lundi 31 janvier 2011

Après la Tunisie, l’Egypte ? L’Occident retient son souffle…



Dans la succession d’informations qui déferlent à propos des évènements en Tunisie et en Egypte, tentons de voir clair:

1er constat : après Ben Ali et comme la plupart des dirigeants du monde arabe, l’autoritaire président Mubarak s’accroche à son trône de manière pathétique. Sa position n’a rien de surprenant et ne fait que confirmer que ceux-là n’ont toujours rien compris aux changements profonds qui secouent les sociétés de par le monde. Je l’ai dit et répété à plusieurs reprises: les moyens de communication modernes changent radicalement les données. Ne pas le voir, ne pas le comprendre révèlent l’incompétence de ceux qui se maintiennent et s’accrochent à leurs privilèges éhontés que désormais ne tolère plus la grande majorité des citoyens informés. Pris de panique par le déferlement populaire, la réaction de ces potentats dépassés n’a-t-elle pas été de couper les moyens de communication et de s’isoler un peu plus, pour tenter de faire régner sans témoin, l’ordre de la terreur? Ramenant ainsi leur "démocratie" à des copies de la Corée du Nord ou de la Birmanie?...

2è constat : à l’instar de l’ex-président Ben Ali, et ne comprenant décidément rien au profond bouleversement du pays, le vieux raïs n’a pas trouvé mieux que de licencier son précédent gouvernement pour en promettre un nouveau, et de nommer deux militaires pour l’entourer: Omar Suleiman, ancien compagnon d’armes et ancien chef des services de renseignements – passant plus de temps à Tel-Aviv qu’au Caire – comme vice-président; et Ahmed Chafiq, ancien chef d’état-major de l’armée de l’air comme formateur du nouveau gouvernement. En outre, les milices qui pillent et dévastent le pays sont lâchées, afin de créer le chaos et d’effrayer le peuple. En d’autres mots, l’appel à Mubarak de certains leaders occidentaux à plus de démocratie se solde par un trium virat d’anciens militaires à la tête de l’Etat. Conséquence immédiate: le survol de la capitale par des hélicoptères et des avions de chasse à basse altitude. Dans quelles intentions: le régime va-t-il bombarder sa population!? Que ceux qui hésitent encore sur les objectifs de l’actuel président y trouvent un début de réponse… et ne s’étonnent pas que malgré le couvre-feu décrété par l’armée depuis trois jours, les Egyptiens, courageux, continuent à manifester. Mais le tyran Mubarak ne se laissera pas détrôner sans tenter le tout pour le tout. Et ce soir, d’après la chaîne Al Jazeera, sombre présage, un ex-colonel de la police et un militant des Droits de l’Homme alertent l’opinion qu’Israël aurait livré au pouvoir égyptien par trois avions via Chypre, du matériel sophistiqué: pistolets télescopiques pour snippers, pistolets à guidage laser, caisses de munitions, containers de bouteilles de gaz lacrymogène asphyxiant… et que la police serait de retour dans les rues du pays. Le pouvoir envisagerait-il l’usage de la force pour se maintenir en place, au risque d’un bain de sang? Dans tous les cas, la préparation active à l’évacuation des ressortissants américains n’est pas de bon augure…

3è constat : les alliés du régime en place ne semblent pas vouloir comprendre ce qui se passe dans les sociétés arabes. Plutôt que d’écouter les récriminations et la volonté des peuples muselés depuis des décennies, les dirigeants de nos pays écoutent leurs conseillers et leur personnel diplomatique, ces «experts» encravatés qui manient la langue de bois et gèrent tout cela bien à l’abri, en bons technocrates surpayés que sont la plupart d’entre eux. Sans oublier que l’une ou l’autre capitale européenne, complices de ces régimes, abritent déjà des membres de la famille Mubarak en déroute. Résultat: les habituelles déclarations de nos ténors politiques vont de la «vive préoccupation» à la «demande de retenue» de la part des forces de l’ordre à l’égard des manifestants. En d’autres mots, quel courage face aux réalités sur le terrain! Faut quand même être sacrément couillon pour penser que de telles exhortations vont influencer ou changer d’un iota le cours des choses!

4è constat : on a pu le lire et l’entendre à plus d’une reprise ces derniers jours: l’Egypte n’est pas la Tunisie! Merci à tous ces éclairés de combler ainsi notre ignorance. C’est probablement la raison pour laquelle l’administration US hésite encore à lâcher le dictateur du Caire comme elle l'a fait avec celui de Tunis, empêtrée comme toujours dans son double langage. Et son poulain, Mohamed El Baradeï, ancien chef de l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) n’est peut-être pas encore prêt pour prendre la relève – comprenez, il faut l’encadrer et lui assurer une équipe qui sera docile aux injonctions américaines. Une dérive incontrôlable d’un tel pays n’est pas acceptable pour les Etats-Unis qui feront tout pour y maintenir leur emprise. Nul  doute que dans les prochains jours, des «experts» en communication vont nous préparer l’exemplaire biographie de cet opposant au régime actuel, pour nous le présenter, le cas échéant, en rédempteur de la patrie. Il en aura bien besoin, lui qui est plus connu à l’extérieur qu’à l’intérieur de son pays… Et où l’on peut comprendre qu’une fois de plus, ce qui se profile derrière tout cela, sont les intérêts de l’entité sioniste avec laquelle le président égyptien collabore allègrement depuis des années. La plus grande prudence est donc de mise. Parce que derrière les intérêts sionistes, il y a ceux des USA – et de l’Occident – pour lesquels une présence en pays arabes est indispensable vu les énergies fossiles considérables que ces pays renferment encore. Avant de lâcher Mubarak, les autorités US doivent donc cadenasser la relève et assurer la «transition» (terme utilisé par H. Clinton ce soir) de la manière la plus habile possible. L’on peut être certain que les communications entre Tel-Aviv et Washington sont nombreuses en ces heures cruciales…

5è constat : où sont donc nos habituels arrogants au verbe haut et la jactance acerbe dès qu’il s’agit de caricaturer ces populations considérées comme attardées et de les fustiger pour une exécution sommaire, eux qui soutiennent l’envoi de nos troupes dans nombre de ces pays, ne pipent mot sur les tortures pratiquées dans les prisons de Guantanamo et Abou Ghraïb, et préfèrent nos méthodes civilisées qui désintègrent ces anonymes par une technologie de pointe mortifère!? Où sont donc ces pédants suffisants dont les médias complices se font les relais complaisants pour nous aliéner à leurs mauvais procès!? Où se cachent-ils en ces heures décisives où il faudrait dénoncer l’extrême violence de ces régimes à l’encontre de leur peuple et le nombre dramatique de victimes que la répression policière provoque? A moins qu’ils ne soient sidérés au point de ne rien comprendre à ce qui se joue-là et d’être ainsi réduits au silence par la rue arabe qui leur cloue le bec!? Si c’est le cas, certains pourront dorénavant être plus modestes dans leurs commentaires à l’égard des populations de ces pays qualifiés tellement souvent d’arriérés en réfléchissant à la leçon de courage et de dignité qu’ils nous donnent!

6è constat : on a pu lire aussi, dans l’exaltation de ces jours d’insurrection, que l’exemple tunisien allait se répandre telle une traînée de poudre au Maghreb, puis au Machreq… pour gagner peut-être tous les pays arabes et musulmans… comme si ceux-là étaient seuls à devoir se libérer d’une oligarchie qui les dominait… Et nous alors!? Même si comparaison n’est pas raison, qu’attendons-nous pour prendre exemple sur ces pays? Allons-nous nous contenter d’assister à ces insurrections en espérant sans bouger, qu’elles gagnent nos capitales? Car il est bien connu n’est-ce pas, que chez nous en Occident, nos manifestations se déroulent en chantant ou sur fond de musique branchée… avec les résultats que l’on connaît: les acquis sociaux s’amenuisent à vue d’œil, et le caractère démocratique de nos Etats se réduit comme une peau de chagrin, ce qui nous renvoie à nous-mêmes et au courage dont nous sommes encore capables pour résister à ce dépeçage organisé. Dès lors: merci à la jeunesse de ces pays arabes de nous rappeler que face aux ploutocrates qui nous promènent de promesses non tenues en trahisons successives, la justice et l’égalité des droits pour chaque citoyen ne s’obtient JAMAIS sans lutte farouche et parfois même violente.

Qu’il me soit alors permis de conclure ce billet une fois de plus par l’entremise du philosophe André Conte-Sponville lorsqu’il écrit: «Combien n’ont rêvé la victoire que pour mieux fuir le combat?»

Daniel Vanhove 
Observateur civil
Auteur
30.01.11

dimanche 30 janvier 2011

Elia Suleiman «rêve» de voir la révolution tunisienne s'étendre


J'avais rendez-vous avec le réalisateur palestinien Elia Suleiman pour parler cinéma. Mais lui s'était levé tôt pour écouter les informations sur les manifestations en Egypte, et parlait avec émotion d'un SMS reçu d'un ami qui se trouvait au cœur de la protestation du Caire. Alors nous avons parlé de la révolution tunisienne, du monde arabe, et du monde tout court. Entretien.

Le réalisateur d'«Intervention divine», primé à Cannes en 2002, et du «Temps qu'il reste» sorti l'an dernier, est le co-parrain du Festival «Un état du monde et du cinéma» qui s'ouvre vendredi au Forum des images de Paris, et dont Rue89 est partenaire.

Elia Suleiman est lui même surpris par son enthousiasme face aux événements de Tunis et du Caire, lui qui se croyait immunisé:
«Je suis arrivé à un point où je contrôle généralement mon excédent d'enthousiasme qui peut ne pas être utile et peut conduire à de nouvelles déceptions. Nous sommes devenus tellement pessimistes que lorsque surgit un événement de ce type, nous en prévoyons déjà la mort.
Ça m'a conduit à être trop prudent, à penser que ce dictateur [Ben Ali, ndlr] va sans doute s'en tirer en tuant autant de gens qu'il le faudra. Et puis soudain, il y a la nouvelle qu'il est vraiment parti! Quelle surprise.
Et après ça, on commence à avoir ses amis au téléphone, et on devient affamé, politiquement affamé. On veut voir un deuxième pays tomber, un troisième, un quatrième!
Lorsque l'Egypte a démarré, je me suis dit la même chose, là c'est impossible, c'est trop gros… Ce matin [mercredi, ndlr], la première chose que j'ai faite est de regarder les infos et j'ai été épaté! Je suis toujours prudent, mais de plus en plus enthousiaste.
C'est là que je deviens un peu puéril dans ma manière de rêver éveillé: j'espère que ça ne s'arrêtera pas, non seulement en ce qui concerne les Etats, mais aussi pas seulement restreint au monde arabe. Pourquoi seulement les Arabes? Certes, ce sont des juntes corrompues, mais d'où sortent ces régimes?
Ne devrait-il pas y avoir une réévaluation à une échelle globale? Je ne suis pas capable d'imaginer la moindre forme d'activisme, et donc je jouis de ces événements de manière solitaire, je ne “Facebooke” personne…
Dans mes rêves, je me dis: pourquoi le monde ne s'arrête-t-il pas maintenant? Si tout le monde éteignait l'électricité en même temps, ou cessait d'utiliser son portable cinq minutes au même moment, est-ce que ça n'enverrait pas un message fort et provoquerait des changements?
Il ne faut imiter le changement à Tunis, mais aussi ceux qui ont fait que la situation de la Tunisie était ce qu'elle était. Il y a une question morale à ne pas établir un cordon sanitaire pour limiter ces soulèvements au monde arabe, même si je n'appelle pas nécessairement à des soulèvements. Ces voix nous parlent aussi, en France ou ailleurs.»


