mercredi 31 mars 2010

Un document de la CIA révèle des plans pour manipuler l’opinion publique européenne au sujet de l’Afghanistan (Rawstory)



Secouée par la chute du gouvernement hollandais à cause de l’engagement du pays dans la guerre en Afghanistan, la CIA vient de proposer une stratégie destinée à éviter un éventuel effondrement du soutien à la guerre chez les alliés européens.

Un document marqué «confidentiel / non destiné aux regards étrangers», posté sur le site internet de Wikileaks, propose des stratégies pour manipuler les opinions publiques européennes, particulièrement en France et en Allemagne.

Le document ne propose pas de méthodes directes que la CIA pourrait employer pour parvenir à cette fin – il n’y a, par exemple, aucune référence à la diffusion de propagande dans la presse – mais il énonce ce que l’agence considère comme les axes d’intervention qui pourraient gagner les cœurs et les esprits. Parmi les propositions, le document propose une campagne sur le sort des femmes afghanes auprès de l’opinion publique française, cette dernière ayant démontré sa préoccupation pour les droits des femmes en Afghanistan.

En ce qui concerne l’opinion publique allemande, le document propose une campagne alarmiste sur l’éventualité d’un échec de l’OTAN en Afghanistan. «L’exposition de l’Allemagne au terrorisme, à l’opium, et aux réfugiés pourrait rendre la guerre plus acceptable pour les sceptiques» affirme le document.

Le document est disponible sur le site de Wikileaks. http://file.wikileaks.org/file/cia-afghanistan.pdf et traduit en français après la publication de cet article par ReOpen911 que l’on remercie au passage.

Le document a été rédigé par un groupe appelé «CIA Red Cell» (cellule rouge de la CIA) qui se définit comme un groupe chargé «d’adopter une approche "prête à l’emploi" qui donnerait des idées et offrirait un point de vue alternatif sur l’ensemble des enjeux».

«La chute du gouvernement hollandais à cause de l’engagement des troupes en Afghanistan montre la fragilité du soutien européen à la mission menée par l’OTAN» déclare le document. «Certains états membres de l’OTAN, particulièrement la France et l’Allemagne, ont compté sur l’apathie de leurs opinions publiques sur l’Afghanistan pour renforcer leur participation, mais cette indifférence pourrait se transformer en hostilité si les combats prévus pour le printemps et l’été provoquent une hausse du nombre de victimes militaires ou civiles.»

Le rapport de la CIA souligne que 80% des Français et des Allemands sont opposés à la guerre, mais présente une bouée de sauvetage : l’apathie de l’opinion publique. Grâce à cette dernière, les dirigeants européens ont pu étendre et élargir leur engagement en Afghanistan, malgré une profonde opposition.
Mais «si certaines prévisions qui annoncent un été meurtrier en Afghanistan se révèlent exactes, l’opposition passive des Français et des Allemands à la présence de leurs soldats pourrait se transformer une hostilité politiquement puissante» dit le rapport.

Impliquer Obama
La Cellule Rouge souligne que le président Obama bénéficie d’un soutien populaire en Europe qu’il n’a pas connu aux Etats-Unis depuis des mois. Le rapport suggère que le président s’implique personnellement pour vendre la guerre en Afghanistan aux Européens.
«La confiance des opinions publiques françaises et allemandes dans la capacité du Président Obama à gérer les affaires internationales en général et l’Afghanistan en particulier laisse entendre qu’elles seraient plus réceptives s’il déclarait clairement leur importance pour la mission, et qu’elles seraient sensibles s’il se déclarait déçu par une absence de soutien de la part des alliés» précise le document.

Le rapport souligne que «lorsqu’il était rappelé (aux sondés) que le Président Obama avait personnellement demandé le renforcement des troupes en Afghanistan, leur soutien à initiative augmentait considérablement, passant de 4 à 15 pour cent parmi les sondés français et de 7 à 13 pour cent parmi les allemands.»

Pour changer l’opinion des Français, la Cellule Rouge propose de lier la guerre en Afghanistan aux les efforts pour améliorer les droits des femmes en Afghanistan. Elle propose aussi d’insister sur le fait que la mission en Afghanistan est plus populaire en Afghanistan même qu’en Europe, du moins selon les sondages mentionnés dans le rapport.
«Les femmes afghanes pourraient être les messagers idéaux pour humaniser le rôle de la mission dans leur combat contre les Taliban grâce à la capacité des femmes à parler personnellement et avec crédibilité de leurs expériences sous le régime des Taliban, de leurs aspirations pour l’avenir, et de leurs craintes d’une victoire éventuelle des Taliban» affirme le rapport.
«Souligner le large soutien de la mission parmi les Afghans pourrait avoir un impact positif sur les civils. Environ deux tiers des Afghans soutiennent la présence des forces étrangères en Afghanistan, selon un sondant fiable effectué au mois de décembre 2009» affirme le rapport.

Selon le rapport, le message à délivrer en direction de l’opinion publique allemande serait différent. «Des messages qui dramatisent les conséquences d’une défaite de l’OTAN pour les intérêts allemands pourraient contrer l’opinion largement répandue selon laquelle l’Afghanistan n’est pas un problème qui concerne l’Allemagne. Par exemple, des messages qui montreraient comment un défaite en Afghanistan pourrait augmenter en Allemagne les risques de terrorisme, d’opium et de réfugiés pourraient rendre la guerre plus acceptable aux yeux des sceptiques.»

De nombreux rapports sur la guerre ces dernières années laissent entendre que la CIA est plus profondément impliquée dans la guerre en Afghanistan que lors des guerres précédentes. Par exemple, lorsque la nouvelle est tombée sur les sept agents de la CIA qui ont été tués par un kamikaze dans une base avancée, elle a montré que la CIA intervenait principalement comme une branche de l’appareil militaire en Afghanistan, en dirigeant les frappes effectuées par les drones contre les Taliban.

L’attentat a aussi souligné les difficultés rencontrées par l’agence pour comprendre la situation dans ce pays d’Asie Centrale. Les agents de la CIA pensaient que Humam Khalil Abu-Mulal al-Balawi, le kamikaze, était prêt à travailler pour eux comme informateur. Ils étaient apparemment si sûrs d’eux qu’ils avaient préparé pour son arrivée une fête à l’occasion de son anniversaire. C’est là qu’il s’est fait exploser.

Daniel Tencer
29.03.10

http://rawstory.com/rs/2010/0326/ci...
Traduction "prêts pour une nouvelle affaire de burqa cet été ?" par VD pour le Grand Soir

mardi 30 mars 2010

L’intégration latino-américaine avance, mais en laissant les Etats-Unis à la porte





Décidément, l’Amérique latine bouge. Elle poursuit son intégration régionale dans de nouvelles configurations qui traduisent une indépendance politique croissante vis-à-vis des Etats-Unis et visent à identifier et faire avancer des intérêts économiques, politiques et géopolitiques communs.

Ainsi, après la création, en 2004, de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) qui regroupe aujourd’hui huit Etats des Caraïbes, d’Amérique centrale et du Sud [1], celle, en 2008, de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) qui rassemble les 12 pays composant l’Amérique du Sud (sans la Guyane française évidemment), c’est désormais un nouvel espace d’intégration continentale encore plus large qui se dessine en 2010, année de commémoration du bicentenaire des indépendances latino-américaines.

Le 23 février, les représentants de 33 Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe (dont 25 Chefs d’Etat) ont en effet décidé à Cancun (Mexique) la création d’un nouveau bloc régional dans le cadre du Sommet dit de l’Unité de l’Amérique latine et de la Caraïbe. Il s’agissait, en réalité, de la fusion du XXIè Sommet du Groupe de Rio et du deuxième Sommet de l’Amérique latine et de la Caraïbe sur l’intégration et le développement (CALC).

Une caractéristique tout à fait centrale de ce nouvel ensemble est que ni les Etats-Unis ni le Canada n’en feront partie, alors qu’ils sont présents au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA) dont Cuba, membre du nouveau bloc, avait été exclue et où elle n’entend pas être réintégrée.
Le président illégitime du Honduras, Porfirio Lobo, n’a pour sa part pas été invité à la rencontre de Cancun.

Les statuts du nouvel organisme régional n’ont pas encore été décidés, de même que ses financements. Tout cela doit être défini lors d’une rencontre prévue à Caracas en 2011.

S’il est donc trop tôt pour connaitre les perspectives réelles de cette initiative et son potentiel, l’analyse de la déclaration finale du Sommet indique une ambition importante. En effet, celle-ci propose la construction d’un «espace commun dont l’objectif est d’approfondir l’intégration politique, économique, sociale et culturelle de (la) région et de développer des engagements concrets en vue d’une action conjointe pour la promotion d’un développement soutenable de l’Amérique latine et de la Caraïbe, dans le cadre de l’unité, de la démocratie, du respect strict des droits de l’homme, de la solidarité, de la coopération, de la complémentarité et de la concertation politique».

Dans ce cadre, le texte se décline en 88 points qui touchent à peu près tous les domaines d’action des gouvernements aux niveaux national, régional et international [2]. Ainsi, commerce, questions énergétiques, développement social, culture, migrations, développement soutenable, changement climatique, environnement, droits humains et promotion de nouveaux droits, coopération Sud/Sud constituent l’architecture du document.

Même s’il propose des pistes contradictoires et discutables en matière économique et commerciale (appel à «l’urgence de conclure les négociations du Cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce» pour «continuer à travailler en faveur de la construction d’un système multilatéral de commerce plus juste et équitable»…) le texte offre de nombreuses promesses d’engagements communs.

Sont ainsi mentionnés : l’étude de la possibilité d’une monnaie commune, le renforcement des coopérations financières tous azimuts et de la Banque du Sud, la lutte contre la faim et la pauvreté, le développement de programmes pour consolider la sécurité alimentaire, le renforcement des droits des migrants, des mécanismes de règlements des conflits entre pays de la zone et en dehors, etc.
Sans nul doute, la diversité politique et les conflits idéologiques entre certains Etats membres de ce nouvel ensemble pèseront sur son développement réel, mais les premiers résultats sont encourageants : déjà, la Colombie et le Venezuela ont accepté le principe de la création d’un groupe de «pays amis» dont l’objectif sera d’offrir une médiation entre Bogota et Caracas dans les conflits qui les opposent, notamment l’installation de sept bases militaires étasuniennes sur le territoire colombien. Les deux capitales ont également décidé de tenir des rencontres bilatérales afin d’étudier, huit mois après la rupture de leurs relations diplomatiques, la mise en œuvre de l’accord de Cancun.

La déclaration des Trente-Trois n’a pas laissé indifférentes les chancelleries européennes et étasuniennes. Elle exprime en effet son clair soutien à l’Argentine dans le conflit qui l’oppose de nouveau au gouvernement britannique après la décision de ce dernier d’explorer des gisements de pétrole dans les eaux des îles Malouines (îles Falklands pour Londres). Pour les signataires, il s’agit d’une infraction caractérisée au droit international, qui viole la souveraineté territoriale de l’Argentine.

