour élaborer un nouveau texte d’ici la fin de l’automne est possible. Nous ne sommes pas à trois mois près! La Tunisie est sur cette voie. Pour conclure, une dernière interrogation: pourquoi organiser un référendum aussi vite après la publication du projet (15 jours) si ce n’est pour éviter au maximum, tout débat sur le texte soumis au vote!? Le processus "démocratique" commence mal!
   
Jad Siri 
Avocat marocain, juriste
24.06.11
Notes:
[1] http://www.sidislimanecity.com/index.php/actualites/non-categorise/2117-texte-integral-de-la-nouvelle-constitution-marocaine-.html 
Source: medelu

mardi 28 juin 2011

Peuples indignés partout autour du globe

Il faut le reconnaître, 2011 est une année riche en surprises et en événements particulièrement stimulants pour qui veut la construction d’un monde plus juste et plus équilibré écologiquement.


Les révoltes populaires qui secouent la planète en sont indéniablement un exemple fort. Ce qui se déroule dans les rues européennes est sans nul doute une réponse appropriée aux besoins de changements ressentis par nombre de populations. Les manifestations de masse, les camps d’«indignad@s», les luttes syndicales contre des plans d’austérité imposés avec violence par des institutions non démocratiques (Commission européenne, FMI, BCE) et les banques privées se multiplient et gagnent en fréquentation. Un demi-million de personnes ont manifesté début juin à Athènes contre l’austérité avec aux lèvres des mots d’ordres bien précis: «Dégagez» et «Ras-le-bol du FMI» en tête. Ensuite, entre 100.000 et 250.000 personnes sont descendues dans les rues des plus grandes villes d’Espagne pour la manifestation internationale des indignés du 19 juin. Là encore les slogans ne laissaient planer aucun doute sur les revendications: «Prenons la rue! Non au Pacte euro-plus! Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers!»

Cette manifestation internationale a pris place (parfois dans plusieurs villes simultanément) dans pas moins de 35 pays autour du globe: Argentine, Allemagne, Angleterre, Autriche, Belgique, Brésil, Canada, Colombie, Costa Rica, Danemark, Équateur, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Irlande, Islande, Italie, Japon, Luxembourg, Mexique, Nicaragua, Norvège, Panama, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Portugal, République tchèque, Roumanie, Serbie, Slovaquie, Suède, Suisse, Turquie.

C’est indiscutablement le début d’une période de luttes sociales de haute intensité. D’un côté une caste de privilégiés qui méprisent la démocratie et abusent d’un arsenal d’artéfacts financiers, politiques et juridiques pour imposer au monde leurs agendas (austérité, guerres, nucléaire, privatisation, capitalisme vert, etc. la liste est longue) et en face, les populations qui ne veulent plus être considérées comme de vulgaires consommateurs incapables de prendre des décisions justes, lucides et circonstanciées concernant les grands enjeux de notre époque et qui revendiquent une participation active à la prise des décisions qui concernent directement leur (sur)vie. Début d’une période où l’individu collectivise intensément ses avis et connaissances grâce à la toile. Avec l’avènement de l’Internet est née la possibilité, en constante augmentation, de pouvoir s’exprimer, appréhender de nouveaux savoirs, débattre en ligne. Ces nouvelles pratiques ne sont plus en adéquation avec l’acte de vote tous les quatre ou cinq ans de la démocratie représentative.

C’est aussi le coup de fouet insufflé par les révolutions arabes qui participe à galvaniser les luttes en Europe. La théorie néoconservatrice de la guerre des civilisations post-11/9 a volé en éclat, pour le plus grand bien de l’humanité, lorsque les populations occidentales ont compris que les revendications au sud de la Méditerranée étaient les même qu’au nord de celle-ci: Dé-mo-cra-tie (réelle, maintenant!), autrement dit, le juste retour du pouvoir au peuple à qui la souveraineté a été dérobée durant des "décennies perdues" par la mainmise de ces mêmes institutions non démocratiques.

La non-violence du mouvement ainsi que ses modes d’organisation autogérés, les assemblées populaires décentralisées par quartiers, l’horizontalité des discussions montrent une maturité dans les luttes aujourd’hui et engendrent l’espoir de grandes avancées émancipatrices pouvant conduire à une réelle amélioration des conditions de la vie sur terre. Parce qu’il semble que dans le train fou dans lequel le capitalisme, mais aussi les tenants du pouvoir, nous ont embarqués, les luttes en cours ressemblent furieusement aux toutes dernières stations avant le précipice.

Le CADTM participe à ces luttes internationales, ses solutions radicales gagnent en popularité. En effet, l’audit des dettes publiques des États européens, idée considérée encore il y a peu comme une hérésie économique, est reprise par un nombre croissant d’organisations et de militant(e)s. Et c’est tant mieux car il est impossible de se sortir dignement de l’ouragan d’austérité qui balaye actuellement l’Europe sans remettre en cause la légitimité des dettes publiques et de répudier sans conditionnalités la part illégitime de celles-ci.

Contre la dictature des marchés, pour une démocratie réelle maintenant, nous ferons plus que nous indigner, nous lutterons ensemble!

CADTM
(Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde)
22.06.11

lundi 27 juin 2011

Urgence pédagogique à l'attention des médias français



Face à l’indigeste tarte à la crème qui nous a été proposée ces derniers jours par l’ensemble des médias français, célébrant le «triste anniversaire des 5 ans de détention du jeune soldat franco-israélien Gilad Shalit», il me paraît urgent de rappeler certains faits:



- le prisonnier en question est un soldat. Capturé par la résistance palestinienne lors d’opérations dans la Bande de Gaza où il n’avait rien à y faire, sinon exercer comme ses compères, ses exactions à l’encontre de populations occupées;
- rappel: qu’est-ce qu’un soldat? C’est un individu qui accepte une formation au combat et à la guerre. En d’autres mots, son apprentissage a pour objectif de tuer;
- tout individu peut refuser d’effectuer son service militaire, en devenant objecteur de conscience, c’est donc le strict choix de ce soldat de le prester ou non, et donc, d’en subir les risques éventuels en connaissance de cause;
- en-dehors de faire l’apologie du service militaire et de celles et ceux qui s’y soumettent, je ne vois pas très bien le but de ces relais médiatiques, sauf à penser que l’Etat français et les médias qu’il contrôle, sont singulièrement complices de soutien à l’apartheid contenu, mis en place et vérifié chaque jour dans l’idéologie sioniste.

D’autre part et dans le même ordre, pourquoi donc ces mêmes médias ignorent-ils le sort réservé à un autre jeune, Salah Hamouri, franco-palestinien? Celui-ci a été capturé par les forces armées israéliennes pour motif qu’il contestait l’occupation de son pays, appartenait au FPLP (Front Populaire de Libération de la Palestine), et «aurait eu le projet d’un attentat». Pour plus de détails, voir: http://fr.wikipedia.org/wiki/Salah_Hamouri

Loin d’être un soldat, ce civil croupit depuis mars 2005 dans les geôles israéliennes et y purge une peine de 14 ans ramenée à 7 ans, mais là, aucun média ne s’en fait le relais. Encore et toujours, nous pouvons constater le deux poids, deux mesures dans le traitement de l’information et par ricochet, dans celui de la justice…

Par ailleurs, faut-il rappeler la réalité des prisons israéliennes où croupissent depuis des années près de 10.000 prisonniers palestiniens? Faut-il rappeler que s’y trouvent des femmes qui y ont accouché de leur bébé dans des conditions infra-humaines; que s’y trouvent de nombreux mineurs; ainsi que des mandataires politiques arrêtés pour le simple fait d’appartenir au parti Hamas; et qu'il s'y pratique la torture? Et qu’en disent nos médias si prompts à ériger en icône l’effigie d’un soldat ? Rien.

Ainsi, le très sioniste maire de Paris qui a refusé de nommer Salah Hamouri en tant que citoyen d’honneur de la ville de Paris à l’instar du soldat Shalit, peut bien afficher en long et en large la photo du soldat fait prisonnier par la résistance palestinienne, je n’oublie ni ne confonds jamais les plans et sais me rappeler qui occupe brutalement l’autre depuis plus de 63 ans.

Dès lors, excusez-moi du peu, mais je me fous que la détention de ce soldat se poursuive encore quelques années supplémentaires. Il a choisi de participer à la machine de guerre israélienne et d’occupation de terres palestiniennes, il contrevient d’ailleurs ainsi aux différentes résolutions de l’ONU, qu’il en assume les conséquences. Et que les médias franco-sionistes revoient donc leur copie !

