vendredi 30 avril 2010

Un tiers des Islandais sous le seuil de pauvreté



Si les caprices du volcan et son nuage de cendres ont beaucoup ennuyé les Européens et détourné les Islandais de leurs misères quotidiennes, une brève du 24 avril 2010, parue dans Icenews, n’en a pas moins rappelé les Vikings aux dures réalités de la crise actuelle. En effet, par la voix du premier ministre Johanna Sigurdardottir, on apprenait de source gouvernementale ce que beaucoup conjecturaient depuis longtemps: l’inflation islandaise est galopante: 36% en deux ans sur les biens comestibles. Ce chiffre alarme d’autant plus les autorités qu’il n’a pas encore été intégré dans le calcul du seuil de pauvreté.

Quelle que soit la méthodologie que l’on applique ou le crédit que l’on accorde à cette donnée, le calcul du seuil de pauvreté nous renseigne avant tout sur le regard que nous portons sur nos sociétés. Calculer et reconnaître un seuil de pauvreté revient à évaluer officiellement quelle frange de la population est laissée pour compte. Et, ici, en Islande, les chiffres font frémir. Car, suivant les données de Statistics Iceland, le revenu disponible mensuel d’un individu doit être supérieur à 160.000 kr (940 € à l’heure où nous couchons ces lignes) pour que cette personne soit considérée comme vivant au-dessus du seuil de pauvreté.

Cette inflation de 36% en deux ans et ce chiffre de 160.000 kr, nous ont immédiatement rappelés aux informations communiquées le 23 février 2010 dans MBL par le ministre des finances, Steingrímur J. Sigfússon, et relatives aux revenus des contribuables islandais: 100.000 d’entre eux déclareront cette année moins de 119.000 kr de revenus mensuels (700 €), soit 32% de la population. Par ailleurs, 63.000 personnes déclareront des revenus mensuels situés en 119.000 kr (700 €) et 200.000 kr (1170 €), soit 20 %.

Un tiers des Islandais dans la précarité
A supposer que cette dernière tranche de contribuables se répartissent harmonieusement au-dessus et en-dessous du seuil de pauvreté de 160.000 kr, cela signifierait que 10 % de la population seraient à comptabiliser en plus parmi les précaires. Ceci ferait grimper à 42% de la population, le nombre d’insulaires vivant avec des revenus inférieurs à ceux que les Islandais considèrent comme symboliques de la pauvreté. Certes, les chiffres que nous avançons ici ne prennent pas en compte les revenus du patrimoine, mais il convient de remarquer que les précaires sont rarement ceux qui vivent de leurs rentes… Oui, plus d’un tiers de la population islandaise vit sous le seuil de pauvreté officiel. Il y a fort à parier que certains d’entre eux iront rejoindre la file de ceux qui ne vivent plus que de l’aide alimentaire fournie par les associations caritatives (1% de la population).

Cette précarité envahit le quotidien partout en Islande. Si Reykjavík a été la première touchée, vu qu’elle concentrait les services en général et le secteur bancaire en particulier (son effondrement en 2008 a marqué l’éclatement de la crise), c’est maintenant la campagne qui est touchée. Au village, certains proclamaient l’année dernière encore: “Ekki kreppa hérna!” (Pas de crise ici) Ils se taisent désormais. Maintenant, on ferme les portes des maisons, car la rumeur court que le vandalisme se répand à vive allure, et certains lèvent des regards pudiques en posant cette question oratoire: “Er erfitt að finna vinnu?” (Est-il dur de trouver du boulot?) Décidément, rares sont ceux qui sont épargnés!

Une grande dame au chevet de l’Islande
Que l’on apprécie ou pas l’orientation politique d’Eva Joly, on ne peut nier quelques-unes de ses qualités: sa détermination, son courage face à toutes pressions politiques et cette froide objectivité – fondement même de la justice. Cette grande dame était dernièrement l’invitée d’Anne-Sophie Lapix (Dimanche Plus). Elle y a salué le travail remarquable mené par son équipe en Islande, lequel a conduit à la publication du fameux rapport sur la chute du système bancaire, ouvrage devenu best-seller ici et que l’on nomme sobrement “skýrslan” (le rapport). La juge franco-norvégienne, qui, s’étant jadis illustrée dans le dossier Elf, avait été engagée par le gouvernement islandais afin d’enquêter sur l’effondrement de 2008, a néanmoins rappelé que le rapport n’était pas une fin en soi et que justice devait désormais se faire. Les procédures risquent de prendre du temps, et Eva Joly a signifié clairement qu’en France, on trouve encore l’un ou l’autre sénateur qui n’a jamais eu à rendre compte de ses malversations supposées…

Mais les Islandais auront-ils encore le courage d’attendre? Nous signalions dans nos derniers articles la montée de la xénophobie et nous mentionnions plus haut le sentiment d’insécurité qui s’installe. A quand l’éclatement de la violence?

L’Islande ne peut pas continuer seule
Le gouvernement semble désormais prendre conscience que le pays ne pourra pas se sortir seul de l’impasse. Il soigne son image: tandis que la population se mobilise pour aider les fermes du sud, sinistrées par les pluies de cendre, et, partant, redonner un visage présentable à la région avant que la horde des touristes ne déferle, l’exécutif se fendait tout dernièrement d’une déclaration officielle à l’endroit du FMI et y promettait que l’Islande s’acquitterait de sa dette envers les Pays-Bas et le Royaume-Uni, c’est-à-dire qu’on leur rembourserait - capital et intérêts - les 3,5 milliards d’euros avancés pour dédommager les clients malheureux, floués lors de la faillite d’Icesave (filiale en ligne de la Landsbankinn). Bien sûr, cette déclaration s’adressait également aux gouvernements britannique et néerlandais avec lesquels Madame Johanna Sigurdardottir se passerait bien de prolonger la passe d’arme autour de ce dossier épineux (les Islandais sont majoritairement hostiles au remboursement).

Mais une analyse plus fine de l’actualité nous montrera que, par ce communiqué officiel, le gouvernement islandais cherchait aussi à se couvrir au niveau international des conséquences d’un nouvel effondrement. En effet, le 23 avril 2010, on apprenait dans Icenews que deux nouvelles banques d’épargne, à court de liquidités, venaient d’être nationalisées. Comme ce fut le cas précédemment, les dépôts des épargnants seront garantis intégralement. Au-delà de la question de savoir comment de telles faillites peuvent encore se produire actuellement alors que l’on croyait le secteur purgé, on comprend aisément que le gouvernement n’aurait pas pu garantir ouvertement les épargnants islandais des conséquences de la faillite, tout en rechignant à dédommager les clients étrangers.

Poursuivre les coupables faute de mieux
Dans le même temps, nous apprenions le 21 avril 2010 que les avoirs des tycoons, accusés de tenir un rôle clé dans la crise islandaise, seraient gelés. Le ministre des finance déclarait en substance que les investigations commenceraient par les dossiers fiscaux et seraient poussées plus loin au besoin. Il semble, en effet, qu’une chasse à l’homme soit engagée, et qu’elle touche maintenant le milieu des affaires après avoir éclaboussé le monde politique comme nous le signalions naguère.

Tandis qu’on enquête sur les fraudes fiscales de certains, et qu’on brandit la menace de deux ans de prison devant les politiques qui s’avéreraient coupables de négligence lors des mois qui ont précédé la faillite des banques, plus d’un tiers des Islandais vivent sous le seuil de pauvreté. Atterrant!

Renaud Mercier & Nicolas Jacoup
27.04.10
Source: minorités

jeudi 29 avril 2010

Marasmes. La Grèce nous rappelle l’Argentine et l’Europe ressemble au Japon





I. Le marasme gagne l’Europe
La crise européenne risque de durer. Un jour, les historiens diront peut-être que l’Europe de 2010, c’est le Japon de 1990. Autrement dit, en perspective, une bonne dizaine d’année sans croissance soutenue, avec un marasme social durable. Un humoriste, singeant les intellectuels écolos, écrira peut-être un jour un traité sur le non développement minable. La crise de 2010, Pschitt ou Boum ? Une crise se résout par une transformation, à moins que les opérations financières ne se soient stabilisées pour un «bad deal» de plus de dix ans. C’est cela le signe de 2010. En 1930, un président américain proposait un new deal, non sans faire appel à l’effort de tous. Le «bad deal», c’est la compromission avec le spectateur qui ne prend plus en main l’avenir de son pays, le sort de ses concitoyens, mais qui exécute le quotidien et se délecte des potins mondains, des polémiques sans enjeu réel, bref, le spectateur, on sait qu’il est là, tapis derrière son écran, en embuscade pour snipper de manière factice les méchants que les politiciens et les médias désignent à la vindicte du ressentiment populaire alors qu’un passant s’écrie dans un jardin public, «polygame is over». Les serviteurs volontaires offrent leur temps de cerveau émotif aux médias. L’acteur politique que devrait être le citoyen est comme tétanisé par le titanesque déchaînement des tonnerres financiers avec l’entêtement des endettés conduisant vers le terminus de la faillite lorsque la dette qui tonnera nous plongera dans l’étonnement. C’est la société des fêtes qui se transforme en société défaite. Le festif participant à l’événementiel se donne l’illusion de diriger sa vie et de vivre comme un acteur. Il bouge ! Mais en politique, rien ne bouge et tout s’agite, faute d’agir intelligent.

En France, comme dans les années 1930, les gens ne pressentent pas le danger. Voilà déjà une demi douzaine d’années de marchés financiers débridés et de montée de l’immobilier pratiquée dans la plus anesthésiante des innocences, une économie bancale dont l’efficacité a reposé sur le crédit, autrement dit, sur un décalage temporel des comptabilités réelles. Un jour, il fallait bien que le réel nous tombe dessus. C’est fait mais les comptes ne sont pas encore achevés et cette dette, ces bulles, elles pèsent sur l’avenir des sociétés européennes. Nul ne sait comment ça finira mais la plupart songent déjà aux vacances. C’est comme en 1930. Mieux vaut ne pas regarder avec les yeux perçant de l’intellect ce qui se passe dans le monde. Et continuer à écouter les phrases lénifiantes ou agaçantes qui se diffusent.

« Il faut tout changer dans ce pays ». Ainsi parla non pas Zarathoustra mais le premier ministre Papandréou qu’on pressent bien empêtré dans la mouise économique car comme il le sait, il faudra du temps à la Grèce pour « tout changer ». C’est une belle résolution mais elle résonne comme une incantation lancée telle une prière chamanique non pas pour faire tomber la pluie mais les milliards d’euros que l’Europe et le FMI s’apprêtent à prêter à ce pays pour faire face à sa dette. En ouvrant l’œil, l’analyste doit se dire que c’est trop tard. L’Europe et l’euro, c’était une expérience, comme celle des Soviets, qui s’est achevée en 1992. Rien ne permet de prédire un scénario soviétique mais on sait une chose, c’est que la construction européenne ne peut fonctionner qu’avec les bonnes volontés et la rigueur de tous. Sans vouloir vexer les Grecs, force est de constater qu’ils ont un peu picoré au poulailler du budget communautaire et joué les cigales en augmentant les dépenses publiques sans se soucier des rentrées fiscales et de la nécessité de développer une économie performante. L’Irlande a de ce point de vue mieux joué, mais sans doute, la concurrence fiscale a permis à ce pays de se doter d’industries performantes en sacrifiant les services publics. L’Irlande et la Grèce, ce sont les extrêmes de l’Europe, sur la carte et dans la gestion économique.