Ainsi, Felipe Calderón, président du Mexique et hôte de ce Sommet de l’Unité a déclaré : «Les chefs d’Etat représentés (à Cancun) réaffirment leur soutien au droit légitime de la République d’Argentine à sa souveraineté dans le conflit qui l’oppose au Royaume-Uni ». Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, a été sollicité par le gouvernement argentin pour résoudre le différend.

Pour sa part, le président équatorien, Rafael Correa, a résumé, du point de vue des pays de l’Alba, l’ambition géopolitique du nouveau bloc régional. Pour lui, il doit clairement devenir une alternative à l’OEA dont les défenseurs affichés sont de plus en plus isolés en Amérique latine : «Je crois que cette organisation doit assumer beaucoup des fonctions actuelles de l’OEA, comme par exemple la résolution pacifique des conflits, car, comme Latino-Américain, si l’on me dit qu’il y a un coup d’Etat au Honduras et qu’il faut se réunir à Washington (siège de l’OEA) pour en discuter, ce n’est plus possible. Cela ne peut pas continuer».

A peine terminé le Sommet de Cancun, nombre de Chefs d’Etat présents se sont envolés pour la cérémonie d’investiture du nouveau président de l’Uruguay, José (dit «Pepe») Mujica, le 1er mars. L’ancien guérillero est le second président de gauche dans l’histoire du pays.

Cristina Kirchner (Argentine), Luiz Inacio Lula da Silva (Brésil), Evo Morales (Bolivie), Alvaro Uribe (Colombie), Rafael Correa (Equateur), Fernando Lugo (Paraguay), Hugo Chávez (Venezuela) étaient présents, ainsi que Hillary Clinton. La secrétaire d’Etat aura pu méditer sur l’isolement croissant des Etats-Unis dans un hémisphère qu’ils ont longtemps considéré comme leur «arrière-cour».

Christophe Ventura
04.03.10

Notes:
[1] Antigua et Barbuda, Bolivie, Cuba, La Dominique, Equateur, Nicaragua, Saint-Vincent et les Grenadines, Venezuela. Le gouvernement illégitime du Honduras a décidé son retrait de l’ensemble.
[2] Pour lire l’ensemble de la déclaration : http://medelu.org/spip.php ?article349

Source: mémoire des luttes

lundi 29 mars 2010

Passez une bonne guerre mondiale, braves gens.



Voici les nouvelles en provenance du tiers-monde. Les Etats-Unis ont envahi l’Afrique. Des troupes US sont entrées en Somalie pour étendre leur front de guerre d’Afghanistan et du Pakistan vers le Yémen et la corne de l’Afrique. En guise de préparation à une attaque contre l’Iran, des missiles américains ont été placés dans quatre états du Golfe Persique, et les bombes «bunker-buster» (briseurs de bunkers) auraient été acheminées sur la base militaire située sur l’île britannique de Diego Garcia dans l’Océan Indien.

A Gaza, la population malade et abandonnée, en majorité des enfants, se fait enterrer vivante derrière des barrières souterraines fournies par les Etats-Unis pour renforcer un siège criminel. En Amérique latine, l’administration Obama s’est octroyé sept bases militaires en Colombie, à partir desquelles il pourra mener une guerre contre les démocraties populaires du Venezuela, de la Bolivie, de l’Equateur et du Paraguay. Pendant ce temps, le secrétaire à la «défense» Robert Gates se plaint que «l’opinion publique (européenne) et la classe politique» sont tellement opposées à la guerre qu’elles constituent un «obstacle» à la paix. Rappelez-vous, nous serons bientôt le 1er Avril.

Selon un général américain, l’invasion et l’occupation de l’Afghanistan n’est pas une véritable guerre mais une «guerre d’images». Ainsi, la récente «libération de la ville de Marjah» de la «structure de commande et de contrôle» des Taliban n’était qu’une mise en scène. Les libérateurs héroïques ont tué les civils habituels, les plus pauvres parmi les pauvres. Sinon, pour le reste, c’était du bidon. Une guerre d’images est destinée à fournir de fausses informations à la population, à transformer une aventure coloniale ratée en une opération patriotique qui en valait la peine, comme si le film «Démineurs» était réel et les parades de cercueils couverts de drapeaux à travers le ville de Wiltshire à Wooten Basset n’étaient pas une opération cynique de propagande.

«La guerre, c’est amusant», pouvait-on lire avec une extrême ironie sur les casques des soldats au Vietnam. Cela signifie que si la guerre n’a pas d’autre objectif que de servir de justification à un pouvoir vorace au service des fanatismes lucratifs des marchands d’armes, alors la vérité représente un danger. Un danger qu’on peut illustrer en comparant l’image «libérale» d’un Tony Blair en 1997, présenté à l’époque comme quelqu’un qui «veut créer un monde (où) l’idéologie aurait totalement cédé la place aux valeurs» (Hugo Young, The Guardian) à celle d’aujourd’hui, d’un menteur et d’un criminel de guerre.

Les états occidentaux tels que les Etats-Unis ou la Grande Bretagne (et la France – petit rajout du traducteur) ne sont pas menacés par les Taliban, pas plus que par une autre tribu lointaine quelconque, mais par les instincts guerriers de leurs populations respectives. Prenez par exemple les peines prononcées contre les nombreux jeunes qui ont protesté contre l’agression israélienne contre Gaza au mois de janvier de l’année dernière (2009). A la suite de ces manifestations où la police paramilitaire a «canalisé» des milliers personnes, les premiers condamnés se sont vu infliger des peines de deux années et demi de prison pour des délits mineurs qui en d’autres temps n’auraient pas fait l’objet d’une peine d’emprisonnement. Des deux côtés de l’Atlantique, toute dissidence déterminée qui dénoncerait la guerre illégale est devenue un délit grave.

C’est le silence aux sommets qui permet une telle perversion morale. Dans le monde des arts, de la littérature, du journalisme et du droit, les élites «libéraux», fuyant les débris abandonnés par Blair et à présent par Obama, continuent de voiler leur indifférence devant la barbarie et les crimes d’état de l’occident en agitant de vieux démons, tels que Saddam Hussein. Maintenant que Harold Pinter a disparu, essayez donc de dresser une liste d’écrivains, d’artistes ou de militants célèbres dont les principes n’auraient pas été consumés par le «marché» ou neutralisés par la célébrité. Qui parmi eux a parlé de l’holocauste provoqué en Irak par prés de 20 années de blocus et d’agressions ? Ce fut un acte délibéré. Le 22 janvier 1991, l’agence de renseignement de l’armée US avait prévu en détail comment le blocus allait systématiquement détruire la distribution d’eau potable en Irak et aboutir à «une augmentation de crises sanitaires, sinon d’épidémies». Alors les Etats-Unis se sont mis à éliminer l’eau potable pour la population Irakienne. Ceci fut une des causes, selon UNICEF, de la mort d’un demi million d’enfants irakiens âgés de moins de cinq ans. Apparemment, cet extrémisme là ne mérite pas d’être cité.

Norman Mailer a dit un jour qu’il pensait que les Etats-Unis, dans leur poursuite incessante de domination et de guerres, étaient entrés dans une «ère préfasciste». Mailer semblait indécis, comme s’il voulait nous avertir de quelque chose que lui-même n’arrivait pas à définir. «Fascisme» n’est pas le bon terme, car il fait trop facilement référence à des précédents historiques, en nous renvoyant une fois encore aux images de l’oppression allemande ou italienne. A l’inverse, l’autoritarisme américain, comme l’a souligné le professeur Henry Giroux , «est plus nuancé, moins théâtral, plus subtil, moins attaché aux moyens de contrôle répressifs qu’aux moyens de contrôle par consentement.»

C’est ça l’Américanisme, la seule idéologie prédatrice qui nie qu’elle est une idéologie. La montée en puissance d’entreprises tentaculaires qui sont autant de dictatures et celle des militaires qui sont devenus un état dans l’état, planqués derrière une façade que 35.000 lobbyistes à Washington nous vendent comme la meilleure démocratie qu’on puisse trouver sur le marché, le tout accompagné d’une culture populaire programmée pour nous divertir et nous engourdir, est un phénomène sans précédent. C’est peut-être un peu exagéré, mais les résultats sont néanmoins évidents et reconnaissables. Denis Halliday et Hans von Sponeck, les hauts officiels des Nations Unies en poste en Irak durant le blocus américano-britannique, n’ont aucun doute d’avoir assisté à un génocide. Ils n’ont pourtant vu aucune chambre à gaz. Insidieusement, silencieusement, et même parfois présentés intelligemment comme une marche vers la civilisation, la troisième guerre mondiale et le génocide ont eu lieu et les victimes sont tombées les unes après les autres.

Dans la prochaine campagne électorale en Grande Bretagne, les candidats ne parleront de la guerre que pour chanter les louanges de «nos p’tits gars». Les candidats sont tous les mêmes momies politiques enveloppés dans l’Union Jack ou le Stars and Stripes (respectivement, nom du drapeau britannique et américain – NdT). Comme Blair l’a exprimé avec un peu trop d’enthousiasme, l’élite britannique adore l’Amérique parce que l’Amérique les autorise à bombarder les indigènes et à se présenter comme un «partenaire». Il faut mettre fin à leur jeu.

John Pilger
26.03.10
www.johnpilger.com
Traduction VD pour le Grand Soir

dimanche 28 mars 2010

Le franc CFA, un outil de contrôle politique et économique sur les pays africains de la zone franc



La zone franc et le franc CFA, un système hérité de la colonisation
La zone franc et sa monnaie le franc CFA constituent le seul système monétaire colonial au monde à avoir survécu à la décolonisation. La mise en place progressive de ce système est le résultat de choix stratégiques de la France mettant l’entreprise de colonisation au service des intérêts économiques français. Les monnaies africaines sont supprimées et des banques privées appartenant aux colons mais contrôlées par la France sont créées.

La puissance coloniale exploite les matières premières des colonies pour alimenter l’industrie française et utilise les colonies comme débouchés pour les produits français. Suite à la crise de 1929, la France accentue son repli sur l’empire colonial pour protéger son économie et son commerce extérieur. La création de la zone franc en 1939 offre le moyen de pérenniser cette stratégie: les échanges avec des pays extérieurs à la zone franc sont interdits, ce qui cimente les liens économiques et commerciaux entre la France et son empire. La monnaie franc CFA (Colonies Françaises d’Afrique) est quant à elle créée en 1945 afin que la dévaluation du franc français au sortir de la guerre n’affecte pas les marchés des possessions africaines de la France. Celle-ci conserve ainsi le leadership dans le commerce extérieur des colonies et réaffirme sa suprématie sur son empire.