A quel type de changement Elia Suleiman rêve-t-il éveillé, comme il le répète plusieurs fois?
«Je ne rêve pas d'une structure particulière, mais d'une forme floue de libération. Je rêve de voir les systèmes s'effondrer pour que les affamés n'aient plus à penser à manger. Pour être franc, je ne sais plus ce que la démocratie signifie en termes philosophiques, je raisonne plus en terme de liberté d'expression, liberté de mouvement. C'est un dû aux peuples, au lieu de les humilier. Et je me demande si l'humiliation n'est pas pire que la faim, même si je dis ça à partir de ma position privilégiée.
Je ne crois pas que l'immolation de cet homme [Mohamed Bouazizi, ndlr] en Tunisie ait pu provoquer cette révolution. Ce fut juste le déclencheur. La vérité, c'est qu'il y a eu tellement d'humiliation qui s'est transformée en colère.
Cette humiliation, elle existe également en Egypte, je la connais, je l'ai vue, elle est tellement oppressante.
Quand je dis que je rêve éveillé, je ne parle pas d'un point de vue statique, c'est une source d'énergie.»


Difficile de ne pas évoquer avec ce natif de Nazareth, donc «Arabe israélien», c'est-à-dire membre de la minorité palestinienne d'Israël, l'attitude de l'Autorité palestinienne de Mahmoud Abbas, qui a interdit toute manifestation aux protestataires tunisiens pendant les événements qui ont conduit au départ de Ben Ali.
«Il y a deux manières de regarder l'Autorité palestinienne, l'une négative, l'autre positive. La négative, c'est qu'il est pathétique qu'une non-autorité tente de faire preuve d'autorité… A qui parlent-ils, et qui croient-ils tromper?
La partie positive c'est que, n'ayant aucune autorité, cela laisse de l'espace pour le changement. Cela entraîne une sorte de solidarité avec la vulnérabilité de l'Autorité palestinienne : les gens savent qu'ils peuvent les renverser d'un seul coup, que la rue peut leur dire d'un seul coup “ça suffit! ” Et les événements de Tunisie ou d'Egypte rendent ce scénario possible.
L'Autorité n'a d'autorité sur rien, le vrai visage de l'Autorité, c'est évidemment Israël. C'est triste, je connais des membres de cette Autorité et je sais qu'ils ont de bonnes intentions. Avec ces événements, on en revient aux fondamentaux, c'est-à-dire l'occupation qui dure depuis si longtemps.
On en vient à être jaloux des autres situations dans le monde, il s'est passé tellement de choses, mais pas chez nous, ou chez eux dans mon cas…
Ce qui vient de se passer est donc très positif, ça recentre le débat: on devrait mettre fin à ces fausses négociations et se retrouver face à Israël et à ceux qui le soutiennent, et de tous les pouvoirs oppressifs. C'est le message des humiliés de ce monde aujourd'hui, il est temps de libérer cette énergie positive.»


Pierre Haski  
27.01.11
Source: rue89

samedi 29 janvier 2011

Tunisie: ce que les experts civilisés n’ont pas vu venir



La révolution tunisienne est un formidable révélateur de la sincérité démocratique des responsables politiques, des intellectuels et des personnalités médiatiques qui tiennent chronique et ont micro ouvert en permanence dans les médias français. Au delà des «hésitations», soulignées parfois avec une certaine cruauté par de nombreux observateurs, de la diplomatie française, une chose retient l’attention: le silence assourdissant des experts et des analystes de haut niveau qui peuplent les écrans de télévision. La révolte démocratique du peuple tunisien n’a en effet guère suscité de réactions – ou alors fort embarrassées – des préposés à la «bien-pensance» et des donneurs de leçons civilisés, de ceux qui se mobilisent avec constance contre les régimes iranien, vénézuélien ou chinois, de ceux qui à longueur de colonnes fixent de facto la ligne éditoriale de la grande majorité des médias français.

Le (pas très) surprenant silence d’Hubert Védrine
Mais un silence me paraît encore bien plus éloquent que l’embarras des habituels intellectuels médiatiques: celui d’Hubert Védrine, théoricien stratosphérique des relations internationales, ex-secrétaire général de l’Élysée et ancien ministre des Affaires étrangères, habituellement si prompt à analyser chaque crise internationale, qu’on lit le matin dans Libération et après déjeuner dans Le Monde. Celui qui livre d’habitude avec aplomb sur tous les plateaux de savantes analyses sur le cours des affaires de la planète n’est tout simplement pas là. Il est complètement absent et rigoureusement invisible. Mais où est donc passé cet hyper-expert, critique féroce du «droit-de-l’hommisme» – qui, selon lui, saperait l’autorité des États et contribuerait ainsi à les affaiblir?

Pour comprendre mes interrogations sur le sort de cette autorité diplomatique, que l’on me pardonne d’évoquer une anecdote personnelle. Le 21 janvier 2005, il y a quasiment cinq ans jour pour jour, lors d’une rencontre autour du Maghreb organisée à l’Assemblée nationale à Paris par le site marocain L’Observateur, j’ai entendu – comme des dizaines d’auditeurs médusés – Hubert Védrine déclarer en substance que les pays du Sud – entendez du Sud méditerranéen – n’étaient pas mûrs pour la démocratie: «Il avait fallu plusieurs siècles pour que nous [les Occidentaux] accédions à la démocratie»; et en attendant, «nous devions traiter avec les États et les élites de pouvoir».

Par acquis de conscience, j’ai demandé à des témoins de la scène s’ils avaient gardé la même mémoire de cette sortie invraisemblable dans la bouche d’un responsable socialiste ayant occupé des fonctions éminentes dans l’État français. Ils ont confirmé ces propos auxquels j’avais alors réagi à chaud, hélas en l’absence d’Hubert Védrine qui avait quitté la salle immédiatement après son intervention. J’avais manifesté ma surprise devant cette position ethnicisante ou essentialiste qui évoquait pour moi la très colonialiste SFIO de Max Lejeune et de Guy Mollet, plutôt que l’humanisme de Jaurès. Pour aggraver mon cas, j’avais ajouté qu’après qu’on nous ait répété pendant des décennies que nous n’étions pas mûrs pour l’indépendance, voilà que nous étions obligés d’entendre que nous n’étions pas prêts pour la démocratie. Veillant à ne pas outrepasser les règles de la bienséance, j’avais conclu en regrettant que, décidément, pour les porte-parole autorisés de la Civilisation, nous autres Maghrébins ne serons jamais au rendez-vous de l’Histoire.

Passons sur le fait que cela m’avait valu d’être taxé d’«impoli» par une journaliste d’un hebdomadaire parisien habituée des corridors de la présidence algérienne depuis l’époque lointaine de Boumediene. Deux ou trois dames avaient même surenchéri en déplorant la rudesse et le manque d’éducation notoires des Algériens…

Les blindés, seule alternative aux «barbus»: une thèse mensongère
Au delà de l’anecdote, si on peut contester le cynisme de l’homme politique, on ne peut que reconnaître sa franchise. Le discours d’Hubert Védrine est symptomatique de la pensée commune et du quasi-consensus politique des élites françaises, socialistes ou non, autour du soutien à Ben Ali et aux régimes policiers du monde arabe. C’est ce pseudo-réalisme sans états d’âme qui constitue le fond commun idéologique des élites de gouvernement, qu’elles soient de droite ou de gauche. Certes, cette posture dissimule des intérêts bien compris. Mais in fine, la représentation politique du monde arabo-musulman s’articule exclusivement sur la théorie du «containment» du «péril islamiste».

Selon les intellectuels médiatiques et tant d’experts «sécuritaires», la «menace islamiste» supposée inhérente à nos peuples réputés frustes et violents ne peut être maîtrisée que par des régimes autoritaires, aussi ineptes, sanguinaires et corrompus soient-ils. Autre consensus politique censé légitimer cette position: il n’existe pas de forces d’opposition démocratiques crédibles et seul l’islamisme dans sa version «talibane» représenterait une alternative aux régimes en place. Entre blindés et barbus, il n’y aurait donc rien, sinon quelques personnalités très minoritaires. Pour les élites françaises, le soutien inconditionnel aux dictatures est donc l’unique voie pour réduire la menace «existentielle» islamiste et, partant, préserver la stabilité des États et de la région.

Cette thèse martelée depuis des années par la machine médiatico-politique à fabriquer le consentement est tout simplement mensongère. Le chercheur François Burgat, dans la préface à l’édition de 2010 de son remarquable L’Islamisme à l’heure d’Al-Qaida (La Découverte), l’explique clairement: «En 2010, paradoxalement, les pays musulmans où s’esquisse la sortie de l’autoritarisme ne sont pas ceux où, avec le soutien de la communauté internationale, le tout répressif de la “lutte contre les intégristes” a prévalu, mais bien ceux, peu nombreux, où les courants islamistes sont loyalement intégrés au jeu institutionnel. Ni la vision médiatique ni la stratégie politique dominantes […] ne semblent percevoir et encore moins prendre en compte cette réalité essentielle, laissant se perpétuer un quiproquo culturaliste parfaitement mystificateur.»

Le modèle turc n’est-il pas l’un des démentis les plus clairs aux aveuglements des faiseurs d’opinion? Dans d’autres pays – Liban, Palestine, Irak, Koweït ou Bahreïn et, très probablement aujourd’hui, Tunisie –, l’islamisme, en dépit de toutes les tensions, tend majoritairement à s’insérer dans la modernité fondamentale, celle qui détermine toutes les autres: la démocratie. C’est l’opinion de nombreux activistes du Maghreb et du monde arabe. Moncef Marzouki, opposant de longue date au régime de Ben Ali, insiste ainsi dans une récente interview (Politis, 20 janvier 2011) sur les différences fondamentales entre les divers courants de l’islam politique. Pour lui, «le clivage se situe entre ceux qui acceptent le jeu démocratique et les autres»: «En Algérie et en Tunisie, certains laïques se sont fourvoyés avec les pouvoirs dictatoriaux en trahissant l’idéal démocratique pour réprimer les islamistes en place. On a vu le résultat...»

Le mythe de l’inéligibilité à la démocratie
En dépit de ce que pensent des «spécialistes» très formatés, les scènes politiques des pays de culture musulmane ne peuvent donc être réduites à la seule alternative entre dictature et islamisme archaïque. Ce n’est que par la démocratie que sera dépassée cette fausse contradiction dans laquelle les despotes et leurs alliés «civilisés» veulent enfermer les peuples. La «laïcité» autoritaire défendue par les théoriciens du soutien aux dictatures produit l’effet inverse de celui escompté. La violence d’État, la répression des libertés et le déni du droit contribuent à renforcer l’obscurantisme et à nourrir les régressions. La dictature organise aussi le vide politique, qui est ensuite utilisé pour déplorer l’absence d’alternative et/ou de leader politique «évident», ce qui «contraindrait» à soutenir les régimes en place. Le contre-modèle algérien est à cet égard tout à fait exemplaire.

La prétendue inéligibilité des peuples musulmans à la démocratie en raison de leur défaut de maturité est un mythe battu en brèche par le combat pacifique et par les luttes syndicales de femmes et d’hommes dans le monde arabe, ignorés par la plupart des médias français. La révolution du peuple de Tunisie prouve aussi qu’il n’est pas besoin d’un leadership charismatique pour qu’une société arabo-musulmane se soulève et avance avec une maturité jusqu’ici impressionnante sur la voie de la démocratie. Encore faudrait-il ne pas refuser obstinément de voir les signes annonciateurs d’un mécontentement trop profond pour être contenu éternellement.