C’est fini, c’est trop tard. La Grèce ne pourra pas transformer son économie pour revenir à l’équilibre et le sort de ce pays, c’est de s’appauvrir. Mais pas de quoi s’affoler, même appauvrie, la Grèce comme du reste le Portugal ou l’Espagne, ont largement de quoi subvenir aux nécessités des plus nécessiteux. Un «pauvre» de l’Europe en 2010 a un niveau de vie supérieur à celui d’un bourgeois de l’Ancien Régime. Néanmoins, compte-tenu de l’immersion de l’existence dans un milieu social, le bourgeois de 1730 se voyait très riche, alors que le smicard européen de 2010 a le sentiment d’être très pauvre. Cette crise de 2010 ne ressemble pas à celle de 1930, excepté dans ses ressorts, la cupidité des opérateurs. Il n’y a pas de déficit d’industrialisation. Et c’est ce qui rend la tâche des financiers publics délicate. Car la quantité de production industrielle, disponible et commercialisable, est prise par les nouveaux pays industriels, qui sont de plus en plus nombreux et de plus en plus industrialisés. La vérité, c’est que l’Europe est dans une impasse et que l’économie de la connaissance n’y fera rien, sauf à enfumer les citoyens et les dirigeants par un mythe savamment construit.

II. De Grèce en Argentine
La situation de la Grèce ressemble par quelques traits essentiels à celle de l’Argentine avant la crise de 2000. En 1992, le ministre argentin de l’économie avait conclut un accord très particulier, celui d’un currency board avec le dollar. Le principe est de régler la politique monétaire de l’Argentine en fonction des entrées de dollars. Cela pour lutter contre l’inflation et attirer les investissements. Le peso est alors calé sur le dollar. Ce deal a fonctionné des années mais n’a pas résisté à la montée du dollar en 1998. Les exportations argentines sont devenues moins concurrentielles, fait aggravé par la dévaluation du real, monnaie de son premier partenaire économique. L’Argentine est entrée dans une sévère déflation qui n’a pas pu être gérée à cause des résistances internes. Les salariés du privé et public n’ont pas voulu des baisses de revenus, alors que les prix auraient dû baisser. Le FMI, qui n’aime pas les currency board et on le comprend, car on ne sait pas comment en sortir, avait préconisé la conduite d’une déflation mais rien n’y fit et sous la pression des marchés financiers, le bad deal a été réglé. Le peso a décroché du dollar en 2001. A noter la prospérité des classes bourgeoises et des classes moyennes lors de cet épisode où l’on voyait des touristes argentins claquer leurs thunes plus allègrement à Prague que leurs homologues français ou allemand.

La Grèce elle aussi, a vécu les années heureuses après l’entrée dans l’euro. Les dépenses publiques ont cru de dix points par ans, alors que les politiques clientélistes du pays aux mille îles ont permis à une minorité de bien s’engraisser. Bref, cela ressemble à l’Argentine. Et l’euro, c’est dans la pratique et les conséquences le même mécanisme qu’un currency board. Sauf qu’il n’y a pas un tandem de deux monnaies mais une seule, la Grèce étant privée de son pouvoir d’émission, comme du reste tous les pays de la zone euro. Ceux qui imaginent que la Grèce puisse sortir de l’euro se trompent. C’est déjà difficile avec un currency board alors imaginez avec une monnaie unique. La Grèce souffre d’un déficit d’industrialisation et comme pour l’Argentine, DSK, la voix du FMI, préconise un sérieux ravalement des prix et salaires qu’on appelle déflation. Ce qui signifie que le temps des cigales est achevé. Mais pas celui de la fronde sociale. Pourtant, la déflation semble la seule solution. Un cercle vertueux faisant que les prix baissent en même temps que les salaires. Du coup, la Grèce devient compétitive et ne souffre plus de cet euro encore trop fort qui l’a pénalisée tout autant que le dollar a miné la compétitivité argentine pendant les dernières années du currency board. Le réalisme du marché revient. Et finalement, la déflation consiste, pour un pays de la zone euro, à une dévaluation de son économie, faute de pouvoir dévaluer sa monnaie.

A noter, la résilience nationale. L’Argentine a vu son PIB baisser de 21 points entre 1998 et 2001, alors que le chômage atteignit 23 points et qu’une moitié d’habitants étaient classés sous le seuil de pauvreté. Quant à la dette publique, elle a atteint les 140 milliards. C’est semble-t-il moins que la Grèce. L’économie argentine a repris des couleurs depuis le clash de 2000. Elle le doit à ses capacités industrielles, ses ressources et à ses travailleurs efficaces et formés à bonne école. La Grèce a-t-elle autant d’atouts que l’Argentine pour se sortir de l’impasse ? Pas sûr. Et l’Europe, est-elle mieux lotie ? A priori, on peut penser que oui, au vu des capacités dont disposent les deux moteurs que sont la France et l’Allemagne mais cette dette qui pèse risque de japoniser l’Europe.

(Quant à la menace que fait peser la Grèce sur l’euro, c’est une farce, la Grèce, deux pour cent du PIB européen, faisant chuter l’euro, c’est comme si on avait craint que l’Argentine puisse entraîner le dollars vers la chute. Néanmoins, la Grèce pourrait faire faillite. Y a-t-il une procédure pour gérer cette situation dans le traité de Lisbonne rédigé par l’homme aux six cerveaux ? Quand un individu ne peut pas rembourser son prêt, sa maison est saisie. Va-t-on exproprier les Grecs de chez eux ? Et saisir quelques îles ? Quelle horreur, ces îles au nom mythique, Lesbos, Mykonos et Samos, rachetées par les créanciers, rebaptisées en îles BNP, Goldmann Sachs et Axa !)

Japoniser l’Europe ? Allons bon ! Il y aurait bien une solution pour sortir de l’impasse économique. Je l’avais déjà évoquée sur cet espace de libre expression mais au fond, je ne sais pas si notre société de spectateurs a vraiment la volonté de sortir de la situation, chacun essayant de gérer ses intérêts tout en pratiquant un déni de réalité sur les souffrances d’une large minorité.

Bernard Dugué
28.04.10
Source: agoravox



Par ailleurs:
Rassemblement de solidarité avec le peuple grec victime des banques.

Suite à l'appel lancé par le Parti de Gauche (PG) en France, Jean-Luc Mélenchon, eurodéputé GUE/NGL membre du Parti de la Gauche européenne (PGE) et les militants de Bruxelles appellent toutes les forces de la gauche européenne à se mobiliser pour dénoncer la punition que les dirigeants européens, le FMI et les grandes banques mondiales imposent sans vergogne au peuple grec.
 

Les comptes publics maquillés ? Les banques d'affaires comme Goldman Sachs les ont préparés pour le gouvernement grec. Le poids de la dette ? Il s'alourdit chaque jour à cause de la spéculation financière et des taux d'intérêt exorbitants exigés par les banques.
Face aux banques, où est donc « l'Europe qui protège » ? Nulle part. Le traité de Lisbonne n'interdisait pas aux Etats emprunter auprès de la Banque Centrale européenne comme le font les banques à un taux d'1% seulement. Les sacrifices réclamés à cors et à cris ? Ce sont toujours les peuples qui doivent payer afin que la finance puisse continuer à s'empiffrer.
Si les banques font plier la Grèce, elles attaqueront demain d'autres pays européens. C'est un bras de fer décisif qui s'engage entre les citoyens et les banques. Pour notre part nous affirmons le droit des européens à bénéficier des richesses qu'ils produisent. Nous défendons la souveraineté populaire face aux diktats des banques. Nous affirmons la solidarité des peuples face à la compétition du marché libre.

Nous exigeons donc que l'argent prêté aux grecs le soit sans profit pour les banques, au taux de 1% dont elles bénéficient auprès de la BCE. C'est pourquoi nous vous appelons tous, citoyens de l'UE, à un rassemblement devant la Fédération européenne des Banques (10, rue Montoyer. Métro Trône) vendredi 30 avril à 12H30


> voir notre AGENDA ci-contre
_____________________________________________________
Bureau de Jean-Luc MELENCHON, Eurodéputé GUE/NGL, Président du Parti de Gauche (PG)
Céline Meneses 0491079731 www.lepartidegauche.fr

mercredi 28 avril 2010

Et si on nous parlait vraiment de choses sérieuses et … importantes ?


 

Depuis trois jours l’affaire du PV à la femme au niqab et son mari présumé polygame déferle sur tous les médias, à ne plus en pouvoir.

Grâce à M. Hortefeux.
Comme ça, ce Ministre de l’Intérieur fait oublier que le Procureur de la République vient d’estimer que ses propos sur les Arabes/Auvergnats (… !) tombaient sous le coup de la Loi.
Comme ça, ce Ministre de l’Intérieur fait oublier qu’il est totalement impuissant, malgré ses coups de menton répétés, face aux “caillassages” de bus qui se propagent dans de nombreuses villes de province.

Mais ca ne fait rien, sur le Web c’est le déchaînement d’internautes qui crient à l’hallali sur le mari de la conductrice verbalisée . On lit des trucs stupéfiants !

Les Français n’ont-ils pas d’autres préoccupations que ce pseudo évènement ?
Les Paysans qui ont perdu 50 % de leurs revenus, qui se suicident plus qu’à France Télécom…., ils s’en foutent.

Ces internautes violemment anti-islam, champions de l’égalité homme-femme, qui protestent sans discernement contre la burqa, s’en foutent complètement qu’en France, en 2010, les femmes blanches, de souche, gagnent en moyenne 20% de moins que les hommes. Que les femmes enceintes, blanches, de souche, se fassent licencier…et j’en passe. Ce n’est pourtant pas la Charia ça. C’est la réalité de notre “belle identité nationale”. Mais ces internautes ne sont pas à une contradiction près…

Ce ne sont pourtant pas des “barbus” qui opèrent chez Goldman Sachs, cette “banque” qui a foutu le bordel dans le monde entier, qui cherche patiemment à faire couler la Grèce et l’Euro, et dont les dirigeants, qui n’ont pas de femmes voilées, s’en foutent plein les poches. Nos internautes hystériques ne s’en rendent même pas compte, tellement ils sont obnubilés par tous ceux qui sont “bronzés”.

Et sont-ce des Arabes qui, tout ce week-end, se sont rendus en masse dans les communes sinistrées de la tempête Xynthia ?? Sont-ce des Arabes qui filmaient ou photographiaient le malheur de leurs concitoyens, certains même se permettant de pénétrer dans les maisons abimées “pour avoir des souvenirs”

Franchement, par moment, il devient de plus en plus difficile de se sentir des atomes crochus avec certains de ses compatriotes !!

Jacques La Mauragne
28.04.10
Source: lamauragne.over-blog.com/

mardi 27 avril 2010

Le hold-up tranquille...




120 à 170 milliards d’euros par an pompés par les profits sur les salaires : et l’on nous parle des "trous" de la protection sociale ? Fakir fait les comptes.