Au moment des indépendances, la quasi-totalité des anciennes colonies françaises d’Afrique subsaharienne décide de rester dans le giron de la France en signant des accords de coopération monétaire et en adhérant de ce fait à la zone franc. Le franc CFA est d’ailleurs renommé franc de la Communauté Française d’Afrique en 1958. Mais la Guinée refuse cet assujettissement monétaire et sort de la zone franc dans un coup d’éclat. Le président Sékou Touré veut une réelle indépendance politique et économique pour la Guinée, et pour ce faire crée le franc guinéen et quitte la zone en 1960. Au Togo, ancienne colonie allemande membre de la zone franc depuis 1949, des voix s’élèvent également contre le franc CFA en la personne du président Sylvanus Olympio. La sortie de la zone est prévue pour 1963 mais Sylvanus Olympio est assassiné juste avant que l’indépendance monétaire du pays ne soit acquise. Ce n’est que dix ans plus tard, en 1973, que la zone connaît de nouvelles modifications avec la sortie de la Mauritanie et de Madagascar.

C’est également à la période des indépendances que des banques centrales dont seulement la moitié des administrateurs sont des représentants africains sont créées pour émettre le franc CFA. Les présidents de ces institutions sont néanmoins français et restent maîtres de toute décision. Pendant les années 1970 la zone franc connaît des ajustements à la fois techniques et symboliques : révision des accords de coopération monétaire, déménagement des sièges des banques centrales de Paris à Dakar et Yaoundé, diminution du nombre de représentants français au sein des Conseils d’Administration. D’autre part deux nouveaux pays signent des accords de coopération avec la France et adoptent le franc CFA: la Guinée Équatoriale en 1985 et la Guinée-Bissau en 1997. Malgré ces changements, la France garde la mainmise sur la politique monétaire de la zone franc dont les pays subissent des choix économiques et monétaires dictés par les intérêts français. La France va même jusqu’à décider unilatéralement de la dévaluation du franc CFA en 1994.

La zone franc : une gestion et des principes au service des intérêts français
La zone franc englobe donc aujourd’hui quinze pays: huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina-Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), six pays d’Afrique centrale (Cameroun, République Centrafricaine, Congo-Brazzaville, Gabon, Guinée Equatoriale, Tchad) et les Comores. C’est une organisation financière, monétaire et économique, dont le cœur est la France et l’instrument principal le franc CFA. Cette organisation, gérée par la France, s’appuie sur des institutions africaines: la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO), la Banque des Etats d’Afrique Centrale (BEAC), la Banque Centrale des Comores (BCC).

Le système franc CFA est basé sur quatre grands principes: la centralisation des réserves de change au Trésor public français, la fixité de la parité franc CFA/euro, la libre convertibilité du franc CFA à l’euro, et la libre circulation des capitaux entre la France et les pays africains de la zone franc. A ces principes s’ajoutent la participation française aux instances de direction des banques centrales africaines, pièce maîtresse du système CFA puisqu’elle garantit l’application sans faille des quatre principes précédemment cités.

La centralisation des réserves de changes : un principe qui bloque l’économie des pays de la zone franc
Chaque banque centrale de la zone franc possède un compte d’opérations au Trésor public français et doit y déposer une partie de ses réserves de monnaie. Depuis 2005, 50% des réserves de change doivent être stockées sur le compte d’opérations en France (jusqu’en 2005 ce pourcentage était de 65). Il y a donc actuellement environ 8000 milliards de francs CFA venant de la BCEAO et la BEAC stockés au Trésor public, soit plus de 12 milliards d’euros. C’est autant d’argent qui est amputé du budget des États de la zone franc. La France rémunère les banques centrales africaines en intérêts, tout en se servant au passage grâce à des placements privés (des sommes dégagées au profit de la France qui se comptent en centaines de millions d’euros). Pire, la part d’intérêts versée aux banques centrales est comptabilisée dans l’Aide Publique au Développement! Dépouillés de la moitié de leurs recettes, les pays africains de la zone franc se retrouvent ainsi dans une situation économique et sociale très difficile, d’autant plus que la France leur impose une rigueur budgétaire (c’est-à-dire une baisse des dépenses publiques) pour que l’approvisionnement du compte d’opérations soit garanti.

La parité fixe franc CFA/euro: une entrave à la compétitivité des économies africaines dans le monde
Hier lié au franc français, le franc CFA est aujourd’hui arrimé à l’euro, c’est-à-dire que la valeur du franc CFA sur les marchés mondiaux dépend de celle de l’euro. Autrement dit, les pays africains de la zone franc n’ont pas le contrôle de leur politique de change et subissent les fluctuations du cours de la monnaie unique européenne. Les recettes de leurs exportations doivent être converties en euro avant de l’être en franc CFA, ce qui signifie que si la conversion entre l’euro et les monnaies étrangères fluctue, les recettes des pays africains de la zone franc fluctuent également. Actuellement la valeur de l’euro se renforce par rapport aux monnaies étrangères. Par conséquent, la compétitivité des pays de la zone euro, et donc de la zone franc, diminue par rapport au reste du monde. Une baisse de la compétitivité signifiant une plus grande difficulté à vendre ses produits sur le marché mondial, les conséquences pour les pays africains de la zone franc d’un arrimage à une monnaie forte comme l’euro sont considérables : les économies restent faibles, et les population se paupérisent car les matières premières qu’elles produisent ne peuvent ni être exportées ni être transformées.

La libre convertibilité franc CFA/ euro et la libre circulation des capitaux ou comment légaliser la fuite des capitaux
La libre convertibilité s’applique des pays africains de la zone franc à la France et inversement, mais ne concerne pas les échanges entre les trois zones du système CFA. Ce principe facilite les investissements français en Afrique, le rapatriement des capitaux, et l’importation par la France de matières premières, mais bloque les échanges inter-africains.

Les principes de libre convertibilité et libre circulation des capitaux favorisent également la fuite des capitaux de l’Afrique vers la France. Les entreprises françaises installées dans les pays africains de la zone franc peuvent rapatrier librement leurs liquidités vers la France et les transferts d’argent entre la France et l’Afrique s’opèrent sans entraves au profit des élites françafricaines.

La participation française à la gestion des banques centrales africaines
Dans les trois banques centrales de la zone franc, des administrateurs français siègent aux Conseils d’Administration (CA). Dans les faits, la présence d’administrateurs français garantie par les statuts des banques centrales confère à la France un droit de veto lors de la prise de décision. Au CA de la BCC, 4 administrateurs sur 8 sont français alors que les décisions doivent être votées à la majorité. A la BCEAO seuls 2 administrateurs sur 16 sont français, mais l’unanimité est requise pour toute décision majeure (et notamment la modification des statuts). La situation est la même à la BEAC avec 3 administrateurs français sur 13. Le pouvoir de la France dans ces institutions est donc considérable et la présence de représentants français garantit la mise en œuvre de tous les principes centraux du système CFA.

Un système monétaire qui constitue une entrave à la souveraineté des États africains de la zone franc
Le franc CFA est un liant qui cimente les relations économiques entre la France et les pays africains de la zone franc. Ces pays ne sont pas libres de la gestion de leur politique économique et monétaire, domaine pourtant constitutif de la souveraineté d’un État. Preuve en est la dévaluation de 1994 décidée unilatéralement par la France.
Malgré le passage à l’euro, la France garde la mainmise sur la zone franc, alors même qu’elle n’est plus émettrice de la monnaie d’arrimage. L’adoption de l’euro aurait pu se traduire par une disparition du pouvoir tutélaire de la France sur ses anciennes colonies, or la France a obtenu que les accords de coopération monétaire de la zone franc ne soient pas affectés par l’intégration européenne.

Cinquante ans après les indépendances, la politique monétaire de la zone franc reste donc décidée par la France en fonction de ses intérêts propres. Cinquante ans pendant lesquels cette politique a été complètement déconnectée des vrais enjeux du développement africain tout en permettant à la France de contrôler économiquement et politiquement ses anciennes colonies au profit de son économie nationale, et au préjudice du développement des relations entre pays africains. Le modèle imposé par le système franc CFA induit une verticalité des échanges (Nord-Sud) au détriment d’une coopération horizontale (Sud-Sud). Un tel système financier, au service des intérêts économiques et politiques de la France, ne peut pas être le vecteur de l’autonomie monétaire et du développement. Il perpétue les relations asymétriques et néocoloniales entre la France et les pays de la zone CFA.

22.03.10
Source : Survie

Position des Mouvements sociaux haïtiens sur le processus de “reconstruction” d’Haïti



Les organisations et mouvements sociaux haïtiens dénoncent le processus adopté pour la formulation du "Plan de Reconstruction d’Haïti", document de base ayant servi aux discussions de la Conférence des bailleurs qui s’est achevée le 17 mars à Santo Domingo, vu que ce processus s’est caractérisé par une exclusion quasi-totale des acteurs sociaux haïtiens et une participation faible et non-coordonnée des représentants de l’Etat haïtien.

La voie tracée pour la reconstruction d’Haïti à travers le PDNA (Evaluation post-désastre) ne peut satisfaire les attentes du peuple haïtien étant donné que ce processus n’est pas conçu pour stimuler le développement, sinon pour une restauration, alors que le contexte en Haïti, désormais, exige une réorientation complète du modèle de développement.

Il est regrettable que ce document produit par un groupe de 300 fonctionnaires internationaux et nationaux soit présenté en premier lieu aux bailleurs sans qu’un large processus de consultation des acteurs sociaux haïtiens n’ait été conduit au préalable.

Nous considérons que la réunion prévue le 19 mars avec quelques organisations de la société civile à Port-au-Prince, ne saurait remplacer les véritables mécanismes de participation des différentes composantes de la société haïtienne dans la définition d’un avenir commun.

La situation de crise générée par le tremblement de terre nous place devant le défi d’entamer un processus alternatif destiné à définir un nouveau projet de Nation qui englobe de bonnes stratégies pour dépasser l’exclusion, la dépendance politique et économique ainsi que la pauvreté.

Pour que cette nouvelle orientation puisse se matérialiser et nous conduire vers une nouvelle ère de prospérité, il faut divorcer avec les paradigmes choisis jusqu’à présent et développer un processus inclusif de mobilisation des acteurs sociaux nationaux. Pour atteindre cet objectif, il faut engager les ruptures suivantes:
1- Rupture avec l’exclusion. Rompre avec cette dynamique demeure une condition essentielle pour une véritable intégration basée sur la justice sociale et tournée vers le renforcement de la cohésion nationale. Cela implique la participation et la mobilisation des forces sociales traditionnellement exclues, notamment les femmes, les paysans/nes, les jeunes, les artisans ; etc. Cela implique également le refus des structures officielles actuelles d’oppression et l’invention d’un nouvel Etat, dont la praxis s’oriente vers le bien-être de la population, la transparence, l’institutionnalisation, la justice sociale, le respect de la diversité et des droits humains.
2. Rupture avec la dépendance économique. Construire un modèle économique qui stimule la production nationale en donnant la priorité à l’agriculture, l’élevage, et l’agro-industrie tournée d’abord vers la satisfaction de nos besoins alimentaires (céréales, tubercules, lait, fruits, poissons, viandes, etc).
Ce nouveau modèle ne doit pas être dominé par la logique d’accumulation excessive de richesses ni par la spéculation mais plutôt orienté vers le bien-être de la population, la valorisation de notre culture nationale et la récupération de nos ressources forestières. Ce modèle doit aussi réduire la dépendance aux combustibles fossiles en promouvant l’évolution vers l’utilisation des immenses réserves d’énergies renouvelables disponibles dans notre pays.
3- Rupture avec la centralisation excessive du pouvoir et des services publics. Le nouveau cadre de développement doit aider à mettre en place un modèle de gouvernance basée sur la décentralisation des décisions, des services et des ressources ainsi que le renforcement des capacités des gouvernements locaux et des organisations de la société civile.
4. Rupture avec les rapports actuels de propriété de la terre. Instaurer un processus de réorganisation de l’espace physique dans les villes et villages. Cela implique la mise en œuvre d’une réforme agraire intégrale et d’une réforme urbaine qui permette de résoudre le problème de logements de plus d’un million de personnes déplacées après le séisme ; en même temps développer des espaces publics et des biens sociaux, tels que des écoles et parcs publics et garder un contrôle de l’extension des villes, etc. Pour relever de tels défis, il est nécessaire de redéfinir le rôle de l’Etat et son fonctionnement.