Ce n’est donc pas le moindre mérite de la révolution tunisienne d’avoir présenté au monde l’image d’un peuple digne et courageux qui a pris son destin en main et abattu pacifiquement une dictature implacable. Le sacrifice de Mohamed Bouazizi a également mis en évidence pour une opinion européenne soigneusement désinformée le désespoir d’une jeunesse privée de libertés et de perspectives. La réaction populaire a mis à bas le mur de la peur construit avec l’aide des bonnes consciences médiatiques. Qui oserait dire aujourd’hui que le peuple tunisien n’est pas apte à la démocratie?

Omar Benderra
Économiste
22.01.11
Source: mediapart

vendredi 28 janvier 2011

Rappel: face au flot d'informations, l'indispensable recul


Palestine: fausses révélations, inquiétants éclairages

Les documents révélés par la chaîne Al-Jazira sur la Palestine (en collaboration avec le quotidien anglais The Guardian) sous le nom de Palestine Papers, dont la publication a commencé le 24 janvier, ont suscité des commentaires hâtifs et parfois faux. L’Autorité palestinienne aurait accepté des concessions sans précédent sur Jérusalem, sur les réfugiés, sur les frontières. Rien n’est plus éloigné de la vérité. En revanche, ces compte-rendus de réunions, à condition de les prendre pour ce qu’ils sont (des documents qui ne disent pas forcément LA vérité), confirment la faiblesse de l’Autorité, le fait qu’il n’existe pas de partenaire israélien pour la paix, ainsi que l’engagement américain aux côtés d’Israël: rien qui bouleversera les lecteurs de ce blog, mais des précisions utiles. Ils éclairent aussi sous un jour assez sinistre la collaboration, en partie connue, des services de renseignement israéliens et palestiniens – d’autant plus sinistre qu’elle ne s’inscrit nullement dans une dynamique de règlement du conflit.

Pour ceux qui ne l’ont pas lu, Il n’y aura pas d’Etat palestinien (Max Milo, 2010), le livre de Ziyad Clot, raconte l’histoire des négociations de ces dernières années, auxquelles l’auteur a participé, et les raisons profondes de l’échec.

Je ne vais pas refaire ici l’histoire des négociations israélo-palestiniennes telles qu’elles se sont engagées au sommet de Camp David à l’été 2000, entre Yasser Arafat, Ehoud Barak et le président américain William Clinton. Elles se sont poursuivies dans les semaines qui ont suivi, malgré l’éclatement de la seconde Intifada à la fin du mois de septembre. Elles ont culminé avec les négociations de Taba, en janvier 2001, quelques jours avant les élections israéliennes qui ont ramené Ariel Sharon et la droite au pouvoir.

Ces négociations ne se sont pas vraiment achevées par un document précis, mais par des compromis sur des points évoqués par les documents palestiniens et qui sont rappelés dans Les Cent clefs du Proche-Orient (Alain Gresh et Dominique Vidal, Hachette, nouvelle édition à paraître en mars):
«Les documents élaborés sur les quatre principaux dossiers (territoire, Jérusalem, sécurité, réfugiés) confirment cette appréciation»:
«— La délégation israélienne propose de restituer 94 % de la Cisjordanie (comprenant environ 20 % des colons) et, en échange des 6 % qu’elle annexerait, de céder l’équivalent de 3 % en territoires israéliens, plus 3 % pour le “passage sûr” devant relier la Cisjordanie et Gaza – et qui ne serait pas sous souveraineté israélienne. Elle accepte également le départ des colons du cœur d’Hébron et le démantèlement de Kyriat Arba ainsi que de toutes les colonies en territoire palestinien. Par rapport à Camp David, Israël renonce à la vallée du Jourdain, à Shilo, à l’est d’Ariel, et à quelques points plus isolés comme Kedumim et Bet El, ainsi qu’à une région au nord de la colonie de Modim (qui comprend 50 000 Palestiniens).»

«— La délégation palestinienne consent, elle, à céder 2 % de la Cisjordanie (comprenant environ 65 % des colons), en échange de territoires d’une même valeur (les Israéliens offrent des dunes de sable à Halutza, dans le désert du Néguev, aux confins de Gaza). L’évacuation devrait s’effectuer rapidement – trois ans selon Israël, dix-huit mois selon les Palestiniens.»

«— Les positions se rapprochent aussi sur le partage de souveraineté à Jérusalem-Est, selon le principe du plan Clinton: les quartiers arabes sont intégrés dans l’Etat palestinien, les quartiers juifs annexés par Israël (ce qui entérine la colonisation juive à Jérusalem-Est). Les Palestiniens exigent la souveraineté sur le Haram El-Sharif (l’esplanade des Mosquées), les Israéliens sur l’ensemble du mur occidental (y compris le mur des Lamentations). Les négociateurs envisagent diverses suggestions, dont celle de confier la souveraineté des Lieux saints, pour une période limitée, aux cinq membres du Conseil de sécurité et au Maroc.»


«— Sur la sécurité aussi, les positions convergent. Les Palestiniens concèdent une limitation de l’armement de leur Etat, ainsi que l’installation, sous certaines conditions, de trois stations d’alerte israéliennes. La présence d’une force internationale sur les frontières est acceptée.»

«— La question des plus de 4 millions de réfugiés palestiniens éparpillés entre la Jordanie, la Syrie, le Liban et les territoires autonomes représente la pierre d’achoppement la plus embarrassante. Mais, pour la première fois, Israël reconnaît sa responsabilité dans le drame des réfugiés, accepte de contribuer directement à la solution du problème et affirme que celle-ci doit conduire à l’application de la résolution 194, qui stipule notamment qu’“il y a lieu de permettre aux réfugiés qui le désirent de rentrer dans leurs foyers le plus tôt possible et de vivre en paix avec leurs voisins”. Cinq possibilités seraient offertes aux réfugiés: le retour en Israël; le retour dans des territoires israéliens cédés par Israël à la Palestine; le retour dans l’Etat palestinien; l’installation sur leur lieu de résidence (Jordanie, Syrie, etc.); le départ pour un autre pays (plusieurs Etats, dont le Canada, ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à accepter d’importants contingents de Palestiniens).»

«Israël consent au retour sur son territoire de 40 000 réfugiés. Les Palestiniens estiment, eux, qu’une offre inférieure à 100 000 personnes ne permet pas d’avancer, tout en insistant sur le libre choix des réfugiés et en affirmant qu’ils ne veulent pas remettre en cause le caractère juif de l’Etat d’Israël. Une commission internationale et un fonds international seraient rapidement mis en place pour dédommager les réfugiés.»

Sur cette dernière question, celle des réfugiés, on trouvera dans les archives du blog le document proposé par la délégation israélienne, «Une proposition israélienne oubliée sur les réfugiés palestiniens» (http://blog.mondediplo.net/2007-01-04-Une-proposition-israelienne-oubliee-sur-les)

Bien sûr, entre les propositions du début des années 2000 et celles d’aujourd’hui, il y a des nuances, mais rien de plus. En revanche, le contexte a changé et on se demande, à lire les documents, si l’Autorité en est consciente. La délégation israélienne dirigée par Tzipi Livni, considérée comme plus «modérée» que l’actuel premier ministre, explique clairement qu’il n’est pas question de revenir aux paramètres des années 2000.

C’est ce qu’explique, par exemple, Udi Dekel, lors de la réunion du 29 mai 2008 à Jérusalem (cette réunion se tient après la conférence d’Annapolis qui a promis un Etat palestinien pour la fin de l’année 2008). Il rétorque à la délégation palestinienne, qui met en avant les résultats obtenus lors des négociations de Camp David et de Taba:
«Depuis 2000, des choses sont arrivées et nous ne partons pas du même point. Vous avez commencé une guerre de terreur contre nous et nous avons créé des faits sur le terrain. C’est la réalité avec laquelle nous devons vivre, nous ne pouvons retourner à Camp David. Les circonstances ont énormément changé depuis lors. Les faits ont changé. Nous ne pouvons arrêter le temps et penser que nous sommes en l’an 2000. Le Proche-Orient a changé.»

Quant à la position de l’administration Obama, telle qu’elle se dégage de ces documents, elle est résumée par deux analyses publiées sur le site d’Al-Jazira en anglais: Gregg Carlston, «Deep frustrations with Obama» (24 janvier), et Mark Perry et Ali Abunimah, «The US role as Israel’s enabler» (26 janvier): non détermination à affronter le gouvernement israélien, sous-estimation de l’importance de Jérusalem, pressions sur les Palestiniens pour qu’ils fassent des concessions, etc.

Alain Gresh
27.01.11
Source: carnets du diplo

jeudi 27 janvier 2011

De Tunisie à Haïti: des dictateurs trop peu inquiétés



Il va de soi que les grands textes internationaux, comme la Charte des Nations unies, la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ou le Pacte des droits économiques, sociaux et culturels, doivent être respectés par tous les pays les ayant ratifiés.


Pourtant, force est de constater de grandes disparités entre les traitements réservés à des dirigeants comme Zine el-Abidine Ben Ali, Jean-Claude Duvalier, Thomas Sankara ou Patrice Lumumba. Les deux premiers sont des dictateurs reconnus, coupables de détournements de fonds, de corruption et de répression sanglante. Contraint de quitter le pouvoir par une révolte populaire qu’il avait échoué à mater, Ben Ali a fui la Tunisie en s’accaparant une tonne et demie d’or. Aujourd’hui, les multiples atteintes contre la liberté du peuple tunisien et la démocratie depuis son accession au pouvoir en 1987 font la une de l’actualité. En 1986, également suite à une révolte du peuple haïtien, Duvalier fils n’a eu d’autre choix que de fuir son pays, Haïti |1| , après plus de trois décennies de dictature imposées par sa famille. Avec l’accord des autorités françaises, il a trouvé refuge dans une magnifique demeure qu’il avait acquise sous le rude climat de la Côte d’Azur française. Le montant de sa fortune estimée était supérieur à la dette extérieure de son pays. Il n’a pourtant jamais obtenu la validation de sa demande d’asile, qui a été rejetée en 1992 par le Conseil d’État, faisant de lui un «sans papiers» qui n’a jamais été inquiété par les forces de l’ordre françaises. Il vient de rentrer dans son pays où la justice haïtienne s’intéresse à lui. La justice française ne l’a jamais trop inquiété…

Le profil des deux autres est fort différent: Lumumba et Sankara sont des exemples historiques de dirigeants progressistes, luttant farouchement en faveur de leur peuple, contre les intérêts des classes dominantes, qu’elles viennent de l’intérieur ou de l’extérieur du pays.

Le jour de l’indépendance de son pays, l’ex-Congo belge, le 30 juin 1960, Lumumba prononce un discours passionné devant le roi des Belges qui ne le lui pardonnera pas: «Car cette indépendance du Congo, si elle est proclamée aujourd’hui dans l’entente avec la Belgique, pays ami avec qui nous traitons d’égal à égal, nul Congolais digne de ce nom ne pourra jamais oublier cependant que c’est par la lutte qu’elle a été conquise, une lutte de tous les jours, une lutte ardente et idéaliste, une lutte dans laquelle nous n’avons ménagé ni nos forces, ni nos privations, ni nos souffrances, ni notre sang.» Onze jours plus tard, avec le soutien des puissances occidentales, la province du Katanga fait sécession: la déstabilisation de Lumumba commence. Elle se terminera par son exécution avec la complicité active de militaires belges, le 17 janvier 1961, voici donc cinquante ans.