L’excellent journal Fakir entre en guerre contre ce qu’il appelle Le hold-up tranquille des profits sur les salaires dans le partage de la valeur ajoutée : "Depuis 1983, l’Insee évalue à 9,3% du PIB les richesses qui ont glissé de la poche des salariés à celle des actionnaires. C’est une donnée clé, qui représente des centaines de milliards d’euros – ce que nous appelons un «hold-up tranquille» et qui permet de renverser le regard sur toutes les «réformes» en cours : retraites bien sûr, mais aussi Sécurité sociale, flexibilité, pouvoir d’achat. (...) Ce sont donc les financiers eux-mêmes qui dressent ce constat, avec étonnement: jamais les bénéfices n’ont été aussi hauts, jamais les salaires n’ont été aussi bas, un déséquilibre inédit depuis au moins un demi-siècle, et vrai pour l’ensemble des pays industrialisés. Et cette analyse ne souffre d’aucune contestation: d’après le Fonds Monétaire International, dans les pays membres du G7, la part des salaires dans le Produit Intérieur Brut a baissé de 5,8% entre 1983 et 2006. D’après la Commission européenne, au sein de l’Europe cette fois, la part des salaires a chuté de 8,6%. Et en France, de 9,3%. Dans le même temps, la part des dividendes dans la valeur ajoutée passait de 3,2% à 8,5%. Un quasi-triplement. (...)"

Le PIB de la France s’élève, aujourd’hui, à près de 2 000 milliards d’euros. Donc il y a en gros 120 à 170 milliards d’euros qui ont ripé du travail vers le capital, calcule Jacky Fayolle, ancien directeur de l’IRES – Institut de Recherche Économique et Social.
- «120 à 170 milliards par an, alors ?»
- « Pour aller très vite, c’est ça. » Même avec des estimations basses, le seuil des cent milliards d’euros est largement dépassé. Soit plus de dix fois le «trou» de la Sécurité sociale en 2007 (dix milliards, l’année d’avant la crise), cinq fois celui de 2009 (22 milliards d’euros, crise oblige). Une vingtaine de fois celui des retraites (7,7 milliards d’euros). Des «trous» amplement médiatisés, tandis qu’on évoque moins souvent celui, combien plus profond, creusé par les actionnaires dans la poche des salariés. (...) Ces 9,3% devraient, par le gigantisme des sommes en jeu, des centaines de milliards d’euros, ces 9,3% devraient s’installer au cœur du débat. Quand Nicolas Sarkozy intervient, à la télévision, et déclare «si nous voulons sauver notre système de retraite, nous ne pouvons plus différer les décisions. Tous les chiffres sont sur la table», un chœur devrait s’élever dans le pays citant un chiffre qui n’est pas «sur la table»: 9,3%.

Quand le même revient à la télé, et déclare «Il faut plus d’argent contre Alzheimer, plus d’argent contre le cancer, plus d’argent pour les soins palliatifs, mais où est-ce qu’on les trouve ? où est-ce qu’on les trouve?», on pourrait lui apporter la solution: qu’il retrouve ces 9,3% dans les portefeuilles de ses amis du Fouquet’s. Toute la contestation des «nécessaires réformes en cours» pourrait, inlassablement, s’appuyer sur ces 9,3%. Or, c’est à l’inverse qu’on assiste: cette donnée majeure est quasiment effacée de la sphère publique, éclipsée dans les médias, à peine mentionnée par les politiques. Un point central de l’économie en devient le point aveugle. C’est pourquoi Fakir vient apporter ses lumières… Merci Fakir !

Olivier Bonnet
27.04.10
Source: plume de presse

lundi 26 avril 2010

L’image des musulmans en Belgique


En principe, que ce soit en Belgique ou au Maroc, la vie est une lutte continuelle et perpétuelle pour un monde meilleur, juste et équitable. En ce qui nous concerne, ce ne sont pas les aboiements de quelques xénophobes et islamophobes qui vont nous décourager. De l'autre côté, les droits ne tombent pas du ciel, ils sont la conséquence et l'aboutissement de luttes, de souffrances et de sacrifices.


En Belgique, pour vivre sa vie selon ses convictions politiques, économiques et religieuses il faut lutter pour garantir ses droits acquis, sociaux, culturels et cultuels. Pour cela nous devons rester vigilants et encore lutter avec acharnement contre les ennemis de tout bord et surtout, avant de voir chez autrui, de nettoyer premièrement chez soi.

Pour être un bon musulman vivant et pratiquant sa foi en Belgique il faut être aussi un bon belge, respectant à la lettre la loi et la constitution belges. Le législateur nous a permis de vivre solennellement selon notre foi dans la légalité et surtout dans la transparence et la visibilité.

Par conséquent, nous avons acquis le droit de respecter les préceptes islamiques dans un respect mutuel, mais nous avons aussi obtenu et bénéficié du devoir de nous ouvrir à la société tout en respectant les valeurs culturelles et historiques de la Belgique.

Se recroqueviller sur soi-même, se réfugier et s’enfermer dans un Islam opaque et distant fera le jeu des extrémistes de tout bord. Soyons des citoyens belges de confession musulmane à part entière et prenons fièrement nos responsabilités face aux défis de notre époque dans la sérénité et sans complexe.

Il y a parmi nous ceux qui malmènent nos préceptes par des comportements bizarroïdes et folkloriques ne respectant ni les coutumes du pays d'accueil ni celles de notre mère patrie. Bien que nous vivions dans des sociétés modernes, certaines personnes incultes et incompétentes, manipulées ou sous influence wahabite ou afghane vivent maladroitement et à la périphérie de la société, en s'excluant et en se repliant sur elles-mêmes, en pratiquant un Islam rigoureux et totalement inadapté. Et bien que minoritaires, ce sont malheureusement elles qui font souvent la une des journaux et donnent une fausse image de la communauté musulmane, provocant ainsi l'incompréhension et offrant gratuitement du pain à la bouche des islamophobes et des xénophobes, de gauche comme de droite.

Je dénonce fermement et avec véhémence ces comportements déviationnistes, importés d'autres planètes et n'ont pratiquement aucune racine avec la culture et l'histoire arabe ou amazigh, nord africaine ou maghrébine.

Personnellement j'aime la Belgique, mon pays adoptif et j'aime aussi mon pays d'origine. Quand je suis en Belgique je pense au bled et, chaque fois que je suis au Maroc la Belgique me manque. Je ne sais pas pourquoi ces champions de la dérive sont venus s'installer pour vivre en marge de la société, et en jouant à la roulette russe, remettent en cause nos acquis historiques. Si ces énergumènes n'ont rien à perdre, ce n'est pas notre cas et nous, pionniers en Belgique, nous y avons beaucoup à perdre. Nous avons lutté avec acharnement pour acquérir des droits et des devoirs dans cette société que nous avons choisie et qui nous a adoptés. Pendant des décennies nous avons milité avec et au sein des syndicats et des partis politiques, toujours en solidarité avec la société civile belge, avec l'église et avec le mouvement étudiant. Nous avons créé une vie associative très riche et très variée. Nous avons participé activement au bien-être ici en Belgique et contribué à l'économie marocaine. Nous y avons laissé notre jeunesse et parfois sacrifié notre santé. Ancêtres bâtisseurs et fiers, nous n'avons jamais demandé l'aumône et nous n'avons jamais reçu de cadeaux. Vétérans combattants, nous avons arraché des droits dont nos générations descendantes jouissent pleinement maintenant.

Dès lors, faisons en sorte de rectifier le tir et d'améliorer l'image des musulmans de Belgique en construisant ensemble en solidarité avec toutes les composantes de la société un regard positif de l'islam et des musulmans. Il faut faire reconnaître l’apport incommensurable et positif de l’islam et des musulmans actuellement, et pas seulement celui du passé lointain. Finalement nous ne sommes pas différents des autres citoyens: nous aspirons comme eux à vivre sereinement et pacifiquement notre spiritualité, en évitant toute provocation et en refusant tout amalgame et toute stigmatisation, d'où qu'elle vienne.

Sarie Abdeslam
25.04.10

Euro : la responsabilité de l’Allemagne



Et si le pays qui pose le plus de problèmes à la zone euro n’était pas la Grèce, mais l’Allemagne ? Cette question pourra paraître inconvenante à Berlin où l’on considère que, en plus de la Grèce, ce seraient l’Espagne, le Portugal et bientôt l’Italie – le «Club Med» comme on les désigne avec condescendance - qui mettraient en péril la monnaie unique européenne.



Mais on peut inverser la perspective et pointer la responsabilité historique de l’Allemagne dans la crise profonde qui affecte aujourd’hui la zone euro. Imposer, par le traité de Maastricht (1992), une politique monétaire identique à des économies nationales profondément dissemblables constituait un défi au simple bon sens [1]. De plus, le chancelier Helmut Kohl exigea que cette politique soit celle de la Bundesbank, transposée à l’échelle européenne et mise en œuvre par la Banque centrale européenne (BCE) : euro fort, phobie de l’inflation et des déficits publics.

Il y avait un prix à payer, exigé par le patronat allemand, lui-même relayé par les gouvernements successifs, afin de maintenir la compétitivité du «site Allemagne»: augmentation de l’âge de la retraite, diminution des indemnités de chômage, dégradation de la protection sociale, compression des salaires. Ainsi, de 2000 à 2008, le coût salarial unitaire en Allemagne a baissé en moyenne annuelle de 1,4 %, alors qu’il augmentait de 0,8 % en France et de 0,7 % au Royaume-Uni.

Aujourd’hui, l’Allemagne est un pays où la demande intérieure est plus faible que chez ses partenaires et qui dégage un énorme excédent commercial (80 milliards d’euros en 2009). Le gouvernement d’Angela Merkel est maintenant pris dans un dilemme : ou bien, pour tenter de sauver la zone euro - et en contradiction avec ses principes - il contribue au renflouement des finances de la Grèce (et ultérieurement de celles de l’Espagne et du Portugal), et il cesse alors d’invoquer le respect des critères de Maastricht et du pacte de stabilité en termes d’endettement et de déficit publics ; ou bien, avec l’aide de la Commission et de la BCE, il impose à ces pays ses propres politiques de rigueur, avec comme conséquence, chez eux, une chute supplémentaire de la consommation et de l’investissement… et donc des importations de produits allemands. Or environ la moitié des excédents commerciaux de l’Allemagne proviennent des exportations vers le reste de la zone euro [2].

Si l’euro n’existait pas, les pays du « Club Med », et sans doute d’autres, auraient procédé à des dévaluations compétitives de leur monnaie par rapport au mark (comme celle de la livre sterling qui a perdu 30 % de sa valeur par rapport à l’euro en quelques années). Mais l’euro existe et interdit ces ajustements… Dans ces conditions, des scénarios qui auraient été considérés comme fantaisistes il y a peu de temps sont désormais théoriquement envisageables
.
Le premier est l’explosion de la zone euro : soit par la sortie des pays du « Club Med », voire d’autres de situation comparable, qui pourraient éventuellement reconstituer entre eux une nouvelle zone monétaire; soit par la sortie de… l’Allemagne. Le deuxième scénario serait un changement radical de la politique menée à Berlin: poursuite des plans de relance, augmentation des salaires et priorité à la demande intérieure au détriment des exportations. Le Financial Times résume parfaitement la philosophie de cet éventuel virage: «L’Allemagne doit devenir moins allemande si elle veut que la zone euro le devienne davantage» [3].

