samedi 29 août 2009

Quand l’appétit des promoteurs immobiliers...

Comme chaque année à pareille période, il nous faut assister incrédules, aux ravages des feux de forêts et de sous-bois, dans les habituels pays de l’Europe du Sud…

Que ce soit en France ou en Italie, en Corse ou en Espagne, au Portugal ou en Grèce, c’est à chaque fois la même chose : en quelques heures, un patrimoine rare et précieux est rasé de la carte et disparaît à jamais en fumée… remplacé par un paysage de désolation et de tristesse. Sans compter qu’au passage, parfois ces feux emportent biens immobiliers et vies humaines…

Il faut avoir traversé un tel environnement après un incendie, pour voir combien le décor verdoyant et la luxuriance de la nature avec sa faune et sa flore variées fait place à des couleurs de mort où tout est réduit en cendres. La vision de destruction apocalyptique en est cauchemardesque.

Faut-il rappeler que les forêts, avec les mers et les océans, participent à la production d’oxygène dont nous avons tant besoin dans nos villes polluées et de plus en plus surdimensionnées ? Rien ne peut remplacer la disparition de ces poumons verts et il faut compter des décennies voire quelques siècles pour retrouver parfois un équilibre ainsi saccagé.

Sans parler des coûts – financiers mais aussi patrimoniaux, écologiques, esthétiques,… – que représente la perte de tels espaces, que dire de celui des forces d’intervention pour tenter d’éteindre ces brasiers vite incontrôlables à l’aide de camions, hélicoptères, canadairs, etc… et sans mentionner celui des vies humaines, irremplaçables !?

Le hasard ou la sécheresse peut-être ? Bien sûr que non ! Le hasard ne frappe pas avec une telle régularité. Un regard par-dessus l’épaule nous indique que pas une année ce phénomène ravageur ne rate le rendez-vous. C’est presque devenu l’un des feuilletons télé de la saison estivale. Et quantité d’endroits sont soumis à pire sécheresse, sans que cela n’occasionne de tels incendies.

La question qu’il convient donc de se poser n’est pas tant de savoir qui est responsable de tel ou tel départ de feu, parce la plupart du temps, ces feux sont initiés par des pyromanes – qu’il faut traquer, arrêter et juger, cela va de soi – que de savoir à qui ces catastrophes écologiques profitent-elles, et si elles peuvent être évitées.

Pour ce qui est des bénéficiaires de ces drames, l’on ne s’étonnera même plus du résultat des enquêtes révélant bien souvent de sordides intérêts de promoteurs immobiliers acoquinés avec certains acteurs politiques… Quant à savoir si ces désastres peuvent être évités, la réponse est oui, assurément, oui !

Mais pour cela, il faut plusieurs conditions, dont la première est la prise de conscience des populations qui ne sont pas directement concernées par ces drames. Au pire, la forêt apparaît pour beaucoup comme un milieu sombre et hostile, abritant nombre de dangers inconnus, antre de peurs ancestrales, ne présentant donc que peu d’intérêt ; au mieux, elle est un milieu naturel, proche de l’ordinaire, voire banal et donc, remplaçable, renouvelable à souhait. Or, il n’en est rien. S’il est parfois dit ou écrit que les forêts d’Europe regagnent du terrain, c’est passer sous silence que ces forêts sont jeunes et n’ont donc pas la richesse des vieilles forêts ayant mis des années à parfaire leur exceptionnelle richesse en variété d’essences… Il faut plusieurs décennies pour qu’une forêt atteigne lentement sa maturité. Bien plus que les quelques décennies d’une vie humaine. La plupart des nouvelles forêts d’Europe sont composées d’essences communes, souvent issues de la famille des conifères, ce qui a eu pour conséquences d’entraîner des pluies de plus en plus acides, et d’appauvrir inexorablement les sols. L’Allemagne connaît bien ce redoutable phénomène et s’emploie activement à le corriger, tant que faire se peut. Mais ce travail est long et demande une infinie patience. Vertu devenue rarissime en ces temps aliénés à la vitesse et à l’efficacité.

Or, voilà plus de 25 ans, dans son livre intitulé Ouvrez donc les yeux aux Ed. Robert Lafont (1980), le vulcanologue français Haroun Tazieff soulevait déjà le problème des incendies de forêts. Il préconisait à l’époque ce qu’aucun pays n’a mis en œuvre depuis, à savoir : la gestion des forêts en prévision des incendies futurs. Il y proposait par exemple de tracer de larges coupe-feux de manière systématique et régulière à travers les forêts, diminuant ainsi le risque de propagation du feu et isolant les parcelles les unes des autres ; il y proposait aussi d’entretenir les sous-bois ; de débroussailler les sols ; d’aménager des accès pour les services de sécurité ; de baliser clairement les aires accessibles au public de celles qui ne le sont pas, et ainsi de suite… bref, il y proposait une véritable gestion active – proactive dirait-on de nos jours où la sémantique politique est devenue l’emballage qui cache le vide qu’elle contient – des forêts, afin de les prémunir contre les incendies qui les détruisent périodiquement.

... et l'incurie des gouvernements se rencontrent.

Depuis des années et tout particulièrement aujourd’hui, nos gouvernements européens sont placés devant un défi majeur : la hausse ininterrompue du chômage, spécialement chez les jeunes. Chacun de nos ministres y va de ses déclarations et de ses promesses électoralistes, mais dans les faits, aucun de ces gouvernements ne parvient à endiguer ce qui est un véritable fléau tant économique que moral pour ceux qui doivent le subir.

Quantité de ces jeunes – et moins jeunes – au chômage seraient peut-être bien contents de travailler en plein air, à de tels projets pour le bien de la communauté. Il ne manque – comme toujours – que le courage et la probité politiques de décisions adéquates.

Dans le même ordre d’idées, un reportage télévisé relatait dernièrement qu’une étude avait été réalisée en Europe au sujet des aires de détente le long des autoroutes. La Belgique était l’un des pays les plus mal placés dans le tableau. Et dans la foulée, combien de fois ne découvre-t-on pas des poubelles de rue débordantes, avec parfois des sacs pleins à leurs pieds ? Et faut-il parler de l’état des trottoirs et des caniveaux, de certains parcs, des bulles à verres, des domaines publics ?... Quantité de lieux où les citoyens ne peuvent que constater le laisser-aller flagrant qui prévaut, alors qu’une main d’œuvre pléthorique n’attend que la première occasion pour travailler…

Oui, mais tout cela coûte de l’argent, me dira-t-on. Mais le chômage coûte bien plus cher à la collectivité ! Comme le renouvellement de nos armements, ou l’envoi de troupes dans des guerres plus qu’équivoques. Ainsi du gaspillage éhonté de nos multiples niveaux de pouvoir, et de certains cabinets ministériels également... Quantité de projets relativement simples pourraient être proposés pour sortir de nombreux citoyens du chômage, les ramenant ainsi dans le circuit du travail et dont les cotisations reviendraient dans les caisses de l’État, sans parler de la dignité d’un emploi retrouvé…

Tout est là, à portée de main. Sans que cela ne nécessite de lourds et coûteux investissements. Sans avoir besoin de structures complexes à mettre en place. Sans devoir remuer ciel et terre, ni créer de commission d’enquêtes, d’études ou de faisabilité. Sans avoir à charger un cabinet d’experts et de bureaucrates qui ont la spécialité d’alourdir et de complexifier tout ce qu’ils touchent. C’est simple et probablement efficace. Encore une fois, il ne manque que le courage et la volonté politique de prendre de bonnes décisions… en lieu et place de vains discours, de promesses électorales et de programmes creux. Ou en lieu et place d’achat de 12,5 millions de doses du vaccin H1N1 pour une population totale du pays de 10,5 millions d’habitants !

Daniel Vanhove –
29.08.09

vendredi 28 août 2009

Egalité prépare la rentrée... et vous invite à son AG

Chères amies, chers amis,

nous vous informons que la prochaine assemblée générale aura lieu ce vendredi 28 août 2009, à 20 heures 30


A l'ordre du jour:

- bilan des activités depuis la dernière AG
- propositions pour les quinze jours prochains

Merci de confirmer votre participation au plus vite, pour faciliter l'organisation!

Salutations cordiales

"Les discours paternalistes et islamophobes de l'extrême gauche peuvent être repoussants"

INTERVIEW - Rappeur du groupe Ministère des Affaires Populaire, Saïd témoigne du débat politique qui anime les banlieues des grandes villes françaises et européennes.
Le Ministère des Affaires Populaires (MAP) a publié son deuxième disque Les Bronzés font du Ch'ti et a fait cet été la tournée des festivals. Jeune groupe de Roubaix à la popularité grandissante, le MAP mélange rap, violon arabe et accordéon français. Un digne héritier de Zebda, qui utilise une musique festive (l'ambiance des concerts en témoigne) pour faire passer un message politique hautement pertinent. Musicalement, ses influences proviennent aussi bien de la musique arabe que du punk, de la chanson française, du reggae ou du rap. Rencontre avec Saïd, l'un des deux rappeurs du groupe, pour parler un peu de musique, mais aussi de politique...

- Dans vos textes, vous utilisez des mots comme «révolution» («Un Air de révolution») ou «camarade» («Appelle moi camarade», avec la rappeuse militante Keny Arkana). Des termes assez rares aujourd'hui. Mais que signifie pour vous la révolution?

- Saïd: La révolution, c'est le changement, l'évolution des mentalités. Est-ce qu'on va rester comme des moutons, ou est-ce qu'on va avoir un vrai regard lucide et critique sur la société, changer notre manière d'être et de vivre, avoir une vie plus saine et plus altruiste? Le problème, c'est qu'on est tous passés par l'école, la «fabrique à dominants», qui définit comme objectif dans la vie d'être le meilleur, de gagner de l'argent et d'avoir une situation. Est-il envisageable de réfléchir différemment? La révolution pour nous, c'est aussi un rêve.
Le monde dans lequel on vit ne nous plaît pas. On sent qu'il n'est pas viable, avec 80% de la planète qui crève de faim et 20% qui vit dans l'excès. Il atteint ses limites et il est à deux doigts d'exploser. Il rend inhumain. Le plus frappant, en France, c'est le traitement des sans-papiers: «Retournez chez vous, on ne va pas partager avec vous ce qu'on a ici, on a peur de ne pas en avoir assez, alors dégagez!» C'est abject. En plus, ces gens-là viennent des mêmes pays que nos grands-parents, alors comment peut-on accepter ce genre de choses? Je souhaite que la révolution ait lieu à tous les niveaux. C'est sûr que le mot a été ringardisé, mais je pense que la conscience de classe revient et je suis content de participer à ce changement.

- Vous tapez sur la droite, bien sûr, mais aussi sur BHL, le PS et même sur Charlie Hebdo ou l'extrême gauche «pathétique comme la Fête de l'Humanité» («Faudra faire avec»). Mais alors, avec qui vous allez la faire, la révolution?

- Le changement viendra d'en bas. Les gens qui m'impressionnent sont les associations dans les quartiers, qui font un travail de terrain incroyable. J'ai beaucoup de respect pour le Mouvement de l'immigration et des banlieues, le Forum social des quartiers populaires, les Indigènes de la République, les associations qui dénoncent les violences policières, les discriminations etc. Eux sont en phase avec le terrain, ils sont dans l'éducation populaire, dans l'éveil des consciences, la formation, la mobilisation, pas dans le baratin institutionnel.

- Comment expliquez-vous le mal qu'ont les partis de gauche à mobiliser dans les populations issues de l'immigration?

C'est compliqué parce que nous, issus de l'immigration algérienne, maghrébine ou africaine, nos valeurs, nos codes sont aussi dans notre arabo-musulmanité: nos rapports aux parents, la convivialité, l'hospitalité... Les mecs d'extrême gauche, qui se demandent pourquoi ils ont du mal à mobiliser dans les quartiers, ont du mal à imaginer que parfois leurs discours paternalistes et islamophobes peuvent être repoussants. Ils n'intègrent pas les différences et la spécificité des gens des quartiers. Ils voudraient qu'on soit tous de culture marxiste et anticléricale. Mais, aussi étrange que ça puisse paraître, on peut être musulman pratiquant sans être croyant! Dans un monde aussi égoïste que celui dans lequel on vit aujourd'hui, avoir la culture musulmane à la maison, dans le cercle privé, franchement, c'est une bouffée d'oxygène. C'est un moment de chaleur humaine qu'on trouve de moins en moins dehors et qu'on veut préserver parce qu'avec ses valeurs de générosité et de solidarité, c'est un véritable trésor!