Daniel Vanhove
Observateur civil
Auteur
26.06.11

dimanche 26 juin 2011

L'économie mondiale s'enfonce dans la dépression

2 ans et demi après le crash financier de 2008 et 2 ans après la fin officielle de la récession américaine, aucun des problèmes fondamentaux qui ont plongé l'économie mondiale dans la pire dépression depuis les années '30 n'a été résolu. Au contraire, la reprise économique anémique a des ratés, les taux de croissance ralentissent dans la plupart des pays, et le système financier oscille à nouveau au bord du gouffre. 
 

La reprise de la montée du chômage aux États-Unis, accompagnée par une nouvelle baisse du prix des logements et des ventes, ainsi que d'une réduction de la production, est l'expression la plus aiguisée d'une tendance mondiale. Le dernier rapport sur les perspectives économiques mondiales de la Banque mondiale, publié le 7 juin, prévoit une croissance économique plus lente pour toutes les régions du monde à l'exception de l'Afrique sub-saharienne pour cette année et la suivante. La Banque estime que l'économie mondiale va croître de seulement 3,2% cette année, ce qui est remarquablement inférieur au taux déjà modeste de 3,8% de 2010.

L'économie américaine est censée croître à un taux bien maigre de 2,6% cette année et restera sous les 3%  jusqu'en 2013 au moins. Cette barre à 3% est celle qu'il faudrait dépasser pour avoir un effet notable sur le taux de chômage officiel des États-Unis, lequel approche des 10%.

Encore plus inquiétant, la Banque croit que le taux de croissance des pays en voie de développement – la Chine, l'Inde, le Brésil, etc. – tombera à 6,3% durant l'année 2013, soit un pour cent en dessous du taux de 2010. Ce sont ces pays qui ont largement contribué à la croissance mondiale depuis la débâcle financière des pays développés.

Ces sombres projections ne prennent pas en compte les données de mai qui indiquent une décélération marquée de la croissance aux États-Unis, en Europe, au Japon, en Chine et en Inde.

Les jours derniers ont vu la prolifération des avertissements de la part des économistes bourgeois sur le danger d'un retour à la croissance négative – ce que l'on appelle une "récession à double creux". Laurence Summer, qui fut directeur du Conseil économique national d'Obama jusque fin 2010, a publié un article le 13 juin dans le Washington Post et le Financial Times dans lequel il mettait en garde ses lecteurs sur le fait que les États-Unis «sont maintenant à mi-chemin de perdre les bénéfices des dix dernières années». Il a noté qu'entre 2006 et 2011, la croissance économique américaine s'établissait à moins de 1% par an, autant que le Japon «à l'époque où sa bulle a éclaté».

Le professeur Nouriel Roubini de l'Université de New York a prévenu cette semaine de l'arrivée d'une «tempête parfaite» incluant un déficit budgétaire aux États-Unis, un ralentissement en Chine, des défauts de paiement de la dette en Europe et une stagnation au Japon. La Chine pourrait être confrontée à un «atterrissage brutal» après 2013, selon lui, en raison d'une surcapacité des investissements fixes est des faillites de banques.

La crise économique a été précipitée par une orgie de spéculation, dans laquelle les limites entre l'activité financière normale et la criminalité consciente ont été largement effacées. Pourtant, le souci premier des politiques gouvernementales dès le départ a été de protéger la richesse de l'aristocratie financière. À cette fin, les trésoreries nationales ont été pillées pour couvrir les dettes de jeu des banquiers.

Les renflouements à plusieurs milliers de milliards de dollars ont inauguré le plus grand transfert de richesses du bas de la société vers le haut dans toute l'histoire humaine. Cela a immensément aiguisé les tensions sociales et enclenché une nouvelle période de troubles révolutionnaires.

Les premiers d'entre eux ont déjà été observés cette année dans les soulèvements révolutionnaires en Tunisie et en Égypte, l'intensification de la résistance de la classe ouvrière en Grèce et dans d'autres pays européens, et les manifestations de masse des ouvriers au Wisconsin. La bourgeoisie n'a été capable de piller la trésorerie publique qu'en vertu du rôle traître des syndicats et de leurs alliés dans la "gauche" pseudo-socialiste afin de saper et d'étrangler l'opposition de la classe ouvrière.

L'augmentation rapide de l'endettement des Etats résultant des renflouements n'a fait que saper encore plus la solvabilité à long terme des banques, puisqu'elles se retrouvent avec des dizaines de milliards de dollars en emprunts étatiques dont la valeur s'est effondrée.

La réaction universelle de la bourgeoisie et de ses gouvernements de toutes sortes – qu'ils soient conservateurs, libéraux ou "socialistes" – est de faire peser le coût total de la crise sur le dos de la classe ouvrière. Leur objectif n'est rien de moins qu'une contre-révolution sociale – l'effacement de tous les acquis sociaux obtenus au cours du dernier siècle et la réduction de la classe ouvrière à l'état de pauvreté et de désespoir.

Mais loin de résoudre la crise financière, tous leurs efforts n'ont fait que l'approfondir. Un an après avoir reçu un prêt de 110 milliards d'euros lié à des mesures d'austérité brutales, la Grèce est plongée dans une profonde récession, qui a sapé les rentrées d'argent de l'Etat et intensifié la crise de la dette. Maintenant, en échange d'un nouveau prêt, le gouvernement social-démocrate impose des coupes encore plus profondes ainsi qu'une liquidation des biens publics.

Ce cercle vicieux, qui est reproduit en Irlande, au Portugal, en Espagne et dans d'autres pays très endettés, entraîne inévitablement des défauts de paiement et une nouvelle crise financière.

Aucun banquier important n'a été poursuivi devant les tribunaux pour cet énorme montage pyramidal qui a été créé sur la base de prêts immobiliers de deuxième choix et d'autres garanties douteuses. Les grandes banques n'ont pas seulement échappé à la nationalisation et au partage judiciaire, elles ont eu le droit d'augmenter leur pouvoir monopolistique. Aucune réforme sérieuse n'a été instituée, ce qui a permis à ces banques de reprendre leur spéculation sans fin et d'engranger des profits records, tout en accordant à leurs dirigeants de bonus plus élevés que jamais.

 Le marché déréglementé des produits dérivés, qui a joué un rôle central dans la débâcle financière, opère toujours de plus belle. Des millions sont engrangés sur un marché en effervescence sur les permutations de l'impayé [credit default swaps en anglais ou CDS], c'est-à-dire en pariant sur la probabilité qu'un Etat ne puisse pas rembourser ses dettes.

Se prononçant contre toute restructuration de la dette grecque, Mario Draghi, ex-gouverneur de la Banque d'Italie, qui devrait être le prochain président de la Banque centrale, a déclaré au Parlement européen la semaine dernière: «Qui sont les détenteurs de permutations de l'impayé? Qui a assuré les autres contre une cessation de paiement du pays? Nous pourrions avoir une réaction en chaîne».

Le déclin du niveau de vie de la classe ouvrière et la concentration accrue de la richesse en haut de la société, sont résumés dans un graphique édifiant publié par le ministère du travail des États-Unis qui montre que la part du revenu national du pays allant aux travailleurs a atteint un record vers le bas.





Part du travail dans le revenu national des États-Unis
 Source: ministère du travail, bureau des statistiques.



Ce graphique montre que ce déclin – une tendance générale qui remonte aux années 1980 – s'est remarquablement accéléré à partir de 2000. Ce qui est le plus significatif est le fait que la part des travailleurs dans le revenu national est tombée encore plus vite durant la prétendue "reprise" qui a commencé en juin 2009 que durant la récession officielle.

Qu'est-ce que cela révèle? Cela nous démontre que la crise est exploitée systématiquement et délibérément par la bourgeoisie américaine et le gouvernement d'Obama pour mener une inversion historique et permanente des conditions de vie de la classe ouvrière.

Les événements des 33 derniers mois ont réfuté toutes les affirmations des gouvernements, des politiciens, des ténors des médias, des représentants syndicaux et des universitaires qui prétendaient qu'une solution viable à la crise pouvait être trouvée dans le cadre du capitalisme. Comme le Parti de l'égalité socialiste et le World Socialist Web Site l'ont expliqué dès le début, la crise actuelle n'est pas simplement une mauvaise passe conjoncturelle, c'est une crise systémique du système capitaliste mondial. Au centre de cette crise, il y a le déclin prolongé et profond de la position mondiale des États-Unis.