Bernard Cassen
Avril 2010

Notes:
[1]  Véase Bernard Cassen, « Grecia, el euro y el lastre de los tratados », Le Monde diplomatique en español, marzo 2010.
[2]  Financial Times, 25 février 2010.
[3]  Financial Times, 10 mars 2010.

Source: mémoire des luttes

dimanche 25 avril 2010

Sondage mondial de la BBC : Israël bat des records d’impopularité



Un sondage de la BBC publié le 19 avril témoigne de la mauvaise image d’Israël dans le monde. Dans un échantillon de 28 pays et de 29 000 personnes interrogées, Israël se retrouve dans les pays les plus mal vus, avec une moyenne de 19 % d’opinions positives seulement... et encore, grâce aux USA !

"En fait, l’influence d’Iisraël n’est jugée positive que dans deux pays seulement, souligne Le Monde : les Etats-Unis, ce qui ne surprendra pas, en dépit de la crise qui met aux prises les gouvernements des deux pays, et le Kenya.
Dans l’échantillon de la BBC, le plus mauvais résultat pour Israël est enregistré en Egypte, malgré plus de trente ans d’une paix il est vrai glaciale, et en Turquie, qui est également liée à Israël par un traité de coopération militaire…
Mais il serait erroné de lier mauvaise image et poids de l’islam. Le Brésil, l’Allemagne et la Thaïlande considèrent également très négativement l’influence israélienne."

http://israelpalestine.blog.lemonde.fr/2010/04/23/une-image-disrael-problematique/#xtor=RSS-32280322

On pourrait citer d’autres pays où les résultats ne sont pas plus flatteurs. En France, Israël ne rencontre que 20 % d’avis favorables. En Espagne et au Portugal, cela chute à 9 %, et au Japon.... à 2% !

Allez, Delanoë leur mettra bien une petite plaque supplémentaire à la mémoire de Moshe Dayan ou de Sharon, pour les consoler ! Ah non, Sharon n’est toujours pas débranché (un véritable gouffre pour la sécurité sociale israélienne !)

CAPJPO-EuroPalestine
23.04.10

samedi 24 avril 2010

Cinq belles réponses à une vilaine question



Au terme du «débat sur l’identité nationale» organisé par Éric Besson, l’heure est au bilan, non pas sur la nature de ladite identité nationale mais sur la signification d’un tel «débat», sa fonction, ses effets sociaux et enfin la réponse politique qu’il appelle.

Si en effet une identité nationale doit aujourd’hui être interrogée, ce n’est pas une identité raciale, confessionnelle ou culturelle mais une identité politique. Non pas une identité immémoriale et éternelle (cet improbable «Occident judéo-chrétien» autour duquel on voudrait nous faire communier) mais une forme historique singulière. La question à se poser n’est pas «Qu’est-ce que la France?» mais «Qu’est-ce, politiquement, que la France de 2010?» Non pas «Que sommes nous?» mais «Que sommes nous devenus pour accepter d’être réduits à une nationalité?». Non pas «Comment promouvoir la fierté d’être français?» mais «Pourquoi faudrait-il être fier d’être français? Qui veut qu’on le soit, et pour quoi faire?».

Il n’y a bien évidemment aucune raison d’être fier d’être Français, premièrement parce que nous ne sommes pour rien dans cette nationalité dont nous ne faisons qu’hériter; deuxièmement parce que Pétain et Lacoste sont aussi Français que Jean Moulin et Franz Fanon, parce qu’à côté des innombrables œuvres artistiques, culturelles, sociales ou politiques admirables produites par des Français existent aussi des guerres, des oppressions, des bassesses et des lâchetés tout aussi innombrables et tout aussi françaises; troisièmement parce que, de Samuel Beckett et Pablo Picasso à Missak Manouchian et Olga Bancik, des étrangers, de passage ou installés en France, ont eux aussi marqué positivement l’histoire du pays; enfin parce que les Français les plus admirables ont toujours été celles et ceux qui ont fait passer avant la nation leur appartenance à une autre communauté, transnationale: la communauté scientifique, celle des artistes, des musiciens, des philosophes, des antifascistes, des femmes, des prolétaires, des damnés de la terre, des nègres ou des créoles…

Une fois rappelées ces évidences, cinq leçons nous paraissent pouvoir être tirées de cette séquence de «débat», que synthétisent cinq contre-mots d’ordre, apparus dans le mouvement social et la culture populaire ces dernières semaines, ces derniers mois ou ces dernières années.

1. « Nous ne débattrons pas ! »
Ce premier mot d’ordre est le titre d’une pétition lancée par le site Mediapart, et s’il est loin d’apporter une réponse suffisante, à la hauteur de la provocation bessoniste, il constitue en tout cas un préalable nécessaire. Toute autre posture (par exemple celle de responsables socialistes et d’intellectuels médiatiques comme Michel Onfray se réjouissant d’un débat «nécessaire» et opposant «leur France», un peu moins «fermée» ou un peu moins pétainiste, au nationalisme de Besson, Hortefeux ou Sarkozy; ou celle de chercheurs dénonçant uniquement l’oubli de leur expertise dans la définition officielle de l’identité nationale, et l’absence de leurs livres dans la bibliographie du site gouvernemental) constitue déjà une capitulation devant l’inacceptable.

Inacceptable, ce débat l’est d’abord, indépendamment de sa thématique particulière, parce qu’est inacceptable, d’un strict point de vue démocratique, le principe même d’un débat public imposé par l’autorité étatique. Depuis quand la vie intellectuelle d’un pays doit-elle être rythmée par un agenda fixé par le chef de l’État? Depuis quand un État, et plus précisément un État qui se veut démocratique et libéral, un État qui ne fait pas de son chef un «Danube de la pensée», s’octroie-t-il, en plus du droit de peser sur nos actes (par le biais de l’interdit et de la menace de sanction), celui de peser sur nos paroles et même sur nos pensées, nos opinions, nos sentiments et nos choix les plus intimes? Besson s’inscrit de ce point de vue dans une lignée:
- une loi de 2003 rend désormais passible de prison le simple fait d’«outrager» (par un sifflet ou un crachat) la Marseillaise ou le drapeau tricolore;
- d’autres lois ou projets de loi s’occupent de la manière dont nous nous habillons (la loi de 2004 sur le voile, le projet de loi sur la burqa, sans compter les remontrances répétées d’élus comme Nadine Morano contre les casquettes à l’envers);
- on décide désormais quelle langue nous devons parler (Jacques-Alain Bénisti préconisait par exemple dans un rapport parlementaire l’interdiction de la langue d’origine dans les familles immigrées, tandis que Nadine Morano a récemment sommé les musulmans de renoncer au verlan);
- on dicte aux professeurs ce qu’ils doivent enseigner, et quand ils doivent le faire (imposition de la lettre de Guy Môquet aux professeurs d’histoire, tentative d’imposer le «parrainage d’un enfant juif déporté» à chaque élève de CM2).

Le «débat» bessoniste constitue l’aboutissement de cette ingérence étatique: ce sont maintenant nos sujets de discussion qui se décident au sommet de l’État – et ce faisant, celui-ci s’autorise à intervenir y compris sur quelque chose d’aussi intime (en tout cas selon les principes officiels du libéralisme politique) que nos sentiments et nos objets d’amour: le but avoué de l’opération est de faire vivre le «sentiment national» et de faire «aimer la France»!

Depuis quand l’État s’autorise-t-il une telle ingérence jusqu’au plus intime de nos consciences? En un sens depuis toujours. Ce serait en effet idéaliser le passé que de croire qu’il a existé un jour une complète autonomie de la société civile: il est évident que la liberté d’expression et l’autonomie de la sphère intellectuelle sont des acquis démocratiques tout relatifs, que les formes de contrôle et de censure étatique qui ont été historiquement abolies ont pour une part été remplacées par une intrication non moins perverse entre pouvoir politique et groupes économiques, et que la connivence de plus en plus patente entre classe dirigeante et grands médias se traduit par une imposition assez forte de l’agenda gouvernemental comme programme du 20h et donc comme «sujet du moment» pour le débat intellectuel, les repas de famille et les discussions de bistro ou de machine à café. Mais cette intrication connaît précisément avec le sarkozisme un caractère extrême et décomplexé, jusqu’à assumer à nouveau des formes de contrôle étatique qu’on croyait révolues.

Et justement parce qu’elle prend une forme aussi violente et caricaturale, l’offensive bessoniste vient, après l’affaire du voile, l’affaire Guy Môquet ou le l’affaire Bénisti, nous rappeler utilement une vérité qu’on avait pu oublier: les libéraux ne sont pas si libéraux que ça! Le libéralisme économique s’accompagne rarement du libéralisme politique qu’il prétend porter et sur lequel il fonde une bonne part de son prestige. Parce que l’ordre capitaliste provoque nécessairement des injustices et donc des révoltes, l’autorité qui administre cet ordre a, comme tout État, besoin d’endormir ou de formater les consciences par le biais de ce que Louis Althusser appelait des appareils idéologiques d’État – et le «débat» actuel est l’un de ces appareils.

2. « Tous ensemble ! »
Une autre raison de ne pas débattre est qu’il est inacceptable que soient imposés ce débat-là, ces catégories-là (l’identité, la nation) et ces enjeux-là (la fierté d’une identité, l’amour d’une nation), alors que l’urgence sociale est à d’autres débats – et bien plus: à d’autres combats – structurés par d’autres enjeux (l’égalité, la justice sociale) et d’autres catégories (la classe, le genre, le stigmate raciste ou homophobe). L’opération obéit à une logique implacable: la recherche d’une identité a pour fonction première d’évacuer la demande d’égalité, tandis que la dimension nationale évacue la dimension sociale. Il s’agit en somme d’occuper tout le terrain idéologique et médiatique afin d’écarter ou d’étouffer d’autres questions – les vraies de notre point de vue – qui se posent, ou plus précisément que tentent de poser des acteurs sociaux de plus en plus nombreux, avec les moyens qui sont les leurs et qui ne sont ni des débats en préfecture ni des prime time Besson-Le Pen chez Arlette Chabot: la grève, la manifestation, l’émeute – ou cette émeute électorale que fut le vote «non» au referendum européen de 2005.

Cette stratégie est elle aussi très classique – au moins aussi vieille que le capitalisme, sans doute davantage. Pour reprendre une formule de Saïd Bouamama, il s’agit, en produisant des affects d’amour (de la patrie) et de haine (de «l’étranger»), d’«unir ceux qui pourraient s’opposer» (les petits blancs exploités et leurs exploiteurs blancs) tout en «divisant ceux qui pourraient s’unir» (les exploités blancs et non-blancs, français et étrangers, musulmans et non-musulmans) [1]. C’était déjà l’une des fonctions de l’antisémitisme de la droite extrême de l’entre deux guerres, tel que l’analysait Sartre: la commune détestation du Juif était le moyen pour les maîtres de communier avec leurs serviteurs [2]. Le même marché de dupes est aujourd’hui proposé par la coalition d’extrême droite plurielle qui nous gouverne , autour d’un nouveau bouc-émissaire: «l’Arabo-musulman». Et c’est parce qu’une part importante du peuple de gauche accepte ce marché de dupes que la division l’emporte et que les mobilisations sociales contre les licenciements, la précarisation du travail et le démantèlement des services publics ont tant de mal à s’imposer.