Ce projet national dont nous rêvons pour le développement intégral d’Haïti doit inclure un nouveau système d’éducation publique qui facilite l’accès à une éducation de qualité pour tous les enfants, filles et garçons, sans distinction et sans discrimination, la valorisation de la langue créole parlée par l’ensemble de la population, une forte sensibilisation sur la protection de l’environnement et la prévention des risques liés aux catastrophes naturelles ; la réorganisation du système de santé avec des hôpitaux établis dans les différents départements, la valorisation de la médecine traditionnelle et une attention particulière à la santé des femmes ; un système d’ Etat civil qui accorde les mêmes droits aux enfants, indépendamment de leurs conditions de naissance, un système de justice qui facilite l’accès à la justice pour tous et toutes et qui combat la corruption.

En ce qui a trait à la gouvernance, nous voulons un Etat qui conserve le contrôle de la gestion du pays, assume le leadership et la coordination de l’aide internationale, qui défend les intérêts de la nation aussi bien a l’ intérieur du pays qu’a l’étranger(les migrants haïtiens a l’étranger).
Quant aux relations internationales, le pays doit développer de nouveaux rapports avec les pays amis, en renforçant sa capacité de défendre ses intérêts et l’amitié entre les Etats et les peuples. Il convient de formaliser les rapports avec la République Dominicaine sous différents aspects, tels le commerce, les marchés binationaux, la migration.
Nous réclamons l’annulation de toutes les dettes d’Haïti. Que la tragédie du tremblement de terre ne devienne pas une opportunité d’endetter davantage le pays !

Pour construire ce nouveau modèle de développement, cela exige la participation et la mobilisation intense, constante et large de tous les secteurs de la nation, particulièrement des secteurs populaires qui ont un intérêt majeur dans la décentralisation et un meilleur accès des biens publics (santé, éducation, eau potable, assainissement, communication, énergie électrique et logement). Les secteurs exploités et exclus doivent être les principaux acteurs de ce processus.

Les Mouvements sociaux parties prenantes de cette Déclaration lancent un appel à la mobilisation et s’engagent à réaliser bientôt une Assemblée du Peuple Haïtien au cours de laquelle les défis seront abordés et les stratégies définies en vue de la construction alternative de notre pays.

Port-au-Prince, le 18.03.10

Pour authentification :
Colette Lespinasse
GARR

Liste non-exhaustive d’organisations ayant pris part à des réunions où ces idées ont été discutées: PAPDA, GARR, SOFA, FENATEC, CHANDEL, CIPJD, REBA, TKL, FOIE ET JOIE, Cellules de Réflexion et d’Action coordonnée par les Jésuites haïtiens, Confédération des Haïtiens pour la Réconciliation, Alterpresse, Enfofanm, Fondation Toya, AFASDA, Zanmi Timoun, MPP, CROSE, KSIL, KONAREPA, PADEP, MOREPLA.
Source: CADTM (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde)

samedi 27 mars 2010

Retour sur un évènement déjà commenté, pcq deux fois vaut mieux qu'une!



La cérémonie des oscars de cette année a été un étalage de banalité et de lâcheté.
Les trois films les plus primés par l'Académie, Démineurs (The Hurt Locker), Precious, et Inglorious Basterds, incarnent dans leur ensemble ce qu'il y a de rétrograde et malsain dans l'industrie du film, et ils avancent tous masqués.

Démineurs, en dépit des déclarations sur son approche «apolitique» ou «non-partisane», se révèle, à sa propre manière sans saveur, être un film favorable à la guerre et à l'impérialisme. Loin d'offrir un point de vue compatissant sur la vie des Afro-américains des centres-villes [pauvres, ndt], Precious se complait dans l'arriération sociale, dont il impute la faute aux opprimés eux-mêmes. Le repoussant Inglorious Basterds de Quentin Tarantino se présente comme un film «anti-nazi», mais offre sa propre version du porno et du sadisme, laquelle reprends à son compte plus d'un élément fasciste.

Trois œuvres franchement abominables.
Il y a sept ans de cela, en mars 2003, quelques jours seulement avant le lancement de l'invasion illégale de l'Irak, le réalisateur de documentaire Michael Moore – recevant l'Oscar pour Bowling for Columbine – dénonçait George W. Bush comme «faux président» ajoutant, «Nous vivons dans une ère où un homme nous envoie en guerre pour des raisons qui n'existent pas… [Nous] sommes contre cette guerre, M. Bush. Honte à vous.»

Sept ans après cette déclaration intègre de Moore, l'industrie du cinéma a officiellement jeté l'éponge dimanche dernier et de la manière la plus basse qui soit, abandonnant même la prétention à s'opposer aux guerres coloniales du Moyen-Orient et d'Asie centrale. En fait, le choix de Démineurs comme meilleur film fait partie d'une réhabilitation rampante et concertée de la guerre d'Irak, en train de se produire dans l'establishment politique et médiatique libéral.

De la revue The Nation, où Robert Dreyfuss a écrit qu'il voyait des «signes d'espoir» dans les récentes fraudes des élections irakiennes, jusqu'au groupe de réflexion du Parti Démocrate, le Center for American Progress, qui affirme que ces mêmes élections «représentent le dernier pas des irakiens pour reprendre le contrôle de leurs propres affaires» la gauche officielle et le milieu libéral indiquent leur accord pour la présence permanente des États-Unis en Irak, visant à contrôler les vastes réserves de pétrole du pays.
Les libéraux «anti-guerre» bien en vue d'Hollywood, pour qui l'opposition à l'invasion Irakienne de 2003 avait beaucoup à voir avec une hostilité culturelle et psychologique, envers le gouvernement Bush, en sont là également. L'élection de Barack Obama représentait pour eux, comme pour tout un milieu social, la réalisation complète de leurs aspirations politiques.

La réalisatrice de Démineurs Katrine Bigelow, a saisi l'opportunité dans son discours de remerciement pour le prix de la meilleure réalisation «de le dédier aux femmes et aux hommes de l'armée qui risquent leur vie chaque jour en Irak et en Afghanistan et partout dans le monde.» Et après cela, en recevant l'Oscar du meilleur film, elle a répété «peut-être une dédicace de plus, aux hommes et aux femmes partout dans le monde qui portent un uniforme… ils sont là pour nous et nous sommes là pour eux.»
Non, ils ne sont pas là pour «nous». L'armée américaine est une armée professionnelle, pas une armée de conscription, elle opère à la manière d'une bande de malfrats à l'échelle mondiale au service de l'élite financière américaine. Toutes sortes d'ex-gauchistes et libéraux se rallient actuellement autour de l'effort de guerre impérialiste, souvent par la formule selon laquelle il faut «soutenir les troupes.» C'est un slogan pitoyable et frauduleux. Dans la pratique, il implique un effort pour décourager ou passer sous silence les critiques des causes, de la conduite et des objectifs de ce conflit brutal.

Le succès de la campagne des Oscars en faveur de Démineurs donne la mesure de la banqueroute intellectuelle des critiques et de l'élite hollywoodienne. Ce film n'a pas eu un grand succès auprès du public, mais comme Jeremy Kay, écrivant pour le Guardian, l'a noté «Ce thriller est devenu l'égérie des critiques, loué comme le meilleur film sur la guerre en Irak réalisé aux États-Unis, et en fait comme la meilleure tranche de guerre montrée à l'écran depuis des années.» Ce n'est pas vrai, mais de bien meilleurs films comme Battle for Haditha et In the Valley of Elah, ou d'autres, ont été délibérément marginalisés par les médias américains.
La compagnie de relations publiques engagée pour s'occuper de Démineurs, s'est concentrée sur la perspective que Bigelow soit la première réalisatrice à recevoir un Oscar. «L'idée était séduisante» écrit Kay, «et je peux témoigner de la vitesse à laquelle elle s'est répandue dans les artères d'Hollywood. Un jour avant la nomination, le 2 février, on ne parlait quasiment de rien d'autre.»
En d'autres termes, le fait que la réalisatrice soit une femme a compté plus que tout le reste. Bien sûr, ce n'est pas tout. Les membres de l'Académie ont également encensé Démineurs en raison de ses thèmes.

Sous le couvert de l'objectivité et de «l'authenticité» le film de Bigelow présente la guerre en Irak du point de vue d'une «tête brûlée» le sergent William James, expert en désamorçage. La présence des forces américaines en tant qu'armée d'occupation n'est jamais remise en cause, et le travail de cet individu téméraire (et, franchement, psychotique) est présenté comme sauvant héroïquement des milliers de vies.
Les quelques bribes de dialogues insérés entre les diverses scènes de désamorçage sont forcées et ne convainquent pas. Bigelow n'a aucune idée de ce que sont des soldats, ou de la manière dont les êtres humains interagissent. Ses films (the Loveless, Near Dark, Blue Steel, Point Break, Strange Days) ne sont pas faits à partir de la vie, mais à partir de schémas confus et malsains, y compris des morceaux épars de philosophie post-structuraliste et postmoderne.

Dans son premier film, The Set-Up (1978), par exemple, deux hommes se battent dans une ruelle, pendant que, selon le New York Times, «les sémioticiens [qui étudient le langage] Sylvère Lotringer et Marshall Blonsky déconstruisent les images en voix-off.» Bigelow a expliqué à ce propos : «le film se termine avec Sylvère parlant du fait que dans les années 1960 on concevait l'ennemi comme hors de soi, c'est-à-dire, un officier de police, le gouvernement, le système, mais ce n'est pas vraiment le cas en fait, le fascisme est très insidieux, on le reproduit tout le temps.»
On a envie de répondre, à nouveau, parle pour toi ! Bigelow est clairement fascinée par la violence et le pouvoir… et la guerre, qu'elle considère comme séduisante et «excessivement dramatique.» Bigelow adhère à l'idée «qu'il y a probablement une nécessité fondamentale à ce conflit» et qu'elle se trouve attirée par la notion d'une «psychologie de l'accoutumance, de l'attirance, vers le combat.»