- Vous utilisez aussi des références anarchistes («A l'abordage»). Vous sentez-vous proches de ce courant?

- Oui, je suis séduit par l'idéologie et l'esthétique punk, la marginalité, la révolte contre les valeurs établies, la résistance contre la culture dominante, le refus de cette société, de ses dérives... Le «No Future», ce nihilisme politique, ça me plaît énormément. Si en plus ça s'inscrivait dans une démarche de solidarité collective, ça serait l'idéal!

- Votre discours politique est riche et vous abordez des thèmes très variés (l'immigration, les sans-papiers, le racisme, la violence policière, mais aussi le Nord, la pauvreté, les HLM, la prison, la culture de masse...). D'où vient votre éducation politique?

- Notre conscience politique est d'abord culturelle, transmise par nos parents, notre histoire, notre trajectoire... On est des enfants d'immigrés et d'ouvriers: double raison d'avoir une conscience de classe. On a la chance d'avoir eu des parents qui nous ont raconté leur immigration, leurs souffrances. Et encore, je pense que mon père nous cache certains détails sur l'histoire de notre famille pendant la colonisation, pour éviter qu'on soit trop en colère contre la France. Ma mère a connu les bavures policières envers les immigrés, elle nous disait: «Quand vous sortez, attention à la police.» Et puis on est aussi dans une région particulière, ouvrière, syndicaliste, associative, avec une culture de protestation, une terre d'immigration...

- Comment évaluez-vous la situation politique dans les quartiers?

- Aujourd'hui, on est dans une société qui se repolitise. Elle avait été dépolitisée par une stratégie politique menée par les partis, surtout le PS dans les années 1980. Ils ont complètement dépolitisé la «marche pour l'égalité et contre le racisme» qu'ils avaient rebaptisée la «Marche des beurs». On est cette génération qui a été dépolitisée, pour être manipulée. Le 11 septembre 2001 est le tournant politique qui a changé la face du monde. Je pense que c'est le début de la repolitisation des masses, en tout cas de notre génération. Surtout ceux qui sont issus de l'immigration arabo-musulmane, parce qu'ils ont été stigmatisés, les «potentiels terroristes» et tous les clichés autour de ça. Ensuite il y a eu Le Pen au deuxième tour (2002), la révolte des quartiers populaires (2005), Sarkozy et le Ministère de l'immigration (2007), une société qui se durcit, de plus en plus liberticide, raciste, xénophobe...
Notre société capitaliste, individualiste, égoïste a atteint ses limites et elle fait ce qu'elle peut pour étouffer la révolte... Elle est de plus en plus réac' parce qu'elle n'a pas le choix: elle s'autodéfend. Elle essaye de discréditer les luttes, de ringardiser les discours, pour casser toute forme de résistance. On passe pour des adolescents attardés ou de dangereux gamins nihilistes. Mais je pense qu'il y a une lucidité dans les quartiers, sur la conscience de classe. Même dans les actes les plus nihilistes, il y a une vraie analyse politique, sur les rapports de domination. Les mecs des quartiers savent de quel côté de la barrière ils sont...

- Vous rendez hommage au courage de ceux qui ont fait le voyage, les souffrances qu'ils ont dû affronter, mais vous célébrez aussi leur culture, leurs chansons (dans «Chouffou ma sar», de El Hachemi Guerrouabi). Qu'est-ce que cela représente pour vous?

- On est des enfants de l'école de la République, qui est censée former ses citoyens, les éduquer, les cultiver. Mais elle a oublié une partie de notre culture et, plus que ça, elle l'a niée. Pour être sincère, je me suis senti insulté par l'école de la République. On m'a dit «la culture de tes parents, ce n'est pas la nôtre, elle n'est pas assez intéressante». Si l'école de la République ne t'aide pas à te cultiver, tu es obligé d'aller chercher toi-même. Donc on a cherché. C'est un acte de résistance culturelle, contre le Ministère de l'identité nationale. Parce qu'on nous a dit que s'intégrer c'était chanter la Marseillaise, bouffer du cassoulet et, aujourd'hui, avoir une Rolex! Mais les richesses de ce pays, c'est aussi l'histoire des gens de ce pays. Donc on va chercher dans notre patrimoine culturel, et il est très large: il va du nord de la France jusqu'au sud de l'Algérie!

- Vous vous intéressez aussi beaucoup à la Palestine, qui est le titre d'une de vos chansons...

- Nos parents nous ont parlé des Palestiniens. Ils ont connu la colonisation et l'occupation de l'armée française en Algérie. Ils vivaient dans un département français, mais ils n'avaient pas les mêmes droits, ils avaient un statut d'indigènes, ils ont été martyrisés, clochardisés, spoliés, humiliés... Cette horreur de la colonisation, nos parents la connaissent, la trouvent inadmissible, injuste, révoltante et, évidemment, ils ne la souhaitent à personne. Sachant que les Palestiniens vivent ce qu'ils ont vécu, ils trouvent ça horrible et se sentent solidaires. Nous sommes solidaires avec tous les gens qui souffrent, pas seulement les Palestiniens.
Et puis, pour ce deuxième disque, on est entrés en studio quinze jours après notre retour de tournée en Palestine. On a été bouleversés par ce qu'on a pu voir et entendre. On a été choqués par la violence de la colonisation, le Mur, les check-points... Mais on a aussi découvert comment s'organise la résistance, culturellement. Parce que c'est la résistance d'un peuple qui lutte pour exister, pour préserver et transmettre sa culture, pas seulement en se battant, mais en vivant, en étant Palestiniens. C'est sûr que ça nous a imprégnés et inspirés... Et puis il y a un contrat de conscience avec les Palestiniens: quand tu vas en Palestine, ils te demandent de ne pas les oublier et de raconter au monde ce que tu as vu. On tient notre promesse...

Propos recueillis par DROR
25.08.09

Note :
Ministère des Affaires Populaires, Les Bronzés font du Ch'ti, CD PIAS France, www.map-site.fr

jeudi 27 août 2009

Les nouvelles procédures israéliennes pour étrangler la Palestine

Obama vient de faire les gros yeux : les nouvelles règles d’entrée en Israël et en Cisjordanie édictées par le gouvernement israélien ne respectent pas le droit. Ce qui était jusqu’ici officieux, est en effet devenu officiel, et un pas de plus est franchi pour empêcher la libre circulation des étrangers (dont les travailleurs humanitaires) et des Palestiniens.

Jusqu’à maintenant Israël refoulait à la tête du client et sans donner de justification les étrangers soupçonnés de vouloir entrer dans les territoires occupés.. Les noms à consonance arabe étant, bien entendu, les premiers visés, vu le racisme institutionnalisé de cet État.

Et on ne parle pas ici de la Bande de Gaza, fermée depuis 5 ans à l’immense majorité des étrangers, mais aussi des Palestiniens.

Le ministre israélien de l’intérieur vient d’annoncer une nouvelle règle "du jeu" (auquel se prêtent sans broncher tous nos gouvernements depuis de longues années !)

Désormais, les Palestiniens et les étrangers (qu’ils viennent d’Europe, des États-Unis ou d’ailleurs, qu’ils fassent partie d’équipes médicales, humanitaires ou pas) qui auront réussi à passer en Cisjordanie, ne pourront pas mettre les pieds en Israël !

Et pour avoir une chance de rentrer en Cisjordanie, ils devront bien sûr obtenir l’autorisation d’Israël, mais uniquement par le passage du Pont Allenby, c’est à dire en passant par la Jordanie et non par l’aéroport de Tel Aviv.

Cette annonce officialise une mesure déjà actée sans tambour ni trompette, depuis 3 mois. Les étrangers et les Palestiniens qui ont le droit d’entrer en Cisjordanie par Amman (parce qu’ils y travaillent, y ont une mission validée par Israël, ou de la famille), se voient apposer un tampon sur leur passeport "Autorité Palestinienne uniquement".

Ce qui veut dire, notamment, interdiction de se rendre à Jérusalem-Est considérée comme Israel, et dans tout le reste du pays.

Quant aux étrangers qui arrivent par l’aéroport Ben Gourion, proche de Tel Aviv, s’ils ne sont pas carrément refoulés pour délit de faciès ou prénom qui n’a pas l’heure de plaire, ils doivent désormais (en plus des fouilles et interrogatoires racistes interminables) signer un engagement à ne pas mettre les pieds dans les territoires palestiniens durant la totalité de leur "séjour en Israël".

Cette nouvelle réglementation est une violation patente des accords d’Oslo par Israël, à l’égard des gouvernements occidentaux dont les citoyens doivent pouvoir obtenir l’accès permanent aux territoires occupés.

Que va-t-il se passer ? Quelques protestations pour la forme ?

Le ghetto palestinien de plus en plus hermétique, en violation de toutes les lois. Et pendant ce temps, nous allons continuer à laisser entrer dans nos pays, sans la moindre entrave, tous les criminels de guerre israéliens, tous les produits illégaux "made in Israël", en provenance des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens ?

La HONTE.

Source: CAPJPO-EuroPalestine
20-08-2009

mercredi 26 août 2009

Puissé-je me tromper !

J’ai lu avec étonnement ce week-end les dépêches de presse concernant la politique intérieure des États-Unis : elles reflètent de toute évidence l’usure systématique de l’influence du président Barack Obama, dont la surprenante victoire électorale n’aurait pas été possible sans la profonde crise politique et économique de son pays : les soldats morts ou blessés en Iraq, le scandale des tortures et des prisons secrètes, les pertes de logements et d’emploi, tout ceci avait ébranlé la société étasunienne. Tandis que la crise économique s’étendait dans le monde, aggravant la pauvreté et la faim dans les pays du Tiers-monde.

Ce sont ces circonstances qui ont permis la postulation, puis l’élection d’Obama dans une société aux traditions racistes : non moins de 90% de la population noire, discriminée et pauvre, la majorité des électeurs d’origine latino-américaine et une vaste minorité des classes moyenne et ouvrière, essentiellement les jeunes, votèrent pour lui. Il était logique que de nombreux espoirs se soient éveillés chez les Étasuniens qui l’ont appuyé. Après huit années d’aventurisme, de démagogie et de mensonges, durant lesquelles des milliers de soldats étasuniens et presque un million d’Iraquiens moururent dans le cadre d’une guerre de conquête pour le pétrole de ce pays musulman qui n’avait rien à voir avec l’atroce attentat contre les tours jumelles, le peuple étasunien était las et écœuré.

Bien des gens en Afrique et ailleurs dans le monde s’enthousiasmèrent à l’idée de voir des changements dans la politique extérieure des États-Unis.

Il suffisait néanmoins d’une connaissance élémentaire de la réalité pour ne pas se bercer d’illusions quant à un éventuel changement politique aux États-Unis à partir de l’élection du nouveau président.

Obama, certes, s’était opposé à la guerre de Bush en Iraq bien avant de nombreux autres membres du Congrès des États-Unis. Il avait connu dès l’adolescence les humiliations de la discrimination raciale et, à l’instar de nombreux Étasuniens, il admirait le grand militant des droits civils, Martin Luther King.

Obama est né, s’est formé, a fait de la politique et a réussi au sein même du système capitaliste impérial des États-Unis. Il ne souhaitait pas changer le système, ni ne pouvait le faire. Le plus curieux, c’est que l’extrême droite le hait pourtant parce qu’afro-américain et qu’elle combat ce que fait le président pour redorer l’image détériorée de son pays. Il a été capable de comprendre que les États-Unis, tout en ne comptant que 4% de la population mondiale, consomment environ 25% de l’énergie fossile et sont les plus gros émetteurs de gaz polluants au monde.

Bush, dans ses extravagances, n’avait même pas signé le Protocole de Kyoto.

Obama se propose aussi d’appliquer des normes plus rigides face à l’évasion fiscale. On vient d’apprendre par exemple que les banques suisses fourniront les coordonnées d’environ 4 500 suspects d’évasion fiscale sur les 52 000 comptes de ressortissants étasuniens ouverts dans ce pays.

En Europe, voilà quelques semaines, Obama s’est engagé devant les pays du G-8, en particulier la France et l’Allemagne, à mettre fin au fait que son pays recourt à des paradis fiscaux pour injecter d’énormes quantité de dollars dans l’économie mondiale.