À cette stratégie de diversion et de division, la réponse adéquate est le toujours actuel «Tous ensemble», qui nous rappelle la nécessité d’un rassemblement, avec nos différences identitaires (notamment nationales, ethniques, culturelles, religieuses), autour d’intérêts communs (en l’occurrence de classe). Il s’agit en somme de tenir bon sur l’un des fondamentaux du mouvement ouvrier: l’idée que le «travailleur français» dont se réclame Sarkozy a davantage en commun avec son collègue de travail ou son voisin de palier étranger et/ou africain et/ou musulman et/ou sans-papiers qu’avec Éric Besson, Laurence Parisot ou n’importe quel patron ou actionnaire franco-français et catho-laïque.

3. « Nique la France ! »
Ce troisième slogan émane de la culture populaire et n’a pas encore acquis ses lettres de noblesse politique. On peut le regretter, car il a le mérite incontestable de congédier aussi fermement qu’il se doit la diversion nationaliste que nous venons de décrire, tout en affirmant de manière radicale l’attachement à un acquis démocratique essentiel: la liberté d’expression, qui implique un droit inaliénable à l’impolitesse et à l’antipatriotisme. Niquer la France est en somme un défi salutaire, un acte de résistance au mac-carthysme made in France de Besson et consorts qui tend à pourchasser l’anti-France comme Mac Carthy pourchassait les «activités anti-américaines».

Niquer la France, c’est aussi refuser le devoir d’hypercorrection que l’idéologie assimilationniste impose aux immigrés et aux non-blancs – un devoir que le sinistre Éric Raoult a récemment voulu réaffirmer en appelant la romancière Marie Ndiaye à «l’obligation de réserve» [3]. Niquer la France, et le faire tous ensemble, c’est en d’autres termes rappeler que l’antipatriotisme ne doit pas être le privilège d’un Brassens ou d’un Renaud.

Plutôt donc que de s’égaliser par le bas en s’alignant sur l’hypercorrection de l’immigré modèle, il est urgent de reconquérir une liberté de ton, une autonomie de pensée et un droit égal à l’irrévérence, en se solidarisant avec celles et ceux qui, alors qu’ils sont les premières cibles de la chasse aux sorcières, ont le courage de l’hérésie. Ce chantier, un groupe de rap, la ZEP (Zone d’Expression Populaire) vient magnifiquement de l’ouvrir avec son hymne «Nique la France», écrit par Saïdou alias «Dias» du MAP (Ministère des Affaires populaires) et scandé par deux «vieux issus de la souche», Busta Robert et MC Jean-Pierre [4].

Enfin, le caractère ordurier de la formule rompt opportunément avec la psychologisation et la rhétorique bisounours des brutes xénophobes qui nous gouvernent, avec leur valorisation de «l’amour» et du «sentiment national», et avec leur diabolisation de «la haine» des «jeunes de banlieue». Une «haine» dont la dimension politique et la légitimité, scandaleusement déniée, doit être prise au sérieux.

4. « Non à l’intégration par le jambon ! »
Il existe, pour souligner les méfaits de ce faux débat, une métaphore convenue: ce débat est un «écran de fumée» qui empêche de voir les vrais problèmes. L’idée est pertinente, nous venons de le voir, mais à condition de souligner ce que trop de militants de gauche oublient lorsqu’ils ont recours à cette métaphore: la fumée en question ne fait pas seulement écran, elle est aussi toxique et irrespirable – et elle empoisonne la vie de certains (étrangers, non-blancs, postcoloniaux, musulmans) plus que d’autres. Comme d’autres faux débats (sur l’immigration, l’insécurité, le voile et plus largement l’Islam) auxquels il est intimement lié, le «débat sur l’identité nationale» ne doit donc pas seulement être esquivé au profit d’un recentrage sur des questions sociales comme le chômage ou la précarité: il doit aussi être pris au sérieux et combattu en tant qu’offensive politique contre une fraction particulière de la classe ouvrière, soumettant ladite fraction à un surcroît de pression et d’oppression. A contrario, une esquive complète serait un manquement à la nécessaire solidarité entre les fractions françaises et étrangères, blanches et non-blanches, musulmanes et non-musulmanes, de la classe ouvrière.

Il faut souligner, sur ce point, le lien tout à fait opportuniste qui est tissé depuis quelques années entre identité nationale, laïcité et féminisme – un lien que toute approche historique sérieuse dément [5], et qui ne sert qu’à une chose: exclure du «Nous» politique toute présence musulmane assumée et décomplexée. Car c’est évidemment la figure-repoussoir du «voile islamique» qui sert de trait d’union entre le féminisme et la laïcité – et il faut être aveugle pour ne pas voir la profonde intrication du «débat sur l’identité nationale» avec la campagne contre la burqa et l’abjecte cabale contre Ilham Moussaïd, «la voilée du NPA».

Face à cette machine de guerre, le slogan des Indigènes de la république, «Non à l’intégration par le jambon», constitue un bon antidote, dans la mesure où il manifeste avec radicalité le nécessaire refus des injonctions islamophobes, et plus profondément du principe même de l’intégration. Car il ne faut pas l’oublier: dans le discours de Besson comme dans l’intitulé même de son ministère, l’identité nationale est articulée à l’immigration par l’entremise d’un troisième terme qui est précisément l’intégration. «Ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale» signifie en substance: il y a un problème spécifique posé par les immigrés, ces derniers doivent donc être «intégrés», et ils doivent l’être non pas à la communauté des égaux, jouissant des mêmes droits, du même respect et des mêmes ressources socio-économiques, mais à «l’identité nationale» – c’est-à-dire à une existence mutilée, normalisée, entièrement soumise à un modèle comportemental bourgeois, urbain, masculin, hétérosexuel, blanc et catho-laïque, élevé arbitrairement au rang d’étalon «français-donc-universel».

Bref : dans la mesure où il désigne une population-cible et stigmatise sa déviance «culturelle», le «Ministère de l’immigration, de l’intégration et de l’identité nationale» signifie bel et bien, en termes plus concis: «Ministère de l’intégration par le jambon». Et l’urgence est donc bien de refuser par principe, au-delà du jambon et du racisme à peine voilé des campagnes anti-hijab et anti-burqa, le mot d’ordre d’intégration lui-même, qui est à la fois:
- abusif (pourquoi serait-on obligé de s’intégrer, pourquoi devrait-on le faire à une communauté nationale plutôt qu’à une communauté de classe, de quartier ou d’affinités affectives, culturelles et/ou politiques, et pourquoi enfin certaines personnes, moins autochtones ou moins blanches que d’autres, auraient en la matière plus de gages à donner?)
- et insuffisant (pourquoi devrait-on se satisfaire d’être inclus plutôt qu’exclu si cette inclusion nous réserve une place de subalterne et d’exploité?).
En d’autres termes il ne saurait y avoir, du point de vue de l’émancipation et de la justice sociale, ni obligation de jambon ni devoir d’intégration ni désir d’intégration, mais simplement – et c’est un programme amplement suffisant – une exigence radicale et opiniâtre d’égalité [6].

De ce point de vue, l’ouverture, timide et tardive mais courageuse dans le climat islamophobe actuel, d’une liste du NPA à une candidate musulmane et voilée – a constitué indirectement et involontairement une excellente réponse à l’offensive bessoniste. La cabale qui a suivi ce qui aurait dû, dans un pays non-raciste, être un non-événement, a révélé le niveau d’hystérie et d’infantilisme que produit l’islamophobie dans l’ensemble de la classe politique, et la perméabilité – sous couvert de laïcité et de féminisme – de nombreuses fractions de la gauche à des thématiques qui devraient rester celles de la droite. Dans un tel contexte, l’attitude qui s’impose est un absolu soutien de principe du parti à sa candidate, bien au-delà du timide «J’assume» de Pierre-François Grond – et de l’étrange «mais ça n’a pas vocation à faire jurisprudence» qui l’a accompagné. Même si l’artillerie lourde est à cette occasion déployée contre le NPA, il est essentiel de ne pas céder à l’intimidation: ni le NPA-Vaucluse ni Ilham Moussaïd n’ont aucune leçon de laïcité ou de féminisme à recevoir, ni de la part de Sarkozy, Mélenchon ou Martine Aubry, ni de la part des fausses féministes – et vraies anti-féministes – que sont Elisabeth Badinter ou les Ni Putes ni Soumises, ni même de la part de vraies militantes féministes [7]. Que sait-on en effet du féminisme d’Ilham Moussaïd avant d’avoir discuté de la question avec elle? Et se permet-on avec les autres candidat(e)s, du NPA ou des autres partis, comme on le fait avec Ilham Moussaïd, d’émettre a priori des doutes sur leur féminisme?

Par ailleurs, si l’on prend la mesure du racisme d’État, de son ancienneté et de sa radicalisation récente, si l’on prend la mesure du niveau de stigmatisation que subit aujourd’hui un musulman, et plus encore une musulmane lorsqu’elle porte le voile, si par ailleurs on comprend la légitimité d’une visibilité et même d’une «Fierté LGBT» pour lutter contre l’homophobie, il ne devrait pas être difficile de comprendre que la visibilité et la fierté musulmane, qu’elles passent par un foulard assumé ou par d’autres expressions, sont légitimes face à l’islamophobie ambiante [8]. Et s’il ne fait pas de doute que la dénonciation de la visibilité et de la Fierté LGBT comme «prosélytisme homosexuel» est un contresens et une injure homophobe, il ne devrait pas faire de doute non plus que la dénonciation de la visibilité ou de la fierté musulmane comme «prosélytisme musulman» est un contresens et une injure islamophobe.

5. « Nos identités ne sont pas nationales ! »
Il n’y a pas lieu, cela dit, de disqualifier tout questionnement identitaire. Les questions «Qui suis-je?» et «Que suis-je?» sont des questions légitimes et aussi anciennes que l’humanité, et il serait erroné d’y voir uniquement un luxe de riches ou une lubie nombriliste. Mais comme le clament depuis plusieurs mois les Panthères Roses, nos identités ne sont pas nationales. L’identité est en effet quelque chose qui se fabrique sur un mode à la fois plus individuel et plus collectif:
- c’est l’individu qui construit, déconstruit et reconstruit tout au long de sa vie sa propre identité, plus ou moins consciemment et librement mais en se passant très bien des conseils avisés de l’autorité étatique, ou du moins cette indépendance des constructions identitaires par rapport aux appareils idéologiques d’État doit-elle être un horizon: nos identités déjà trop étatisées [9] doivent être dés-étatisées, et non ré-étatisées ou sur-étatisées;
- et s’il est vrai qu’on ne se construit pas tout-e seul-e, coupé-e de tout groupe d’appartenance, on doit pouvoir le faire en plaçant où l’on veut son amour et sa fierté (ou éventuellement sa honte) et en valorisant ou en rejetant comme on l’entend chacun des multiples groupes d’appartenance auxquels on est lié: la nation pourquoi pas mais aussi le sexe, la race, la classe, l’orientation sexuelle, la religion, l’origine, la région, la ville, le quartier, la famille, la profession, la communauté de goût esthétique ou de sensibilité politique…

Ces micro-politiques de l’identité sont tellement subtiles, mouvantes et multidimensionnelles que l’idée même d’une définition unique et définitive de l’identité, arbitrairement bloquée au niveau national, le tout sous le haut patronage d’un ministre de la République, aurait du déclencher l’hilarité générale.