Ses admirateurs déclarent que Bigelow se plaint, ou critique, un tel état de fait. Au contraire, Démineurs, glorifie et embellit la violence, que la réalisatrice associe à «des réactions émotionnelles intenses.» Tout cela, avec une dose de Nietzsche mal digéré, est assez malsain et même sinistre, mais il correspond à un état d'esprit bien défini parmi certaines couches considérées comme l'intelligentsia «radicale» aux États-Unis.

Le film de Bigelow, réalisé d'après un scénario du journaliste "embedded" Mark Boal, n'est pas un film anti-guerre. Il se contente de faire une pause de temps en temps pour méditer sur le coût élevé payé par les soldats américains pour le massacre des insurgés et des civils irakiens. En ce qui concerne Bigelow, tant qu'ils n'ont pas l'air de s'amuser et qu'ils montrent des signes de fatigue et de stress, les soldats américains peuvent continuer à tuer et à semer la destruction.
Comme l'a noté la chronique du WSWS en août dernier, «la plus grande erreur du film est que ses réalisateurs croient apparemment qu'il est possible de dépeindre correctement l'état moral et psychologique des soldats américains sans parler de la nature de l'aventure irakienne dans son ensemble, comme si cela ne changeait pas la manière dont les soldats agissent et pensent.»

Démineurs a plu aux votants d'Hollywood, comme l'a noté avec satisfaction un commentateur, parce qu'il «ne force pas les spectateurs à faire un jugement politique sur la guerre» c'est-à-dire qu'il est compatible avec l'ultra-droite, le pentagone et le gouvernement Obama.
La cérémonie annuelle des Oscars est plus qu'une simple occasion pour Hollywood de s'autocélébrer. La diffusion (vue cette année par 40 millions de gens aux États-Unis) est devenue un rituel de la vie publique américaine, une manière de plus de forger, de manipuler l'opinion publique.
Ainsi, comme dans toutes les occasions de ce genre, la cérémonie est maintenant un événement complètement préparé et stérile du début à la fin. Personne n'a le droit – ou n'aurait l'idée – de sortir du rang, il n'y a pratiquement aucun moment qui ne soit écrit à l'avance. Même si cette cérémonie n'a probablement jamais eu son âge d'or, il y a eu une époque où elle conservait la possibilité pour des sentiments sincères, et même une opposition, de s'exprimer.

Même l'Oscar du documentaire, que Moore avait remporté en 2003, a été contrôlé de près. Judith Ehrlich et Rick Goldsmith étaient en compétition dans la même catégorie cette année avec leur film The Most Dangerous Man In America: Daniel Ellsberg and the Pentagon Papers. Ellsberg est l'homme qui a rendu publique l'histoire secrète du Pentagone dans la guerre du Vietnam en 1971, portant un coup à la version des événements présentés par le gouvernement. Il était présent à la cérémonie dimanche dernier. Dans l'atmosphère actuelle dominée par la corruption et la peur, il aurait été bien trop embarrassant de se souvenir de quelqu'un qui s'est opposé aux autorités!
À la place, The Cove, un documentaire sur un village de pêcheurs japonais où des milliers de dauphins et de tortues sont péchés chaque année, a reçu le prix. Ce sujet peut être bon, mais il est considérablement moins important que l'arrêt du bain de sang au Vietnam, ou de ses équivalents actuels, en Irak et en Afghanistan.

Bref, la cérémonie des Oscars de cette année a atteint encore une fois un niveau bien bas. Les réalisateurs, scénaristes et acteurs honnêtes d'Hollywood devront se faire connaître et agir. La situation actuelle est tout simplement intenable du point de vue du cinéma comme de la société dans son ensemble.

David Walsh
24.03.10
Source: mondialisation.ca

vendredi 26 mars 2010

L’avocat général décomplexé Bilger approuve Zemmour et les statistiques ethniques



Philippe Bilger aime la liberté d’expression et les hommes qui «osent dire» ? Très bien ! Allons y ! Il faut rappeler que M. Bilger est un haut magistrat du parquet, avocat général à la cour d’Appel de Paris et que c’est lui qui a demandé et obtenu, lors du procès Halimi, la peine maximale pour Fofana, le principal accusé. M. Bilger, bien que magistrat, s’exprime librement sur son blog. Tant mieux ! Moi aussi. Mais lorsque cet avocat général décomplexé, comme on dit, nous parle de justice, on arrive sur un terrain glissant. Est-ce l’avocat général, tenu par le devoir de réserve, protégé par la loi, qui s’exprime ou tout simplement M. Bilger ?

En tout cas, ce que je viens de lire sous sa plume est tout simplement une honte et c’est d’autant plus grave du fait des fonctions qu’il exerce. Il vient en effet de se porter au secours de Zemmour et soutient tranquillement, par écrit, en pesant bien ses mots, la formule de ce journaliste raciste : «les Français issus de l’immigration sont plus contrôlés que les autres parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est un fait». M. Bilger se dit du même avis et souligne «la validité de ce fait», «la justesse de cette intuition». Il trouve normal que Zemmour, pour qui tout «noir» est un immigré, s’exprime ainsi sur la chaîne France Ô, qui cible pourtant l’outre-mer et à la «diversité», et où, soit dit en passant, Zemmour a une tribune régulière sans que cela dérange outre mesure le délégué interministériel à l’égalité des chances des Français d’outre-mer, Karam, qui s’est démasqué en approuvant Zemmour et en attaquant hystériquement Ali Soumaré aussi bien que Marie Luce Penchard, Jean-Paul Huchon ou moi (après tout, ce sont tous des «noirs»…). M. Bilger invite donc les citoyens «de bonne foi» à venir constater que Zemmour a raison en assistant à n’importe quelle audience correctionnelle et parfois criminelle. Sur Europe 1, le magistrat s’est déclaré favorable aux «statistiques ethniques», tandis qu’il déplorait sur son blog que la finalité presque exclusive des statistiques officielles (non ethniques) soit «de masquer ce qui crève les yeux et l’esprit si on accepte de regarder». Nous savons maintenant pourquoi les racistes (dont le CRAN, et là je comprends que M. Bilger s’amuse) sont favorables à ce type statistiques: pour stigmatiser certains justiciables et assimiler la délinquance à tel ou tel phénotype. Ceci étant, M. Bilger n’a pas pensé que les statistiques ethniques pourraient pousser certains esprits chagrins à dire que s’il y a surtout des «noirs» et des «arabes» devant les tribunaux répressifs et dans les prisons aussi, c’est peut-être parce le système policier et judiciaire est une machine à broyer du noir ou de l’arabe, parce que le système éducatif n’a pas rempli sa mission, parce que la France est un pays où le racisme se porte bien grâce à des gens comme Zemmour.

En parlant de «noirs» et d’ «arabes», M. Bilger affirme au moins clairement l’existence de «races humaines» qu’il croit assez justifier en invoquant l’évidence de son regard et celui des gens de bonne foi (c’est-à-dire les racistes primaires). Bien que lui ne soit pas primaire, il aurait besoin, je pense, de quelques séances de rattrapage en philosophie. Il apprendrait ainsi ce qu’en principe tout lycéen de terminale doit savoir: les sens sont trompeurs et la prétendue évidence fondée sur le regard n’est pas un critère de vérité. Un bâton plongé dans l’eau paraît brisé alors qu’il ne l’est pas. Ce n’est pas un «noir» ni un «arabe» qui l’a dit, c’est Descartes. De même, un magistrat d’apparence respectable, blanc de peau, peut-il se révéler, à l’examen, le pire des salauds. L’apparence n’est pas la réalité. En lisant les auteurs et en faisant travailler son esprit (puisque le même Descartes dont je rappelle qu’il appartenait au «corps traditionnel français» et ne peut donc être soupçonné de complicité avec les trafiquants, nous révèle que le pire imbécile a du bon sens et peut parvenir à la vérité s’il dirige son esprit par une saine méthode) M. Bilger comprendrait ce qu’est un préjugé. Car ne doutons pas de sa bonne foi : pour le moment, il ne le sait pas. Or, pour un magistrat cela peut être très utile. Le racisme est un préjugé qui, hélas, n’épargne pas les magistrats.

Ce que M. Bilger sait en tout cas, c’est que que l’apologie du racisme - la croyance aux «races» humaines -  grâce à un incroyable vide juridique, ne tombe pas sous le coup de la loi. Et il en profite, prenant la précaution, tout en approuvant Zemmour, qui dit que «la plupart» des trafiquants sont noirs ou arabes, de préciser que «beaucoup» le sont. Il a beau dire, par précaution, que tous ne le sont pas, voilà donc un magistrat qui lorsqu’il aura devant lui quelqu’un qu’il pense être «noir» ou «arabe» accusé d’être un trafiquant sera convaincu d’avance qu’il a plus de chances d’être coupable que s’il s’agissait d’un «blanc». Après de tels propos, les choses sont extrêmement simples. Tout accusé sera désormais fondé à demander de n’être pas jugé par M. Bilger, car un magistrat doit juger sans préjugés ou au moins faire semblant. L’évidence du regard ? M. Bilger semble avoir oublié que la justice est généralement représentée les yeux bandés. Ce n’est pas pour rien. Pour un magistrat, plus encore que pour Zemmour, il ne doit pas y avoir de «noirs» ni d’«arabes», mais tout simplement des justiciables, tous égaux devant la loi et tous présumés a priori innocents. Il serait intéressant de savoir si la ministre de la Justice approuve qu’un magistrat très en vue affirme ainsi en toute quiétude qu’il croit aux races, qu’il défende publiquement un journaliste raciste approuvant le délit de faciès, et qu’il demande des statistiques ethniques pour mieux justifier son propos. Si la Chancellerie laisse faire, laisse dire, pourquoi ne pas lyncher directement les «noirs» et les «arabes» suspects ? Cela désengorgerait les tribunaux, non ? Et pourquoi pas des statistiques ethniques sur les magistrats ? Ne serait-ce pas tout aussi intéressant, après tout, aussi bien en France que dans les départements d’outre-mer ?

Claude Ribbe
26.03.10
Source: Le Grand Soir

jeudi 25 mars 2010

Les quatre crises durables du siècle : est-ce ainsi que les Hommes vivent ?


«Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs dont ils remplissent leur âme. Chacun d’eux retiré à l’écart est comme étranger à la destinée de tous les autres ; ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine...»
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique


Ces lignes écrites il y a plus de 150 ans par Tocqueville n’ont pas pris une ride; à croire que le capitalisme n’a pas dégénéré au fil du temps et qu’il est originellement contre la valeur humaine. Je voudrais m’interroger sur ce qu’il me semble important de décrire comme dérives dues, en tout état de cause, à insatiabilité des hommes qui font tout pour s’enrichir quel qu’en soit le prix matériel ou moral. Parmi les indicateurs de l’intolérable injustice alimentaire, on ne peut pas ne pas citer la mainmise des multinationales sur le marché de la faim.