Il a offert des services de santé à presque 50 millions de citoyens dépourvus d’assurance-maladie.

Il a promis au peuple étasunien d’huiler l’appareil productif, de freiner le chômage croissant et de relancer la croissance.

Il a offert aux douze millions d’immigrants illégaux d’origine latino-américaine de mettre fin aux rafles cruelles et au traitement inhumain qu’ils subissent.

Il a fait d’autres promesses que je n’énumère pas, dont aucune ne remet en cause le système de domination du capitalisme impérialiste.

Mais la puissante extrême droite refuse la moindre mesure qui diminuerait un tant soit peu ses prérogatives.

Je me bornerai à citer des informations de ces derniers jours émises des États-Unis par des agences de presse et par la presse.

21 août :
« La confiance des Étasuniens dans le leadership du président Barack Obama a chuté sensiblement, selon un sondage publié aujourd’hui dans The Washington Post. »

« Alors que l’opposition à la réforme du système de santé s’accroît, le sondage téléphonique, réalisé de concert avec la chaîne de télévision ABC du 13 au 17 août auprès de 1 001 adultes, indique que …49% des personnes interrogées sont d’avis qu’Obama sera capable d’introduire des améliorations significatives dans le système d’assistance médicale des États-Unis, soit 20% de moins qu’avant son entrée à la Maison-Blanche. »

« 55% des interviewés croient que la situation générale des États-Unis va mal, contre 48% en avril.

« Le débat acharné sur la réforme de santé traduit un extrémisme qui inquiète les experts, alarmés par la présence d’hommes armés aux réunions populaires, par l’apparition de croix gammées et par les photos d’Hitler. »

« Les experts en crimes motivés par la haine recommandent de surveiller de près ces extrémistes et, même si de nombreux démocrates ont été écrasés par les protestations, d’autres ont décidé de faire face directement à leurs concitoyens. »

« Une jeune femme qui portait un photo retouchée d’Obama arborant une moustache à la Hitler alimente la théorie que le président créera des "tribunaux de mort" favorables à l’euthanasie de vieillards sans soutien… »

« …certains font la sourde oreille et ont décidé d’adresser des messages de haine et extrémistes, ce que Brad Garrett, ex-agent du FBI, observe avec alarme. »

« "Nous vivons assurément des temps qui font peur", a affirmé Garrett la semaine dernière à la chaîne ABC, tout en ajoutant que les services secrets "redoutaient qu’il arrive quelque chose à Obama". »

« Lundi, sans remonter plus loin, une douzaine de personne brandissaient des armes à l’extérieur du centre de congrès de Phoenix (Arizona), où le président prononçait devant des anciens combattants un discours où il a défendu, entre autres, sa réforme médicale. »

« Un autre homme portait un pistolet portant l’inscription : "Il est temps d’arroser l’arbre de la liberté", allusion à la phrase du président Thomas Jefferson (1801 1809) selon qui "le sang des patriotes et des tyrans" devrait arroser l’arbre de la liberté. »

« Certains messages ont été encore plus explicites, puisque leurs auteurs souhaitaient "la mort d’Obama, de Michelle et de leurs deux fillettes". »

« Ces incidents prouvent que la haine a fait irruption dans la politique étasunienne avec plus de force que jamais. »

« "Nous parlons de gens qui vocifèrent, qui portent des photos d’Obama en nazi… et qui utilisent avec mépris le mot socialiste", a dit à EFE Larry Berman (de l’Université de Californie, auteur de douze ouvrages sur la présidence des États-Unis), qui attribue en partie ce qu’il se passe à l’héritage latent du racisme. »

« Après avoir informé hier que la CIA avait engagé Blackwater en 2004 pour des tâches de planification, d’entraînement et de vigilance, le New York Times apporte aujourd’hui plus de détails sur les activités confiées à cette société de sécurité privée si controversée, dont le nom actuel est Xe. »

« Le journal signale que la CIA a recruté des agents de Blackwater pour poser des bombes dans des avions téléguidés en vue de tuer des dirigeants d’Al Qaeda. »

« Selon une information fournie par des fonctionnaires du gouvernement au New York Times, les opérations se sont déroulées dans des bases du Pakistan et d’Afghanistan, où la société privée montait et plaçait dans les avions des missiles Hellfire et des bombes guidées par laser. »

« Leon Panetta, le directeur de la CIA, a décidé à un moment donné de suspendre le programme et de révéler au Congrès cette coopération de Blackwater. »

« La collaboration de Blackwater a pris fin des années avant que Panetta ne devienne chef de la CIA, quand les fonctionnaires de celle-ci contestèrent que des agents extérieurs participent à un programme d’assassinats sélectifs. »

« Blackwater a été la seule société de sécurité privée chargée de protéger le personnel étasunien en Iraq sous l’administration George W. Bush. »

« Ses tactiques agressives ont fait de critiques à diverses reprises. Le cas le plus grave est survenu en septembre 2007 quand des agents de cette société tuèrent dix-sept civils iraquiens. »

« Devant les chiffres de suicides record et la vague de dépression parmi les soldats, l’armée étasunienne met peu à peu au point des formations spécialisées afin de rendre ses militaires plus "résistants" au stress émotionnel causé par des situations de guerre. »

22 août :
« Le président des États-Unis, Barack Obama, a durement critiqué aujourd’hui ceux qui s’opposent à son plan de réforme du système de santé du pays et les a accusés de divulguer des vues erronées et dénaturées. »

« Comme il l’a signalé dans ses discours, l’objectif de la réforme du système de soins médicaux est d’en freiner les coûts vertigineux et de garantir une couverture médicale à presque cinquante millions d’Étasuniens sans assurance-maladie. »

« "…il devrait y avoir un débat honnête, non dominé par les vues sciemment erronées et dénaturées de ceux qui tireraient le plus de profit si les choses restaient en l’état". »

« Le département d’Etat continue de financer Blackwater, la société privée de mercenaires impliquée dans l’assassinat de dirigeants d’Al Qaeda, qui s’appelle maintenant Xe Services, a écrit aujourd’hui The New York Times. »

« Le gouverneur de New York, David Paterson, a affirmé vendredi que les médias avaient utilisé des stéréotypes raciaux en parlant de fonctionnaires noirs comme lui-même, le président Barack Obama et le gouverneur du Massachussets, Deval Patrick. »

« La Maison-Blanche calcule que le déficit budgétaire sera, tout au long de la prochaine décennie, supérieur de deux billions de dollars aux prévisions les plus récentes, un coup dévastateur pour le président Barack Obama et pour son projet de créer un système de santé publique financé en grande partie par l’Etat. »

« Les prévisions pour la décennie sont très incertaines et peuvent varier au fil du temps. Néanmoins, les nouveaux chiffres en rouge des finances publiques poseront de lourds problèmes à Obama au Congrès, et soulèveront une énorme anxiété chez les pays étrangers qui financent la dette publique des USA, surtout la Chine. Presque tous les économistes les jugent insoutenables, même après une dévaluation massive du dollar. »

23 août :
« Le chef de l’armée étasunienne a exprimé dimanche son inquiétude devant la perte d’appui populaire aux USA à la guerre en Afghanistan, tout en indiquant que son pays restait vulnérable aux attaques d’extrémistes. »

« "Je crois que la situation en Afghanistan est grave et qu’elle se dégrade ; ces deux dernières années, l’insurrection talibane s’est améliorée, s’est davantage spécialisée", a affirmé Mike Mullen, chef de l’état-major interarmes. »

« Dans une interview à la chaîne NBC, Mullen n’a pas voulu spécifier s’il faudrait dépêcher de nouveaux soldats. »

« Un peu plus de la moitié des personnes sondées par le Washington Post et la chaîne ABC, sondage publié tout récemment, ont dit que la guerre en Afghanistan ne valait pas le coup. »

« Fin 2009, les États-Unis auront trois fois plus de soldats en Afghanistan que voilà trois ans, quand ils n’étaient que 20 000. »

La confusion règne dans la société étasunienne.

Le 11 septembre prochain marquera le huitième anniversaire de l’attentat fatidique. Ce même jour, j’avais averti à un meeting à la Cité des sports que la guerre ne permettrait pas de mettre fin au terrorisme.

La stratégie consistant à retirer des troupes d’Iraq pour les envoyer se battre en Afghanistan contre les talibans est une erreur. L’Union soviétique s’y était enlisée. Les alliés européens des USA renâcleront toujours plus à l’idée d’y verser le sang de leurs soldats.

L’inquiétude de Mullen au sujet de la popularité de cette guerre est tout à fait fondée. Ceux qui ont peaufiné l’attentat du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles ont été entraînés par les États-Unis.

Les talibans sont un mouvement nationaliste afghan qui n’a rien eu à voir avec cet attentat. C’est l’organisation Al Qaeda, financée par la CIA depuis 1979 et utilisée contre l’URSS pendant la Guerre froide, qui a ourdi cette attaque vingt-deux ans après.

Il existe des faits obscurs qui n’ont pas encore été suffisamment éclaircis devant l’opinion publique internationale.

Obama a hérité ces problèmes de Bush.

La droite raciste des USA fera l’impossible – je n’en ai pas le moindre doute – pour l’user en entravant son programme, et pour le mettre hors-jeu d’une manière ou d’une autre, au moindre coût possible.

Puissé-je me tromper !

Fidel Castro Ruz
24.08.09

Source: Le Grand Soir

mardi 25 août 2009

Après l'Irak, la Colombie ?

Le 15 juillet dernier le gouvernement colombien a divulgué son projet de mettre sept bases à la disposition de l’armée américaine. Le Venezuela et l’Equateur ont dénoncé la politique belliciste de leur voisin colombien, tandis que le Brésil et le Chili ont également fait part de leur "préoccupation". Ce nouvel accord permettrait à l’armée américaine de compenser la perte de sa seule base en Amérique du sud, située à Manta, en Equateur.

La Colombie était en 2006 le pays où sont morts la moitié des syndicalistes assassinés dans le monde. Elle est le troisième bénéficiaire de l’aide militaire étatsunienne derrière Israël et l’Egypte dans le cadre officiel d’un plan de lutte antidrogue (Plan Colombia) qui est en fait une lutte anti-FARC (tandis que par ailleurs les USA soutiennent la narco-répubique autoproclamée du Kosovo et que sous leur occupation la culture du pavot ne cesse d’augmenter en Afghanistan). Dans le cadre du Plan Colombia (que Washington veut exporter au Mexique, au Pakistan et en Afghanitan), les USA ont aussi mobilisé les services spéciaux britanniques et espagnols pour l’encadrement de l’armée colombienne. Si l’aide étatsunienne se chiffre à 5,5 milliards de dollars par an, les alliés européens membres de l’OTAN (France, Allemagne, Royaume-Uni, etc...) contribuent aussi : ils ont versé pour leur part en 2007, 154 millions de dollars d’aide militaire à la Colombie sans aucun débat devant leur opinion publique. M. Uribe, qui est un ami de M. Kouchner, a fait libérer pour lui récemment le criminel de guerre kosovar recherché par la justice internationale Agim Ceku. Les forces spéciales israéliennes aussi sont en Colombie, tout comme elles ont participé au coup d’Etat au Honduras.

Le 1er mars 2008, la Colombie a bombardé une base arrière des FARC en Equateur provoquant la rupture des relations diplomatiques avec ce pays. Dix bombes de 500 kilos communément utilisées en Irak ont été déversées par des avions dont on soupçonne qu’ils furent américains (car les avions colombiens ne peuvent transporter de telles bombes).

En avril 2008 le colonel Jim Russell commandant des opérations de l’US Airforce dans le Sud a demandé que des soldats soient retirés d’Irak pour être déployés en Amérique latine. A partir du 12 juillet 2008, la 4ème flotte étatsunienne a recommencé à patrouiller au large des côtes latino-américaines pour la première fois depuis 1950. En mai 2008 un avion de combat étatsunien en provenance des Antilles néerlandaises a violé l’espace aérien vénézuélien. Selon Caracas, il s’agissait d’une mission d’espionnage sur l’île de La Orchila pour tester les radars vénézuéliens, tandis que Washington a parlé d’une erreur de navigation.