Enfin, si des question identitaires comme «qui suis-je» ou «que suis-je» en viennent à se poser avec une acuité particulière, c’est toujours en lien avec une autre question: «qu’est-ce que je vaux?». Tout être humain aspire à un minimum d’estime de soi, ce que Freud a nommé «satisfaction narcissique», et l’auto-définition identitaire est aussi – et peut-être avant tout – le moyen d’y parvenir en produisant une image de soi suffisamment estimable et aimable. C’est cette économie des besoins narcissiques qui surdétermine les choix identitaires: ce qui exacerbe par exemple le repli sur une appartenance familiale, religieuse, d’origine ou de quartier (ou parfois même sur une identité nationale!), c’est souvent le fait que la sphère professionnelle, l’espace social et la communauté politique sont des appartenances impossibles, dont on est en permanence exclu-e – ou inclus-e à des places subalternes et humiliantes. La dialectique à l’œuvre n’est donc pas celle, imposée, entre «l’immigration» et «l’identité nationale», ou entre «l’Islam» et «la République laïque», mais entre le mépris et le besoin de respect. En d’autres termes, si on laisse les questions «qui suis-je» et «que suis-je» se déployer un tant soi peu librement, sans chercher comme Sarkozy et Besson à les «nationaliser», elles se posent de manière beaucoup plus concrète et politique: «Qui suis-je et que suis-je pour qu’on me traite comme ça?».

Bref : la question de l’identité, si on l’envisage de manière concrète, nous emmène très loin de la nation et nous renvoie au coeur de la question sociale. Ce n’est donc pas «une autre identité nationale» – fût-elle «post-raciale», «plurielle, tolérante et multiculturelle» – qui doit être opposée à la machine de guerre bessoniste, mais une série d’identités ouvrières, précaires et chômeuses, gaies, lesbiennes et transexuelles, arabes et musulmanes, noires et asiatiques, antiracistes et antisexistes, anticapitalistes et gauchistes… et pourquoi pas islamogauchistes. Et ce n’est pas par des «débats» que ces identités pourront émerger et se définir, mais par des combats.

Sylvie Tissot & Pierre Tevanian
20.04.10

Post-scriptum
Une version de ce texte est reprise dans le recueil Les mots sont importants, sorti en librairie le 2 avril 2010 et en vente sur le site des Éditions Libertalia.

Notes:
[1] Cf. Saïd Bouamama, L’Affaire du foulard islamique, ou la production d’un racisme respectable, Éd. Le Geai Bleu, 2004
[2] Cf. Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1946
[3] La romancière avait qualifié de «monstrueuse» la «France de Sarkozy». Cf. Collectif Les mots sont importants, «Hélas, le ridicule ne tue pas. Hommage à Marie Ndiaye».
[4] Cf. Collectif Les mots sont importants, «La patrie en danger !».
[5] Les courants anti-laïques et anti-féministes sont en effet très loin d’être «étrangers à notre tradition», et ils sont même structurants dans le camp de Sarkozy et Besson. Quant au lien entre féminisme et laïcité, quels que soient les mérites du combat laïque, les féministes ont parfois dû affronter le camp laïciste qui fut par exemple l’opposant le plus acharné au vote des femmes, par peur d’un vote qui se porterait sur «le parti clérical» – sans parler de la place problématique des femmes dans la très laïciste franc-maçonnerie.
[6] Cf. Saïd Bouamama, «L’intégration contre l’égalité».
[7] Si l’on prend au sérieux et la laïcité, et le féminisme, il est patent que toutes les formes de stigmatisation et d’exclusion des femmes voilées qui prospèrent depuis quelques années sont non seulement racistes mais également anti-laïques et anti-féministes. Cf. notamment Pierre Tevanian, «Une révolution conservatrice dans la laïcité» ; Sylvie Tissot, «Bilan d’un féminisme d’État» ; et Christine Delphy, «Antiracisme et antisexisme : un faux dilemme».
[8] Il ne s’agit évidemment pas en disant cela de réduire le choix du foulard à une manifestation de fierté identitaire. Il s’agit plutôt de dire:
- d’une part que cette motivation identitaire est au moins possible, et le cas échéant légitime ;
- d’autre part que, dès lors qu’il est choisi, le port d’un foulard présuppose au moins, en amont de ses motivations spécifiquement religieuses, sinon la fierté, du moins l’absence de honte d’être musulman.
[9] Sur l’étatisation des subjectivités, cf. par exemple Thomas Bernhard, Maitres anciens, Gallimard, 1988 ; Pierre Bourdieu, Esprits d’État, Actes de la recherche en sciences sociales, n°96-97, mars 1993 ; Abdelmalek Sayad, La double absence, Seuil, 1999
Source: Les mots sont importants

vendredi 23 avril 2010

Elie Wiesel l’imposteur et Jérusalem



Dans une publicité intitulée «For Jerusalem» et reproduite par l’International Herald Tribune (16 avril 2010), Elie Wiesel, prix Nobel de la paix, réaffirme son inquiétude. Ce texte affirme hautement que «Jérusalem est au-dessus de la politique». Ce qui, pour l’auteur, signifie qu’elle doit... rester israélienne.


Pour lui, précise-t-il, sa présence dans l’histoire juive est totale, elle est mentionnée «600 fois dans les écritures et pas une seule fois dans le Coran». Outre que cela est discutable (je ne vais pas entrer ici dans une interprétation du texte coranique), on ne voit pas en quoi la mention d’une ville dans un texte vieux de quelques milliers d’années donnerait un droit de propriété à quiconque. Ou alors il faudrait redéfinir les frontières de l’Europe en fonction des textes latins du Moyen Age ou des textes grecs de l’Antiquité.

«Il n’y a pas de prière plus émouvante dans l’histoire juive, poursuit-il, que celle qui exprime notre (les juifs) désir ardent de retourner à Jérusalem.» Cette interprétation politique d’une prière n’a évidemment aucun sens. Pendant des siècles, les juifs religieux ont effectivement prononcé cette prière, mais sans jamais vouloir la mettre en œuvre. Jusqu’en 1948, les juifs pouvaient se rendre à Jérusalem (certains y allaient pour être enterrés). C’est seulement avec la naissance du mouvement sioniste que l’objectif est devenu politique. Comme l’écrit si pertinemment Gilles Perrault dans sa biographie d’Henri Curiel, Un homme à part (Fayard), «la minorité sioniste exceptée, personne ne ressentait la nécessité d’un Etat juif et l’on n’éprouvait pas le besoin de psalmodier “l’an prochain à Jérusalem” quand il suffisait de prendre le train de 9h45 pour s’y rendre».

«Aujourd’hui, poursuit Wiesel, pour la première fois dans l’histoire, juifs, chrétiens et musulmans peuvent accomplir leurs rites religieux librement. Et, contrairement à certaines affirmations des médias, juifs, chrétiens et musulmans ONT (en capitale) l’autorisation de construire leurs foyers n’importe où dans la ville.»


Il faut le dire clairement : il s’agit d’un honteux mensonge. Non seulement chrétiens et musulmans sont sans arrêt interdits d’accès à leurs lieux saints, non seulement ils n’ont pas le droit de construire dans Jérusalem, mais les maisons qu’ils ont sont détruites, comme l’ont reconnu mille et un rapports d’organisations diverses, mais aussi de gouvernements. Même les Etats-Unis se sont émus de la destruction de maisons arabes («U.S. furious over Israel’s demolition of East Jerusalem homes», par Barak Ravid et Natasha Mozgovaya, Haaretz, 22 mars 2009). Et il suffit de lire le rapport des consuls européens à Jérusalem («Jérusalem, le rapport occulté»). Wiesel l’ignore-t-il ?

Dans une réponse à ce texte, «For Jerusalem, a response to Elie Wiesel» (Haaretz, 18 avril), Yossi Sarid écrit : «Quelqu’un vous a trompé, mon cher ami. Non seulement un Arabe ne peut pas construire “n’importe où”, mais il peut remercier son Dieu s’il n’est pas expulsé de sa maison et jeté à la rue avec sa famille et des biens. Peut-être avez-vous entendu parler de résidents arabes de Sheikh Jarrah, qui ont vécu là depuis 1948, qui sont à nouveau devenus des réfugiés déracinés, parce que certains juifs se jouent des contraintes de l’espace à Jérusalem.»
«Ces juifs zélés insistent même pour s’insérer comme autant d’os dans les gorges des quartiers arabes, pour les purifier et les judaïser avec l’aide de riches bienfaiteurs américains, dont vous connaissez plusieurs personnellement. Dans les coulisses, notre premier ministre et le maire de Jérusalem activent les fils de ce spectacle de marionnettes tout en se défaussant de leur responsabilité face à cette anarchie et cette cupidité. C’est la raison réelle pour laquelle “les nouvelles et les anciennes tensions” dont vous parlez dans votre lettre refont surface, “avec une telle rapidité”»

Wiesel conclut en appelant à ne pas résoudre le problème de Jérusalem, c’est-à-dire, clairement, à maintenir la ville sous occupation.

Ce n’est pas sa première intervention sur la question de Jérusalem. Déjà, durant les négociations entre Israéliens et Palestiniens avant la seconde Intifada, alors que la presse évoquait un partage de Jérusalem, il prenait la plume et publiait une tribune dans le quotidien Le Monde («Jérusalem, il est urgent d’attendre», 17 janvier 2001), reprochant au premier ministre israélien d’alors ses éventuelles concessions. Ce texte, repris sur tous les sites pro-israéliens les plus extrémistes, pouvait ainsi se résumer: mieux vaut le mur des lamentations que la paix.

Dans les deux textes, celui de l’IHT et celui du Monde, Wiesel cite le rabbin hassidique Nahman de Breslev (né en 1772) pour justifier ses dires. Que dirait-on d’un intellectuel musulman qui citerait une sommité religieuse de l’époque des califes pour justifier la revendication musulmane sur Jérusalem?
Cette «grande conscience», rarement critiquée publiquement, est pourtant un imposteur moral qui mériterait un traitement différent dans les médias.

Rappelons que, outre ses positions sur le conflit israélo-palestinien, il a fait l’éloge de la torture, celle du financier Bernard Madoff chez qui il avait placé une partie de sa fortune (il ne lui a jamais semblé immoral de gagner des millions de dollars grâce à lui quand ses combinaisons financières marchaient), comme le rapportait LeMonde.fr («Bernard Madoff est un “psychopathe”, selon Elie Wiesel», 27 février 2009).