Pour sa part, Thomas Sankara |2|, président du Burkina Faso, s’est également fait remarquer par un discours remarquable à Addis Abeba le 29 juillet 1987: «La dette ne peut pas être remboursée parce que d’abord si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas. Soyons-en sûrs. Par contre si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également. […] Nous ne pouvons pas accepter leur morale. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle de dignité. Nous ne pouvons pas accepter que l’on nous parle du mérite de ceux qui paient et de perte de confiance vis-à-vis de ceux qui ne paieraient pas. Nous devons au contraire dire que c’est normal aujourd’hui que l’on préfère reconnaître que les plus grands voleurs sont les plus riches. […] Je voudrais que notre conférence adopte la nécessité de dire clairement que nous ne pouvons pas payer la dette. Non pas dans un esprit belliqueux, belliciste. Ceci, pour éviter que nous allions individuellement nous faire assassiner. Si le Burkina Faso tout seul refuse de payer la dette, je ne serai pas là à la prochaine conférence ! Par contre, avec le soutien de tous, dont j’ai grand besoin, nous pourrons éviter de payer. Et en évitant de payer nous pourrons consacrer nos maigres ressources à notre développement.»

Effectivement, il n’était pas à la conférence suivante: le 15 octobre 1987, avec la complicité des autorités françaises, des hommes de main de Blaise Compaoré l’exécutaient. Depuis 1987, Blaise Compaoré est président du Burkina Faso et symbolise à merveilles les relations mafieuses entre la France et l’Afrique.

Comme Duvalier avant 1986, comme Ben Ali avant le 14 janvier 2011, Compaoré est soutenu par la France. Il a d’ailleurs été reçu discrètement à Paris les 17 et 18 janvier dernier. Dans nombre de pays dont les peuples subissent une dictature évidente (Tunisie hier, tant d’autres aujourd’hui encore), les dirigeants européens, notamment français, se réjouissent de l’action de ces pouvoirs autoritaires qui servent leurs intérêts en piétinant les droits de leur peuple.

Cela fait maintenant six ans que la Convention des Nations unies contre la corruption est entrée en vigueur. Elle a fait de la restitution des biens mal acquis aux pays spoliés un principe fondamental du droit international. Pourtant, une infime partie des centaines de milliards de dollars volés par des dirigeants corrompus de par le monde a été restituée. Des institutions internationales comme le FMI et la Banque mondiale |3| ont, dans l’histoire récente, financé nombre de dictatures à travers le monde, de l’Afrique du Sud de l’apartheid au Chili du général Pinochet, en passant par l’Indonésie de Suharto ou le Zaïre de Mobutu. Elles ont ainsi participé directement à la légitimation de fortunes gigantesques, basées sur le pillage des ressources naturelles. En imposant la libéralisation des capitaux et l’ouverture des économies, elles ont facilité le transfert de sommes importantes depuis le Sud vers des paradis fiscaux et judiciaires.

Dans ce jeu dangereux, il ne suffit pas de pointer du doigt quelques dirigeants du Sud: il faut dénoncer la complaisance occidentale des grands dirigeants et des milieux financiers qui bloquent toute enquête sérieuse sur le sujet. Car si aujourd’hui des dictateurs profitent de leurs crimes en toute impunité, c’est parce que la volonté politique pour faire exercer la justice n’existe pas.

Les pays prétendument démocratiques ne doivent pas soutenir, ni même tolérer, des gouvernements dictatoriaux et corrompus. Pourtant les exemples de telles compromissions ne manquent pas, notamment au sein des anciennes colonies françaises. Pendant ce temps, les peuples remboursent une dette qui est le symbole visible de la soumission de leur pays aux intérêts des grandes puissances capitalistes et des sociétés multinationales. Il est grand temps de poser les bases d’une logique politique, économique et financière radicalement différente, centrée sur le respect des droits fondamentaux. Il est grand temps que ceux qui ont conduit le monde dans l’impasse actuelle rendent des comptes en justice.

Damien Millet - Sophie Perchellet
Porte-parole & vice-présidente du CADTM-France
24.01.11
Notes:
|1| Voir Sophie Perchellet, Haïti: entre colonisation, dette et domination. Deux siècles de lutte pour la liberté, CADTM-PAPDA, 2010.
|2| Voir Damien Millet, L’Afrique sans dette, CADTM-Syllepse, 2005.
|3| Voir Eric Toussaint, Banque mondiale : le coup d’Etat permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006.
Source: cadtm (comité pour l'annulation de la dette du tiers-monde)

mercredi 26 janvier 2011

Voyez la bêtise suffisante, quand elle se met en scène...





Quand gouvernent l’incompétence et l’imposture…



Il en va presque du renversement du pouvoir tunisien par son peuple, comme des révélations du site Wikileaks: certains «experts» vous assènent leur analyse en un coup de cuillère à pot, comme si l’évolution d’un monde de plus en plus complexe pouvait être comprise en un clic de souris…

Ainsi disaient-ils à propos des 250.000 documents secrets annoncés par Wikileaks, «qu’il n’y avait-là rien à apprendre». Or, force est de constater que ceux-là ne savaient manifestement pas de quoi ils parlaient, puisque chaque jour nous révèle son lot d’informations parfois plus qu’édifiantes, comme les dernières en date à propos des négociations de paix entre Palestiniens et Israéliens. Par ailleurs, comment ces «experts» auraient-ils pu prendre connaissance d’une telle somme de documents, quelques heures à peine après le début de leur publication!? C’est tout bonnement grotesque et cela révèle surtout leur fainéantise et leur incompétence crasse à tenter de comprendre un monde qui change trop vite pour leur cervelle de cancre…

Dans les évènements qui secouent la Tunisie aujourd’hui, c’est un peu pareil. Ces mêmes «experts» qui pour beaucoup saluaient auparavant le régime du dictateur Ben Ali parvenu selon eux à hisser «son» pays aux standards de démocratie à l’occidentale, vont de déclaration en déclaration, tout en reconnaissant du bout des lèvres que personne n’avait rien vu venir… Rien d’étonnant à une telle cécité dans le chef de ces incultes tellement européo-centrés et tout affairés à soigner leur égo. C’est faire aveu que la majorité d’entre eux ne connaissent rien des réalités des pays sur lesquels ils se répandent pourtant sans retenue, dès qu’il s’agit de les caricaturer grossièrement à travers le port d’un voile par de très jeunes-filles, ou par des pratiques religieuses encombrantes quand ce n’est pas par le danger imminent d’un islam envahissant. Dès qu’il est question de rapprochements culturels et/ou économiques, les envolées lyriques et les promesses d’un partenariat euro-méditerranéen renforcé vont bon train. Mais lorsqu’il s’agit de questions plus politiques, nécessitant courage et probité, le silence est de rigueur. En d’autres mots, quelle couardise et quelle incompétence crasse, toujours!

Tout cela ne serait pas bien grave si ce cercle d’ignorants n’avait d’autre écho que la vanité de leurs propos. Mais à partir du moment où certains d’entre eux se trouvent être les représentants d’un gouvernement qui depuis des décennies a les mains liées aux pratiques dictatoriales de ces Etats dont ils entendent continuer à garder le contrôle par l’entremise de dirigeants corrompus, il en va autrement. Quand la virago Alliot-Marie, plus soucieuse de ses drapés de soie que de l’écoute d’un peuple en révolte ose officiellement proposer le «savoir-faire français» en termes d’aide au dictateur en place pour le maintien de l’ordre, c’est grave, n’en déplaise à Hubert Védrine qui aimerait que cela reste une affaire franco-française. Et c’est grave à plus d’un titre. Grave d’abord, dans le concept même du «savoir-faire français»: si les représentants de la France ne se rêvaient pas encore en ancienne puissance coloniale, peut-être pourraient-ils voir la manière dont son «savoir-faire» est perçu autour de la planète! Grave ensuite, parce que l’Occident donneur de leçons a pris l’habitude de distribuer ses points de conduite dans les affaires du monde. Et dès lors, cela ne peut plus se résumer à une affaire strictement interne au gouvernement français. Cela concerne l’ensemble des pays et des citoyens qui ont bien compris les propos de la ministre, maladroite jusque dans ses tentatives de justification qui n’ont convaincu qu’elle-même… et encore: tout menteur sait qu’il ment, même et surtout quand il lui faut insister de manière aussi pitoyable pour persuader son auditoire du contraire… Grave aussi, parce que les propos de la ministre ne l’engageaient pas seule, mais également Matignon et l’Elysée qui avaient donné leur feu vert à pareille initiative, tout comme à l’envoi de milliers de grenades lacrymogènes commandées d’urgence par le pouvoir tunisien, et que de telles pratiques révèlent l’esprit néo-colonial toujours bien présent des arrogants qui nous gouvernent… Grave, parce que dans cette détestable manie de s’immiscer dans les affaires de pays dont certains nostalgiques s’imaginent encore que c’est leur pré carré, ceux-là ne s’embarrassent pas de vouloir dicter aujourd’hui la manière dont le peuple tunisien devrait manœuvrer pour réussir dans son mouvement de révolte... Grave encore, parce qu’il n’est pas acceptable de prôner la globalisation quand elle nous arrange et de la refuser quand elle nous dérange et que cela révèle la médiocrité des petits nababs qui un jour devraient être renversés à leur tour, pour motif d’incompétence avérée… Grave enfin, parce que lorsqu’on est en charge de la politique extérieure d'un pays, on est responsable de ses propres dérives et qu’il faut non seulement les assumer, mais en tirer les conséquences en lieu et place de tenter de justifier l’injustifiable…

Quelques heures plus tard, non contente de ses grossières maladresses à l’encontre du peuple tunisien, à son arrivée à Tel-Aviv la même bêtise a fait dire à l’obtuse MAM que «la France n’acceptera pas que l’Iran déstabilise le Moyen-Orient». Pauvre marionnette, qui ne sait pas ou feint d’ignorer que le Moyen-Orient est depuis longtemps déstabilisé par l’imposition occidentale de l’Etat sioniste mort-né sur la terre de Palestine, ainsi que par nos incessantes ingérences dans toute la région… Non contente de cette première envolée, n’a-t-elle pas enfoncé le clou en déclarant toujours à propos de l’Iran "sa détermination – vrai qu’avec ses airs de jument folle, on peut la croire! – à faire respecter les Résolutions du Conseil de sécurité"… L’on eût aimé de la part de cette piètre actrice le même courage vis-à-vis d’Israël qui n’en respecte aucune depuis des décennies! Et après ses lamentables déclarations à propos de la Tunisie, le minimum de décence et de retenue aurait dû faire taire cette «has been sur le retour» qui, comme l’écrit P. Haski, en tant que ministre des Affaires Etrangères paraît bien étrangère aux affaires dont elle a la charge. D’ailleurs, la population de Gaza ne s’y est pas trompée en l’accueillant à coups de jets de tomates, d’œufs et de chaussures…

Quand on pense que celle-là envisageait sérieusement sa candidature à la présidence de la République, cela nous renseigne sur l’incapacité de ces suffisants à sentir et comprendre le rejet qu’ils nous inspirent et le dédain que nous leur portons… Et cela illustre une fois encore, à quel point la classe politique est coupée de la base, toute enfermée qu’elle est dans ses certitudes de technocrates besogneux et stériles. A moins que, dans ce monde globalisé où la question de l’international est de plus en plus importante, avoir nommé MAM à la tête de la diplomatie dans le nouveau gouvernement de Nicolas Sarközy de Nagy Bocsa ne soit peut-être la meilleure manière d’éliminer «naturellement» cette piètre candidate pour le prochain tour...