Pour se défendre, le Venezuela, qui se sent menacé, a proposé en mars dernier de mettre des bases aériennes à la disposition des bombardiers russes et son président Hugo Chavez a annoncé mercredi la signature en septembre d’un nouveau contrat d’armement "important" avec Moscou, comprenant l’achat d’une quarantaine de chars. Le président Chavez accuse "l’empire américain" de vouloir utiliser les bases colombiennes pour s’approprier le riche bassin pétrolifère de l’Orénoque dans le sud-est de son pays. Dans l’Etat pétrolifère de Zulia, un mouvement sécessionniste se développe depuis plusieurs années "Rumbo Propio" soutenu par les grands médias de l’oligarchie vénézolo-américaine.

L’étau se resserre autour de Vénézuela tandis que les USA, qui utilisent les bases de la Guyane française, peuvent aussi compter désormais sur le Panama qui a élu un président de droite en mai dernier. Avec ses nouvelles bases, la Colombie, pourra aussi menacer la zone andine au sud-ouest et la zone amazonienne où les enjeux stratégiques sont importants. "D’abord c’est le pétrole, ensuite ce sera le minerai de fer et l’eau. Aujourd’hui ils veulent envahir l’Iraq, ne vous étonnez pas si demain ils décident d’envahir l’Amazonie" avait déclaré l’économiste égyptien et contributeur de l’Atlas alternatif Samir Amin lors du deuxième forum social pan-amazonien de janvier 2003 à Bélem. Pour mémoire le 13 août dernier les delegués des peuples indigènes de Colombie ont dénoncé devant le Comité pour l’élimination des discriminations raciales des Nations Unies les persécutions dont ils sont l’objet par le gouvernement de Bogota. Karmen Ramírez Boscán, dirigeante de l’Organización Nacional Indígena de Colombia (ONIC) a critiqué les divers effets néfaste de la future présence des bases étatsuniennes dans leur zone, y compris en termes des risques de diffusion du commerce sexuel et de viols des femmes indigènes.

Frédéric Delorca
18.08.09

Source:
http://atlasalternatif.over-blog.com/article-35022283.html

lundi 24 août 2009

Palestine : "On pille les organes de nos fils"

Des Palestiniens accusent l’armée israélienne de voler des organes à ses victimes. Donald Boström raconte le scandale international des transplantations d’organes – et comment lui-même a été le témoin d’une atteinte au corps d’un Palestinien de 19 ans.

Vous pouvez m'appeler un "entremetteur", a déclaré Levy Izhak Rosenbaum, de Brooklyn, USA, sur un enregistrement secret réalisé par un agent du FBI qu'il croyait être un client. Dix jours plus tard, fin juillet de cette année, Rosenbaum a été arrêté et un vaste trafic d’organes et de blanchiment d'argent, digne des Soprano, a été démasqué dans le New Jersey, impliquant des rabbins, des élus et des fonctionnaires.

Le travail d’entremetteur de Rosenbaum n'a rien à voir avec le romantisme. Il s'agissait d'achat et de vente au marché noir de reins provenant d’Israël. Rosenbaum affirme qu'il achète des reins à des gens modestes pour 10,000 $ et les revend ensuite à des patients désespérés aux USA pour 160.000 $. Le temps d’attente pour un rein obtenu par les voies légales est en moyenne de 9 ans.

Les accusations ont ébranlé l’industrie américaine de la transplantation. Si elles sont vraies, c’est la première fois qu’un trafic d'organes est documenté aux USA, ont déclaré des experts au New Jersey Real-Time News.

A la question de savoir combien d'organes il a vendu, Rosenbaum répond: «Pas mal. Et je n'ai jamais échoué», se vante-t-il. Son commerce a duré pendant très longtemps.

Francis Delmonici, un professeur de chirurgie de transplantation à l'Université d’Harvard et membre du conseil d'administration de la National Kidney Foundation (Fondation nationale du rein), indique au même journal que le trafic d'organes, semblable à celui signalé en provenance d’Israël, a lieu dans d'autres endroits de la planète. On estime qu’environ 10% des 63 000 transplantations de reins dans le monde sont illégales, selon Delmonici.

Les pays soupçonnés de ces activités sont le Pakistan, les Philippines et la Chine, où les organes seraient prélevés sur des prisonniers exécutés. Mais les Palestiniens soupçonnent aussi fortement Israël de capturer des jeunes hommes qui lui serviraient à leur corps défendant, comme au Pakistan et en Chine, de réserves d’organes avant d’être tués. Une accusation très grave, avec suffisamment de points d’interrogations pour motiver la Cour internationale de Justice (CIJ) à ouvrir une enquête sur d'éventuels crimes de guerre.

Israël a été à maintes reprises critiqué pour sa gestion contraire à l’éthique des organes et des greffes. La France a été parmi les pays qui ont cessé la collaboration d'organes avec Israël dès les années 90. Le Jerusalem Post a écrit que «les autres pays européens devraient suivre l'exemple de la France prochainement."

Depuis le début des années 2000, la moitié des reins greffés à des Israéliens ont été achetés illégalement en Turquie, en Europe de l'Est ou en Amérique latine. Les autorités sanitaires israéliennes sont totalement au courant de ce commerce, mais ne font rien pour l'arrêter.

Lors d'une conférence en 2003, il a été démontré qu’Israël est le seul pays occidental dont le corps médical ne condamne pas le commerce illégal d'organes et qui ne prend aucune mesure légale contre les médecins qui participent à ce commerce illégal. Au contraire, les médecins-chefs des grands hôpitaux israéliens sont impliqués dans la plupart des transplantations illégales, selon le quotidien suédois Dagens Nyheter du 5 Décembre 2003.

Au cours de l'été 1992, Ehud Olmert, alors ministre de la Santé, avait tenté de régler la question de la pénurie d'organes en lançant une grande campagne visant à trouver des volontaires israéliens pour des dons d'organes post mortem. Un demi-million de tracts furent diffusés dans les journaux locaux, invitant les Israéliens à s’inscrire pour des dons d’organes après leur mort. Ehud Olmert avait été lui-même la première personne à s'inscrire.

Deux semaines plus tard, le Jerusalem Post signalait que la campagne avait été un succès. Pas moins de 35.000 personnes s’étaient inscrites, contre 500 par mois auparavant.

Toutefois, dans le même article, la journaliste Judy Siegel écrivait que l'écart entre l'offre et la demande était toujours important. 500 personnes étaient sur liste d’attente pour une greffe de rein, mais que seules 124 transplantations pourraient être réalisées. Sur les 45 personnes ayant besoin d'un nouveau foie, trois seulement pouvaient être opérées en Israël.

Pendant cette campagne, de jeunes hommes palestiniens ont commencé à disparaître dans les villages de Cisjordanie et de Gaza. Des soldats israéliens les ramenaient morts au bout de 5 jours, le corps ouvert.

Parler de ces corps charcutés terrorisait la population des territoires occupés. Il y avait des rumeurs d'une augmentation spectaculaire du taux de disparition de jeunes hommes, avec des enterrements nocturnes de corps autopsiés.

J'étais dans la région à l'époque, je travaillais sur un livre. À plusieurs reprises, j'ai été contacté par le personnel de l'ONU préoccupé par l'évolution de la situation. Les personnes qui me contactaient disaient que des vols d’organes avaient certainement lieu, mais qu'ils étaient empêchés d’agir contre cela.

Ayant trouvé un réseau de diffusion pour le reportage, je me suis alors déplacé dans le secteur pour interroger un grand nombre de familles palestiniennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza : j’ai rencontré des parents qui ont raconté comment les organes de leur fils avaient été prélevés, avant d'être tués.

Un des exemples que j'ai trouvé lors de ce sinistre voyage fut celui le jeune lanceur de pierres, Bilal Ahmed Ghanan.

Il était près de minuit quand retentit le rugissement d'un moteur d’une colonne de l’armée israélienne à la périphérie d’Imatin, un petit village dans le nord de la Cisjordanie. Les deux mille habitants ont été réveillés. Ils se tenaient, ombres silencieuses dans l'obscurité, certains couchés sur les toits, d'autres cachés derrière les rideaux, les murs ou les arbres qui fournissaient une protection pendant le couvre-feu, mais offraient toujours une vue complète de ce qui allait devenir la tombe du premier martyr du village. Les militaires avaient coupé l'électricité et le secteur était maintenant une Zone Militaire Fermée – pas même un chat ne pouvait sortir sans risquer sa vie.

L'insupportable silence de la nuit noire était seulement interrompu par des sanglots silencieux. Je ne me souviens pas si nos frissons étaient dus au froid ou à la tension. Cinq jours plus tôt, le 13 Mai 1992, une force spéciale israélienne avait utilisé l'atelier de menuiserie du village pour tendre une embuscade. La personne pour qui l’action avait été mise en place était Bilal Ahmed Ghanan, l'un des jeunes lanceurs de pierres palestiniens qui menait la vie dure aux soldats israéliens.

En tant que l’un des principaux lanceurs de pierres, Bilal Ghanan, était recherché par l’armée depuis quelques d'années. Avec d'autres garçons lanceurs de pierres, il se cachait dans les montagnes de Naplouse, sans toit au-dessus de sa tête. Se faire prendre signifiait la torture et la mort pour ces garçons : ils devaient donc rester dans les montagnes, à tout prix.

Le 13 Mai, Bilal a fait une exception, lorsque pour une raison inconnue, il est passé sans protection devant l'atelier de menuiserie. Pas même Talal, son frère aîné, ne sait pourquoi il a pris ce risque. Peut-être les garçons étaient-ils sortis pour se réapprovisionner, leurs réserves de nourriture étant épuisées.

Tout s'est déroulé selon le plan de la force spéciale israélienne. Les soldats ont écrasé leurs cigarettes, posé leurs canettes de Coca-Cola, et ont visé calmement à travers la fenêtre brisée. Quand Bilal a été suffisamment proche, ils n’ont eu qu’à tirer sur la gâchette. Le premier coup l’a frappé à la poitrine. Selon des villageois qui ont été témoins de l'incident, il a été touché par une balle dans chaque jambe. Deux soldats sont alors descendus en courant de l'atelier de menuiserie et ont tiré à nouveau sur Bilal dans le ventre.

Puis, ils l’ont attrapé par les pieds et l’ont traîné sur les vingt marches en pierre de l'escalier de l’atelier. Les villageois racontent que les gens de l'ONU et du Croissant-Rouge se trouvaient à proximité, ont entendu la décharge et sont venus à la recherche de blessés ayant besoin de soins. Une discussion a eu lieu pour savoir qui devrait se charger de la victime. Les discussions se sont terminées avec le chargement de Bilal grièvement blessé dans une jeep par les soldats israéliens qui l’ont emmené à la sortie du village, où un hélicoptère de l’armée les attendait. Le garçon a été transporté vers une destination inconnue de sa famille. Cinq jours plus tard, il est revenu mort, enveloppé dans un tissu vert d’hôpital.

Un villageois a reconnu le capitaine Yahya, le chef de la colonne de l’armée, comme étant celui qui avait transporté Bilal depuis le centre d’autopsie d’ Abou Kabir, à l'extérieur de Tel Aviv, jusqu’à son dernier lieu repos. "Le capitaine Yahya est le pire de tous», a murmuré le villageois à mon oreille. Après que Yahya eut fait décharger le corps et changer le tissu vert contre un autre en coton léger, certains hommes de la famille de la victime ont été choisis par les soldats pour creuser la tombe et mélanger le ciment.

Malgré le bruit marqué des pelles, nous pouvions entendre les rires des soldats qui échangeaient quelques plaisanteries en attendant de rentrer chez eux. Quand Bilal a été mis en terre, sa poitrine a été découverte. Soudain, il est devenu clair pour les quelques personnes présentes à quel genre d'abus le garçon avait été exposé. Bilal n'était pas le premier jeune Palestinien à être enterré avec une incision du ventre jusqu'au menton et les spéculations allaient bon train sur le pourquoi de ces sutures.

Les familles en Cisjordanie et à Gaza étaient sûres de ce qui était arrivé à leurs fils : «Nos fils sont utilisés comme donneurs d'organes involontaires», m’a dit un proche de Khaled de Naplouse, de même que la mère de Raed de Jénine et les oncles de Mahmoud et Nafes dans la bande de Gaza, qui ont tous disparu pendant un certain nombre de jours avant de revenir de nuit, morts et autopsiés.