Le PES écrivait en janvier 2009, «un rééquilibrage de l'économie mondiale – c'est-à-dire l'établissement d'un nouvel équilibre économique mondial sur une base capitaliste – ne peut être réalisé que par une destruction massive des forces productives existantes, un abaissement catastrophique du niveau de vie de la classe ouvrière dans tous les pays, et, pour réaliser cela, l'annihilation d'une section substantielle de la population mondiale. Ainsi, le véritable choix qui s'oppose à la désintégration capitaliste est la réorganisation rationnelle de l'économie mondiale sur une base socialiste».

Cette perspective – qui constitue un avertissement – a été confirmée par les événements; tout comme l'a été un autre passage de ce document sur les processus interdépendants de la crise capitaliste et du développement d'un militantisme social et politique de la classe ouvrière et de nouvelles formes de conscience révolutionnaire.  «La question décisive est de savoir lequel de ces processus prendra l'avantage sur l'autre», affirme ce document.

Les expressions initiales d'une nouvelle étape de la lutte des classes en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en Europe et en Amérique ont souligné le rôle réactionnaire des syndicats, des partis de la "gauche" officielle et des diverses organisations des classes moyennes qui oeuvrent à garder la classe ouvrière pieds et poings liés à ces forces contre-révolutionnaires.

Ils ont mis en lumière le problème politique complexe qui se pose à la classe ouvrière qui entre dans une nouvelle période de luttes révolutionnaires et ont montré tout l"intérêt de la question centrale: la crise d'une direction et d'une perspective dans la classe ouvrière. La détérioration de l'économie mondiale va inévitablement alimenter de nouvelles luttes sociales plus larges, donnant de nombreuses occasions au mouvement révolutionnaire de lutter pour prendre la direction de ces luttes et de s'armer d'une perspective socialiste et internationaliste.

[Le Parti de l'égalité socialiste et le Comité international de la Quatrième Internationale sont les seuls à même de fournir cette direction. Tous ceux qui voient la nécessité d'une alternative socialiste à la pauvreté, à la dictature et à la guerre devraient prendre la décision de le rejoindre et de construire notre mouvement dans chaque pays.]

Barry Grey
23.06.11
Source: alter-info

samedi 25 juin 2011

Les dix erreurs de l'Otan en Libye

Du mythe du sauvetage de Benghazi à la sous-estimation de la capacité de mobilisation de Kadhafi en passant par des choix militaires inadaptés, Patrick Haimzadeh, ancien diplomate français à Tripoli, analyse la façon dont la «coalition» se fourvoie.


Pour qui aurait manqué les mensonges qualifiant l'armée irakienne de «quatrième armée du monde» en 1991 et ceux des armes de destruction massive de Saddam Hussein en 2003, l'année 2011, avec la guerre de l'Otan en Libye, aura offert une belle séance de rattrapage.

Ayant vécu et travaillé de nombreuses années dans des pays arabes dotés de régimes autoritaires, je me suis bien sûr réjoui des mouvements d'émancipation des peuples arabes de ce début d'année 2011. Etre critique à l'égard de la guerre de l'Otan en Libye ne signifie nullement que j'éprouve une quelconque sympathie pour le régime du dictateur libyen qui a toujours fait preuve d'une grande violence à l'encontre de sa population, ni que je préfère le statu quo ante à la promotion des valeurs universelles de dignité et de liberté auxquelles aspire légitimement le peuple libyen.

L'analyse des dix mensonges, contrevérités et erreurs sur cette guerre en Libye, relayés par les principaux médias français depuis plus de trois mois, s'appuie autant sur une expérience de terrain en Libye que sur une expertise d'ancien officier de l'armée de l'Air française.

1. Insurrection ou guerre civile?
Le 19 mars 2011, date du début des bombardements de la «coalition», il ne s'agissait plus d'une insurrection populaire mais déjà d'une guerre civile.

L'insurrection populaire qui a débuté en Cyrénaïque et dans deux régions de Tripolitaine (Misrata et la montagne de l'Ouest, dite djebel Nefoussa) n'a duré qu'une dizaine de jours. Elle a laissé la place, dès lors, à une guerre civile entre deux entités politiques déjà en place au moment du vote de la résolution 1973. D'un côté, le régime de Kadhafi, condamné à terme, et de l'autre le Conseil national de transition (CNT) représentant principalement les populations insurgées de Cyrénaïque et de Misrata, et qui est aujourd'hui reconnu par une quinzaine de pays comme autorité légitime du peuple libyen. Selon ses dires, le CNT comprendrait également des représentants des zones toujours sous la coupe du colonel Kadhafi (soit environ deux tiers de la population libyenne) mais leurs identités sont tenues secrètes. On peut douter cependant de leur représentativité, leurs régions d'appartenance étant toujours sous le strict contrôle du régime de Kadhafi.
Que la propagande du CNT cherche à faire passer tous les combattants de Kadhafi pour des mercenaires africains est naturel. On peut comprendre en effet que les insurgés soient enclins à dissimuler le fait que ce sont d'autres Libyens qui se battent pour le soutien du régime, et cherchent ainsi à nier l'existence d'une guerre civile.

Rien n'illustre pourtant mieux cette idée de guerre civile que l'exemple de cet ami libyen, appartenant à la grande tribu arabe des montagnes de l'ouest, qui se bat contre Kadhafi. Son ex-femme et mère de ses enfants appartient à une tribu majoritairement fidèle à Kadhafi. Son fils aîné, qui vivait avec sa mère au moment de l'insurrection, se bat désormais dans les rangs des fidèles de Kadhafi et leur père n'a qu'une angoisse: se retrouver un jour confronté dans les combats à son propre fils!

Le schéma binaire du bien contre le mal et du peuple en armes contre le dictateur isolé est donc une belle image de philosophe parisien qui malheureusement ne correspond pas aux réalités du terrain.

2. Le mythe du «sauvetage de Benghazi» (1)
Les forces de Kadhafi (moins d'un millier d'hommes accompagnés au maximum d'une vingtaine de chars sans logistique) n'avaient pas les moyens de commettre un «bain de sang» à Benghazi, ville de plus de 30km de long et de 800.000 habitants, et encore moins de «reprendre» toute la Cyrénaïque libérée dont les habitants disposaient des armes récupérées dès les premiers jours de l'insurrection.

L'exemple de Misrata, dont les habitants ont repoussé héroïquement les forces de Kadhafi, démontre que les insurgés sont capables de se battre brillamment pour défendre leur territoire. C'est ainsi que la belle histoire des chars détruits in extremis (en réalité au nombre de quatre!) par l'armée de l'air française, sauvant ainsi Benghazi du carnage et la Cyrénaïque du bain de sang annoncé, est devenu un des mythes fondateurs et justificateurs de cette guerre. Cette belle histoire à laquelle nous avions tous envie de croire, racontée par un écrivain à succès et un président en mal de popularité, n'en constitue pas moins une opération de propagande, consciencieusement relayée sans analyse critique par la quasi-totalité des politiques et médias français.

3. Des buts de guerre confus et évolutifs, une lecture «extensible» du mandat fixé par la résolution 1973
Le but de guerre affiché initialement, qui découlait du mandat fixé par la résolution 1973, était la protection des populations civiles. Dès lors que l'insurrection avait déjà laissé la place à une guerre civile, comme nous l'avons vu précédemment, ce but de guerre pouvait prêter à confusion puisque les insurgés n'étaient plus alors des civils désarmés mais des combattants. Ces combattants ont d'ailleurs fait la preuve de leur héroïsme et de leurs capacités tactiques à Misrata et dans le djebel Nefoussa. Le but de guerre, initialement implicite, du départ ou de la mort de Kadhafi est devenu progressivement explicite. Il constitue désormais la condition posée par l'Otan à l'arrêt des bombardements, ce qui représente une lecture largement extensible de la résolution 1973, voire une violation du cadre de cette résolution au regard du droit international.

Enfin, les bombardements d'objectifs situés dans des zones habitées de Tripoli, loin de protéger les civils, en ont déjà tué un certain nombre qui entrent pour l'Otan dans la catégorie des «victimes collatérales». Si la précision des bombardements, le vocabulaire utilisé pour les qualifier - «frappes ciblées» - et l'absence d'images des destructions et des victimes peuvent le faire oublier, ces victimes sont là pour rappeler qu'il n'y a pas de guerre ni de bombardement humanitaire.

4. L'absence de «plan B» face à l'escalade ou à l'enlisement
«La guerre mène au paroxysme de la violence.» Cette phrase de Clausewitz, le célèbre théoricien prussien de la guerre, trouve toute son illustration dans l'escalade militaire observée depuis trois mois. Après nous avoir expliqué que les bombardements de l'aviation permettraient aux insurgés de l'emporter rapidement, puis qu'ils provoqueraient la chute du régime par «délitement», on nous a vanté l'action des drônes américains, puis des hélicoptères censés provoquer une «rupture tactique».