Comme l’écrit si justement la journaliste et sociologue Esther Vivas : «Le modèle alimentaire actuel, tout au long de sa chaîne du producteur au consommateur, est soumis à une forte concentration, monopolisé par une série de corporations agroalimentaires transnationales qui font passer leurs intérêts économiques avant le bien public et la communauté. Le système alimentaire ne correspond plus aujourd’hui aux besoins des individus ni à la production durable basée sur le respect de l’environnement. C’est un système dont l’ensemble du processus est enraciné dans la logique capitaliste - la recherche du profit maximum, l’optimisation des coûts et l’exploitation de la force de travail. Les biens communs comme l’eau, les semences, la terre, qui depuis des siècles appartenaient aux communautés, ont été privatisés, spoliés des mains du peuple et transformés en une monnaie d’échange à la merci du plus offrant... Face à ce scénario, les gouvernements et les institutions internationales se sont ralliés aux desseins des sociétés transnationales et sont devenus les complices, d’un système alimentaire productiviste, non durable et privatisé. (...)» (1)

Abordant la famine récurrente, elle poursuit : «La crise alimentaire qui est apparue tout au long des années 2007 et 2008, avec une forte augmentation du prix des aliments de base, met en évidence la vulnérabilité extrême du modèle agricole et alimentaire actuel. Selon la FAO, cette crise alimentaire a réduit à la famine 925 millions de personnes. (...) Compte tenu de ces données, il n’est pas surprenant qu’une vague d’émeutes de la faim ait traversé le Sud, car ce sont précisément les produits dont les pauvres se nourrissent, qui ont connu la hausse la plus importante. (...) Le problème aujourd’hui ce n’est pas le manque de nourriture, mais l’impossibilité de l’obtenir. En fait, la production mondiale de céréales a triplé depuis les années 1960, alors que la population mondiale a seulement doublé.» (1)

D’une crise, l’autre...
Cette augmentation est-elle due à d’autres facteurs ? «Il est vrai, poursuit Esther Vivas, que des causes conjoncturelles permettent d’expliquer en partie l’augmentation spectaculaire des prix au cours des dernières années : la sécheresse et d’autres phénomènes météorologiques, liés au changement climatique, ont touché les pays producteurs comme la Chine, le Bangladesh, l’Australie (...) L’augmentation du prix du pétrole, qui a doublé au cours des années 2007 et 2008, a provoqué une flambée du prix des engrais et des transports. Elle a aussi eu pour conséquence des investissements accrus dans la production des combustibles alternatifs d’origine végétale. Les biocarburants ont affamé les pauvres. En 2007, aux Etats-Unis, 20% de la récolte des céréales ont été employés pour produire de l’éthanol.» (1)

Cependant la cause fondamentale est la spéculation, ce cancer financier des temps modernes. «Aujourd’hui, on estime qu’une part significative des investissements financiers dans le secteur agricole est de nature spéculative. Selon les chiffres les plus conservateurs, il s’agirait de 55% du total de ces investissements. (...) Les pays du Sud, qui étaient autosuffisants et même disposaient d’un excédent de produits agricoles d’une valeur de un milliard de dollars il y a une quarantaine d’années, sont devenus aujourd’hui totalement dépendants du marché mondial et importent en moyenne pour onze milliards de dollars de nourriture. (...)» (1)

Abordant une autre dimension de la crise, Esther Vivas écrit : «Le capitalisme a démontré son incapacité de satisfaire les besoins fondamentaux de la majorité de la population mondiale (un accès à la nourriture, un logement digne, des services publics d’éducation et de santé de bonne qualité) tout comme son incompatibilité absolue avec la préservation de l’écosystème (perte croissante de la biodiversité, changement climatique en cours). Au cours des années 2007-2008 éclata la crise financière internationale la plus importante depuis 1929. La crise des hypothèques "subprimes", à la mi-2007, fut un des éléments déclencheurs, qui a conduit à l’effondrement historique des marchés boursiers du monde entier, à de nombreuses faillites financières, à l’intervention constante des banques centrales, des opérations de sauvetage.» (1)

Nous voilà donc confortés dans ce que nous subodorions. Les multinationales, par leur politique sans état d’âme, ont fait main basse et l’agrobusiness a de beaux jours devant lui. Le secret des Puissances de l’Argent l’est de moins en moins. Beaucoup savent maintenant que les crises économiques mondiales ne sont pas des «tempêtes parfaites» sur lesquelles nous ne pouvons rien, mais plutôt des opérations économiques d’envergure calculées et exécutées par quelques puissantes banques qui vont jusqu’à menacer des États de faillite totale pour arriver à leurs fins. Le journaliste Matt Taibbi décrit la banque Goldman Sachs, il débute son texte comme suit : «La première chose que vous devez savoir de Goldman Sachs, c’est qu’elle est partout. La banque d’investissements la plus puissante au monde est une gigantesque pieuvre vampire qui enfonce sans cesse son siphon sanguinaire dans tout ce qui a l’odeur de l’argent. Certains cerveaux chez Goldman Sachs ont conçu et exécuté toutes les crises financières depuis les années 20. Elle a de plus, toujours utilisé à peu près le même procédé: elle se place d’abord au centre d’une bulle financière en émettant des produits financiers sophistiqués conçus dès le départ pour faillir. Ensuite, elle s’arrange pour que la petite et la moyenne classe (les gens ordinaires et les PME par exemple) investissent dans ces produits condamnés d’avance. Puis c’est encore la "Big Banque" qui finit le travail en pétant la bulle elle-même, faisant disparaître du coup un tas de petites banques. Une fois que tout le monde est appauvri et que l’économie est à l’agonie, la Big banque arrive en triomphe, nous offre de sauver l’économie et nous prête à haut taux d’intérêts l’argent qu’elle vient juste de nous siphonner. Et le processus recommence...» (2)

Il vient que l’économie américaine continue à gouverner le monde, peut-être pas pour longtemps. On sent un frémissement ; de plus en plus de pays remettent en cause cette suprématie qui repose sur du vent. Certes, écrit Jochen Scholz, l’économie américaine est encore la plus importante du monde, mais elle est fragile car elle a perdu sa base industrielle au profit de la création de valeur dans le domaine financier. Cela a été rendu possible grâce au système mondial reposant sur le dollar, qui a permis aux Etats-Unis d’avoir une dette toujours plus élevée envers le reste du monde, de délocaliser sa production à l’étranger et d’encourager une consommation fondée sur l’endettement. A la fin de 2008, la dette américaine représentait 70% du produit intérieur brut. La revendication du leadership formulée en 1948 a été pour la première fois remise en cause dans les années 1970 par la Cnuded avec l’initiative «New International Economic Order». Son objectif était la dissolution du système de Bretton Woods. (3) Souvenons-nous : le président Boumediene portant la parole du Tiers-Monde aux Nations Unies a plaidé en 1974 pour un ordre international plus juste.

Malgré les appels de plusieurs pays pour un changement de paradigme pour une architecture du système financier international, même de la part des pays capitalistes comme la France, le système de Bretton Woods semble avoir de beaux jours devant lui Cela n’empêche pas les nations des PVD notamment les pays émergents de réclamer aux Etats-Unis de nouvelles règles. «La Chine, écrit Jochen Scholz, principal créancier des Etats-Unis, n’éprouve guère l’envie d’ajouter au bilan de sa banque centrale des obligations américaines sans valeur et réfléchit avec les Etats BRIC (Brésil-Russie-Inde-Chine) et d’autres partenaires asiatiques à des alternatives au dollar (...) Les 6 Etats de l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et les Etats BRIC ont l’intention de réaliser leurs transactions dans leurs propres monnaies. Le monde extérieur aux 950 millions d’habitants de l’«Occident» s’est réveillé. Il n’accepte plus une division durable de l’économie mondiale entre riches et pauvres, entre profiteurs et mendiants, (...). La Chine demande une monnaie de référence mondiale qui ne soit contrôlée par aucun Etat particulier.» (3)

Une autre crise que les pays industrialisés et, notamment les climato-sceptiques tentent de minimiser en démonétisant le GIEC qui a eu à se tromper sur certaines de ses conclusions et qui a abouti comme on le sait, à l’échec de Copenhague où les pays riches n’ont rien voulu céder. En d’autres termes, les pays industrialisés ont externalisé une partie de leurs émissions dans les pays émergents, et plus particulièrement la Chine. Il faut rendre à César le carbone qui est à César. La Chine est de loin le principal importateur d’émissions de CO². 23% des émissions des produits de consommation des pays développés sont exportés vers les pays en voie de développement. A la crise énergétique en raison de la dépendance des combustibles fossiles, fera suite une crise de la biodiversité, avec la disparition d’espèces animales et végétales qui pourrait conduire à la «sixième grande extinction» (4)

La crise de «civilisation»
Cette dernière crise est à la fois ancienne et actuelle, elle structure l’imaginaire des pays occidentaux, elle plonge ses racines dans l’arrogance de l’Occident mâtiné de christianisme au départ pour les besoins de sa cause et qui ensuite s’est découvert un sacerdoce dans le money théisme. Tout au long de l’aventure du capitalisme, des vies ont été broyées au nom de l’intérêt, des guerres ont été faites, un colonialisme le plus abject a été imposé aux nations fragiles par les patries des droits de l’homme européen. Pour Jean Ziegler, «les peuples du tiers-monde ont bien raison de haïr l’Occident.(...) Par le fer et le feu, ils ont colonisé et exterminé les peuples qui vivaient sur les terres de leurs ancêtres en Afrique, en Australie, en Inde... Le temps a coulé depuis, mais les peuples, se souviennent des humiliations, des horreurs subies dans le passé. Ils ont décidé de demander des comptes à l’Occident». Même les droits de l’homme - un héritage du siècle des Lumières - participent du complot. Alors qu’ils devraient être «l’armature de la communauté internationale» et le «langage commun de l’humanité», ils sont instrumentalisés par les Occidentaux au gré de leurs intérêts. (5)

Une analyse pertinente du déclin de l’Occident pour avoir failli à son magistère moral nous est donnée par l’ambassadeur singapourien Kishore Mahbubani. Dans cet essai magistral, il analyse le déclin occidental : recul démographique, récession économique, et perte de ses propres valeurs. Il observe les signes d’un basculement du centre du monde de l’Occident vers l’Orient. Il cite l’historien britannique Victor Kiernan et son ouvrage The Lords of Humankind, Europe an Attitudes to the Outside World in the Imperial Age. Kiernan brossait le portrait de l’arrogance et du fanatisme traversés par un rayon de lumière exceptionnel. La plupart du temps, cependant, les colonialistes étaient des gens médiocres mais en raison de leur position et, surtout, de leur couleur de peau, ils étaient en mesure de se comporter comme les maîtres de la création. En fait, [l’attitude colonialiste] reste très vive en ce début de XXI° siècle. (...) Le complexe de supériorité subsiste. «Cette tendance européenne à regarder de haut, à mépriser les cultures et les sociétés non européennes, a des racines profondes dans le psychisme européen.» (6)