"Pourquoi sinon garder les corps pendant au moins cinq jours avant de nous laisser les enterrer? Qu'est-il arrivé aux corps pendant cette période? Pourquoi effectuent-ils une autopsie, contre notre volonté, lorsque la cause du décès est évidente? Pourquoi les corps sont-ils rendus de nuit? Pourquoi avec une escorte militaire? Pourquoi la zone est-elle bouclée pendant l'enterrement? Pourquoi l'électricité est-elle coupée?" L’oncle de Nafe était bouleversé, et il avait beaucoup de questions.

Les proches des Palestiniens morts n’avaient plus de doutes quant aux raisons de ces meurtres, mais le porte-parole de l'armée israélienne affirmait que les allégations de vol d'organes étaient des mensonges. Toutes les Palestiniens qui sont tués sont autopsiés, c’est la routine, dit-il.

Bilal Ahmed Ghanem a été l'un des 133 Palestiniens tués de différentes façons cette année-là. Selon les statistiques palestiniennes, les causes des décès ont été: tué dans la rue, une explosion, par des gaz lacrymogènes, délibérément écrasé, pendu en prison, tué à l'école, tué à la maison, etc.

Les 133 personnes tuées avaient entre 4 mois et 88 ans. Seule la moitié d'entre elles, 69 victimes, ont été autopsiées. L'autopsie « de routine » des Palestiniens tués - dont parlait le porte-parole de l'armée - ne reflète pas la réalité dans les territoires occupés. Les questions demeurent.

Nous savons qu'Israël a un grand besoin d'organes, qu’il existe un vaste commerce illégal d'organes, qui a lieu depuis de nombreuses années maintenant, que les autorités sont conscientes de cela et que les médecins à des postes de direction dans les grands hôpitaux y participent, ainsi que des fonctionnaires à différents niveaux.

Nous savons aussi que des jeunes hommes palestiniens ont disparu, qu’ils ont été ramenés au bout de cinq jours, de nuit, dans un secret absolu, recousus après avoir été ouverts du menton à l'abdomen, charcutés et recousus.

Il est temps d'apporter de la clarté sur ce commerce macabre, de faire la lumière sur ce qui se passe et ce qui s’est passé dans les territoires occupés par Israël depuis le début de l'Intifada.

Donald Boström

Source: ”Våra söner plundras på sina organ” (Aftonbladet Kultur) -
Article publié le 17 Août 2009
Source : http://www.tlaxcala .es/
Traduction : MG/FG

dimanche 23 août 2009

Plus les sociétés deviennent inégalitaires, plus elles sont attachées à la diversité

Entretien avec Walter Benn Michaels, auteur de "La diversité contre l'égalité" (Raisons d'agir, février 2009).

- Marianne2.fr: Pour vous, le débat sur la diversité masque l'accroissement des inégalités économiques?
> Walter Benn Michaels : Oui. Au cours des 30 dernières années, les pays comme la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada sont devenus de plus en plus inégalitaires, économiquement parlant. Et plus ils sont devenus inégalitaires, plus ils se sont attachés à la diversité. C'est comme si tout le monde avait senti que le fossé grandissant entre les riches et les pauvres était acceptable du moment qu'une partie des riches sont issus des minorités.

- Vous considérez qu'il s'agit d'un écran de fumée et qu'il est délibérément mis en place. Pourquoi et par qui?
> Non, il n'y a pas de complot ici. Je pense que les gens se sont de plus en plus attachés à un modèle libéral de justice, dans lequel la discrimination — racisme, sexisme, homophobie, etc. — est le pire de tous les maux. Si ça marche, c'est à la fois parce que c'est vrai — la discrimination est évidemment une mauvaise chose — et parce que ça ne mange pas de pain— le capitalisme n'a pas besoin de la discrimination. Ce dont le capitalisme a besoin, c'est de l'exploitation.

- Vous expliquez que la diversité ne réduit pas les inégalités, mais permet seulement de les gérer. Que voulez-vous dire?
> Eh bien, il est évident que la diversité ne réduit pas les inégalités économiques. Si vous prenez les 10% de gens les plus riches (ceux qui ont en fait tiré le plus de bénéfices de l'explosion néolibérale des inégalités) et que vous vous assurez qu'une proportion correcte d'entre eux sont noirs, musulmans, femmes ou gays, vous n'avez pas généré plus d'égalité sociale. Vous avez juste créé une société dans laquelle ceux qui tirent avantage des inégalités ne sont pas tous de la même couleur ou du même sexe.

Les avantages en termes de gouvernance sont assez évidents, eux aussi. L'objectif du néolibéralisme, c'est un monde où les riches peuvent regarder les pauvres et leur affirmer (à raison) que personne n'est victime de discrimination, leur affirmer (tout autant à raison) que leurs identités sont respectées. Il ne s'agit pas, bien sûr, de les rendre moins pauvres, mais de leur faire sentir que leur pauvreté n'est pas injuste.

- Vous allez même plus loin puisque vous expliquez que le combat pour la diversité a partie liée avec une logique néolibérale. Pourtant il a existé des convergences, que vous évoquez dans le livre, entre luttes économiques et revendications portées par des minorités. Pourquoi ces convergences ont-elles disparu aujourd'hui?
> La convergence que vous évoquez entre la lutte contre la discrimination et le combat contre l'exploitation n'était qu'une convergence temporaire. Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis, les Noirs radicaux se sont battus à la fois contre le racisme et le capitalisme. Des gens comme le Black Panther Bobby Seale ont toujours estimé qu'on ne peut pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, mais par le socialisme. Mais avec l'ère du marché triomphant débutée sous Reagan et Thatcher, l'antiracisme s'est déconnecté de l'anticapitalisme et la célébration de la diversité a commencé. Bien entendu, il n'y a rien d'anticapitaliste dans la diversité. Au contraire, tous les PDG américains ont déjà eu l'occasion de vérifier ce que le patron de Pepsi a déclaré dans le New York Times il y a peu: « La diversité permet à notre entreprise d'enrichir les actionnaires ».

De fait, l'antiracisme est devenu essentiel au capitalisme contemporain. Imaginez que vous cherchiez quelqu'un pour prendre la tête du service des ventes de votre entreprise et que vous deviez choisir entre un hétéro blanc et une lesbienne noire. Imaginez aussi que la lesbienne noire est plus compétente que l'hétéro blanc. Eh bien le racisme, le sexisme et l'homophobie vous souffleront de choisir l'hétéro blanc tandis que le capitalisme vous dictera de prendre la femme noire. Tout cela pour vous dire que même si certains capitalistes peuvent être racistes, sexistes et homophobes, le capitalisme lui-même ne l'est pas. Si dans les années 60 les Black Panthers pensaient qu'on ne pouvait pas combattre le capitalisme par le capitalisme noir, aujourd'hui, dans la crise économique actuelle, des gens comme Yazid Sabeg espèrent qu'on peut sauver le capitalisme grâce au capitalisme « black-blanc-beur ».

- Vous ne semblez pas être un fervent partisan de la politique de discrimination positive telle qu'elle est menée actuellement aux Etats-Unis. Que préconiseriez-vous afin de rendre moins inégalitaire le système éducatif américain ?
> Ces quarante dernières années, les étudiants des universités américaines ont changé, et de deux façons. Premièrement, ils se sont beaucoup diversifiés. Deuxièmement, ils sont toujours plus riches. Cela signifie qu'alors que les universités américaines se sont autoproclamées de plus en plus ouvertes (à la diversité), elles se sont en réalité de plus en plus fermées. Ça ne veut pas seulement dire que les jeunes issus de milieux modestes ont du mal à payer leur scolarité, ça signifie aussi qu'ils ont reçu un enseignement si bas de gamme dans le primaire et le secondaire qu'ils n'arrivent pas à passer les examens d'entrée à l'université.

Donc, la première chose à faire lorsqu'on décide de mettre en place une politique de discrimination positive, c'est de le faire par classes et non par races. La seconde — mais de loin la plus importante — chose à faire serait de commencer à réduire les inégalités du système éducatif américain dès le primaire. Tant que ça ne sera pas fait, les meilleurs universités américaines continueront à être réservées aux enfants de l'élite comme le sont, pour l'essentiel, les meilleures grandes écoles françaises. Même si, bien sûr, vos grandes écoles ainsi que vos universités les plus sélectives, puisqu'elles sont gratuites ou bien moins chères que leurs homologues américaines, apportent un avantage supplémentaire aux riches — c'est une redistribution des richesses, mais à l’envers.

- Barack Obama est présenté, en France, comme un produit de la discrimination positive. Comment interprétez-vous sa victoire électorale et l'engouement qu'elle a pu susciter ?
> Sa victoire, c'est le triomphe totale de l'idéologie néolibérale aux Etats-Unis, le triomphe de la diversité et en même temps celui des marchés. Ce n'est pas un hasard si des économistes démocrates conservateurs comme Larry Summers ou Tim Geithner sont ses conseillers les plus proches. Si ce que vous voulez, c'est sauver le système économique néolibéral de la crise, c'est une bonne chose. Nous savons tous que l'administration Bush était trop distraite par ses lubies impérialistes du XXe siècle pour s'apercevoir que Wall Street avait plus besoin d'aide que l'Irak. Obama ne fera pas cette erreur. Mais si vous voulez que le système change fondamentalement, ne comptez pas sur les Démocrates. Du point de vue de la justice économique, Obama, c'est juste un Sarkozy noir. Bien sûr, ce n'est pas un problème pour Sarkozy, mais c'est un problème pour tous les gens qui se disent de gauche, qui aiment Obama et pensent que l'engagement dans la diversité dont il est le produit va également produire une société plus égalitaire.

Le thème central de La diversité contre l'égalité, c'est qu'ils se trompent ; la diversité est au service du néolibéralisme, et non son ennemie. Ce n'est pas une adresse à Sarkozy — il sait déjà qu'une élite diversifiée est une élite plus heureuse, plus autosatisfaite. Cela s'adresse à la gauche, à ceux qui préfèrent s'opposer au néolibéralisme, plutôt que l'améliorer.

Source : Marianne2.fr
21.02.09
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4ème de couverture :
A la télévision comme dans les entreprises, au Parti socialiste comme à l'Elysée, à Sciences Po comme à l'armée résonne un nouveau mot d'ordre: Vive la diversité ! Avec l'élection de Barack Obama, le bruissement s'est changé en clameur. Désormais, chacun devrait se mobiliser pour que les femmes et les "minorités visibles" occupent la place qui Leur revient au sein des élites. Mais une société dont les classes dirigeantes reflètent la diversité a-t-elle vraiment progressé sur le chemin de la justice sociale ? A cette question jamais posée, Walter Benn Michaels répond par la négative. La promotion incessante de la diversité et la célébration des " identités culturelles " permettent au mieux, selon lui, de diversifier la couleur de peau et le sexe des maîtres. Sans remettre en cause la domination qui traverse toutes les autres : celle des riches sur les pauvres. A l'aide d'exemples tirés de la littérature, de l'histoire et de l'actualité, ce livre montre comment la question sociale se trouve désamorcée lorsqu'elle est reformulée en termes ethnico-culturels. Plus fondamentalement, il s'interroge sur l'objectif d'une politique de gauche: s'agit-il de répartir les inégalités sans discrimination d'origine et de sexe, ou de les supprimer ?

Biographie de l'auteur :
Walter Benn Michaels est professeur de Littérature à l'université de l'Illinois à Chicago.

samedi 22 août 2009

Le coup d'État au Honduras marque un renforcement de la diplomatie guerrière en Amérique latine

A travers la crise politique au Honduras, la politique étrangère envers l’Amérique latine |1| de l’administration Obama se révèle au grand jour. Alors que son prédécesseur, embourbé en Irak ne parvenait plus à maintenir un sous-continent en ébullition, la nouvelle administration Obama parvient à détourner momentanément l’opinion publique de la guerre en Irak et en Afghanistan tout en réaffirmant sa présence en Amérique latine. Les Etats-Unis n’en peuvent plus de contempler la vague progressiste de gouvernements de gauche déferler sur le continent sans rien faire, d’autant que celle-ci se rapproche dangereusement, jusqu’en Amérique centrale : Le Nicaragua a élu le sandiniste Daniel Ortega au premier tour de l’élection de 2006 et le Salvador vient d’élire Mauricio Funes du FLMN (Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional) en mars 2009 qui a aussitôt renoué ses relations diplomatiques avec Cuba. |2| Comment, dans ce contexte, laisser Manuel Zelaya, président du Honduras, adhérer à l’ALBA et rejoindre ainsi les pays qui tentent de satisfaire les besoins humains fondamentaux pour tou-te-s avant les intérêts d’une minorité ?