Cette escalade a aujourd'hui atteint ses limites du fait de la nécessité de minimiser les «victimes civiles collatérales» qui auraient évidemment un impact négatif sur les opinions publiques des pays de l'Otan, et parce que la résolution 1973 exclut l'envoi de troupes au sol.

En l'absence de «plan B» de sortie, l'Otan est donc condamnée à gagner son pari de chute du régime ou à s'enliser dans ce conflit. La propagande quotidienne de l'Otan affirmant que les jours de Kadhafi sont comptés cache mal l'impasse de l'option militaire.

5. La surestimation de la capacité militaire des insurgés, notamment à porter la guerre hors de leurs territoires d'origine
Les insurgés de Cyrénaïque, de Misrata et du djebel Nefoussa ont fait la preuve de leur capacité à défendre héroïquement, voire à reprendre leur ville, leur village ou leur montagne. Ils sont en revanche beaucoup plus réticents à aller porter le combat sur des territoires qui ne sont pas les leurs. Ils savent en outre que toute incursion de combattants armés en provenance d'une autre région serait mal perçue par les locaux qui risquent fort de ne pas les accueillir en libérateurs, à plus forte raison si ces locaux appartiennent à des tribus ou des clans restés fidèles ou sympathisants à Kadhafi.

Imaginer que les Libyens originaires de Cyrénaïque ou de Misrata puissent «libérer» la Tripolitaine encore sous le joug de Kadhafi est une grave erreur. Chaque région libyenne devra se soulever par elle-même et c'est au niveau local que tout se jouera (ou non...)

6. La sous-estimation de la volonté de résistance de Kadhafi
Le colonel Kadhafi s'est construit, psychologiquement et politiquement, dans la lutte contre toute forme de colonialisme et d'impérialisme. Ainsi cite t-il toujours l'expédition franco-britannique de Suez, en 1956, comme l'événement qui a fait naître sa conscience politique. Ironie de l'Histoire, ce sont ces deux mêmes pays qui sont aujourd'hui à la tête de la guerre menée contre lui.

Contrairement au dictateur déchu Ben Ali et à l'autocrate Mubarak, Kadhafi est porté par une idéologie et un goût pour la confrontation et le combat et il a pour modèles Che Guevara et Fidel Castro. Il ira donc jusqu'au bout de son combat et on voit mal comment il pourrait accepter de quitter ce pouvoir qui est toute sa vie depuis 42 ans pour aller finir ses jours comme un simple retraité dans une résidence africaine. Conditionner l'arrêt des bombardements à son départ de Libye est donc un but de guerre irréaliste qui méconnaît la personnalité du dictateur.

7. La sous-estimation de la capacité de mobilisation de Kadhafi
Cette erreur d'analyse s'explique en partie par l'enthousiasme suscité par les succès des insurrections en Tunisie et en Egypte, qui ne sont pourtant absolument pas transposables au cas libyen. Portés par la propagande d'Al-Jazeera et par la confusion entre leurs désirs et les réalités du terrain, nombre de commentateurs n'ont pas voulu voir qu'une fois passé le choc initial, Kadhafi avait repris la situation en mains dans la capitale et dans une grande partie de la plaine côtière où réside plus de la majorité de la population de Tripolitaine. Sans compter le grand sud (Fezzan), dont on a oublié qu'il ne s'est pratiquement pas soulevé.

S'il est dérangeant de penser qu'un régime dictatorial dispose d'une certaine base sociale, nier cette réalité ou la négliger conduit à de graves erreurs d'analyse. Là aussi, tout laisse à penser que la décision d'entrer en guerre a été prise sans connaissance ni analyse un peu sérieuse et objective des réalités du pouvoir et de la société libyenne.

8. Des modes d'actions militaires inadaptés au cas libyen
Au plan tactique (soutien direct des insurgés) comme au plan stratégique (bombardement direct de Kadhafi, incitation à la défection de son cercle de fidèles ou délitement du régime), force est de constater que les effets des quelque 4000 missions de bombardement réalisées par l'Otan depuis plus de 3 mois sont peu probants. L'Otan annonce bien évidemment que l'attrition (érosion, ndlr) des forces de Kadhafi est sérieuse et s'accroît de jour en jour. A supposer que l'Otan soit en mesure d'évaluer précisément ces taux d'attrition, ce genre de déclaration ne peut néanmoins constituer une base sérieuse pour l'analyse, compte tenu de la propagande et de la guerre psychologique pratiquées par toute force ou tout Etat engagé dans un conflit.

Certains responsables et experts militaires ont par ailleurs évoqué depuis le début de cette guerre la notion de «point d'inflexion stratégique» qui, selon les théories américaines de la guerre aérienne moderne, élaborées dans les années 1980 et 1990, correspond à l'effet de seuil systémique (ou de transition de phase) au-delà duquel survient immanquablement le délitement de l'ensemble de l'appareil d'Etat. Ces théories, conçues pour s'appliquer dans le cadre de campagnes de bombardements de haute intensité 24 heures sur 24 contre des pays disposant d'un appareil d'Etat, d'un complexe militaro-industriel et d'une armée constituée, sont inadaptées à la Libye qui n'a rien de tout cela. Au lieu de se déliter, le régime s'adapte et se recompose en permanence.

L'Otan peut continuer à bombarder chaque jour des entrepôts vides, des casernes désaffectées, des états-majors et des ministères fantômes et des centres de commandement qui ne commandent rien: cela n'aura qu'une incidence marginale sur la chute du régime. La seule courbe avérée dans ce domaine est celle du temps qui passe; à savoir que chaque jour qui passe verra Kadhafi plus vieux d'un jour...

9. L'irruption d'un acteur étranger dans une guerre civile, loin de régler les problèmes, tend à en créer de nouveaux
La France et les autres pays de l'Otan impliqués dans les bombardements de la Libye sont les acteurs militaires directs d'un conflit intérieur libyen. Quelle que soit l'évolution de la guerre en Libye, la poursuite des opérations militaires de l'Otan au-delà de l'objectif initial de protection des populations civiles contribue chaque jour à confisquer la révolte libyenne au peuple libyen. Si tant est que cette guerre apporte la victoire à terme de l'insurrection, pour une partie de la population libyenne elle apparaîtra comme un sous-produit d'une nouvelle intervention militaire occidentale dans un pays arabe. Et ce n'est pas la participation symbolique des Emirats arabes unis, dont on sait qu'ils abritent depuis peu une importante base militaire française, et du Qatar qui a soutenu dès le départ l'insurrection libyenne par la voix de sa chaîne Al-Jeezira (tout en se gardant de dénoncer l'intervention militaire saoudienne pour mater le début d'insurrection populaire au Bahreïn), qui changeront cette perception.

Enfin, les bombardements qui frappent tous les jours Tripoli depuis trois mois et qui font – quoi qu'on en dise – des victimes civiles, ainsi que l'embargo et l'isolement international dont les populations civiles de Tripolitaine sont les premières à souffrir, contribuent à entretenir le ressentiment d'une majorité d'habitants de cette région, tant à l'égard des Occidentaux que des habitants de Cyrénaïque, accusés à juste titre d'avoir appelé à l'intervention militaire directe de puissances étrangères contre d'autres Libyens.

En ce sens, la poursuite de l'intervention militaire directe de l'Otan dans cette guerre pose plus de problèmes à long terme pour la Libye qu'elle n'en résout. A fortiori quand les buts de guerre de l'Otan n'ont plus qu'un rapport lointain avec l'objectif initial affiché de «protection des populations civiles».

10. Le préalable du départ de Khadafi à l'ouverture de négociations prolonge la guerre civile et installe le pays dans la violence
Alors qu'aucune issue militaire ne se dessine sur le terrain (sauf coup direct très hasardeux d'une bombe sur Kadhafi), la probabilité est forte que la guerre civile se prolonge longtemps. Les trois zones «libérées» peuvent continuer avec des succès divers, et selon des modalités qui leur sont propres, à s'installer dans une économie de guerre civile dont les ressorts sont bien connus. Les réseaux d'économie informelle sont déjà en place. Chaque jour qui passe contribue à renforcer l'addiction psychologique aux combats et la violence mimétique des acteurs, phénomène bien connu des observateurs des guerres civiles.