«“Psychopathe est un mot trop gentil pour le qualifier”, a déclaré M. Wiesel. “Il devrait être placé à l’isolement pendant au moins cinq ans avec un écran sur lequel seraient diffusées des photos de ses victimes. [...] Il faudrait inventer n’importe quoi pour le faire souffrir. (...) Il devrait être présenté à des juges qui trouveraient un châtiment”", a ajouté ce survivant de l’Holocauste.»

D’autre part, comme le rappelle Max Blumenthal, un membre du lobby J-street, Elie Wiesel s’est adressé le 25 octobre 2009 à 6 000 chrétiens sionistes adeptes du pasteur John Hagee, un homme qui tient des propos homophobes, mais aussi négationistes et antisémites (rappelons qu’une partie des chrétiens sionistes sont antisémites) («Elie Wiesel’s “Dear Pastor” Hagee Trashes Obama [and my response to Goldfarb/Goldberg], 29 octobre 2009). En échange, si l’on peut dire, il a obtenu un chèque de 500 000 dollars pour sa fondation. Cette somme était d’autant plus nécessaire que la crise financière a frappé ce pauvre Wiesel et qu’il ne s’en est pas remis.

Nous avons déjà rappelé ce que le grand auteur de science-fiction Isaac Asimov écrivait de Wiesel, «qui a survécu à l’Holocauste et, depuis, ne sait plus parler d’autre chose. Ce jour-là, il m’a agacé en prétendant qu’on ne pouvait pas faire confiance aux savants, aux techniciens, parce qu’ils avaient contribué à rendre possible l’Holocauste. Voilà bien une généralisation abusive ! Et précisément le genre de propos que tiennent les antisémites: “Je me méfie des Juifs, parce que jadis, des Juifs ont crucifié mon Sauveur.”» Et Asimov ajoute : «J’ai laissé les autres débattre un moment en remâchant ma rancœur puis, incapable de me contenir plus longtemps, je suis intervenu: “Monsieur Wiesel, vous faites erreur ; ce n’est pas parce qu’un groupe humain a subi d’atroces persécutions qu’il est par essence bon et innocent. Tout ce que montrent les persécutions, c’est que ce groupe était en position de faiblesse. Si les Juifs avaient été en position de force, qui sait s’ils n’auraient pas pris la place des persécuteurs ?”»

Alain Gresh
18.04.10
Source: carnets du Diplo

jeudi 22 avril 2010

Afrique du Sud : La dégénérescence de l’ANC



L’African National Congress (ANC) de l’Afrique du Sud a dégénéré au point de ‘’devenir aujourd’hui un danger clair pour l’intégrité de la société’’ écrit Richard Pithouse. Il fût un temps où on imaginait ‘’qu’avoir le pouvoir permettrait un projet politique collectif qui transformerait la société depuis le bas’’, note-t-il pour constater : ’’Au lieu de quoi on voit maintenant que c’est une affaire d’incorporation personnelle dans la minorité capable de profiter d’une société aux inégalités croissantes’’


La dégénérescence de l’African National Congress a atteint le point où, aujourd’hui, il pose un clair danger pour l’intégrité de la société. Julius Malema est l’un des exemples les plus illustratifs de la manière dont un mouvement engagé dans la libération nationale est devenu, selon les termes de Franz Fanon, «un moyen pour l’avancement personnel». Mais Mlema n’est guère seul. Le Communication Workers Union (syndicat de la communication) a entièrement raison lorsqu’il diagnostique ‘’un Keeble-isme profondément enraciné’’ à l’intérieur de l’ANC ( en référence à Brett Kebble, un homme d’affaire sud africain à la réputation sulfureuse - NDLT)

Récemment, il a été révélé que Nonkululeko Mhlongo, mère de deux des enfants de Jacob Zuma, dispose de contrats de plusieurs millions de rands pour l’approvisionnement du KwaZulu Natal. L’épouse et la fille de Zweli Mkhise ont remporté un appel d’offre de 3 millions de rands du Department of Correctional Services. Ce genre de chose se produit depuis des années et ne peut être attribué à quelques individus problématiques. Au contraire, dans des cas comme celui des transactions concernant des armes et le double jeu de Valli Moussa entre Eskom et le comité de recherche de fond de l’ANC, l’organisation dans son ensemble a été profondément compromise. L’ANC a aussi été collectivement compromise pour avoir omis systématiquement de prendre une position claire à l’encontre des individus impliqués dans ces pratiques douteuses.

Il est peut-être vrai que le poisson pourrit par la tête, mais il est essentiel que nous comprenions que la dégénérescence de l’ANC n’est pas juste le fait de l’accroissement de pouvoir d’une élite prédatrice à l’intérieur du parti. Il fût une époque où l’on imaginait le pouvoir comme le moyen pour un projet collectif et politique de transformer la société depuis le bas. Et c’est maintenant compris à tous les niveaux du parti, que c’est le moyen pour l’incorporation personnelle, dans une minorité déterminée, pour profiter des inégalités croissantes de la société. Ce processus effrite un peu la domination raciale, mais ne laisse guère de place à l’espoir pour une société meilleure, si c’est là que se situe la limite de nos aspirations.

L’ANC a abandonné le langage de la justice sociale au profit d’un langage fantaisiste post-politique: ‘’livrer’’. Ce langage suppose qu’il suffit à l’Etat de satisfaire aux besoins élémentaires de survie et que cela est simplement une question d’efficience technique. Le premier problème avec le langage de livreur est que la livraison elle-même est souvent une stratégie pour contenir les aspirations populaires plutôt qu’une stratégie pour favoriser un épanouissement humain universel. Larguer les gens dans ’’des opportunités d’habitations’’ dans des ghetto périphériques, où il y a peu d’espoir pour plus qu’une assistance pour les enfants et la possibilité ’’emploi’’ à court terme, peut aider à éviter que les gens descendent dans la rue. Mais ceci n’est du développement que dans le sens le plus pervers du terme. Le second problème c’est que la fantaisie de développement comme question post politique de gouvernement qui travaille plus vite, plus dur et plus intelligemment, ne parvient pas à prendre en compte les réalités profondément politiques qui forgent toute tentative de développement.

Des décisions politiques doivent être prises pour résoudre des questions comme de savoir si les valeurs sociales de la terre et des services doivent prévaloir sur leurs valeurs commerciales. Lorsque ces questions ne sont pas prises en compte ’’les services’’ ne peuvent être acheminés que vers les marges de la société et contribuent ainsi activement à la marginalisation.

Mais la nature politique inévitable du développement ne concerne pas seulement les intérêts des pauvres d’un côté et d’autre part le pouvoir des riches et des multinationales. Il y a aussi un jeu politique qui se joue entre les gens sur le terrain et les élites locales du parti. Souvent, des fonctionnaires, s’efforçant en toute bonne foi de suivre les directives des politiciens importants, voient leurs efforts pour implanter un développement technologique détournés par l’élite locale du parti à leur seul profit.

Ceci n’est pas toujours simplement du pillage. Souvent l’allocation de maison et de service ainsi que les contrats qui font partie du processus sont subordonnés à un système de clientélisme et de patronage par lequel l’ANC cimente le soutien politique au parti au niveau local. Dans nombre de cas, les projets de développement justifiés au nom de la satisfaction des besoins des gens deviennent des projets principalement orientés vers la consolidation d’alliances au niveau de la base des structures du parti. Les différents comités, y compris le comité exécutif de la branche locale, sont peuplés d’une multitude de mini Malemas.

Selon l’analyse de Fanon, il y a inévitablement un côté autoritaire sous-jacent qui accompagne la dégénérescence d’un parti en une entreprise pour l’avancement personnel. Il écrit que le parti ’’aide le gouvernement à maintenir les gens sous le joug. Il devient clairement de plus en plus antidémocratique, un instrument de coercition.’’. Un parti qui dit et qui doit continuer à dire que ce qu’il fait est pour le peuple, alors qu’en réalité il est devenu un moyen pour l’avancement personnel grâce à la domination, s’effondrera inévitablement dans la paranoïa et l’autoritarisme, en tentant la quadrature du cercle, en prétendant, pour lui-même aussi bien qu’à l’intention des autres, que l’enrichissement personnel est, d’une certaine façon, le vrai fruit de la libération nationale.

Dans l’Afrique du Sud contemporaine, il n’est pas du tout inhabituel de trouver que les gens vivent dans la peur des conseilleurs locaux et de leurs comités et des comités des branches exécutives. Ce n’est en fait pas une exagération de dire que nous avons développé un système politique des deux tiers, avec des droits politiques libéraux pour la classe moyenne cependant qu’on coupe court aux droits politiques fondamentaux des pauvres.

Les mouvements politiques des pauvres sont depuis longtemps l’objet d’une répression violente et illégale de la part des élites politiques locales qui agissent dans la plus complète impunité. Comme ces pratiques ont été normalisées, elles n’en prennent qu’une tournure plus effrontée. Le soutien enthousiaste de personnages clés de l’ANC local et provincial lors des attaques contre le Abahlali baseMjondolo à Durban, en septembre 2009, représente un des points les plus bas auquel l’ANC ait échu dans l’Afrique du Sud post-apartheid. Mais le sort de Chumani Maxwele, le jogueur du Cap, sur qui la masse de toute la paranoïa et parfois de la folie de l’ANC s’est abattue, a fait plus qu’aucun autre évènement pour révéler au grand public l’autoritarisme paranoïde profondément ancré dans l’ANC.

Il y a naturellement des personnes et des tendances dans le parti qui sont opposées à la façon dont il est devenu une autre excroissance prédatrice de la société. Mais l’ANC n’a plus de réelle vision politique et est profondément, et souvent violemment, méfiante à l’égard de toute politique qui émerge du bas, que celle-ci provienne de l’intérieur ou de l’extérieur du parti. Il peut faire des déclarations condamnant la corruption, mais le fait est que la machine politique par laquelle il est élu, est systématiquement fondée sur le patronage, le clientélisme et la corruption. Il ne peut donc pas s’opposer à cela sans fondamentalement s’opposer à ce qu’il est devenu. Il n’est pas du tout clair s’il y a une réelle perspective pour que l’organisation développe une véritable vision politique qui lui permette de se mobiliser contre elle-même, contre ce que les National Union of Metalworkers (syndicats de la métallurgie) ont appelé ’’les gangs de maraudeurs’’ qui ont compromis l’ANC à tous les niveaux. Si toutefois, il est toujours possible de proposer effectivement une vision politique alternative, il est fort possible que cette tâche incombe à ces syndicats, aux mouvements des pauvres et aux Eglises qui sont déjà devenues la conscience de la nation.

Richard Pithouse
14.04.10
Source: cetri

mercredi 21 avril 2010

Noam Chomsky sur l’état d’esprit qui règne aux États-Unis : « Je n’ai jamais rien vu de tel »




Noam Chomsky est le plus grand intellectuel des États-Unis. La quantité impressionnante de ses écrits, qui comprennent près de 100 livres, ont depuis des décennies démonté et exposé les mensonges des élites au pouvoir et les mythes qu’elles entretiennent. Et Chomsky l’a fait malgré la censure des médias commerciaux qui l’ont mis sur une liste noire, malgré son statut de paria au sein du monde universitaire et, de son propre aveu, malgré le fait qu’il soit un orateur pédant et parfois légèrement ennuyeux. Il combine une indépendance intellectuelle avec une démarche rigoureuse, une capacité remarquable de saisir les détails et une intelligence hors du commun. Il dénonce sans détours notre système à deux partis qu’il décrit comme un mirage orchestré par un gouvernement au service des entreprises privées, et il critique sévèrement l’intelligentsia libéral (liberal : plus ou moins l’équivalent de "progressiste" aux US – NdT) qui ne sont que les courtisans du système et décrit le flot émis par les médias commerciaux comme une forme de «lavage de cerveau». En tant que critique le plus clairvoyant du capitalisme débridé, de la globalisation et de l’empire, il aborde sa 81è année en nous mettant en garde sur le peu de temps qui nous reste pour sauver notre démocratie anémique.