Déploiement de forces américaines :

Comme convenu dans le programme politique pré-électoral de Rafael Correa, la base américaine de Manta sur le territoire équatorien n’est pas renouvelée et prend fin en 2009. Pour contrebalancer cette perte, Washington, réplique en se déployant sur sept bases militaires en territoire colombien (Palanquero, Malambo, Apiai, Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio et Hacienda Larendia). |3| La Colombie, allié stratégique des Etats-Unis fait office “de porte avion” militaire.

Un mois seulement après le coup d’Etat militaire du Honduras, ce déploiement de force ouvre une crise diplomatique à l’échelle du continent. Le président colombien parle d’un « accord de coopération contre le narcotrafic, le terrorisme et d’autres délits » qui laisse augurer du pire. On craint une accélération de la course aux armements en Amérique latine, alors que « l’argent que des pays comme le Chili, le Brésil et le Venezuela dépensent pour l’importation d’armes, sert à remplacer un équipement obsolète ». (...) « Ils modernisent leurs armements qui datent pour la plupart d’il y a plus de 20 ans, certains même du temps de la guerre froide. » explique Carina Solmirano, l’une des chercheuses de l’Institut international de recherche pour la paix à Stockholm. |4| En réponse à ce déploiement de force américano-colombien, les gouvernements progressistes opposés à Washington sont incités à entrer dans la course à l’armement. Les autres suivront sans aucun doute la surenchère...

Afin de désamorcer cette véritable bombe à retardement, Alvaro Uribe, président colombien d’extrême droite, ultra conservateur et puissant allié des Etats-Unis, réalise une tournée express dans 7 pays (Bolivie, Pérou, Brésil, Chili, Uruguay, Paraguay, Argentine) sans pour autant calmer cette nouvelle crise diplomatique. Hormis le Pérou, autre soutien indéfectible de la Colombie et de Washington, les autres voisins d’Alvaro Uribe envoient des mises en garde plus ou moins virulentes et l’Argentine propose, depuis le sommet de l’Unasur, un sommet extraordinaire sur la question. Déjà, fin juillet, Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des affaires étrangères, après une rencontre avec son homologue brésilien Celso Amorim, lui-même préoccupé par cet accord militaire, avait prié les Etats-Unis « d’éviter une militarisation » de l’Amérique latine. La pression diplomatique aidant, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de la Vega a soutenu officiellement la Colombie dans son « acte souverain », rectifiant les dires de son ministre tout en confirmant l’alignement de l’Espagne avec les États Unis. Mais de quelle souveraineté parlent-ils lorsqu’en plus d’être un prétexte pour livrer une guerre politique impérialiste, la guerre que mènent les Etats-Unis contre la drogue se fait à l’extérieur de ses frontières pour d’autres motifs, allant jusqu´à violer l’espace aérien de l’Equateur pour le bombarder (un campement des FARC en territoire équatorien fut bombardé en mars 2008 par l’armée colombienne appuyée par les Etats-Unis, tuant 17 guérilleros dont Raoul Reyes). Le peuple colombien fatigué par tant de violence se prononcerait-il pour cette militarisation si seulement il avait l’occasion de s’exprimer ? L’Espagne, a assuré Maria Teresa Fernandez de la Vega lors d’une conférence de presse, « sera toujours aux côtés des Colombiens dans la lutte pour l’éradication de la violence ». Sans peur de l’absurde, elle insiste : « Nous travaillerons toujours à la recherche d’accords, pour que les conflits se résolvent, pour que les tensions disparaissent... », un comble quand il s’agit d’établir de nouvelles bases militaires américaines. |5| Hugo Chavez, quant à lui, parle de « vents de guerre [qui] commencent à souffler » sur la région et assure qu’il est « évident que l’ordre [du coup d’Etat au Honduras] fut donné depuis la base américaine de Palmerola », située au Honduras et d’où partaient les offensives contre le Nicaragua sandiniste. |6| Avant le coup d’Etat, Manuel Zelaya, reprenant un rapport de la Aeronáutica Civil, avait déclaré qu’il transformerait cette base militaire en aéroport international civil afin de soulager l’aéroport de Tegucigalpa, considéré comme un aéroport dangereux. |7|On comprend tout de suite mieux l’empressement américain devant la possible perte de deux bases militaires.

Les relations diplomatiques avec le Honduras se poursuivent

Après les grandes déclarations condamnant le coup d’Etat, on se rend bien compte que les relations diplomatiques se poursuivent, la dictature du Honduras est malgré tout reconnue. L’Union européenne appuie des élections anticipées organisées par le régime putschiste, tandis que l’ALBA et l’Unasur s’engagent à ne pas reconnaître un gouvernement qui sortirait vainqueur de ces élections. Certains partis et candidats parlent déjà de se retirer. Le Pérou conserve son ambassadeur en poste au Honduras : « C’est inexplicable qu’il n’ait pas adopté cette décision [de retirer immédiatement son ambassadeur à Tegucigalpa] jusqu’à maintenant » soutient l’ex-ministre des relations extérieures du Pérou, Manuel Rodríguez. |8| Carmen Ortez Williams, ambassadeur du Honduras à Buenos Aires a été relevé de ses fonctions jeudi 13 août et à partir de maintenant, « la relation diplomatique entre l’Argentine et le Honduras se réalisera à travers l’ambassade du Honduras aux Etats-Unis », explique Patricia Rodas, ministre des affaires étrangères en exil du gouvernement Zelaya. Les relations ne seront donc pas rompues pour autant. |9| L’OEA, qui a suspendu le Honduras début juillet juste après que le Honduras se soit lui-même retiré, viendra vraisemblablement en mission à Tegucigalpa pour tenter de trouver une sortie de crise via les accords de San José. Les trois représentants de Micheletti qui faisaient partie de la négociation au Costa Rica, Vilma Morales, Mauricio Villeda et Arturo Corrales, se rendent à Washington (leurs visas diplomatiques n’ont pas été annulés) pour négocier la composition de la mission de l’OEA, avoir des entrevues avec des membres du Congrès, des fonctionnaires du Département d’Etat américain et des médias. |10|

On est non seulement en droit de se demander dans quelle mesure on peut négocier avec des putschistes qui violent la constitution, mais on ne peut par ailleurs accepter une amnistie politique incluse dans les accords de San José. |11| Les responsables de violations continues des droits de l’homme telles que les assassinats, détentions arbitraires, disparitions et tortures, ne peuvent jouir d’une amnistie et doivent être jugés par des tribunaux adéquats. Le CADTM réaffirme son soutien inconditionnel à la lutte du peuple hondurien pour le retour de la démocratie, le rétablissement du processus d’Assemblée constituante et le jugement des responsables de violation des droits humains

Alors qu’une nouvelle répression a eu lieu le 14 août à Cholona, blessant de nombreux manifestants dont deux journalistes, le CADTM salue le remarquable travail réalisé par le Front de Résistance des avocats contre le coup d’Etat pour traduire en justice les auteurs des actes barbares constatés sur la population.

Jerôme Duval
19.08.09

Notes:
|1| Amérique latine est une expression contestable : elle se réfère à Amerigo Vespucci, navigateur italien alors qu’il faudrait ressusciter le terme « Abya Yala », « terre dans sa pleine maturité », choisi par les peuples originaires pour désigner le continent.
|2| Pays (re)passés à gauche depuis 2000, chacun à des niveaux très différents : Venezuela, Chili, Argentine, Brésil, Bolivie, Uruguay, Équateur, Nicaragua, Paraguay, Salvador. Le cas du Honduras est particulier puisque son président, Manuel Zelaya est un « social démocrate » qui, avant son expulsion du pays par le coup d’Etat a tenté d’effectuer un virage à gauche (forte hausse du salaire minimum par décret, adhésion à l’ALBA, volonté de mettre en place une Assemblée constituante, …)
|3| Bases américaines dans la région en 2009 : Guantanamo, Cuba ; Roosevelt Roads et Fort Buchanan, Puerto Rico ; Soto Cano à Palmerola, Honduras d’où partaient les offensives contre le Nicaragua sandiniste ; Comalapa, El Salvador : Curazao et Aruba se sont ajoutés avec le Plan Colombia ; Valle de Huallaga, Pérou ; Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio et Hacienda Larendia, Colombie. Manta en Equateur sera remplacé par Palanquero, Malambo et Apiai. Source : La crisis de Honduras en el marco del nuevo Sistema Internacional de Defensa, Elsa M. Bruzzone et José Luis Garcia, 05/08/2009.
|4| http://www.rfi.fr/actufr/articles/1...
|5| "Siempre trabajaremos para buscar acuerdos, para ayudar a que los conflictos se resuelvan, para que las tensiones desaparezcan y para que todos trabajemos en los objetivos que tenemos delante más importantes", http://www.rtve.es/noticias/2009080...
|6| http://es.noticias.yahoo.com/9/2009...
|7| http://www.radiolaprimerisima.com/a...
|8| http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|9| http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|10| El Heraldo, vendredi 14 août 2009. El Heraldo est un des quotidiens les plus lus au Honduras. Il soutient le coup d’Etat comme tous les autres ; seul le mensuel El Libertador informe sur la répression et l’oligarchie putschiste.
|11| Les Accords de San José sont issus des négociations orchestrées par le président du Costa Rica, Oscar Arias, et supervisées par les Etats-Unis. Ces accords impliquent entre autres un gouvernement de « réconciliation et d’union nationale » comprenant différents représentants de divers partis politiques en attendant les prochaines élections présidentielles ; une amnistie générale pour les délits politiques en relation avec ce conflit et l’interdiction de toute consultation populaire appelant à une assemblée constituante. http://www.opalc.org/index.php?opti....
Source: CADTM

Travailleurs saisonniers: cueille ou crève

Bienvenue à Castleton, une petite ferme perdue au fin fond de l’Ecosse, à 4 km du hameau le plus proche et à 40 km d’Aberdeen. Ici, deux cents étudiants, presque tous d’Europe de l’Est, viennent cueillir des fraises pendant les deux ou trois mois d’été. Ils sont attirés par des salaires moins bas que chez eux, de la même façon que les Ukrainiens sont attirés par les fermes polonaises et les Moldaves par les fermes ukrainiennes. Ils sont recrutés par des agences, qui choisissent les fermes pour eux et donnent même des dérogations aux universités pour que les étudiants puissent terminer leurs examens un peu plus tôt dans l’année et venir travailler en Ecosse.

Ce système d’agences permet aux exploitations d’interdire à leurs employés de changer de ferme, et donc de garder, même contre leur gré, un nombre suffisant de travailleurs. Il évite aussi certains frais inutiles, comme les visites médicales : il n’y a de toute façon ni médecin ni infirmerie à Castleton. Le seul problème de ce recrutement est bien loin des préoccupations des patrons : le niveau d’anglais général est tellement faible qu’il crée des tensions entre les communautés.

Au moment de signer le contrat de travail, chaque nouvel employé se voit projeter une vidéo stakhanoviste, parfois dans sa langue, dans laquelle on voit un « bon cueilleur » ramasser les fraises à un rythme fou. Il y apprend que le « bon cueilleur » mange équilibré, qu’il dort beaucoup, qu’il ne boit pas, qu’il reste concentré toute la journée sur son travail et que son esprit ne va que vers des images positives comme sa copine ou sa famille. Pour en arriver là, il a travaillé dur et appris en regardant faire les autres « bons cueilleurs » : il n’est pas question de trouver sa technique, mais de recopier celle des meilleurs.

Dès le lendemain, l’ouvrier est prêt à travailler comme les autres, généralement comme cueilleur. Il peut arriver que l’on travaille pendant quelques heures au désherbage ou à l’entretien, mais c’est très rare. C’est d’ailleurs parce que c’est occasionnel que les serres dans lesquelles travaillent les ouvriers sont couvertes de boue et d’orties. Le rendez-vous matinal est à 6h45, le travail commençant généralement vers 7 heures, le temps pour chaque équipe de s’entasser à trente-cinq dans une camionnette quinze places pour rejoindre son champ. La journée finit généralement vers 15 h 30, avec une pause d’une demi-heure maximum pour manger.