Si le radicalisme des cadres du CNT et de certains combattants insurgés qui luttent depuis plus de trois mois pour se libérer est compréhensible, il est loin d'être avéré que l'ensemble de la population libyenne souhaite voir perdurer cette guerre civile et la partition de facto du pays. En renforçant les extrémistes du CNT dans l'idée que la victoire militaire est possible grâce aux bombardements et qu'aucune solution négociée n'est acceptable, les responsables des pays de l'Otan (principalement la France et la Grande-Bretagne) portent une part de responsabilité dans la poursuite de cette guerre.

Le refus de la France, la Grande-Bretagne et des Etats-Unis (qui n'ont pourtant toujours pas reconnu officiellement le CNT) d'explorer la voie d'une transition progressive vers une Libye post-Kadhafi qui ne passerait pas par le préalable indispensable du départ de Kadhafi du pays est donc contraire à l'objectif affiché de protection des populations civiles.

Il y a urgence à trouver une solution négociée dans le double but de sauver des vies et garantir la préservation d'un «vivre ensemble» libyen à plus long terme.

Patrick Haimzadeh 
Deuxième conseiller près l'ambassade de France à Tripoli de 2001 à 2004
Il vient de publier «Au cœur de la Libye de Kadhafi», aux Editions J.C Lattès.
23.06.11
Source: mediapart

vendredi 24 juin 2011

La crise alimentaire frappe à nouveau

La menace d’une nouvelle crise alimentaire est déjà une réalité. Selon l’indice des prix des produits alimentaires de la FAO (février 2011) qui surveille l’évolution mensuelle des prix à l’échelle mondiale d’un panier de denrées alimentaires composé de céréales, d’oléagineux, de produits laitiers, de viande et de sucre, le prix des aliments n’a cessé de grimper au cours des huit derniers mois, atteignant des chiffres record. C’est le plus haut niveau jamais atteint depuis que l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a commencé à mesurer les prix alimentaires en 1990.

Cette hausse du coût des aliments, particulièrement des céréales de base, a de graves conséquences pour les pays du Sud à bas revenus et dépendants de l’importation d’aliments, et pour les millions de familles dans ces pays qui consacrent 50 à 60% de leurs revenus à l’achat de nourriture, jusqu’à 80% dans les pays les plus pauvres. La hausse du prix des produits alimentaires les rend dès lors inaccessibles.

Aujourd’hui, près d’un milliard de personnes – une personne sur sept à travers le monde – n’a pas accès à la nourriture. Le président de la Banque mondiale, Robert Zoellick, affirmait lui-même clairement que 44 millions de personnes supplémentaires souffraient de faim chronique du fait de la crise alimentaire actuelle. En 2009, ce chiffre a déjà été dépassé – le nombre de personnes sous-alimentées atteignant alors 1.023 millions à travers la planète –, il a légèrement baissé en 2010, mais sans retomber aux niveaux antérieurs à la crise alimentaire de 2008 et 2009.

La crise actuelle a éclaté dans un contexte d’abondance de nourriture. La production de denrées alimentaires a été multipliée par trois depuis les années 1960, tandis que la population mondiale a seulement doublé. De la nourriture, il y en a. Dès lors, il ne s’agit pas d’un problème de production mais d’un problème d’accès aux aliments, contrairement à ce qu’avancent les institutions internationales (FAO, BM, OMC) qui poussent à augmenter la production par le biais d’une nouvelle révolution verte qui ne ferait qu’aggraver la crise alimentaire, sociale et écologique que nous traversons.

Révoltes populaires
La hausse du prix des denrées alimentaires figure parmi les multiples détonateurs des révoltes populaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. En décembre 2010 à Tunis, les couches les plus pauvres de la population étaient en première ligne du conflit et exigeaient, entre autres, l’accès à la nourriture. En janvier 2011, de jeunes manifestants en Algérie bloquaient des routes, brûlaient des commerces et attaquaient des postes de police pour protester contre l’augmentation du prix des produits alimentaires de base. Des situations similaires ont traversé la Jordanie, le Soudan et le Yémen. Mentionnons que l’Égypte est le premier importateur de blé de la planète, dépendant de l’importation alimentaire.

Au coût des aliments, il faut ajouter les taux élevés de chômage, les restrictions des libertés démocratiques, la corruption, la pénurie de logements et de services de bases, etc., qui constituèrent les raisons essentielles des révoltes. Quoi qu’il en soit, la hausse des prix des aliments fut parmi les premiers détonateurs.

Une cause centrale
Quelles ont été les causes de cette nouvelle hausse du coût de la nourriture? Bien que les institutions internationales et des experts en la matière ont signalé plusieurs éléments tels que les phénomènes météorologiques qui auraient affecté les récoltes dans les pays producteurs, l’augmentation de la demande des pays émergents, la spéculation financière, la production croissante d’agrocombustibles, entre autres, plusieurs indices pointent la spéculation financière sur les matières premières alimentaires comme l’une des raisons principales de la hausse du prix des aliments.

En 2007 et 2008, nous avons déjà traversé une crise alimentaire profonde, avec une hausse du prix des céréales telles que le blé, le soja et le riz de 130%, 87% et 74% respectivement. Comme aujourd’hui, on a pointé plusieurs causes, particulièrement l’augmentation de la production d’agro-combustibles et les investissements spéculatifs croissants sur les marchés alimentaires à terme. Cette hausse du prix de la nourriture a stagné en 2009, en partie, probablement, du fait de la crise économique et de la diminution de la spéculation financière. Mi-2010, avec des marchés financiers internationaux apaisés et suite à l’injection de sommes d’argent public considérables au secteur bancaire privé, la spéculation alimentaire a repris et le prix des aliments est reparti à la hausse. Après l’éclatement de la crise financière de 2008-2009, pour «sauver les banques», on estime que les gouvernements des pays riches ont apporté un total de 20.000 milliards de dollars pour renflouer le système bancaire et rabaisser les taux d’intérêt.

Cette entrée d’argent a incité les spéculateurs à contracter de nouveaux prêts et à acheter des marchandises qui, selon les prévisions, s’apprécieraient rapidement. Profitant de marchés mondialisés profondément dérégulés, les banques, les hedge funds, etc., à l’origine de la crise des crédits subprime, sont aujourd’hui responsables de la spéculation sur les matières premières et de la hausse du prix de la nourriture.

La crise alimentaire est intimement liée à la crise économique et à la logique d’un système qui promeut, entre autres exemples, des plans de sauvetage en Grèce et en Irlande qui soumettent la souveraineté de ces pays aux institutions internationales, de la même manière que la souveraineté alimentaire des peuples est soumise aux intérêts du marché.

Garantie ou commerce
On a toujours spéculé, dans une certaine mesure, sur le prix des denrées alimentaires. Cette logique gouverne les marchés à terme, qui, tels que nous les connaissons aujourd’hui, remontent à la moitié du XIXè siècle, quand ils ont commencé à fonctionner aux États-Unis. Ces marchés, régis par des accords légaux standardisés qui visent à effectuer des transactions sur des marchandises physiques à un moment ultérieur défini au préalable, ont fourni aux producteurs un mécanisme de garantie de prix minimum face aux fluctuations du marché. En résumé, le paysan vend la production à un commerçant avant la récolte pour se prémunir contre des intempéries par exemple, et avoir l’assurance d’un prix à terme. Le commerçant, lui aussi, en profite: quand la récolte annuelle est mauvaise, le paysan obtient de bons revenus, et quand la récolte est excellente, le commerçant en sort d’autant plus gagnant.

Les spéculateurs usent actuellement de ce mécanisme pour s’enrichir en profitant de la dérégulation des marchés des matières premières, impulsée aux États-Unis et en Grande-Bretagne au cours des années 1990 par des banques, des politiques partisans du libre-échange et des hedge funds dans le cadre du processus de dérégulation de l’économie mondiale. Les contrats de vente et d’achat de denrées alimentaires se sont convertis en «dérivés» commercialisables indépendamment des transactions agricoles réelles. Dès lors, un nouveau commerce est né: la spéculation alimentaire.

Les spéculateurs détiennent aujourd’hui le poids le plus important sur les marchés à terme, bien que leurs transactions d’achat et de vente n’aient rien à voir avec l’offre et la demande réelles. Selon Mike Masters, directeur de Masters Capital Management, l’investissement financier à caractère spéculatif dans le secteur agricole est passé de 25% en 1998 à près de 75% aujourd’hui. Ces transactions sont effectuées dans des Bourses des valeurs, la plus importante d’entre elles au niveau mondial étant la Bourse de commerce de Chicago, tandis qu’en Europe les aliments et les matières premières sont commercialisés dans les Bourses de Londres, Paris, Amsterdam et Francfort.