En attendant, n’y aurait-il donc personne dans le gouvernement Fillon qui à défaut de lui indiquer la porte de sortie, puisse au minimum la faire taire en lui proposant de réfléchir à ce passage où le philosophe André Comte-Sponville relate l’ethnologue Claude Lévi-Strauss en ces termes:
«Si Lévi-Strauss remet en cause les illusions du sujet, c’est bien sûr, entre autres choses, parce qu’il est ethnologue: la critique de l’égocentrisme est contenue dans celle de l’ethnocentrisme, laquelle sans doute est partie intégrante du travail de tout ethnologue. C’est le privilège du regard éloigné que de produire ce décentrement: plongé dans d’autres cultures, l’ethnologue prend mieux conscience de la sienne et, sans l’annuler, en dévoile la relativité ou (en tant qu’elle se croit absolue) l’illusion. Cela remet le sujet à sa place, qui n’est pas celle d’un principe ou d’un savoir (comme pure transparence au vrai ou au bien!) mais celle, d’abord, d’un effet (le sujet n’est pas principe mais résultat) et d’une méconnaissance (le sujet n’est pas transparence mais opacité).
Mais cette critique du sujet a aussi à voir avec le structuralisme, dont elle est peut-être l’enjeu principal. S’il faut penser par structures, c’est d’abord pour briser «les prétendues évidences du moi», qui («le propre de la conscience étant de se duper elle-même») font que chacun se prend, modestement, pour le sujet universel et du vrai. Ma morale n’est-elle pas la morale? Mon goût, le goût? Ma justice, la justice? Ma pensée, enfin, n’est-elle pas la pensée? Et de légiférer tranquillement, depuis le Quartier latin ou la côte Ouest, sur le destin des peuples et le malheur des consciences… Contre quoi Lévi-Strauss enseigne que la vérité de l’homme réside, non dans la prétendue transparence d’un cogito ou d’une culture mais, toutes cultures étant réputées égales (moins d’ailleurs parce qu’elles se valent toutes que parce qu’aucune n’a de valeur objective ou absolue), «dans le système de leurs différences et de leurs communes propriétés». Que reste-t-il alors de l’homme? Rien peut-être («le but dernier des sciences humaines précise Lévi-Strauss dans
La pensée sauvage, n’est pas de constituer l’homme, mais de le dissoudre»), et c’est ce qui effraie nos humanistes.» [1]

Daniel Vanhove 
Observateur civil
Auteur
26.01.11
Note :
[1] Extrait de « Lévi-Strauss ou le courage du désespoir » dans Une éducation philosophique – A. Comte-Sponville – Ed. PUF - 1989

mardi 25 janvier 2011

Le Sfeir à repasser de Ben Ali

L’ami Sfeir perd-il la boule ? Invité depuis quelques jours à réagir au soulèvement de la population tunisienne, le directeur des Cahiers de l’Orient se met enfin à critiquer les agissements néfastes de Ben Ali et de sa clique. Le journaliste a pu ainsi apporter sur France Inter, France Soir ou Le Télégramme son analyse éclairée de "spécialiste du monde arabo-musulman". Avec beaucoup de courage, puisqu’il y a, entres autres, fustigé la corruption et le "racket" du régime de Ben Ali… après son départ. Quelques mois avant "la révolte de Jasmin", c’était une autre paire de manches…

Le "pari" économique gagnant du président
Lors de la sortie en juin 2006 du bouquin du sieur Sfeir Tunisie, terre de paradoxes (éditions Archipel), Bakchich avait raillé ce «livre de propagande encensé - comme il se doit - par la "critique" tunisienne»: «Notre auteur s’évertue à lécher les bottes du gouvernement de Ben Ali», considérait-on.

Dans l’ouvrage, repris allègrement par le site d’information pro-gouvernemental www.infotunisie.com, Antoine Sfeir diagnostiquait une économie florissante: «Ben Ali a fait émerger un pays nouveau, bâti sur cette vieille tradition d’ouverture et de progrès (…). Peu dotée par la nature de ressources minières (la Tunisie) avance quand même, parce que son Président a parié sur les capacités et la volonté des Tunisiens, et non sur une hausse des cours du pétrole».

«La réunion des compétences en un seul homme»
«Des responsables politiques du monde entier, mais aussi des hommes de lettres et de culture, se sont associés pour rendre hommage à l’œuvre de Zine El Abidine Ben Ali», écrivait aussi le flagorneur. «Personne ne les a obligés à le faire. S’ils ont trouvé que leur démarche est justifiée, c’est parce qu’en Tunisie on trouve autre chose que ce que les médias veulent montrer».
Le Monde Diplo (20/09/2006) relevait lors de la sortie du livre d’autres jolis fayotages à l’égard de Ben Ali, décrit comme réunissant «en sa personne toutes ces compétences. D’une part, elles lui permettent de se montrer plus efficaces, et les résultats obtenus plaident en sa faveur; d’autre part, la réunion de ces compétences en un seul homme évite de les voir entrer en conflit.»

Prolongement de son bouquin, Antoine Sfeir a sorti un numéro spécial des Cahiers de L’Orient en hiver 2010 intitulé "L’exception tunisienne". Avec des chapitres tels que "un rempart contre l’intégrisme", "Patrimoine archéologique et renouveau culturel" ou "Des succès économiques confirmés" ou des parties comme "Pourquoi les Tunisiens votent-ils Ben Ali ?" («Ben Ali est crédible, et son bilan est positif sur les plans social, économique et politique»), "Une politique de sécurité musclée mais préventive" ou "La Tunisie face à la crise: anticipations et réformes"…

La caricature des "ennemis de la Tunisie"
À l’occasion de la sortie du numéro, Antoine Sfeir s’est fait inviter par le Club de la presse à Genève en compagnie du journaliste à L’Alsace François Bécet. Ce dernier, auteur de "Tunisie, porte ouverte sur la modernité" (Le Cherche Midi) que Sfeir a préfacé, estimait, que le pays de Ben Ali était l’«objet de désinformation, victime de l’hostilité de quelques pseudo défenseurs de la démocratie, qui, se cachant sous de fausses apparences, travestissent la réalité», rapportait La Tribune de Genève.

Hasard malencontreux du calendrier, François Bécet a d’ailleurs sorti le 14 janvier 2011 un autre livre "Ben Ali et ses faux démocrates"! Le "speech" de cet autre "spécialiste", consultable sur le site des Éditions Publisud, est hilarant: «Avec l’élection du 24 octobre, les "ennemis" de la Tunisie se déchaînent en affirmant critiquer le pays parce qu’ils l’aiment. Si c’était vrai, ils reconnaîtraient l’immense travail de redressement accompli par le président Ben Ali, depuis le 7 novembre 1987. D’un pays en perdition, il a fait un "petit dragon" et a redonné fierté à tous les Tunisiens. Tout n’est pas parfait, l’ouverture politique demande sans doute à être accélérée. Toutefois, le débat sur le rythme de cette ouverture est maintenant lancé. Les partis d’opposition, au lieu de se battre entre eux et de ne rien proposer aux citoyens, devraient faire leur mea culpa et se tourner enfin vers les Tunisiens. Quant à l’opposition radicale, elle frise le ridicule! La Tunisie de Ben Ali, elle, est sur la bonne voie.» Clap, clap, clap!

Avec ses 89,62%, Zine el-Abidine Ben Ali n’avait pas besoin de Sfeir pour se faire élire une cinquième fois le 25 octobre 2009. Mais le président du Centre d’études et de réflexions sur le Proche-Orient a tenu à commettre une tribune dans Le Figaro de l’avant-veille. À cette occasion, Antoine Sfeir se plaint de «nos intellectuels et nos médias (qui) ne vont pas manquer de fustiger à cette occasion (du vote) le régime du président Ben Ali, qu’ils présentent invariablement comme une caricature d’autocrate oriental». Tout en concédant du bout de la plume que «la Tunisie a certainement un long chemin devant elle», le fin analyste insiste: «force est de reconnaître que le pays progresse régulièrement depuis l’arrivée au pouvoir de Ben Ali. C’est un fait dont tous les organismes internationaux font état dans leurs rapports». Et Sfeir de louer «cette ouverture et cet assainissement progressifs de la vie publique»…

Prospère, youpla boum !
Alors que depuis le départ de Ben Ali, Antoine Sfeir répète à qui veut l’entendre que chacun connaissait les affaires de corruptions du président tunisien, le coquin préférait s’en prendre à certains médias étrangers. Les démocraties «peuvent sans doute se prévaloir d’une presse libre qui, en révélant au grand jour les scandales, se pose en mauvaise conscience, voire en accusateur public des dirigeants; fonction prestigieuse qui exige de celui qui l’exerce une vertu toute romaine. Mais il arrive parfois que cette même presse, si prompte à dénoncer, omette de reconnaître qu’elle a accusé abusivement.»

Au moins, Sfeir s’en est-il pris à l’époque au financement occulte de nombreuses entreprises qu’il se met à dénoncer avec vigueur depuis une semaine… Que nenni! En 2009, le directeur des "Cahiers de l’Orient" préférait ronchonner contre «ceux qui sont toujours les premiers à véhiculer les idées reçues sur la Tunisie» et «préfèrent passer sous silence (la chute de la pauvreté) pour ne pas avoir à réviser leurs anathèmes». Car dans son publi-reportage de 2009, Sfeir vantait encore le modèle économique du système de Ben Ali: «Plus remarquable encore, la société tunisienne ne se contente pas d’appliquer le mot d’ordre de Guizot et de s’enrichir. Incitée par le régime, elle contribue avec lui à la mise en place et au fonctionnement de structures de solidarité comme le Fonds de solidarité nationale. Directement géré par le pouvoir, il est habilité à recevoir des dons internationaux, de la part de simples citoyens, d’entreprises publiques ou d’entreprises privées. Une loi de finances de 1996 stipule en outre que certaines taxes doivent être reversées à ce fond, et des mesures incitatives pour les entreprises tunisiennes ont également été instituées par le biais de crédits d’impôts. De sorte que, entre 1996 et 2006, 1,2 million de Tunisiens ont bénéficié de cette aide, qui redonne tout son sens à la notion de citoyenneté, si galvaudée ailleurs.» Aucune trace des 13% de taux de chômage ou du marché noir qui représente entre 15 et 20% de l’économie tunisienne. Pas une mention sur la corruption.

Modèle tunisien et "non-fracture sociale"
Août 2009. Avant de rentrer d’un séjour sous le beau soleil de Tunis, Antoine Sfeir accorde un entretien à «La Presse de Tunisie», quotidien dont le rédacteur en chef, nommé par l’ex-parti au pouvoir (RCD) vient d’être viré après des années de censure. Dans cet interview (repris en intégralité sur le site tunizien.com; celui de «La Presse de Tunisie» étant fermé depuis la révolte), Antoine Sfeir ne se fait pas prier pour juger avec bienveillance le Président Ben Ali qui «a eu le mérite de privilégier, plutôt, l’être sur le paraître.» «Il y a une reconnaissance, à la fois, des opinions publiques et des gouvernements qui voient en la Tunisie un modèle à tous les niveaux, à savoir du Chef de l’Etat, du gouvernement et du peuple tunisien dans son ensemble», croit-il bon d’ajouter…

Attachez vos ceintures, Antoine Sfeir passe à la vitesse supérieure: «Je tiens à souligner que le modèle tunisien n’est pas uniquement celui de passerelle, mais aussi un modèle de non-fracture sociale au sein de la société tunisienne. Cette fracture qui ébranle, aujourd’hui, les sociétés européennes dans les pays les plus avancés et les plus riches. Or, sans richesse, la Tunisie a réussi à réduire ladite fracture grâce à des programmes adéquats et à des initiatives répétées du Chef de l’Etat.» Sacré modèle de "non-fracture sociale"!

Autre passage cyniquement cocasse lorsqu’on le relit un an et demi plus tard, celui dans lequel Antoine Sfeir décrit le monde des Bisounours: «Les visiteurs de la Tunisie, notamment les personnes âgées, viennent d’Europe admirer le climat de quiétude, de paix, de stabilité et de sécurité, et par voie de conséquence, y passer des jours paisibles». Ou encore celui dans lequel les intellectuels voient dans la Tunisie «un exemple de réussite» notamment grâce à son système d’éducation. Pas mal pour un pays qui compte plus de 20% de jeunes diplômés au chômage. Tout en critiquant «les irréductibles dogmatiques ne veulent pas reconnaître qu’ils ont eu et ont tort», il rapporte «les résultats tangibles» en matière de Droits de l’Homme.