La dichotomie «The West and the Rest» (l’Ouest et le reste du monde), voire la perspective conflictuelle résumée par la formule «The West against the Rest» (l’Ouest contre le reste du monde) semble être étayée par le mythe de la guerre contre Al Qaîda. Il n’est pas étonnant dans ces conditions de voir perdurer des situations dantesques s’agissant de l’arrogance des riches en face de la détresse des pauvres. Santiago Alba Rico en donne un exemple récent, il s’agit du luxe d’une croisière qui jette l’ancre à... Haïti au moment du tremblement de terre. «Vers dix heures du matin, le 19 janvier dernier, le Liberty of the Seas, un des yachts les plus luxueux du monde, débarqua ses passagers dans le port idyllique de Labedee. Accueillis au son d’une musique folklorique enchanteresse, avec des rafraichissements... Ce rêve matérialisé, ce retour civilisé au Jardin d’Éden biblique, était cependant attenant à un autre monde d’innocence perdue et de barbarie antédiluvienne. Une mince cloison, une transparence dure et infranchissable le séparait de cet autre monde. Et c’est qu’en effet, de l’autre côté du mur de trois mètres de hauteur, hérissé de fils de fer barbelés et gardé par des vigiles armés, on n’était pas le 19 janvier, mais le 12, il n’était pas dix heures du matin, mais cinq heures de l’après-midi, on n’était pas à Labedee, mais à Haïti et la terre tremblait, les maisons s’écroulaient, les enfants pleuraient et des milliers de survivants fouillaient les décombres pour y rechercher des cadavres et un peu de nourriture.» (7)

«(…) De quel droit survivons-nous aux morts ? Du droit que nous donne la certitude inexorable de notre propre mort. (...) De quel droit les États-uniens rient-ils à des funérailles à Haïti ? (...) Eh bien, la mondialisation capitaliste consiste - du point de vue anthropologique - en ce que les classes moyennes de l’Occident, à travers le tourisme et la télévision, aillent rire à gorge déployée, et boire et danser...» (7)

Alba Rico conclut d’une façon pertinente : «Nous sommes là parce que nous sommes plus riches et plus puissants et cela vaut également pour les bons sentiments ; mais si nous sommes, en plus, impolis et grossiers, si nous rions à leurs funérailles, c’est parce que nous sommes convaincus que, contrairement aux Haïtiens et aux Indonésiens, nous n’allons pas mourir. (...) La grossièreté, l’irrespect, la mauvaise éducation sont presque devenus des impératifs moraux. Cela peut-il nous étonner que lorsqu’il s’agit de "sauver le monde" l’Occident s’empresse d’envoyer des marines et des touristes ?» (7)

Alexis de Tocqueville avait en son temps mesuré l’étendue de la toile invisible tissée par le capitalisme qui broie les individus Ecoutons le : «(…) Quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas ; il les touche et ne les sent point ; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie. Au-dessus de ceux-la s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sur leur sort. (…) Que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?» (8)

Aragon en son temps écrivait devant l’anomie du monde : «Est-ce ainsi que les Hommes vivent?» Son inquiétude restera sans réponse.

Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz
24.03.10
Source: Le Grand Soir

mercredi 24 mars 2010

Elena Poniatowska : Le Mexique du Cœur …



«Quand on s’accommode trop facilement de l’inévitable défaite de l’espérance humaine, l’homme n’étant plus qu’une créature destinée à glisser sur une peau de banane, je sens que le fascisme n’est pas loin.»
Arthur Miller



Bêlant d’admiration…
Les médias, en troupeau, s’extasiaient de servilité moutonnière…
Le Mexicain Carlos Slim est devenu l’homme le plus riche du monde, claironnaient-ils !... Avec une fortune estimée à 53,5 milliards de dollars, non compris ce qui est entassé discrètement dans les paradis fiscaux !... Equivalente à 10 % du PIB du pays. Hourrah !...
Rendez-vous compte, comme dans ces compétitions soi-disant sportives dont on nous choucroute à longueur de journée : “… le septuagénaire Carlos Slim, magnat mexicain des télécommunications qui fait partie du peloton de tête depuis quelques années, bat de 500 millions Bill Gates, le cofondateur de Microsoft, qui doit se contenter du second rang”. (1)

Du Culte de la Prédation...
Aucun réflexe, esprit critique, aucune décence, ne parlons pas d’éthique : se poser des questions sur la disproportion entre une fortune privée, équivalente et supérieure à bien des budgets d’Etats sur notre planète, et la pauvreté de la majorité de la population mexicaine.

Ne serait-ce qu’une demi-seconde, une ligne, quelques mots entre virgules…
Sur 111 millions de mexicains disent les statistiques officielles, dont on sait combien elles sont enjolivées dans tous les pays, au minimum la moitié vit dans la misère, l’extrême pauvreté.
D’après le classement Coefficient de Gini mesurant les inégalités de revenus entre riches et pauvres, le Mexique immensément riche de ses ressources minières et énergétiques (2), ce paradis du Libéralisme Economique depuis sa conquête par les occidentaux au XV° siècle, treizième puissance économique mondiale se classe derrière l’Ouganda, juste devant le Rwanda, avec 0,461.

Il est vrai que, dans ce même classement, la France, cinquième pays le plus riche du monde, arrive après le Tadjikistan, devançant de justesse : la Mongolie…
Kirghizstan, Bulgarie, Roumanie, Albanie, Belarus, Ethiopie, sont même classés avant notre pays. Mais les médias, si friands de classements et compétitions, n’évoqueront jamais le rang minable, inacceptable, honteux, de la France, quant à l’inégalité des revenus. (3)

Incapables de formuler la moindre remarque sur l’origine d’une telle fortune personnelle. Fondée sur une découverte majeure relevant des nouvelles technologies ? De la chimie ? De la recherche sur la santé, comme la découverte de la pénicilline ?…
Non. Aucune valeur ajoutée pour la collectivité. Aucune innovation à la source. Même pas du niveau “fil à couper le beurre”. Issue, tout bonnement, de la : “spéculation”.
Immobilière, tout d’abord, dans une des plus grandes métropoles du monde, Mexico avec ses 25 millions d’habitants. Démultipliée, ensuite, dans des privatisations “bidons”, fondées sur un système où le dogme de la Libre Concurrence n’est, en fait, jamais appliqué.
Assurant, à présent, une rente de situation aux revenus exponentiels. Ce milliardaire détient, entre autres, le monopole des télécommunications, nouvelles vaches à lait de nos sociétés : 90% pour le Fixe et 80% pour le Mobile…
Fortune colossale qui ne peut se construire sans la complicité de l’appareil politique, détenteur du pouvoir de “surveillance et de répression” : armée, police, services secrets, propagande médiatique et politiciens aux ordres.
Fortune-paravent, aux multiples ramifications, servant “d’hommes de paille” à une Nomenklatura, récompensée, engraissée, par des “enveloppes” dans les paradis fiscaux et des arrangements d’actionnariat. Cascades de holdings et rideaux de filiales, assurant une part du gâteau aux apparatchiks.
Comme évoqué, lors de la récente élection du président Chilien (4), suivant des pratiques en usage dans toutes les castes dirigeantes du monde. Ou, presque…

Soyons compréhensifs à l’égard de nos médias. Pour la plupart, leurs patrons sont des milliardaires aux fortunes engendrées par les mêmes mécanismes “économico-politiques”… Dans ce “milieu”, il faudrait être “maso”, ou suicidaire, pour jouer les rabat-joies...
En ces temps de crises, on se doit donc d’encenser, dans l’allégresse, réussites et succès d’où qu’ils viennent. Surtout s’il s’agit de fêter les bienfaits du Libéralisme Economique : bonus, dividendes, en milliards. Au profit exclusif d’une oligarchie.

Et, puis c’est tellement reposant : le “vertueux” Mexique n’est pas le Venezuela de Chavez, le Cuba de Castro, la Bolivie de Morales, ou l’Equateur de Correa, que les médias ont pour instruction de diaboliser, jusqu’à la nausée, dans d’épaisses tartines de contrevérités…
Mexique, archétype des sociétés latino-américaines. Des siècles de violence imposée par une caste de colons, s’enrichissant dans l’obséquiosité à l’égard des multinationales. Facilitant le pillage de leur propre pays, sous couvert de mondialisation. Préservant férocement un modèle de société féodale, mafieuse, dans le mépris des amérindiens.
Amérindiens, qu’on regroupe dans une nébuleuse Maya par commodité : Tzeltales, Coles, Tojolabales, Mames, Mochos, Chujes, et Jacaltecos. Même les Zoques, qui n’appartiennent pas au même groupe linguistique que les Mayas. Broyés dans des “déplacements” de population, destinés à les anéantir, dans la perte de leurs langues et leurs cultures.
Ce que, pudiquement, on appelait les “Réductions”. Véritables nettoyages ethniques, sur fond d’esclavage dans les champs et les mines. Ces politiques génocidaires :
«… firent chuter la population du Mexique de 25 millions d’habitants en 1519 à 1 million en 1605. Certaines populations refusèrent de se soumettre à la domination espagnole et parfois des groupes entiers choisirent le suicide collectif, au Chiapas, par exemple.» (5)
Amérindiens luttant, pour ne pas être totalement exterminés, dans de multiples révoltes, à mains nues, contre ce destin de sous-humanité. Soulèvements réprimés dans la violence, le sadisme, l’horreur, par l’oligarchie des grands propriétaires, banquiers et généraux, qui invoquaient, vieille habitude, la lutte de la civilisation contre la barbarie…

Jusqu’à la fin du XX° siècle. Le Massacre d’Acétal du 22 décembre 1997, a marqué les consciences : tout un village massacré, notamment des femmes et des enfants réfugiés dans une église, par un commando paramilitaire.
Actuellement, 6000 familles d’éleveurs descendants de colons monopolisent 3 millions d’hectares des meilleures terres du Chiapas. Soit la moitié de l’Etat du Chiapas, le plus pauvre du Mexique.
Les plus féroces dans le racisme étant les sinistres coletos, se vantant d’être “d’authentiques” descendants des colons espagnols… Arrogance d’une caste coloniale du pillage et du crime.

… Au Combat de l’Espoir
A l’opposé de ce gangstérisme prédateur, il existe un autre Mexique. Dont on parle moins ou qu’on célèbre moins.
Représenté, parmi beaucoup d’exemples, par une Mexicaine que j’admire : Elena Poniatowska.
Elle fêtera, cette année, ses 78 ans. Fascinant destin d’une femme exceptionnelle par sa générosité de cœur, sa ténacité dans le combat pour un monde meilleur.
Son nom ne le laisse pas paraître, mais elle est “mexicaine”. Un père polonais, des anciennes familles régnantes de Pologne. Une mère mexicaine, de descendance française. Arrivée au Mexique, pendant la dernière guerre mondiale, à l’âge de dix ans, elle ne parlait pas un mot d’espagnol.
Une “immigrée”. Un patchwork de filiations et de cultures détonnant. De quoi faire avaler le Code de la Nationalité à nos inquisiteurs de l’identité nationale.
Une des gloires littéraires du Mexique. A l’abondante production de romans, d’articles, de conférences, couverte d’une multitude de Prix et Distinctions.
Pratiquement méconnue en France. Très peu d’ouvrages traduits (6), alors que chacun d’eux est un régal. De finesse, d’humour, de sensibilité, de gravité. Quatre traductions seulement.
Curieusement, elle est plus traduite dans le monde anglo-saxon, USA et RFA notamment, que dans le francophone. Même pas mentionnée, dans le Dictionnaire amoureux du Mexique (7).