Un dépôt «100 % naturel»
En 2006-2007, après l’effondrement du marché des crédits hypothécaires à risque aux États-Unis, les investisseurs institutionnels (banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissements, etc.), entre autres, ont cherché des investissements plus sûrs et plus rentables, comme les matières premières et les aliments, pour placer leurs capitaux. Dans la mesure où les prix alimentaires montaient, ils les ont orientés vers les marchés alimentaires à terme, poussant leurs prix vers le haut et aggravant encore l’inflation de ce secteur.

En Allemagne, la Deutsche Bank annonçait des profits faciles en investissant dans les produits agricoles en plein essor. Une autre des principales banques européennes, BNP Paribas, proposait des investissements similaires. Mais rien ne sert d’aller si loin pour trouver des exemples concrets. En janvier dernier, Catalunya Caixa, ex Caixa Catalunya, encourageait ses clients à investir dans les matières premières sous la bannière «dépôt 100% naturel». Qu’offrait-elle? Une garantie de 100% du capital avec la possibilité d’obtenir une rentabilité de près de 7% par an. Comment? Comme l’indiquait sa publicité, en fonction de «l’évolution du rendement de trois matières premières alimentaires: le sucre, le café et le maïs». Pour garantir une haute rentabilité, la publicité n’hésitait pas à mentionner que le cours en bourse de ces trois produits avait augmenté, au cours des derniers mois, de 61%, 34% et 38% respectivement, du fait de «la demande qui croît plus vite que la production», de «l’augmentation de la population mondiale» et de «leur conversion en agrocombustibles». Une information importante fait pourtant défaut: la spéculation alimentaire, qui offre une rentabilité économique substantielle, augmente le prix des aliments, les rend inaccessibles à une grande partie de la population dans les pays du Sud et réduit à la faim, à la misère et à la mort des milliers de personnes dans ces pays.

Dépendance au pétrole
La forte dépendance au pétrole de l’actuel modèle de production et de distribution des aliments est un autre élément qui accentue la crise alimentaire. La hausse du prix du pétrole se répercute directement en une hausse similaire du coût des aliments de base. En 2007 et 2008, les prix du pétrole et des aliments ont atteint des chiffres record. Selon l’indice de la FAO sur les prix des aliments, entre juillet 2007 et juin 2008, le pétrole brut est passé de 75 à 140 dollars le baril, et le prix des aliments de base de 160 à 225 dollars.

L’agriculture et l’alimentation sont chaque jour plus «pétro-dépendantes». Après la deuxième guerre mondiale, dans les années 1960 et 70, avec la révolution verte et afin d’augmenter la production, on a misé sur un modèle d’agriculture industrielle et intensive. Le système agricole et alimentaire actuel, avec des aliments qui parcourent des milliers de kilomètres avant d’arriver dans nos assiettes, avec l’utilisation intensive de machines agricoles, de produits chimiques, de pesticides, herbicides et fertilisants artificiels, ne subsistera pas sans le pétrole.

La hausse du prix du pétrole et la stratégie de différents gouvernements pour lutter contre le changement climatique ont également conduit à un investissement croissant dans la production de combustibles alternatifs, les agrocombustibles, comme l’agrodiesel et l’agroéthanol, élaborés à partir du sucre, du maïs ou autre. Cette production, qui entre en concurrence directe avec la production d’aliments pour la consommation, compte également parmi les causes de l’augmentation du prix des aliments. La Banque mondiale a elle-même reconnu que lorsque le prix du pétrole dépasse 50 dollars le baril, une hausse de 1% de son prix induit une augmentation de 0,9% de celui du maïs, car «pour chaque dollar de hausse du prix du pétrole, la rentabilité de l’éthanol augmente et, par conséquent, la demande de maïs nécessaire à son élaboration croît également». Depuis 2004, les 2/3 de l’augmentation de la production mondiale de maïs ont été destinés à satisfaire la demande états-unienne en agrocombustibles. En 2010, 35% de la récolte de maïs aux États-Unis – soit 14% de la production mondiale de maïs – ont été utilisés pour produire de l’éthanol. Et cette tendance évolue à la hausse.

Au-delà d’une série de causes comme la spéculation alimentaire et la hausse du prix du pétrole, qui se traduit en un investissement croissant en agrocombustibles et provoque une concurrence entre la production de céréales pour la consommation ou pour l’automobile, nous nous trouvons face à un système agroalimentaire profondément vulnérable, aux mains du marché. La libéralisation croissante du secteur au cours des dernières décennies, la privatisation des biens naturels (eau, terre, semences), l’imposition d’un modèle de commerce international au service des intérêts privés, etc., nous ont conduits à cette situation.

Tant que l’agriculture et l’alimentation continuent à être considérées comme des marchandises aux mains du plus offrant et que les intérêts commerciaux prévaudront sur les nécessités alimentaires et les limites de la planète, notre sécurité alimentaire et le bien-être de la terre ne seront pas garantis.

Esther Vivas 
22.06.11
Source: cadtm 
Traduit par Cécile Lamarque

jeudi 23 juin 2011

"Ne comptez pas sur la loi pour récupérer les biens des Ben Ali en Suisse"

Pourrait-on juger les prédateurs de la finance pour crime contre l’humanité?
Peut-être, mais pas en Suisse, estime Jean Ziegler, sociologue suisse réputé pour dénoncer les abus des «seigneurs de la guerre économique qui ont mis la planète en coupe réglée».

 

En 2005, Jean Ziegler publiait son ouvrage «L’empire de la honte». Aujourd’hui, il parle en Tunisie du pouvoir de la honte. «Si vous voulez récupérer votre argent, ce n’est certainement pas en suivant des procédures légales à ne pas en finir mais en militant, en vous exprimant par tous les moyens pour faire honte à ces Etats occidentaux qui attaquent le pouvoir normatif des Etats, contestent la souveraineté populaire, subvertissent la démocratie, ravagent la nature et détruisent les hommes et leurs libertés… La dette et la faim sont les deux armes de destruction massive utilisées par les maîtres du monde pour asservir les peuples, leur force de travail, leurs matières premières, leurs rêves. Sartre disait que “pour aimer les hommes, il faut détester fortement ce qui les opprime“».

C’est ainsi que s’est exprimé Jean Ziegler lors de la conférence organisée par l’Association tunisienne de la Transparence financière qu’il a présentée samedi 11 juin à Tunis.

Le 19 janvier 2011, le gouvernement fédéral suisse a gelé les avoirs de 48 personnes de nationalité tunisienne. L’opération consiste à envoyer via un message électronique à Berne aux banques suisses un message disant «Si vous avez des comptes au nom de Ben Ali et des personnes qui se trouvent sur cette liste, toute transaction de retrait ou de transfert est interdite à partir de demain 12h». C’est une saisie qui n’a aucun impact sur le plan judiciaire, elle est une ordonnance constitutionnelle. Donc, les mesures effectives ne pourraient être prises que si les intérêts de la Confédération (suisse) sont menacés à l’international. L’Etat qui veut rapatrier ses avoirs doit user d’une loi appelée loi sur l’enquête judiciaire. Il n’est pas dit, non plus, que cette procédure sera efficace car les banques suisses sont libres d’indiquer l’existence de comptes ou de ne pas le faire. Des clients comme Ben Ali sont par ailleurs très appréciés par la nomenclature bancaire suisse très concurrentielle car elle peut leur imposer des intérêts très bas puisque la provenance de capitaux n’est pas des plus transparentes.

Et même si le gouvernement suisse avait communiqué au gouvernement tunisien avoir gelé et saisi les avoirs de 70 noms soit un montant de 60 millions d’€ (une somme insignifiante), on ne peut arriver à cerner l’étendue des fonds déposés dans les banques suisses et autres. Les racketteurs à l’échelle de l’Etat peuvent user de mille et un subterfuges pour camoufler leurs malversations et principalement à travers les sociétés off shore et la diversification des lieux et des paradis fiscaux. Le président de l’Union des banques suisses a d’ailleurs protesté violemment contre la saisie et le gel précoces des biens des biens des Ben Ali et alliés.

Pour récupérer les biens spoliés à la Tunisie et déposés en Suisse, il faudrait que les législations des deux pays en matière de malversations bancaires et financières soient conformes, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Il faudrait aussi prouver le rapport entre ces fonds et leurs provenances par des pratiques mafieuses ou dans le cadre du blanchiment d’argent, ce qui n’est pas évident.