Normalement, il y a un jour de repos par semaine, ce qui donne des semaines de 48 heures. Comme il n’est annoncé que la veille au soir, les employés ne savent même pas quand sera leur prochaine journée de libre. Et, comme le temps de travail dépend des conditions météorologiques, presque aucune semaine n’est normale. Les semaines sans soleil, les cueilleurs peuvent aller jusqu’à ne travailler que 35 heures. Dans le cas contraire, comme la ferme n’est soumise à aucune législation, ils peuvent travailler plus de deux semaines sans interruption, même le dimanche.

(...)

Les chiens des patrons ont un nom, eux

Du salaire au mérite dans un système totalement libéralisé découlent donc des travailleurs journaliers et affaiblis par l’absence de loi les protégeant, et une direction toute-puissante et invisible, qui prend, tel un roi, toutes les décisions régissant la vie de ses employés. Mis à part la contremaître générale, dont le rôle principal est de concentrer toute la haine des ouvriers contre la direction en hurlant sur toute personne se trouvant sur son chemin, les contacts entre les cueilleurs et les dirigeants sont inexistants. A tel point que les patrons n’ont aucune idée du nombre de personnes travaillant pour eux. Les rares fois où ils adressent la parole à leurs employés, on peut légitimement se demander si leurs chiens ne sont pas traités avec plus de respect. D’abord parce qu’ils ont un nom, contrairement aux cueilleurs qui n’ont qu’un numéro. Et surtout, ils sont priés de rentrer au frais dès que la température monte, alors que les employés qui travaillent dans le jardin personnel des propriétaires ne sont même pas autorisés à boire de l’eau.

Le libéralisme peut donc dériver jusqu’à endosser les caractéristiques d’un Etat totalitaire. On y retrouve la propagande, qui vise ici à faire croire que ceux qui font des efforts sont bien traités, pour obliger les autres à accepter n’importe quelles conditions de travail ; un système de répression des cueilleurs les moins efficaces et les plus faibles, blessés ou malades : dire que règne la loi du plus fort n’est pas seulement un cliché. S’y ajoutent des décisions prises sans aucune consultation, de façon totalement arbitraire, et le fait que les saisonniers n’ont même pas le droit de refuser de travailler jusqu’à 75 heures par semaine.

Donner des leçons aux Chinois sur la façon dont ils traitent leurs employés est sûrement justifié. Mais on devrait aussi regarder chez nous, en Europe, car cette ferme est loin d’être un cas isolé : beaucoup de saisonniers ont vécu des expériences similaires ailleurs au Royaume-Uni [2]…

Romain Fantin
Étudiant.
18.08.09

Article complet sur: http://blog.mondediplo.net/2009-08-18-Travailleurs-saisonniers-cueille-ou-creve

Notes:
[1] Premier groupe de distribution britannique.
[2] Lire Jerome Taylor, « Revealed : Scandal of Britain’s fruit-farm workers », The Independent, 10 juillet 2009 (traduction française sur Presseurop.eu).

jeudi 20 août 2009

D’Arbenz, 1954, à Zelaya, 2009 : Chiquita en Amérique Latine

Quand l’armée du Honduras a renversé le gouvernement démocratiquement élu de Manuel Zelaya, il y a deux semaines (NDT: un peu plus maintenant !), il y eut un soupir de soulagement dans les conseils d’entreprise de Chiquita Banana. Un peu plus tôt cette année, la compagnie basée à Cincinatti s’était jointe à Dole [1] pour critiquer le Gouvernement de Tegucigalpa qui avait augmenté le salaire minimum de 60%. Chiquita se plaint que la nouvelle législation rend ses frais plus élevés qu’au Costa Rica et diminue ainsi les profits de la compagnie : pour être exact, 20 centimes de plus pour produire un cageot d’ananas et 10 de plus pour un de bananes. Chiquita se lamente qu’elle perdra plusieurs millions à cause de la réforme de Zelaya puisqu’elle produit environ 8 ou 22 millions de caisses d’ananas ou de bananes par an, respectivement.

Quand le décret sur le salaire minimum a été publié, Chiquita a cherché de l’aide et appelé le Conseil Hondurien de l’Entreprise Privée, connu sous son acronyme Espagnol COHEP. Comme Chiquita, le COHEP était mécontent des mesures de Zelaya sur le salaire minimum. Amilcar Bulnes, le président du COHEP, disait que si cette mesure était appliquée, elle forcerait les patrons à licencier des employés et ferait monter le taux de chômage du pays. Le COHEP, l’organisation d’affaire la plus importante du Honduras, regroupe 60 chambres de métiers et de commerces dans tous les secteurs de l’économie Hondurienne. Selon son propre site Web, le COHEP est le bras politique et technique du secteur privé Hondurien, qui établit les accords de commerce et assure “un soutien essentiel au système démocratique“.

La communauté internationale ne doit pas prendre de sanctions économiques contre le régime de Tegucigalpa issu du coup d’Etat, dit le COHEP, car cela aggraverait les problèmes sociaux au Honduras. Dans son nouveau rôle de porte-parole des pauvres du Honduras, le COHEP déclare que le Honduras a déjà assez souffert de tremblements de terre, de pluies diluviennes et de la crise financière mondiale. Avant de sanctionner le Honduras à coup de mesures punitives, déclare le COHEP, l’ONU et l’Organisation des Etats Américains devraient envoyer des observateurs au Honduras pour analyser comment ces sanctions pénaliseraient les 70% de Honduriens qui vivent dans la pauvreté. En même temps, Bulnes a apporté son soutien au coup d’Etat de Roberto Micheletti et déclaré que les conditions au Honduras n’étaient pas propices au retour d’exil de Manuel Zelaya.

Chiquita : d’Arbenz au Bananagate

Il n’est pas étonnant que Chiquita recherche et s’allie aux forces politiques et sociales les plus rétrogrades du Honduras. Colsiba, la Coordination Latino-Américaine des Syndicats des Bananeraies, dit que la compagnie fruitière n’a jamais accordé la moindre protection à ses travailleurs et s’est toujours abstenue de signer des conventions collectives de travail, que ce soit au Nicaragua, au Guatemala ou au Honduras.

Colsiba compare les conditions infernales de travail dans les plantations de Chiquita aux camps de concentration. Bien que provocante, cette comparaison contient une part de vérité. Les femmes travaillent dans les plantations de Chiquita de 6 heures du matin à 7 heures du soir, leurs mains brûlant dans des gants de caoutchouc. Certains ouvriers sont âgés de 14 ans. Les travailleurs de la banane d’Amérique Centrale ont poursuivi Chiquita pour avoir été exposés au DBCP (DiBromoChloroPropane), un dangereux pesticide utilisé dans les plantations, et qui provoque la stérilité, des cancers et des malformations à la naissance.

Chiquita, anciennement connu comme la United Fruit Company puis United Brands, a une longue et sordide histoire dans la politique de l’Amérique Centrale [2]. Dirigée par Sam Zemuray ou “Banana Man“, United Fruit entre dans le business de la banane au début du 20ème siècle. En ce temps, Zemuray a émis la célèbre remarque “Au Honduras, un mulet coûte plus cher qu’un membre du Parlement“. Dans les années 1920, United Fruit contrôle 650.000 acres (environ 250.000 hectares) des meilleures terres du Honduras, à peu près le quart des terres cultivables du pays. En plus, elle contrôle d’importantes routes et voies ferrées.

Au Honduras, les compagnies fruitières étendent leur influence dans tous les domaines, y compris militaires et politiques, ce qui leur a valu le surnom de pieuvre. Ceux qui ne jouaient pas le jeu de ces corporations étaient souvent retrouvés la face contre le sol dans les plantations. En 1904, l’humoriste O. Henry inventa le terme “Républiques Bananières“ pour désigner la célèbre United Fruit Company et ses actions au Honduras.

Au Guatemala en 1954, United Fruit a soutenu le coup d’état militaire fomenté par la CIA contre le Président Jacob Arbenz, un réformateur qui avait mis en train un ensemble de réformes agraires. Le renversement d’Arbenz généra plus de trente ans d’instabilité et de guerre civile au Guatemala. Plus tard en 1961, United Fruit prêta ses bateaux aux exilés Cubains entraînés par la CIA pour renverser Fidel Castro à la Baie des Cochons.

En 1972, United Fruit (alors renommée United Brands) propulse au pouvoir le Général Hondurien Oswaldo López Arellano. Le tristement célèbre scandale du “Bananagate”, pots-de-vin versés par la United Fruit à Arellano, oblige le dictateur à partir. Un grand jury fédéral a accusé United Brands d’avoir soudoyé Arellano avec 1.25 million de dollars, et la promesse d’un second versement identique si le militaire acceptait de réduire les taxes sur les exportations de fruits. Pendant le scandale du Bananagate, le Président de la United Fruit est tombé d’un gratte-ciel de New York, apparemment un suicide.

La prospérité des années Clinton et la Colombie

United Fruit a aussi des affaires en Colombie et pendant ses opérations en Amérique du Sud y a développé des façons de faire aussi marquées. En 1928, 3.000 travailleurs se mirent en grève contre la compagnie pour demander de meilleurs salaires et conditions de travail. La firme refuse initialement de négocier, mais cède finalement sur des points mineurs, déclarant les autres revendications “illégales“ ou “impossibles“. Quand les grévistes ont refusé de cesser le mouvement, l’armée a ouvert le feu, faisant de nombreux morts.

Vous pourriez croire qu’après cela Chiquita aurait revu sa politique envers les travailleurs, mais vers la fin des années 90 la compagnie s’est adjoint des alliés inquiétants, en particulier des paramilitaires d’extrême droite. Chiquita a payé plus d’un million de dollars à ces hommes. Pour sa défense, Chiquita a déclaré qu’elle payait juste les paramilitaires pour sa sécurité.

En 2007, Chiquita a versé 25 millions de dollars d’amende après une enquête du Département de la Justice sur ces paiements. Chiquita fut la première compagnie de l’histoire des USA jugée coupable de liens financiers avec une organisation terroriste.

Dans un procès contre Chiquita, les victimes de la violence paramilitaire ont affirmé que la compagnie avait encouragé des atrocités comme le terrorisme, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Un défenseur des plaignants a dit que les relations de Chiquita avec les paramilitaires “avaient pour but de s’assurer le contrôle de tous les aspects de la distribution et de la vente des bananes en faisant régner la terreur“.

A Washington D.C., le chef de direction de Chiquita, Charles Linder, s’est occupé de démarcher la Maison-Blanche. Linder a été un grand bailleur de fonds du Parti Républicain avant de couvrir d’argent le Parti Démocrate et Bill Clinton. Clinton dédommagea Linder en soutenant militairement et sans réserves le gouvernement d’Andrés Pastrana (Président de la Colombie de 1998 à 2002) qui régna pendant la période de prolifération des escadrons de la mort d’extrême droite. A cette époque, les USA établissaient leurs programmes de libre échange commerciaux avec leurs “amis“ d’Amériques Latines, sous la supervision stratégique d’un vieil ami d’enfance de Clinton, Thomas McLarty ou “Mack“. McLarty était secrétaire Général et Envoyé Spécial en Amérique Latine de la Maison-Blanche. C’est un personnage intriguant dont je reparlerai bientôt.

La filière Holder-Chiquita

Etant donné le passé trouble de Chiquita en Amérique Centrale et en Colombie, il n’est pas surprenant que la compagnie ait voulu s’associer à la COHEP au Honduras. En plus de courtiser les milieux d’affaires au Honduras, Chiquita a aussi cultivé les relations avec des puissantes firmes juridiques à Washington. Selon le Center for Responsive Politics (Centre pour une Politique Réactive), Chiquita a déboursé 70.000 dollars en frais de lobbying auprès des compagnies Covington et Burling pendant ces trois dernières années.

Covington est une puissante firme juridique qui conseille les sociétés multinationales. Eric Holder, le Procureur Général actuel, un co-président de la campagne d’Obama et ex-Procureur Général Adjoint sous Bill Clinton, était jusqu’à peu un conseiller de cette firme. Chez Covington, Eric Holder a défendu Chiquita comme conseiller principal dans son procès avec le Ministère de la Justice. De son perchoir au nouveau et élégant siège de la direction de Covington, près de l’immeuble du New York Times à Manhattan, Holder a préparé Fernando Aguirre, le directeur général de Chiquita, pour un entretien avec “60 Minutes“ [3] sur les escadrons de la mort Colombiens.