Elena Poniatowska, un modèle d’engagement, de jeunesse, de courage, de modernité. D’avant-garde. Citoyenne du monde.
Appartenant à cette lignée d’intellectuels qui n’existent plus chez nous. Mobilisant talent, combativité et notoriété dans la défense de la paix, de la dignité humaine, de la justice, de la solidarité.
Un “écrivain dans la société” (8), et non pas dans sa bulle.

“Témoigner” exige du courage physique, en Amérique latine, sachant qu’ont peut finir sous les balles d’un tueur, à tout âge. Comme Dorothy Stang, au Brésil, assassinée à 74 ans.

Mexique, pays des Mordidas, métaphore humoristique pour les pots-de-vin, du Charrismo, ce gangstérisme politique avec ses tueurs à gage. Structurés, à présent, en escadrons de la mort. Gérant les fraudes électorales dans la violence. Que les observateurs internationaux, bien sûr, ne constateront jamais.
Elections ?... Pantomime d’un “parti unique” à casquettes interchangeables, d’une nomenklatura, se disputant le pouvoir entre clans corrompus, dans le mépris du peuple. Peuple qui n’a aucune voix déterminante, c’est l’exclusivité des grands propriétaires et des affairistes. Au service des intérêts de la “mondialisation” (9).

Insupportable, pour Elena Poniatowska, de voir que rien ne change dans son pays.
Rien, depuis le témoignage de John Reed, écrit en 1914, témoin des révolutions menées par Zapata et Pancho Villa, pour défendre les paysans sans terres, les pauvres, les peones, les “journaliers”.
Au contact de la nomenklatura des généraux, des grands propriétaires et des barons de l’industrie, utilisant l’armée nationale comme une milice privée pour préserver leurs rentes de situation et privilèges, il en a été marqué : "Dans toutes les conversations que je pus avoir avec eux, je m’efforçai en vain de découvrir ne fut-ce qu’un éclair de sympathie ou de compréhension avec les 'peones'. (10)
Le sous-commandant Marcos, chef de la révolte du Chiapas, le rappelle : «Nous manquons d’écoles, d’enseignants, d’hôpitaux, de médecins, de bons prix pour nos produits, nous manquons de terres, de technologie pour la travailler, de justes salaires, de nourriture de qualité et en quantité suffisante, de maisons dignes de ce nom.» (11)

Surprenant. Deux des œuvres majeures d’Elena Poniatowska ne sont pas traduites en français.
La noche de Tlatelolco (12) commémorant le massacre des étudiants le 2 octobre 1968, sur une des principales places de Mexico. Emouvante chronique, poignante description, tragiques témoignages, d’une manifestation d’étudiants pacifiques, noyée dans le sang par l’armée et la police.
Encerclés méthodiquement, massacrés sciemment. Des tués par centaines, des blessés par milliers. A ce jour, le décompte exact des victimes et des “disparus” n’est pas connu.
Philip Agee, à l’époque, un des principaux responsables de la CIA pour le Mexique et l’Amérique latine, devant l’ampleur et le cynisme du massacre, en a été choqué. Un dur à cuire, pourtant.
C’est ce massacre qui lui a fait quitter la CIA dont il dénoncera dans un livre, traduit dans une trentaine de langues (sauf en France), toutes les pratiques de déstabilisation et de lutte contre les libertés : Secret Agent – Inside the Company : CIA Diary. (13)
Révolté, rongé de culpabilité, il y dénonce, au risque de sa vie, 250 agents locaux, rien qu’en Amérique latine. Et, cite des présidents de pays latino-américains comme étant des agents de la CIA, notamment ceux de Colombie (Alfonso López Michelsen), du Costa Rica (José Figueres Ferrer), et du Mexique (Luis Echeverria Álvarez). (14)

Autre œuvre non traduite d’Elena Poniatowska : son “roman monumental” (15) Tinisima, sur une des plus grandes artistes de la photographie, Tina Modotti. (16)
Qui, comme beaucoup d’artistes mexicains, a mis son art au service de la justice sociale, indignée par le sort réservé aux amérindiens asservis, maintenus, dans la pauvreté par l’oligarchie mexicaine. Donnant une série de photos-témoignages, extraordinaires moments d’émotion et de vérité.
Cette grande figure de la lutte politique et de l’art au Mexique, n’est pas mentionnée, non plus, dans le Dictionnaire amoureux du Mexique… (17)
De toute façon… Nul besoin d’un “dictionnaire” pour être amoureux. Qui ne le serait-pas de Tina Modotti ?... Foudroyé, carbonisé, devant la sublime féminité de cette combattante de l’Espoir, magnifiée sur sa terrasse de Mexico, en 1924, par le photographe américain Weston…
Comme Tina Modotti (18), Elena Poniatowska a connu le déchaînement médiatique, des fleuves de diffamations, calomnies, insultes. La nomenklatura mexicaine, totalement alignée sur les néoconservateurs US, la déteste et, via ses outils de propagande, presse, radios et TV, n’a cessé de la harceler.
Tout particulièrement en 2006, année terrible pour elle…

Lors des élections présidentielles, elle s’est mobilisée pour la candidature d’Andrés Manuel López Obrador, du Parti de la Révolution Démocratique. Lui aussi, trainé dans la boue, jusque dans Wikipedia, par l’extrême-droite affairiste.
Il proposait d’infléchir la politique ultralibérale en cours. C’est lui, qui aurait dû remporter les élections. Mais, avec un faible différentiel de voix, c’est son adversaire, à la suite de magouilles et de violences électorales inimaginables, qui fut finalement “désigné”
La même année, elle s’est mobilisée avec plusieurs intellectuels pour condamner les bombardements sauvages d’Israël au Liban. Ce qui la fit accuser par l’Ambassadeur d’Israël de vouloir encourager le terrorisme…
Devant l’hystérie de l’extrême-droite, et sa mise en danger dans un pays de tueurs à gage, 24 intellectuels de plusieurs pays hispanophones et lusophones, dont le Prix Nobel José Saramago, se sont mobilisés dans un collectif pour signer une pétition de soutien en sa faveur.
Autant dire que dans le milieu médiatique français, Elena Poniatowska est précédée de vapeurs de souffre… Ecrirait-elle des torchons anti-Chavez ou anti-Castro, qu’elle serait immédiatement traduite et publiée, reçue sur tous les plateaux de TV.
Mais, en France dans les “circuits” politico-mondains de l’édition, de l’audiovisuel, du cinéma, artistes et écrivains, préoccupés de justice, de dignité humaine, ne sont pas reconnus, appréciés, et en conséquence, diffusés. Sauf, à diaboliser ce qui n’est pas reconnu comme appartenant au "monde occidental".

Combat contre les massacres de civils ?... Contre l’injustice ?... Contre la pauvreté ?...
La Doxa du Libéralisme Economique est allergique à ces sujets, et à leurs auteurs. Phénomènes non reconnus, anecdotiques, là où il règne en maître. Si on est pauvre, c’est qu’on le mérite. Si on est massacré, c’est pour être “civilisé”.
Dans tous les cas, c’est qu’on le vaut bien…
Car, comme chacun sait, “les mécanismes du marché” assurent le bonheur de tous…

Georges Stanechy

22.03.10

Notes:
(1) Les super-riches sont de retour, Le Monde, 11 mars 2010, http://www.lemonde.fr/international/article/2010/03/11/les-super-riches-sont-de-retour_1317440_3210.html
(2) Exprimé en rang mondial : premier producteur d’argent (célèbres mines de Zacateras depuis le XV° siècle), 3° de zinc, 4° de plomb et de soufre. Un des premiers producteurs de manganèse, d’or, de cuivre et de fer. Et, bien, sûr de pétrole, dont il occupe le 1er rang mondial pour les réserves offshore, dans le Golfe du Mexique.

(3) http://www.statistiques-mondiales.com/gini_croissant.htm (4) Chili : L’Affairisme au Pouvoir, http://stanechy.over-blog.com/article-chili-l-affairisme-au-pouvoir--44130753.html
(5) Mexique, Bibliothèque du Voyageur, Gallimard, 2006, p. 49.
(6) Quatre œuvres, à ma connaissance : Lilus Kikus, Vie de Jésusa, Cher Diego, Quiela t’embrasse, La fille du philosophe (Nouvelles, dont je recommande la lecture comme ballade à la découverte du talent d’Elena Poniatowska).
(7) Jean-Claude Carrière, Dictionnaire amoureux du Mexique, Plon 2009. Mais, il y a un article sur l’écrivain français : Le Clézio…
(8) Titre du chapitre où elle figure dans l’ouvrage de Philippe Ollé-Laprune, Cent ans de Littérature Mexicaine, Editions Différence, 2007, p. 479.
(9) Dans un pays qui est le plus gros producteur de Coca-Cola du monde par tête d’habitant, Vicente Fox en fut le dirigeant, pour le Mexique et l’Amérique latine, avant de devenir le président du Mexique (2000 – 2006).
(10) John Reed, Le Mexique Insurgé, Seuil, 1996, p. 312.
(11) Manuel Vázquez Montalbán, Marcos – Le maître des miroirs, Mille et une nuits – Fayard, 2003, p. 219. Livre fondamental pour franchir les clichés médiatiques ou académique, afin de “connaître” le Mexique et l’Amérique latine.
(12) Elena Poniatowska, La noche de Tlatelolco. Testimonios de historia oral. México, 1971, nouvelle édition Ed. Era, México, 1993. Traduction en anglais : Massacre in Mexico, Univ. of Missouri Press, 1975.
(13) Agee, Philip, Secret agent - Inside the Company : CIA Diary, Penguin, 640 pages, 11 janvier 1975.
Note du Grand Soir : retrouvez quelques articles de Philip Agee, décédé récemment, sur le Grand Soir http://www.legrandsoir.info/_AGEE-Philip_.html
(14) Philip Agee : L’Honneur d’un Agent Secret, http://stanechy.over-blog.com/artic...
(15) Philippe Ollé-Laprune, Op. Cit.
(16) Elena Poniatowska, Tinísima, Era, México 1993. Traduction en anglais : Penguin Books, 1998.
(17) Jean-Claude Carrière, Op. Cit. Mais, rassurons-nous : ce distingué “humaniste” est l’auteur du scénario du film en cours de tournage, d’après le roman d’Atiq Rahimi, sur l’Afghanistan…
(18) Araceli Alvarez, The Media as an Image Maker/Breaker : The Case of Tina Modotti and its Literary Representation, Thesis, Faculty of the Virginia Polytechnic Institute and State University, July 31 2000.

Source: Le Grand Soir