La Suisse, les capitaux spoliés sont chez moi, ils y restent. Vive le secret bancaire!
Le secret bancaire est sacré en Suisse, ceux qui le violent sont passibles de lourdes peines de prisons pouvant aller jusqu’à cinq ans. C’est en 1934 et suite à la mise à mort par Hitler de trois Allemands pour cause de compte en Suisse, que l’Etat helvète a convenu définitivement de la nécessité d’une loi stricte réglementant le secret bancaire afin de permettre aux clients de ses banques de bénéficier de la protection du code pénal. Et bien qu’en 2009 le Conseil fédéral suisse ait voté une loi permettant la levée du secret fiscal couvrant les évadés fiscaux étrangers, il n’est pas dit que la tâche pour la récupération des capitaux déposés dans ses institutions bancaires soit aisée. Berne n’aurait rien lâché sur ce qui constitue l’essence du secret bancaire suisse, c’est-à-dire la sauvegarde de la sphère privée pour toute personne «honnête».

Comment prouver que les fonds déposés dans les banques helvètes sont mal acquis? Et combien de temps cela prendrait? Dieu seul le sait.

En attendant, les Sani Abacha (Nigeria), Mobutu (ex-Zaïre), Jean-Claude Duvalier (Haïti), Marcos (Philippines), Ben Ali, Trabelsi et autres continueront à déposer en toute confiance le produit de leurs spoliations en Suisse. La Suisse, qui n’a aucune richesse naturelle, a un PNB de l’ordre de 550 milliards de $, celui de la Tunisie, par contre, est de l’ordre de 44 milliards. 27% des fonds off shore de par le monde se trouvent en Suisse.

«Je vous laisse imaginer comment la Suisse est devenue aussi riche», a déclaré sur un ton moqueur Jean Ziegler. En fait, la loi helvétique sur le secret bancaire est d’une telle complexité que très peu de gouvernements ont une chance quelconque de récupérer plus que quelques miettes des fortunes de leurs tyrans déchus. Et il ne s’agit pas que de Tyrans, nombre de riches ressortissants européens (Français, Espagnols ou Italiens), pratiquent l’évasion fiscale en se réfugiant en Suisse.

Dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, il est stipulé que tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes… peuvent disposer librement de leurs richesses et qu’en aucun cas, un peuple ne pourra être privé de ses propres moyens de subsistance. Dans l’article 14 de cette convention, il est dit que les États Parties envisagent de mettre en œuvre des mesures réalisables de détection et de surveillance du mouvement transfrontière d’espèces et de titres négociables ainsi que des mesures visant à prévenir le blanchiment d’argent et instituer un régime de contrôle des banques afin de décourager et de détecter toutes formes de blanchiment d’argent. Ce régime met l’accent sur les exigences en matière d’identification des clients et, s’il y a lieu, des ayants-droit économiques, les États Parties s’accordent mutuellement l’entraide judiciaire la plus large possible lors des procédures judiciaires concernant les infractions visées par la Convention à identifier, geler et localiser le produit du crime.

Il n’est pas dit que la Tunisie arrive à récupérer les capitaux placés dans les banques suisses. La tâche ne sera certainement pas aisée et c’est pour cela que pour Ziegler, il faut faire de la pression par le biais de la société civile, des médias et des dénonciations. «Il faudrait que les Etats qui abritent les biens volés aux peuples aient honte, il faudrait qu’ils sachent qu’ils s’exposent à une honte internationale», crie-t-il en terminant sur une belle citation de Pablo Neruda : «Nos ennemis peuvent couper toutes les fleurs mais jamais ils ne seront maîtres du printemps».

Amel Belhadj Ali
19.06.11
Source: cadtm

mercredi 22 juin 2011

«L’ouverture» de la frontière à Gaza: juste des mots?


  
Pour les Palestiniens, quitter la bande de Gaza pour aller en Egypte est un affaire aussi exaspérante que de vouloir y entrer. 




Guidés par des raisons politiques ou culturelles, la plupart des responsables palestiniens et personnalités publiques s’abstiennent de critiquer la façon dont sont traités les Palestiniens à la frontière de Rafah. Mais ce n’est vraiment pas un langage diplomatique qui permettra de décrire la relation entre les Palestiniens désespérés - certains se battant littéralement pour sauver leur vie - et les responsables égyptiens au point de passage qui sépare Gaza de l’Égypte.

«Les Gazaouis sont traités comme des animaux à la frontière», m’avait dit une de mes amies. Elle avait peur que son fiancé ne soit pas autorisé à quitter Gaza, bien que ses papiers soient en règle.
Après avoir moi-même traversé la frontière il y a juste quelques jours, je ne pouvais qu’approuver ses dires.

Le New York Times daté du 8 juin écrit: «Après des jours d’acrimonie entre le Hamas et l’Egypte concernant les limitations sur ce qui pourrait passer par le poste frontière de Rafah entre Gaza et l’Egypte, le Hamas a déclaré que l’Egypte avait accepté de permettre à 550 personnes par jour de quitter la bande de Gaza, et d’étendre les heures d’ouverture du poste frontalier.»

Et la saga continue.

Quelques semaines après l’annonce officielle égyptienne d’une ouverture «permanente» de la frontière - tendant ainsi une bouée de sauvetage aux Palestiniens piégés dans Gaza sous blocus - la frontière de Rafah a été ouverte pour deux jours, sous conditions, à la fin du mois de mai, puis fermée à nouveau durant quatre jours.
Maintenant elle a une fois de plus été «réouverte».

Toutes ces annonces s’avèrent n’être rien de plus que de la rhétorique. La dernière réouverture «permanente» a ses propres conditions et limitations, impliquant des paramètres comme le sexe, l’âge, le but de la visite et ainsi de suite.

«Chacun a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays», déclare l’article 13 (alinéa 2) de la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Ce principe universel, toutefois, continue d’être refusé à la majorité des Palestiniens de Gaza.

J’ai été l’un des tous premiers Palestiniens à me trouver à Rafah après l’annonce d’une ouverture «permanente». Notre bus a attendu à la porte pendant un très long moment. J’ai regardé un père tenter à plusieurs reprises de rassurer son enfant de 6 ans, en pleurs et qui montrait les signes évidents d’une terrible maladie des os. «Sortez les enfants ou ils vont mourir», criait un vieux passager tandis que lui-même haletait pour respirer. La chaleur dans le bus, combinée avec l’odeur de sueur des gens enfermés était insupportable. Les passagers ont décidé d’eux-mêmes de quitter le bus et de se tenir dehors, sous les regards désapprobateurs des officiers égyptiens.

Notre problème suivant a été de trouver de l’eau propre et un endroit ombragé dans la zone aride qui sépare les côtés égyptien et palestinien. Il n’y avait pas de toilettes.

Un sentiment tangible de désespoir et d’humiliation pouvait se lire sur les visages des passagers de Gaza. Personne ne semblait être d’humeur à parler de la révolution égyptienne, un des sujets de conversation préférés parmi la plupart des Palestiniens.

Cette zone est régie par une étrange relation, qui remonte à plusieurs années - en 2006, l’Egypte sous Hosni Mubarak, a décidé de fermer la frontière afin d’aider à la liquidation politique du Hamas.
La question n’a effectivement rien à voir avec le sexe, l’âge ou des questions de logistique.

Tous les Palestiniens sont traités extrêmement mal au passage de Rafah et ils continuent à souffrir, même après la chute de Mubarak et de sa famille et la dissolution d’un appareil de sécurité corrompu. La révolution égyptienne n’a pas encore atteint la bande de Gaza.

Quand le bus a été finalement autorisé à avancer quelques cinq heures plus tard, les Palestiniens se sont précipités vers la porte, espérant désespérément se trouver parmi les chanceux autorisés à traverser. L’anxiété des voyageurs les rend généralement vulnérables face aux employés à la frontière qui promettent de les aider en échange d’argent. Tout cela est réellement une escroquerie, la décision étant prise par un seul homme appelé al-Mukhabarat, «l’officier de renseignement».

Certains sont renvoyés tandis que d’autres sont autorisés à passer. Tout le monde est obligé d’attendre pendant plusieurs heures - parfois même des jours - sans aucune explication claire quant à ce qu’ils doivent attendre ou du pourquoi ils sont renvoyés.

Le petit enfant très malade âgé de six ans s’accrochait à la veste de son père alors qu’ils allaient, essayant désespérément de remplir toutes les obligations. Tous deux semblaient être sur le point de s’effondrer.