Holder fit plaider la compagnie fruitière coupable sur un point, “son implication dans des transactions avec une organisation terroriste mondiale reconnue“. Mais le juriste, qui touchait un salaire conséquent à Covington, plus de 2 millions de dollars, négocia un marché de rêves dans lequel Chiquita ne paya que 25 millions de dollars sur cinq ans. Scandaleusement, aucun des six officiels de la compagnie qui avaient approuvé les paiements n’alla en prison.

Le cas curieux de Covington

Creusez un peu et vous trouverez que Covington non seulement représente Chiquita, mais est aussi une sorte de centre névralgique utilisé par la droite dans ses tentatives de promouvoir une politique étrangère déstabilisatrice en Amérique Latine. Covington a mené une alliance stratégique importante avec Kissinger (Chili, fameuse année 1973) et les Associés McLarty (oui, le même Mack McLarty que celui de Bill Clinton), une firme internationale de conseil en stratégie renommée.

De 1974 à 1981 John Bolton à été associé chez Covington. En tant qu’ambassadeur des Etats Unis aux Nations Unies sous George Bush, Bolton fut un critique féroce de la gauche en Amérique Latine, par exemple d’Hugo Chavez au Venezuela. De plus, il y a peu, John Negroponte est devenu le vice-président de Covington. Negroponte est un ancien secrétaire d’Etat Adjoint, directeur du Renseignement National et ambassadeur des USA aux Nations Unies.

Negroponte, en tant qu’ambassadeur des USA au Honduras de 1981 à 1985, a joué un rôle majeur dans l’aide des USA aux rebelles de la Contra qui voulaient renverser les Sandiniste au Nicaragua. Des défenseurs des droits de l’homme ont accusé Negroponte d’ignorer les violations de ces droits commises par les escadrons de la mort du Honduras, qui ont été payés et en partie entraînés par la CIA. Bien sûr, quand Negroponte était ambassadeur, l’immeuble qu’il occupait à Tegucigalpa est devenu un des plus grands centre névralgique de la CIA en Amérique Latine avec un décuplement de son personnel.

Bien qu’il n’y ait aucune preuve reliant Chiquita au coup d’Etat récent au Honduras, il y a une convergence de faits troublants et de politiciens importants impliqués pour exiger une enquête plus poussée. Du COHEP à Covington, en passant par Holder, Negroponte et McLarty, Chiquita a recherché des amis haut placés, amis qui n’ont aucun penchant pour les politiques progressistes sur le travail soutenues par le régime de Zelaya à Tegucigalpa.

NIKOLAS KOZLOFF
17.07.09
ARTICLE ORIGINAL
Source: counterpunch
Traduction Laurent EMOR pour Le Grand Soir

Nikolas Kozloff est l’auteur de Revolution ! South America and the Rise of the New Left (Révolution / L’Amérique du Sud et la montée de la nouvelle gauche) (Palgrave-Macmillan, 2008). Consultez son blog sur senorchichero.blogspot.com.

[1] Historiquement la Dole est la “Hawaiian Pineapple Company“ qui s’installe à Hawaï en 1851 où elle est soupçonnée d’avoir participé à l’éviction de la dernière reine d’Hawaii et aidé les États-Unis à en faire un de ses territoires.
[2] Lire “Le pape vert“ de Miguel Angel Asturias (Albin Michel, 1956)
[3] 60 Minutes, un magazine télévisé d’information américain produit par CBS News et diffusé par CBS est régulièrement en tête des sondages d’audience.

mercredi 19 août 2009

La revanche de la classe ouvrière. Quand l’ouvrier gagne.

La classe ouvrière est morte. La conscience de classe avec, c’est la Crise, il faut se serrer la ceinture, il faut être moderne et réaliste. Et voilà que 49 ouvriers de l’Innse, une entreprise métallurgique milanaise, nous donnent une leçon magistrale de ce que c’est la classe ouvrière italienne aujourd’hui. Une entreprise à démanteler et à brader, des syndicats prêts à tous les compromis, et des ouvriers qui disent non. Voilà comment Gianni Rinaldini le secrétaire national des métallos de la CGIL (la F.I.O.M.) explique cette lutte qui s’achève sur une victoire. (1)

« Je me sens libéré d’une grande angoisse, serein, oui les ouvriers de l’Innse ont gagné [...] J’ai éprouvé la même émotion, le même enthousiasme que lors des 21 jours à la Fiat de Melfi. Cette fois-ci nous avons gagné à Milan et la ville en avait vraiment besoin. Ici l’industrie et le tissu social ont subi une dévastation sans pareil. C’est la première, fois depuis des années, qu’à Milan les travailleurs et le syndicat obtiennent une victoire si nette. [...] C’est une représentation en petit des raisons qui ont produit la crise globale. Il y a l’abandon d’une entreprise industrielle, cédée pour être mise à la casse à ceux qui veulent spéculer sur les machines. Les esprits les plus entreprenants jouent à la roulette de la finance et des affaires immobilières. Les bulles éclatent et après la cuite on s’aperçoit que l’industrie a encore des cartes à jouer. [..] Ces ouvriers ont résisté 15 mois, ils ont tenu grâce au rapport qu’ils ont, non pas avec le travail, mais avec leur travail. Ils sont très professionnels avec un très grand orgueil de leur métier [...] C’est vrai l’action éclatante a attiré l’attention mais cela n’explique pas tout […]. C’était une lutte de longue durée. L’action éclatante n’a été que la dernière action dictée par la rationalité et non par le désespoir : si on laissait démonter les machines et les amener, pour eux c’était fini [...] Ils ont fait 3 mois d’autogestion gratis. Puis dès qu’ils arrivaient à se faufiler à l’intérieur de l’usine, ils faisaient de la manutention pour garder les machines en état. […] Sans les machines le nouveau propriétaire n’aurait pas acheté. »

Manuela Cartosio, de Il Manifesto demande à Gianni Rinaldini :

« A l’Innse on a vu une communauté à l’œuvre. Différente de celles qui se sont rassemblées pour « nettoyer le territoire des Roms et des migrants »
.
Rinaldini fait une mise au point : « Le mot communauté ne me plait pas. Il indique quelque chose qui exclut au lieu d’inclure. Je préfère parler d’expérience collective où l’on passait de moment d’euphories à des moments d’abattement. […] Le succès de l’Innse est un message d’espoir pour tous les travailleurs non seulement les métallos. Il dit que « la lutte paie » ce n’est pas une phrase toute faite. Cela nous donne des forces pour les défis de l’automne prochain, y compris pour le renouvellement du contrat national ».

A Milan, l’un des protagonistes de la lutte explique leurs raisons et les moments clé de celle-ci :

L’unité entre les ouvriers a été notre force.

Mariangela Maturi, il Manifesto 13 août 2009.

Vincenzo Acerenza et ses collègues ne sont plus sur la grue. Ils ne sont plus au piquet de grève. Ils sont accueillis comme des héros. Courtisés par les journalistes, embrassés par les parents et par ceux qui pendant des mois leur ont apportés des sandwichs, du vin et un peu de soutient.
Vincenzo n’est plus un jeune homme, (qu’il ne nous en veuille pas) avec ses cheveux blancs, ses lunettes ronde et sa chemise rigoureusement bleue.

- En somme a-t-il été plus difficile de monter ou de descendre de cette fameuse grue ?

Nous avons décidé d’y monter alors que nous entrions dans l’usine, sur le moment. Que faire une fois que nous étions dedans ? Ils auraient pu nous jeter dehors. Nous sommes montés sur le pont roulant. Après une semaine en descendant je n’y croyais pas ! Je n’y crois même pas maintenant, à vrai dire. Pour nous tous, la plus grande peur, à ne pas réussir à en dormir la nuit, était de pouvoir démontrer que ce n’est pas toujours le patron qui gagne. Je pensais à quel exemple nous aurions donné si nous avions échoué. Ils auraient gagné et nous aurions été obligés de l’admettre : « Oui vous avez raison, il n’y à plus rien à faire ». Ce qui nous faisait le plus mal c’était quand même ceux qui nous soutenaient tout en nous disant « il n’y à plus rien à faire ».

- Mais c’est vous qui avez gagné. Des héros ?


Mais non ! Pas des héros ! Nous savions depuis longtemps que l’action finale ne pouvait être seulement qu’une occupation symbolique. La nuit où nous sommes entrés, la police en position était très nombreuse. Nous n’aurions pas pu passer, ils étaient bien plus forts que nous. Donc nous devions contourner le problème. Pour ne pas nous faire choper nous nous sommes écriés : « Hé ! Nous faisons un saut à la réunion de la bourse du travail ? » Et nous nous sommes éloignés à cinq, en catimini. Nous avons pris la voiture, et au lieu de partir nous avons contourné la zone, qui était très grande. Nous connaissons toutes les entrées latérales depuis trente ans que nous sommes à l’Innse. Nous avons traversé les champs, je te dis pas… au milieu des faisans, quelle scène ! Mais ainsi nous avons réussi à rentrer, puis nous sommes montés. Je ne te dis pas la tête d’un type de la digos (2) qui trois heures plus tôt m’avait dit « Eh, les gars c’est fini ! » Cela dit nous sommes et nous restons des ouvriers, nous n’allons pas devenir des entrepreneurs. Nous retournerons travailler pour le patron pour 1300 euros par mois. Mais maintenant nous savons ce dont nous sommes capables !

- L’espériez vous cela il y a un an ?

Oui, mais c’était des mois terribles. D’abord nous avons essayé avec la production directe « regardez ce n’est pas difficile de mener une usine sans un patron ». Puis le magistrat a fait un choix à mi-chemin, ils ne nous a pas laissés continuer et a scellé l’usine. Cela a été pour nous un moment difficile et nous avons choisi de continuer la lutte. En décembre, l’Innse a été « restituée » à Genta qui pouvait ainsi la démanteler. Cela a été un autre moment dramatique. A un moment donné, après des mois de disputes, nous avons fait une réunion à la Préfecture avec toute les institutions, la Ormis (l’entreprise qui voulait racheter la Innse) et un fonctionnaire du ministère qui au lieu de résoudre les choses a dit à tous : « Que chacun dise ce qu’il veut ». Après une demi-heure l’acheteur est parti et la rencontre a sauté.

- Absence des institutions

Oui seule la Province est intervenue, mais ce n’était que des belles paroles. Et les syndicats nous proposaient des compromis que nous ne voulions pas accepter. A la fin ça c’est passé comme il fallait : Nous, les ouvriers, avons pris toutes les décisions et le syndicat nous a suivis. Comme cela doit être. Après c’est nous qui avons tout choisi avec les risques que cela comporte, mais nous avons voulu tenter le tout pour le tout, jusqu’à la fin.

- Choix gagnant.


Oui mais quel effort ! La fameuse « politique du travail » a échoué, quand dans la négociation on est passé à l’affrontement entre police et ouvriers. Et puis, excuse moi, si je me retrouve au sommet d’une grue à devoir faire mes besoins dans un sachet et à les jeter par-dessous, ou à demander à un collègue de tenir une bouteille d’eau pour rincer le shampoing de ma tête à dix mètres de hauteur, je crois qu’on m’enlève aussi ma dignité. Nous nous sommes sentis seuls de nombreuses fois. Mais l’honnêteté profonde et la solidarité entre collègues a été notre force. Nous voulons le dire aussi aux autres ouvriers. Quand il y a un affrontement entre la volonté d’un patron et l’unité des ouvriers, la partie reste ouverte.

Le caractère exemplaire et le retentissement de cette lutte vont bien au-delà d’un fait local mais représentent une mise en scène de la revanche et de la dignité retrouvée. Pour reprendre les mots de Roberto Gramiccia sur Liberazione d’aujourd’hui : « Les ouvriers de l’Innse nous fournissent un courageux exemple opposé au « ne pas faire ». Il se sont réappropriés la possibilité d’interférer avec leur propre destin. Ils l’ont fait par une action qui, y compris sur le plan esthétique est une magnifique œuvre d’art conceptuelle. Les quatre hommes volants ont déjà gagné » (3) .

L.A.
15.08.09

(1) Interview de Gianni Rinaldini par Manuela Cartosio, Il Manifesto 13-8-09.
(2) Divisione investigazioni generali e operazioni speciali. C’est une division spéciale de la police.
(3) Roberto Gramiccia, Performance su gru, opera contemporanea, dans Liberazione 13-8-09.
Source: Le Grand Soir