«La situation actuelle est très similaire à l’Allemagne de Weimar» m’a dit Chomsky au téléphone depuis son bureau à Cambridge, Massachusetts. «Les similarités sont frappantes. Il y avait aussi à l’époque une énorme déception par rapport au système parlementaire. Le fait le plus frappant n’était pas que les Nazis aient réussi à détruire les sociaux-démocrates et les communistes mais que les partis traditionnels, les partis conservateurs et libéraux, étaient eux aussi hais et qu’ils ont disparu. Les Nazis ont su combler le vide avec beaucoup d’intelligence et d’adresse.»
«Les États-Unis ont beaucoup de chance de n’avoir aucune figure charismatique qui se détache du lot»
a poursuivi Chomsky. «Chaque figure charismatique est si évidemment un escroc qu’elle finit par s’autodétruire, comme McCarthy ou Nixon ou les prêcheurs évangélistes. Si quelqu’un de charismatique devait se détacher, ce pays serait dans de sales draps à cause de la frustration, de la déception et de la colère justifiée et l’absence de toute réponse cohérente. Que sont censés penser les gens quand ont leur dit «j’ai une réponse, nous avons un ennemi» ? Un jour ce sont les Juifs, un autre les immigrés clandestins ou les noirs. On nous dira que les mâles blancs constituent une minorité persécutée. On nous dira que nous devons nous défendre ainsi que l’honneur de la nation. La force militaire sera exaltée. Des gens seront tabassés. Cela pourrait se transformer en une force irrésistible. Et dans ce cas, elle sera bien plus dangereuse que l’Allemagne. Les États-Unis sont une puissance mondiale. L’Allemagne était puissante mais ses adversaires l’étaient encore plus. Je crois que nous n’en sommes pas loin. Si les sondages ne se trompent pas, ce ne sont pas les Républicains, mais l’extrême droite républicaine, les républicains cinglés, qui vont remporter les prochaines élections.»

«Je n’ai jamais rien vu de tel» a-t-il ajouté. «Je suis assez vieux pour me souvenir des années 30. Toute ma famille était sans emploi. Les conditions étaient bien plus désespérées que de nos jours. Mais il y avait de l’espoir. Les gens avaient un espoir. Le syndicat CIO s’organisait. Plus personne ne veut l’admettre de nos jours mais le Parti Communiste était le fer de lance dans l’organisation des travailleurs et des droits civiques. Y compris pour des choses simples comme envoyer ma tante au chômage à la campagne pour prendre une semaine de vacances. C’était un mode de vie. Il n’y a rien de tel aujourd’hui. L’ambiance dans le pays est effrayante. Le niveau de colère, de frustration et de haine envers les institutions n’est pas organisée d’une manière constructive. Ça part en vrille dans des fantasmes autodestructeurs.»
«J’écoute les commentateurs à la radio» a dit Chomsky, «mais ce n’est pas pour écouter Rush Limbaugh (célèbre commentateur d’extrême droite -NdT), mais pour écouter les gens qui téléphonent. Ils sont comme (le pilote kamikaze) Joe Stack. Qu’est-ce qui m’arrive? se demandent-ils. J’ai fait tout ce qu’on m’a dit de faire. Je suis un bon chrétien. Je travaille dur pour nourrir ma famille. Je possède une arme. Je crois aux valeurs de ce pays et pourtant ma vie s’effondre.»

Chomsky, plus que tout autre intellectuel américain, a décrit dans de nombreuses œuvres la descente aux enfers du système politique et économique américain. Il nous rappelle que le véritable questionnement intellectuel est toujours subversif. Il défie des présomptions culturelles et politiques. Il critique les structures. Il est pratique sans cesse l’autocritique. Il fait éclater les mythes et stéréotypes complaisants dont nous nous servons pour nous flatter et ignorer notre complicité dans les actes de violence et d’oppression. Et il dérange les puissants et leurs apologistes libéraux.

Chomsky réserve ses critiques les plus acerbes pour l’élite libérale de la presse, des universités et du système politique qui servent d’écran de fumée à la cruauté du capitalisme débridé et des guerres impérialistes. Il dénonce leurs postures morales et intellectuelles comme un arnaque. C’est pour cela que Chomsky est détesté, et peut-être craint, plus par les élites libéraux que par la droite qu’il condamne aussi. Lorsque Christopher Hitchens (journaliste «réactionnaire de gauche» du magazine The Nation – NdT) a décidé de devenir la marionnette de l’administration Bush après les attaques du 11 septembre, un de ses premiers articles a été une attaque féroce contre Chomsky. Hitchens, contrairement à la plupart des gens qu’il sert, savait quel était l’intellectuel qui comptait aux États-Unis

«Ça ne m’intéresse pas d’écrire sur Fox News» a dit Chomsky. «C’est trop facile. Ce qui m’intéresse ce sont les intellectuels libéraux, ceux qui se présentent et se prennent pour des critiques du pouvoir, courageux, qui se battent pour la vérité et la justice. Au fond, ils ne sont que les gardiens du temple. Ce sont eux qui définissent les limites à ne pas dépasser. Ce sont eux qui disent jusqu’où il est permis de s’aventurer. Ils disent «Regardez comme je suis courageux.» Mais ne vous aventurez pas un millimètre de plus. C’est vrai pour les secteurs éduqués de la population car ce sont eux les plus dangereux à cause de leur soutien au pouvoir.»

Parce qu’il échappe à toute catégorisation et rejette toutes les idéologies, Chomsky a été indispensable au débat américain depuis des décennies, depuis son travail sur la guerre au Vietnam jusqu’à ses critiques sur l’administration Bush. Il persiste à jouer l’iconoclaste, celui qui se méfie du pouvoir sous toutes ses formes.

«La plupart des intellectuels se considèrent comme la conscience de l’humanité, » dit l’universitaire spécialiste du Moyen Orient Norman Finkelstein. «Ils se divertissent et admirent quelqu’un comme Vaclav Havel. Chomsky, lui, méprise Havel. Chomsky adopte la vision du monde de Julien Benda. Il existe deux ensembles de principes. Les principes de pouvoir et de privilège et les principes de vérité et de justice. Si vous courez après le pouvoir et les privilèges, ce sera toujours au détriment de la vérité et de la justice. Benda dit que le credo de tout intellectuel doit être, comme l’a dit le Christ, «mon royaume n’est pas de ce monde.» Chomsky dénonce les prétentions de ceux qui se déclarent les détenteurs de la vérité et de la justice. Il montre que ces intellectuels sont en fait détenteurs du pouvoir et des privilèges et de tout le mal qui va avec.»

«Certains livres de Chomsky contiennent des choses comme une critique du plan Arias en Amérique centrale, et il peut lui consacrer 200 pages» a dit Finkelstein. «Mais deux ans plus tard, qui se souvient d’Oscar Arias? C’est à se demander si Chomsky n’aurait pas mieux fait d’écrire sur des sujets plus ambitieux, des sujets plus intemporels qu’on pourrait encore lire dans 40 ou 60 ans. C’est ce qu’a fait Russel avec des livres tels que «Marriage and Morals». Pouvez-vous encore relire ce que Chomsky a écrit sur le Vietnam ou l’Amérique centrale ? La réponse est souvent «non». Ça en dit long sur le personnage. Il n’écrit pas pour son ego. Si c’était le cas, il aurait écrit dans un style grandiloquent qu’il aurait laissé en héritage. Il écrit parce qu’il veut influer sur le cours des choses et participer au changement politique. Il se soucie de la vie des gens et s’attache aux détails. Il essaie de réfuter les mensonges quotidiens déversés par les grands médias. Il aurait pu consacrer son temps à rédiger des essais philosophiques qui auraient duré dans le temps, comme l’ont fait Kant ou Russel. Mais il s’est investi dans les détails minuscules qui font toute la différence et font gagner une bataille politique.»

«J’essaie d’encourager les gens à penser de façon autonome, à remettre en question les idées communément admises» a dit Chomsky lorsque je l’ai interrogé sur ses objectifs. «Ne prenez pas vos présomptions pour des faits acquis. Commencez par adopter une position critique envers tout idée «politiquement correcte». Forcez-la à se justifier. La plupart du temps, elle n’y arrive pas. Soyez prêts à poser des questions sur tout ce qui est considéré comme un fait acquis. Essayez de penser par vous-même. Il y a beaucoup d’information en circulation. Vous devez apprendre à juger, à évaluer et à comparer les choses. Il vous faudra faire confiance à certaines choses, sinon vous ne pourriez pas survivre. Mais lorsqu’il s’agit de choses importantes, ne faites pas confiance. Dés que vous lisez quelque chose d’anonyme, il faut se méfier. Si vous lisez dans la presse que l’Iran défie la communauté internationale, demandez-vous qui est la communauté internationale? L’Inde est opposée aux sanctions. Le Brésil est opposé aux sanctions. Le Mouvement des pays Non-Alignés est opposé aux sanctions et l’a toujours été depuis des années. Alors qui est la communauté internationale? C’est Washington et tous ceux qui se trouvent être en accord avec lui. C’est le genre de choses que vous pouvez découvrir par vous-mêmes, mais pour ça il faut travailler. Et c’est pareil pour tous les sujets, les uns après les autres.»

Le courage de Chomsky de parler au nom de ceux, tels les Palestiniens dont la souffrance est souvent minimisée ou ignorée par les grands médias, montre qu’il est possible de mener une vie morale. Et, peut-être plus encore que sa formation, c’est son exemple d’indépendance morale et intellectuelle qui représente un appui pour tous ceux qui remettent en cause le discours hypocrite dominant et osent dire la vérité.

«Je ne saurais vous dire combien de gens, moi inclus, et ceci n’est pas une hyperbole, dont les vies ont changé grâce à lui » dit Finkelstein, qui a été exclu de plusieurs universités à cause de son courage intellectuel et son indépendance. «Sans Chomsky, il y a bien longtemps que j’aurais abandonné. J’ai pris pas mal de coups dans ma vie professionnelle. Et c’est parce que je savais qu’un des plus grands esprits de l’histoire humaine avait confiance en moi que j’ai pu supporter tous ces coups. Il y a beaucoup de gens dont l’existence n’est même pas reconnue, les petits comme on les appelle, qui reçoivent un jour un courrier de Chomsky. Ca leur insuffle une nouvelle énergie. Chomsky a fait bouger beaucoup, beaucoup de gens qui se sont découverts un potentiel qui, sans lui, aurait été perdu pour toujours.»

Chris Hedges
21.04.10
http://www.truthdig.com/report/item...
Traduction VD pour le Grand Soir