Le Mukhabarat décida que trois étudiants de Gaza en route pour leurs universités en Russie devaient être renvoyés. Rien que pour arriver jusqu’ici, ils avaient déjà franchi tellement d’obstacles. Leurs coeurs se sont brisés quand ils ont entendu le verdict. J’ai protesté en leur nom et la décision a été renversée aussi arbitrairement qu’elle avait été initialement prise.

Ceux qui sont renvoyés à Gaza sont escortés par des agents antipathiques au même endroit à l’extérieur pour y attendre le même bus décrépit.

Certains de ceux qui sont autorisés à entrer en Egypte sont escortés par des agents de sécurité à travers le désert du Sinaï, faisant toute la route jusqu’à l’aéroport international du Caire pour être «expulsés» vers leurs destinations finales. Ils sont tous traités comme des criminels de droit commun.

«Je ne peux pas voir mon fils mourir devant mes yeux», a crié le père de Saleh Mohammed Ali, âgé de 11 ans, a rapporté Mohammed Omer de l’agence IPS. Il s’adressait ce jour-là aux troupes égyptiennes alors que la frontière était censée être définitivement rouverte - pour la deuxième fois en moins d’une semaine.

Ces nécessités impérieuses de traitement médical, d’éducation et de liberté des Palestiniens ramènent les Palestiniens en arrière. Le siège israélien de Gaza a étouffé ses habitants jusqu’à la limite de l’étranglement mortel. L’Egypte est le seul espoir de Gaza. «Je vous prie d’ouvrir le passage ... Vous frères d’Egypte, vous nous avez humiliés pendant si longtemps. N’est-il pas temps que l’on nous rende notre dignité?» a déclaré Naziha al-Sebakhi, âgé de 63 ans, l’un des nombreux visages en détresse vus par Omer à la frontière de Rafah.

Alors qu’ils traversaient la frontière vers l’Egypte, certains des passagers semblaient euphoriques. Les trois étudiants russes et moi-même avons partagé un taxi pour aller au Caire. Un enregistrement d’Oum Kalsoum, Amal Hyati [espoir de ma vie] passait en boucle. Malgré tout ce qu’ils ont subi, les jeunes gens ne semblaient avoir aucun ressentiment envers l’Egypte. «J’adore tout simplement l’Egypte. Je ne sais pas pourquoi», a dit Majid, pensif, avant de s’endormir d’épuisement.

J’ai pensé à l’enfant de six ans et à son père. Je m’inquiète de savoir s’ils sont arrivés à l’hôpital à temps.

Ramzy Baroud
Journaliste international et directeur du site PalestineChronicle.com.
Son dernier livre, "Mon père était un combattant de la liberté: L’histoire vraie de Gaza" (Pluto Press, London)
19.06.11
Source: info-palestine

mardi 21 juin 2011

Maroc: attention aux enthousiasmes hâtifs

Gare à l'optimiste naïf, prévient Jean Zaganiaris, enseignant-chercheur au Centre de recherche sur l'Afrique et la Méditerranée à Rabat: des «évolutions institutionnelles majeures» pour Nicolas Sarkozy; un «discours historique» pour Rachida Dati. Et la presse française à l'unisson. La révision constitutionnelle de Mohamed VI n'est pas forcément la révolution douce qu'attend la France.


Le Maroc est en train de vivre des heures importantes de son histoire. La réforme constitutionnelle annoncée par les deux discours royaux des 9 mars et 17 juin 2011 est désormais sur le point de déboucher sur le référendum du 1er juillet. La commission chargée de remettre un rapport au roi Mohamed VI a respecté les délais. Depuis quelques mois, un enthousiasme bon teint s’affiche dans certains médias. Les uns titrent «Le Maroc rentre dans la modernité». Les autres parlent «d’une limitation des pouvoirs du monarque» et d’un «renforcement de la démocratie».

Dans le journal Le Monde, Jean-Noël Ferrié, chercheur CNRS et en poste au Centre Jacques Berque de Rabat depuis la rentrée 2010, s’enthousiasme en parlant d’une constitution marocaine qui s’annonce «libérale et démocratique» et qui pourrait même reconnaître «la liberté de conscience». Ces discours euphoriques oublient deux choses importantes: le contexte politique dans lequel a eu lieu cette révision de la constitution marocaine et les usages sociaux qui en découleront.

La révision constitutionnelle est inséparable du «printemps arabe» qui a eu lieu au Maroc depuis février 2011. Si certaines manifestations, notamment celles du 20 mars, ont eu lieu dans un esprit pacifique, celles du 13 mars ou bien celles de la fin du mois de mai ont montré des violences policières pour le moins inquiétantes.

De nombreux journaux marocains, parfois ignorés par leurs confrères européens, ont attiré l’attention sur ces actes de violence inacceptables au sein d’un pays qui prétend se démocratiser. Ils ont montré les rues de Casa ou de Rabat, le visage en sang de Oussama El Khlifi ainsi que la répression des manifestants devant la DST de Temara. Les propos publics de l’AMDH tiennent informés sur ce qui se passe dans les provinces du Maroc, notamment dans la commune de Safi où un manifestant est mort.

Les réseaux sociaux ou bien le journal en ligne Lakome.com ont évoqué les menaces dont Omar Radi, journaliste et membre du 20 février, a fait l’objet après avoir été pris à parti par des policiers. Ce dernier vient d’écrire à l’instant sur son mur facebook qu’il a été victime de violence dans la rue. Des blogueurs de l’AMDH ont publié hier leur indignation suite à l’arrestation de Seddik Kabouri et Mahjboub Chenou (information reprise sur le site du Nouveau Parti Anticapitaliste).

Il est regrettable que les «experts» du monde arabe n’aient pas réagi sur le contexte de cette révision constitutionnelle. Il ne s’agit pas de tordre le bâton dans l’autre sens et d’être dans le déni, le rejet, la critique. La simple dénonciation du retour à l’ordre sécuritaire n’est pas non plus une solution. D’ailleurs, comme le montrent les discours d’une Zineb El Rhazoui, membre virulente du mouvement du 20 février qui s’est rendue récemment à Bruxelles, ou bien d’autres membres du 20 février, qui parviennent à accéder à l’espace public, il existe des marges d’expression au Maroc dont les acteurs savent tirer profit.

L’Ecole de Gouvernance et d’Economie de Rabat a mis en place des ateliers au sein desquels des étudiants marocains ont pu s’exprimer sans aucune censure sur la constitution et faire des propositions, accompagnées parfois de remarques critiques. Ces dernières ont été reprises dans un document remis en juin à la Commission de révision. Notre propos n’entend nullement verser dans un pessimisme passif et résigné. Au contraire, nous espérons de tout notre cœur que le processus de démocratisation va se poursuivre, malgré les contraintes structurelles et les obstacles que certains fondamentalismes ou traditionnalistes mettent sur son chemin.

Le pluralisme, les débats sociaux et les démarches participatives de toutes sortes que nous avons vu jaillir à l’état pur au sein de la société marocaine représentent sans doute déjà une victoire politique importante, dont les partis politiques doivent tirer des leçons.

Le deuxième point a trait aux usages sociaux du droit. «Le langage du droit» peut être parfois très éloigné des pratiques sociales. Comme l’a montré Mohamed Mouaqit dans son livre sur la réforme du code de la famille en 2004, l’instauration de nouvelles lois ne s’est pas forcément accompagnée de nouvelles pratiques sociales.

Ce n’est pas parce que la femme a le droit juridiquement de se marier sans la tutelle de son père qu’elle est disposée socialement à le faire. Il en est de même de la constitutionnalisation de «tous les Droits de l’Homme» ou de «l’égalité entre l’homme et la femme, dans tous les droits politiques, économiques, sociaux, culturels et environnementaux». Certes, ces mesures sont salutaires et reflètent le combat militant des associations marocaines. Mais quelle sera leur effectivité dans un contexte où les inégalités de richesse entre Marocains sont énormes, où la domination patriarcale et les violences de toutes sortes restent des réalités à éradiquer au plus vite de l’espace public?

Si l’optimisme politique est en effet une des forces du pays, il ne peut en aucun être dissocié des réalités contextuelles marocaines. Comme le rappelait Tocqueville, derrière les ruptures visibles et les changements de régimes, il faut être capable de percevoir les inévitables continuités avec lesquelles il faut composer pour démocratiser la vie politique du Royaume …

Jean Zaganiaris
Politologue, enseignant-chercheur au CERAM
(Centre d’Etudes et de Recherches sur l’Afrique et la Méditerranée)
Ecole de Gouvernance et d’Economie de Rabat
19.06.11
Source: mediapart