«Il est naturel qu’après la révolution vienne le temps du règlement de compte», vient de soutenir Antoine Sfeir sur Europe1 alors qu’on lui demandait comment il observait la chasse aux sorcières après le départ de Ben Ali. «Mais l’Histoire nous a montré que ce n’était pas la bonne solution. Il faut laisser se faire la période de transition, pour que vienne ensuite le temps des procès», a-t-il quand même ajouté. Ne battons pas le Sfeir tant qu’il est chaud.

Laurent Maccabies
22.01.11
Source: bakchich.info

lundi 24 janvier 2011

A l'école de l'intifadha du peuple tunisien




«Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination»
Aimé Césaire, Lettre à Maurice Thorez    
   


Ces dernières semaines plusieurs manifestations de solidarité avec le peuple tunisien ont été organisées en France et singulièrement à Paris. La gauche française, dans ses diverses composantes, y a participé afin de manifester sa solidarité avec le peuple tunisien sur un mode «internationaliste» qui n'était évidemment pas dénué d'arrières pensées électorales. Ayant tous en tête les élections présidentielles et législatives de 2012, les divers acteurs de la gauche française misent sur le fait que leur présence ostensible dans des manifestations de solidarité avec un peuple du Maghreb leur assurera les voix des descendants d'immigrés maghrébins. En raison de cela, ces manifestations furent l’occasion, pour toutes les organisations françaises de gauche, de se mettre en avant afin de séduire un électorat représentant plusieurs millions de voix. Malgré tous les effets déployés, certaines organisations de gauche ont eu bien du mal à masquer la tartuferie de leurs positions politiques respectives vis-à-vis de la révolution tunisienne.

Il est inutile de s'attarder longuement sur la position du Parti Socialiste dont les liens avec la dictature pro-occidentale de Zine el-Abidine Ben Ali étaient d'ordre structurel. Le Rassemblement Constitutionnel Démocratique (RCD), qui en 2002 enrégimentait environ 1.700.000 adhérents (1), est membre de «plein droit» de l'Internationale Socialiste (IS), ce qui n'a jamais dérangé le moins du monde les «démocrates» du PS. Bien au contraire, certains d'entre eux avaient vanté le «modèle» que constituait le régime de Ben Ali. Alliant libéralisme économique, alignement stratégique sur la politique internationale des puissances occidentales et occidentalisation poussée de la société, la dictature tunisienne représentait le type de «despotisme éclairé» dont les socialistes français rêvaient pour l’ensemble du monde arabo-musulman. En visite le 18 novembre 2008 à Carthage, Dominique Strauss-Kahn n'avait pas manqué de féliciter le président Zine el-Abidine Ben Ali pour la pertinence de ses choix économiques qui correspondaient à l’orientation doctrinale du FMI. «En Tunisie, les choses continueront à fonctionner correctement!», avait-il alors prophétisé au cours de son allocution.

Hypocritement, les socialistes français ont essayé de faire oublier leurs liens structurels avec la dictature pro-occidentale de Zine el-Abidine Ben Ali et du RCD en manifestant aux côtés des Tunisiens vivant en France contre le despote de Carthage. Les Tunisiens ne furent pas dupes de ces manœuvres de dernière minute qui ne pouvaient cacher le soutien antérieurement apporté à la dictature de Ben Ali par le PS. Les Tunisiens ont exprimé ouvertement leur hostilité envers ces soutiens opportunistes de la vingt-cinquième heure. Lors d'un meeting tenu le 13 janvier à la Bourse du Travail à proximité de la place de la République à Paris, le représentant du PS, Razzy Hammadi, fut copieusement hué par un public en grande majorité composé de Tunisiens. Pour eux, il n’était pas question de donner quitus à la perfidie du PS.

N'ayant pas de liens organiques avec la gauche française, une grande partie des Tunisiens présents à ce meeting exprima aussi son opposition à la monopolisation de la parole par les représentants des organisations françaises de gauche durant une grande partie de la manifestation. Dans la salle, des slogans tels que «la parole aux Tunisiens» ou «c'est nous les Tunisiens» furent scandés par une partie du public pour exprimer son exaspération face à la confiscation de la parole tunisienne par les fraternalistes français de gauche. Une semaine auparavant, lors du rassemblement du 6 janvier à la Fontaine des Innocents à Paris, ces organisations françaises de gauche avaient déjà largement monopolisé la parole.

Après la fuite du tyran de Carthage, cette gauche coloniale a continué ses basses manœuvres pour contrôler le mouvement de soutien à la révolution tunisienne en France. Ces organisations n'hésitèrent pas à se placer dans le peloton de tête lors de la manifestation parisienne du 15 janvier alors que des organisations tunisiennes qui luttaient depuis des années contre la dictature de Ben Ali et dont les militants ont été les premières victimes de la répression, furent reléguées en milieu de cortège. Profondément imbue d'idées coloniales, cette gauche se pense autorisée à marcher devant les seuls acteurs légitimes pour ouvrir cette manifestation: le peuple tunisien et ses organisations qui, en Tunisie et en exil, ont lutté contre la dictature pro-occidentale de Zine el-Abidine Ben Ali et du RCD.

Non contente de monopoliser la parole ou de prendre la tête des manifestations, cette gauche coloniale s'est aussi arrogée le droit de formuler à la place des Tunisiens les idées devant porter leur révolution. Au cours du meeting du 13 janvier, certains fraternalistes de gauche n'ont pas hésité à expliquer aux Tunisiens quelles devaient être leurs revendications ou leurs modes d'action pour mener leur révolution. Faisant preuve d'un fraternalisme suranné, ces délégués de la gauche coloniale se pensent comme les juges et les guides universels de révolutions qu'ils ne feront sans doute jamais dans leur propre pays en raison des risques qu'elles comportent. Ils se considèrent comme les esprits devant diriger les corps des Tunisiens qui luttent sur le champ de bataille. Cette attitude est révélatrice d’une perception du monde marquée du sceau de la culture occidentale de la suprématie. Il faut être profondément imbu d’idées coloniales et persuadé de sa supériorité d’occidental pour se croire autoriser à donner des leçons, depuis les confortables estrades d'une capitale européenne, à un peuple qui s'est soulevé malgré la répression policière, a renversé un tyran et est en train de mener sa révolution.

Cette auto-conviction suprématiste confine à la bouffonnerie caractérisée lorsque l'on garde en mémoire l'histoire récente de cette gauche coloniale apathique et défraîchie. Les mêmes qui s'autorisent à donner des leçons au peuple tunisien, appelaient au «maintien de l'ordre» durant la révolte des banlieues en 2005 car il ne s'agissait pas de soulèvements contre l'humiliation quotidienne mais d'agissements «de voyous ou de trafiquants» (2). Les mêmes qui pensent pouvoir dicter leurs idées à un peuple ayant renversé un autocrate, ont été dans la totale incapacité de faire reculer leur propre gouvernement «démocratique» durant la réforme des retraites. Et ce ne sont là que deux exemples récents des manquements de cette gauche atonique. Au regard de cette histoire peu glorieuse, la dernière chose dont le peuple tunisien ait besoin, c'est bien des conseils avisés d’une gauche coloniale paternaliste, décadente et incapable.

Il serait temps que la gauche occidentale décide enfin de se réveiller de son profond sommeil, de secouer son vieux cerveau hémiplégique, pour s'apercevoir que le monde a définitivement changé. Il est irrémédiablement révolu le temps où l'Homme occidental imprimait ses idées «lumineuses» dans les cerveaux et plaçait ses «grands» mots dans les bouches d'une petite «élite» colonisée aux ordres. Cet ordre du monde a été irrévocablement enterré sous les décombres du monde colonial. Alors que la gauche française arrête ses vaines et stériles gesticulations et qu'elle adopte la seule attitude encore acceptable: garder le silence et se mettre à l'école de l'intifadha du peuple tunisien.

La gauche coloniale, 'ala barra !
La gauche coloniale, dehors !

Youssef Girard
19.01.11
Notes:
(1) Manaï Ahmed, «La Tunisie après le referendum de mai 2002: chronique d’un statu quo annoncé», 26 octobre 2002. L'auteur décrit le RCD comme «un outil de contrôle et de mobilisation des masses».
(2) Lutte ouvrière, 4 novembre 2005, cité par Bouamama Saïd, «Extrême gauche et luttes de l’immigration post-coloniale», in. Boubeker Ahmed et Hajjat Abdellali, Histoire politique des immigrations (post)coloniales, France, 1920-2008, Paris, Ed. Amsterdam, 2008, page 247.

Source: ism-france

dimanche 23 janvier 2011

A quand une Justice internationale digne de ce nom!?



Blair appelle l’Occident à attaquer l’Iran




L’histoire finira, un jour ou l’autre, par rendre grâce à Tony Blair d’avoir prouvé, par les faits, à quel point est fantaisiste  le concept de «justice internationale», aux yeux du monde occidental.

Appelé, une seconde fois, en l’espace de quelques mois, à s’expliquer, devant une commission d’enquête parlementaire, sur les errements d’une guerre, froidement déclenchée, sur la foi d’un gigantesque mensonge, l’ancien Premier ministre persiste et signe: il défend, avec fougue, le bien fondé d’un conflit, qui a coûté la vie à des centaines de milliers de civils innocents, qui a fait de l’Irak, pays souverain et indépendant, un Etat fantôme, à la merci du bon vouloir de ses occupants.

Au terme de quatre heures de débats techniques fastidieux, retransmis, en direct, à la télévision, Blair n’a cessé de tourner autour du pot: à la question de savoir si la guerre contre l’Irak entrait dans la légalité, en l'absence de résolution explicite des Nations unies, il a daigné répondre; à celle concernant sa tentative délibérée de manipuler l’opinion publique, sur la présence, jamais avérée, d'armes de destruction massive irakiennes, sa réponse fut tout autant évasive.

Et quid de son alignement, sur les néo-conservateurs américains, de ses relations plus que privilégiées avec leur chef de bande, George W. Bush, de ce fameux sommet Bush-Blair, tenu 11 mois avant l’invasion où il a prôné une approche «tout feu, tout flamme» contre Saddam? Blair ne souffle mot.

Pis encore, dans sa plaidoirie de belliciste patenté, pour qui la guerre est un mode de vie, une manière d’être au monde, et non pas cette expérience horrible, au cours de laquelle, on est témoin des actes d'une violence terrifiante et épouvantable, il réserve même une place à l’Iran. L’ancien Premier ministre demande, ainsi, que l'Occident, dixit, «en finisse avec la politique de l'autruche  qu’il affiche à l’égard de l’Iran» et qu’il «agisse, fermement, pour contrecarrer les projets prêtés à ce pays», bref, qu’il se lance dans une nouvelle aventure.

A M. Blair et à tous les nostalgiques d’un Moyen-Orient «fumant», «brûlant», «saignant», c’est Mme Rose Gentle qui répond. Mère de l’un des 179 soldats britanniques tombés en Irak, elle a interpelé Blair, vendredi, en pleine séance du parlement, en ces termes: «Ayez honte! Vos mensonges ont tué mon fils. J'espère que vous pourrez vivre avec ça». La remarque est trop éloquente, pour qu’on y ajoute d’autres commentaires!

22.20.11
Source: http://french.irib.ir http://french.irib.ir

samedi 22 janvier 2011

L'Occident, un obstacle à la démocratisation

Dessin de Chappatte

L'Europe, France en tête, est complice des crimes des dictatures du monde arabe, accuse un journaliste marocain.

Les habitants du monde arabe suivent avec grand intérêt et enthousiasme les événements historiques qui ont lieu en Tunisie. Ils s’interrogent sur l’avenir des gouvernements de la région, après le renversement du président Zine El-Abidine Ben Ali en raison de l’injustice politique et sociale qu’il a fait régner pendant plus de vingt ans. Cette révolution met en évidence non seulement le rôle crucial des nouvelles technologies pour mobiliser les peuples, mais aussi le rôle répugnant de l’Occident, qui apporte un soutien inconditionnel à la perpétuation de dictatures moyenâgeuses.

Malgré le manque de libertés, l’injustice sociale, les niveaux insupportables de corruption et l’Etat policier, l’Occident n’a cessé de défendre ces régimes. Jusqu’à ce que Ben Ali soit renversé, l’Occident le considérait comme un “élève exemplaire”. Le président français Nicolas Sarkozy a même déclaré en 2008 que la Tunisie vivait en démocratie. Pendant tout le mois qu’a duré le mouvement de protestation, les gouvernements occidentaux, à l’exception des Etats-Unis, ont gardé un silence suspect – la chef de la diplomatie française, Michèle Alliot-Marie, a même proposé de conseiller le gouvernement tunisien sur la façon de mettre fin aux manifestations. Une telle attitude met en évidence le deux poids deux mesures de l’Occident quand il s’agit d’exiger la démocratisation de certains pays.

D’un côté, l’Union européenne, France en tête, fait pression sur les présidents ivoirien, soudanais et iranien, et de l’autre elle garde un silence plus que suspect sur ce qui se passe dans le monde arabe, et surtout au Maghreb. Si l’Occident a joué un rôle crucial dans la démocratisation des pays de l’Europe de l’Est, elle fait tout le contraire avec les pays arabes. Non seulement elle soutient les régimes dictatoriaux, mais elle les aide à piller les richesses nationales en leur permettant d’ouvrir des comptes où ils peuvent déposer leur butin et d’acquérir des biens immobiliers et des actions de grandes entreprises européennes. Avec un tel comportement, l’Occident se rend complice par excellence de ces crimes. L’Europe offre également depuis plusieurs années, un autre cadeau à ces dictateurs en refusant d’accorder l’asile politique à ceux qui fuient ces régimes sanglants.

Pis, l’Occident ne cesse de répéter qu’il lutte contre les mouvements islamistes et les terroristes, mais les études sociologiques montrent que le fanatisme découle directement de l’injustice sociale et de la corruption de ces régimes dictatoriaux. Malgré cela, l’Occident ferme les yeux sur cette réalité et sur ces faits et se lie avec les dictatures.

El-Houssine Majdoubi
Journaliste marocain, correspondant en Espagne du quotidien panarabe Al-Quds Al-Arabi.
20.01.11
Source: courrier international

vendredi 21 janvier 2011

S'indigner... et résister !



Devant le nouveau gouvernement du monde: s'indigner et résister!


Un ouvrage remarquable de l’économiste Georges Corm, ancien ministre libanais de l’Economie, nous donne l’opportunité de le présenter et ce faisant, revenir sur cette mondialisation que l’on nous présente comme inéluctable et sur la financiarisation de l’économie. Nous allons examiner comment l’Occident veut, à travers le libéralisme sauvage, imposer une vision du monde qui fragilise les sociétés et les laisse en proie à l’errance.(1)

Fethi Gherbi explique les fondements du néolibéralisme, écoutons-le: «Après le démantèlement de l’empire soviétique, le dernier des empires européens, il s’attelle fiévreusement à mettre la main sur le reste du globe, à imposer sa globalisation. (...) L’État Providence est mort de sa belle mort. Tous les acquis que les travailleurs ont arrachés aux démocraties libérales grâce à leur lutte et à la pression qu’exerçait le camp socialiste sur le «monde libre», se réduisent comme une peau de chagrin. (...) Empires disloqués, nations éclatées, voilà l’orientation que le néolibéralisme veut imposer au sens de l’histoire. Le capital a horreur des frontières comme il a horreur des solidarités.»(2)

Néolibéralisme destructeur des structures collectives
«Le mouvement, rendu possible explique Pierre Bourdieu par la politique de déréglementation financière, vise à mettre en question toutes les structures collectives capables de faire obstacle à la logique du marché pur: nation, dont la marge de manœuvre ne cesse de décroître. (...) Ainsi s’instaurent le règne absolu de la flexibilité, avec les recrutements sous contrats à durée déterminée ou les intérims et les «plans sociaux» à répétition. Pour lui, le libéralisme est à voir comme un programme de «destruction des structures collectives». Le néolibéralisme vise à la ruine des instances collectives construites de longue date par exemple, les syndicats, les formes politiques, mais aussi et surtout la culture en ce qu’elle a de plus structurant et de ce que nous pensions être pérennes.»(3)

Pour sa part, Dany-Robert Dufour tente de montrer que, bien loin d’être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l’emprise d’une nouvelle religion conquérante, le Marché ou le money-théïsme. Il tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu’incitatrice - ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l’atteste le troisième commandement: «Ne pensez pas, dépensez!». «Destructeur de l’être-ensemble et de l’être-soi, écrit Dany Robert Dufour, il nous conduit à vivre dans une Cité perverse. Egotisme, contestation de toute loi, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre : notre monde est devenu sadien.»(4)

Une autre conséquence de cette mondialisation débridée est la financiarisation de l’économie, en clair, la spéculation est à l’honneur, elle est de loin préférée à l’économie réelle, celle issue du travail. Une fine observatrice des mutations et de la mondialisation, Susan Georges, interviewée par Rue 89 à propos de cette débâcle, déclare: «(...) En 2009, Le monde était alors à un cheveu de la catastrophe. Le G20 a parlé des paradis fiscaux, de l’emprise des marchés financiers, de l’emploi, de l’environnement, etc. Et puis une fois que les banques ont été sauvées, tout cela a complètement disparu. Le G20 et le G8 bricolent des solutions pour sauver les banques une deuxième fois. Et puis rien. Pourquoi cette résignation? Les gens pensent peut-être que leurs dirigeants sont en train de sauver la Grèce ou l’Espagne. C’est complètement faux, ils sont en train de sauver les banques qui ont acheté de la dette grecque ou de la dette espagnole... Il ne s’agit pas de faire quoi que ce soit pour les peuples. Non seulement on sauve les banques une seconde fois, mais qui le fait? Ce sont les peuples, par l’amputation de leur retraite, la baisse de leur salaire, la mise à pied de fonctionnaires.»(5)

Interrogée sur le changement elle déclare: «Apprendre. Il faut commencer par apprendre. Aujourd’hui, la politique est devenue bien plus compliquée. (..) Quand on disait «Arrêtez l’apartheid», on n’avait pas besoin d’un long discours. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Si on ne sait pas comment ça se passe, ce qui est voté, à quel moment, on ne peut agir. Donc il faut apprendre, aider d’autres à apprendre, organiser, faire des alliances. Et communiquer. Nous travaillons sur une autre approche: «Pour changer la banque, changez de banque.» (...)Pour un pouvoir politique, la première décision à prendre est de prendre le contrôle des marchés financiers, des banques. Ça crève les yeux. Ils font la pluie et le beau temps: il faut les mettre sous tutelle. Le G20 est illégitime. Il ne représente que les grands joueurs du système. Où est le G172?»(5)

Cette financiarisation fait des heureux: les traders. On apprend que le montant moyen des 100 premiers bonus atteint 1,65 million d’euros. Les bonus versés par les banques françaises se sont élevés à près de trois milliards d’euros en 2010, 8200 «professionnels des marchés» se sont vu attribuer 2 milliards d’euros. Des montants qui étonnent. Lesquels font le parallèle avec les rémunérations moyennes et médianes des dirigeants du Cac 40, proches de 2,5 millions d’euros.

L’industrie publicitaire
Nous retrouvons la même «indignation» que celle de Susan Georges chez Stéphane Hessel, auteur du minilivre et best-seller titré «Indignez-vous!», qui évoque la gauche, un XXIè siècle qui a mal débuté, et... l’indispensable indignation. «Il y a toujours eu des raisons de s’indigner, mais ce besoin est plus fort aujourd’hui. La première décennie du XXIè siècle a mal tourné. La dernière décennie du XXè siècle, elle, avait été une période faste, entre la chute du mur de Berlin et la mise en place par les Nations unies des Objectifs du millénaire pour le développement. Il y a eu des grandes conférences: Rio sur l’environnement, Pékin sur les femmes, Vienne sur les droits de l’homme et le droit au développement, Copenhague sur l’intégration sociale... Ces conférences disaient: il y a des choses à faire! Et puis, en 2001, après la chute des tours, on a vécu le rejet de ces initiatives. Ce fut la guerre en Afghanistan, la guerre en Irak. Aux Etats-Unis, c’est la décennie de George Bush. Tout cela justifie que quand l’on reçoit en pleine figure un petit livre de 25 pages qui dit: «Faut s’indigner, faut résister, y en a marre!», cela a cet étonnant effet. Il y a une nuance importante. Le «révoltez-vous» de Sartre rappelle la Révolution d’Octobre, peut-être aussi Mai 68, des moments forts, importants, mais qui n’ont pas donné lieu à un vrai changement en termes de justice et de démocratie. La dignité est un terme intéressant. Il figure dans l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme [dont Hessel était l’un des rédacteurs, ndlr]: «Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.» La dignité, plus que la révolte, est quelque chose qui marque l’individu humain. Le citoyen est fier de sa dignité d’homme et quand elle lui semble attaquée, il est normal qu’il s’indigne. (...) Il y a énormément de choses à faire, et elles sont à portée de main de chacun. Il faut, par exemple, lutter contre une économie entièrement dominée par le profit, et on peut le faire en s’engageant par exemple dans l’économie sociale et solidaire. (...) Il faut écouter les gens, savoir ce qui les indigne, comprendre sur quoi on peut travailler avec eux, et non pas leur dire, comme le font les idéologues: voilà ce que tu dois faire.»(6)

Justement, l’ouvrage de Georges Corm fait le procès de la mondialisation comme étant le fossoyeur des solidarités qui rentraient dans les prérogatives de l’Etat-Nation. Pour Bernard Gensane, l’ouvrage de Georges Corm est très utile de par sa remarquable dénonciation d’un néolibéralisme qui a réussi à faire dépérir l’État et ses fonctions de protection de la société.
Bien au contraire. «La crise a été presque exclusivement traitée comme un problème de techniques et de pratiques bancaires et financières à réformer ou mieux contrôler.» «Éclipsant totalement le personnel politique qui leur a donné les clés d’un pouvoir non démocratique, les gouverneurs de banque centrale sont devenus des personnages «hors du commun». (...) Le capitalisme financier est un monde sans foi ni loi, sans perspectives (hormis le profit à court terme), sans démarche programmatique. L’absence de contre-pouvoir politique à sa folle marche en avant, produit régulièrement des catastrophes (..) Dans le monde du capitalisme financier, «les questions essentielles ne sont plus débattues». La gestion de la réduction des émissions de gaz à effet de serre a été confiée à ceux qui polluent. Plus aucun responsable n’est inquiété. Madoff est condamné pour la galerie, mais pas Goldman-Sachs ni Alan Greenspan, responsable institutionnel de la spéculation boursière. Dans cette jungle, disparaissent le sens du bien public, le respect de l’État («L’État n’est pas la solution, c’est le problème», disait Reagan). Son rôle même de producteur de richesses (éducation, formation professionnelle, santé, infrastructures, salaires des fonctionnaires dépensés en achat de biens produits par le secteur privé) n’est plus reconnu. Ce recul de l’État a favorisé, jusque dans les pays de tradition jacobine, une fragmentation de la société sous l’effet du multiculturalisme à l’anglo-saxonne. Celui-ci tend, rappelle l’auteur, «à transformer les villes en ghettos urbains ethniques ou religieux et à réorganiser les quartiers suivant les niveaux de fortune». Par ailleurs, le recul de l’État a permis un véritable inceste entre le monde des affaires et celui de la politique (Berlusconi, Hariri, Dick Cheney, les oligarches russes).»(7)

Dans une interview réalisée par Pascal Boniface, Gorges Corm explicite le fil conducteur de son ouvrage. Ecoutons-le: «Le nouveau mode de fonctionnement du monde est constitué d’un pouvoir qui est mondialisé au sens où si l’on ne se plie pas à ses règles on est ostracisé ou combattu avec virulence et d’une économie qui est globalisée, c’est-à-dire ouverte à tous vents. Dans ce contexte, peut s’exercer ce que l’on appelle la dictature des marchés, c’est-à-dire celle des grands spéculateurs financiers, celle des agences de notation et des principaux médias économiques. (...) Il y a une formidable concentration de pouvoir politique, financier et économique, mais aussi médiatique, aux mains de quelques dirigeants politiques ou économiques et directeurs d’agences de financement et de fonds de placements et de banques. (...) L’ «industrie publicitaire» est le bras armé de ce système qui nous emprisonne. Il coûte 400 milliards de dollars par an qui sont payés par les victimes du système, c’est-à-dire les consommateurs. Vous imaginez ce qui pourrait être accompli avec cette somme dans le domaine des protections sociales qui se réduisent partout comme une peau de chagrin sous l’effet de l’idéologie néolibérale. (...)»(8) L’un des arguments répété ad nauseam est la sécurité. Georges Corm écrit : «Rien n’a été plus propice au démantèlement de l’Etat de droit et de «providence» sociale que la grande peur suscitée par les questions sécuritaires dans un contexte idéologique largement préparé par l’idéologie du choc des civilisations, popularisée par le livre de Samuel Huntington qui ne fait que reprendre des thèmes éculés sur les risques de «déclin de l’Occident» face à l’Orient. Au thème de la subversion communiste a succédé celui du danger de «l’islamo-fascisme» dont George Bush fils avait fait son leitmotiv quasi quotidien. (...) Du côté de l’Orient musulman, la montée du fondamentalisme est résultée de plusieurs facteurs, dont l’instrumentalisation des trois monothéismes au cours de la Guerre froide pour lutter contre l’extension du communisme, mais aussi la perpétuation de l’hégémonie américaine et les occupations militaires qu’elle a entreprises en Irak et en Afghanistan, sans parler du comportement israélien dans les territoires palestiniens occupés et l’appui que reçoit Israël des Etats-Unis et des gouvernements européens.»(8)

Totalitarisme
«Il en a assez, Georges Corm! écrit Robert Solé. Assez d’entendre parler des exigences de la mondialisation. (...) Dans ce système, il ne voit que des sociétés déstructurées, des familles éclatées par des mouvements migratoires, des crispations identitaires mortifères, des Etats progressivement dépossédés de leurs compétences...On a jeté aux orties, selon lui, toutes les bases de l’éthique héritées de la Renaissance et des Lumières. Un totalitarisme de la pensée a été remplacé par un autre, écrit Georges Corm.
Le système ne peut être critiqué qu’à la marge. Faire la révolution? L’économiste libanais a passé l’âge des barricades. Il prône une «dé-mondialisation progressive» qui permettrait de «défaire les mécanismes les plus nocifs», mettre un terme aux absurdités économiques et sociales du système actuel et y «ramener de la raison et de l’éthique». Ses espoirs se tournent pourtant du côté des Etats-Unis: parmi les facteurs possibles de changement, il parie sur «un déclin continu de la puissance économique américaine». On ne sait si c’est d’abord une prédiction ou un souhait.(9)
D’où viendrait le salut? Corm analyse «les forces du changement». Au premier rang desquelles il situe le Forum social mondial,héritier des utopies planétaires de société universelle, juste et équitable. (...) En conclusion, Corm estime que l’on ne saurait faire l’impasse, malgré ses limites, sur l’État-Nation qui «exprime le désir d’une collectivité humaine d’être maîtresse de son destin par des mécanismes de représentation de ses membres et le contrôle des actes de ses dirigeants élus afin d’assurer la conformité et l’intérêt de la collectivité et de tous ses membres».(7)

Il rejoint ce faisant, les écrits prophétiques de Bourdieu que nous avons cités plus haut. Il nous faut nous indigner car la mondialisation n’est, en définitive, pas autre chose que la dissolution des souverainetés - notamment les plus fragiles - par la marchéisation de tout, alors démondialiser selon le mot de Corm c’est repolitiser. L’Etat retrouvera alors sa légitimité.

Chems Eddine Chitour
Professeur - Ecole Polytechnique enp-edu.dz
20.01.2011

Notes:
1.Georges Corm : Le nouvel Ordre mondial Editions la Découverte. 2010
2.Fethi Gharbi : L’émiettement de l’humain Site Bellaciao 20 mai 2010
3.Pierre Bourdieu : L’essence du néolibéralisme. Le Monde diplomatique Mars 1998
4.Dany Robert Dufour : L’Art de réduire les têtes, Editions Denoël, Paris. 2003.
5.C.E. Chitour : Le Néolibéralisme : Destruction du collectif....Le Grand soir
5.Zineb Dryef, Pascal Riché Interview de Susan George, Rue89 17/01/2011
6.Chloé Leprince Pascal Riché Interview de Stéphane Hessel : Rue89 30/12/2010
7.Bernard Gensane : George Corm. Le nouveau gouvernement du monde. Idéologies, structures, contre-pouvoirs
http://www.legrandsoir.info/George-Corm-Le-nouveau-gouvernement-du-monde-Ideologies-structures-contre-pouvoirs.html
8.Le nouveau gouvernement du monde Pascal Boniface. Interview Georges Corm, 28.10.2010
9.Robert Solé : Georges Corm : pour une «dé-mondialisation». Le Monde 04.01.11
Source: alterinfo

jeudi 20 janvier 2011

Qui a le plus intérêt à un Liban déstabilisé?

En 2005, le premier ministre du Liban, Rafic Hariri, un homme d’affaires très lié à l’Arabie saoudite, est tué lors d’un attentat à Beyrouth. Immédiatement, Jacques Chirac, très proche du millionnaire libanais (dont il occupe actuellement un appartement quai Voltaire à Paris) et Georges W. Bush désignent la Syrie comme commanditaire de l’attentat et font adopter par le Conseil de Sécurité une résolution créant un tribunal spécial chargé d’identifier, de mettre en examen et de juger les auteurs et les commanditaires de cet attentat.

Cette décision a surpris de très grands spécialistes du droit pénal international. Ainsi l’article publié dans Le Monde diplomatique d’avril 2007 par trois éminents juristes, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Antoine Korkmaz et Rafaëlle Maison, «Douteuse instrumentalisation de la justice internationale au Liban». En effet, pour la première fois depuis la création de l’ONU, un tribunal pénal international ad hoc est créé non pas pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes de génocide. Mais d’un assassinat politique. Un assassinat comme il y en a eu, hélas, des centaines, sinon des milliers depuis 1945. Rares sont ceux qui ont connu des suites judiciaires. Dès lors, au-delà des considérations juridiques, on est en droit de se poser la question: pourquoi cet assassinat-ci? Aucun procès international pour les assassinats de leaders historiques de la décolonisation comme Ben Barka ou Patrice Lumumba. Aucun procès international pour les «assassinats ciblés» décidés par le gouvernement israélien. Aucun procès international pour des journalistes et des magistrats abattus ou disparus alors qu’il procédaient à des enquêtes impliquant des décideurs politiques.

Depuis sa mise en place, ce «tribunal spécial pour le Liban» (TSL), s’est surtout caractérisé par les démissions successives de plusieurs de ses cadres et par l’obligation devant laquelle il s’est trouvé de se déjuger en libérant des officiers libanais incarcérés en dépit d’un dossier dont il a finalement fallu reconnaître qu’il était vide. La piste syrienne fut, depuis lors, abandonnée. En 2009, l’ONU renonçait à compléter les effectifs du tribunal, «faute d’accusés».

Mais depuis quelques mois, des informations distillées hors du Liban, laissent entendre que ce ne serait plus la Syrie, mais un autre acteur de «l’empire du mal», le Hezbollah, qui serait impliqué dans l’attentat. Le Hezbollah, c’est tout à la fois un courant religieux libanais (le chiisme), un parti politique libanais et une composante militaire de la «résistance libanaise». Une organisation considérée comme terroriste par les USA et Israël. La question n’est pas de savoir si on aime ou si on n’aime pas un mouvement comme celui-là. Rien ne rend proche d’un tel mouvement l’athée et l’objecteur de conscience que je suis. Mais l’observateur de la vie politique libanaise ne peut ignorer que le Hezbollah, que cela plaise ou non, est une partie intégrante de la société libanaise. Outre le fait qu’il exerce une influence décisive sur l’essentiel du Sud-Liban et sur une partie de Beyrouth, il compte des élus au Parlement et jusqu’à hier des ministres dans le gouvernement d’union nationale. Et surtout, aux yeux d’un grand nombre de Libanais, y compris des chrétiens comme Michel Aoun et son Courant Patriotique Libre, il incarne la volonté de résister à Israël. La capacité du Hezbollah à s’opposer, l’été 2006, à une offensive de l’armée israélienne, performance militaire unique dans l’histoire du conflit israélo-arabe, fait à la fois sa force au Liban mais aussi sa faiblesse dans un camp occidental aveuglément derrière l’État hébreux.

Alors que les autorités libanaises procèdent depuis une bonne année au démantèlement d’un réseau d’espionnage israélien dans le système libanais des télécommunications, on apprend que le TSL, se basant sur des écoutes téléphoniques, se prépare à inculper des membres du Hezbollah. Celui-ci a répondu en affirmant détenir des preuves – qu’il n’a pas montrées jusqu’ici (si, partiellement - ndlr) – de l’implication d’Israël dans l’attentat de 2005 et de sa capacité, via son réseau d’espions dans le système de télécommunication libanais, à en attribuer la responsabilité au mouvement chiite. Cette mise en cause du Hezbollah, distillée depuis trois mois à partir de sources étrangères, n’a plus cessé depuis lors d’empoisonner la vie politique du Liban au point de paralyser complètement son gouvernement. Au moment précis où Israël, avec la collaboration de compagnies américaines, prétend détenir le monopole de l’exploitation des très importants gisements de pétrole et de gaz dans une partie de la Méditerranée qui relève de la souveraineté du Liban. Au moment aussi où, en Israël, l’échec de 2006 nourrit plus que jamais des idées de revanche.

Une médiation tentée par la Syrie et l’Arabie saoudite a échoué. Il s’agissait d’éviter que les activités du TSL ne mettent en péril la vie du gouvernement libanais et la fragile paix qui règne entre les composantes de ce pays qui compte pas moins de 22 groupes ethniques et 17 communautés confessionnelles (4 musulmannes, 6 chrétiennes catholiques, 7 chrétiennes non catholiques) et qui a connu une guerre civile extrêmement meutrière de 1975 à 1989. Cette médiation vient d’échouer.

Le premier ministre Saad Hariri, fils du premier ministre assassiné, en visite à Washington, a subi la pression des plus inconditionnels alliés d’Israël, Nicolas Sarkozy et Hillary Clinton, pour faire passer le fonctionnement du TSL avant toute autre considération. Au prix de la survie de son gouvernement et de la stabilité du Liban. Quel est, dans la région, le pays qui va en profiter? Quid crimen prodest?

Raoul Marc Jennar
18.01.11
Source: altermondesansfrontières