mardi 17 mars 2009

Décryptage de Nieuws diffusé sur tvbrussel le 13 août 2007

Canevas de l’émission d’information

Présentateur : Filip De Rycke, journaliste à Tvbrussel.
Invité : Arthur Van Amerongen, qui se dit « journaliste » et sera présenté comme tel.
1 sujet réalisé par la journaliste Anouk Vanherf : interview de Malika Abbad, adjointe du chef de cabinet du ministre flamand Bert Anciaux, en charge de Bruxelles et des affaires interculturelles. Elle s’oppose aux « conneries » de Van Amerongen qui ont «pour seul but d’attiser la peur des Marocains ».

Présentation aux téléspectateurs

Filip De Rycke, journaliste de Tvbrussel : « Bruxelles Eurabia » sort d’ici quelques semaines dans les librairies. Ce livre parle de la communauté musulmane de Bruxelles et promet d’être« stupéfiant » et « hallucinant », s’il faut en croire nos collègues du magazine Knack. Pour écrire ce livre, Arthur Van Amerongen a infiltré la communauté musulmane de Bruxelles ».

Remarque : l’utilisation du terme « infiltré » suggère que l’invité va évoquer une sorte d’organisation secrète de type maffieux ou terroriste qui se livre à des délits ou des crimes. Celle-ci doit se cacher des autorités puisqu’il a dû « l’infiltrer » ... Or, en quoi la« communauté musulmane » correspond-elle à cette suggestion ? On infiltre Al Qaeda, la mafia, une secte ou un groupuscule extrémiste pas un ensemble hétéroclite de personnes dont le point commun est de pratiquer l’Islam et/ou de partager les préceptes d’une culture musulmane. Dès le départ, le téléspectateur est plongé dans une imagerie raciste qui vise à amalgamer musulmans et terroristes.

Affirmations racistes de Van Amerongen

1. « J’ai infiltré pendant un an la communauté musulmane de Molenbeeket des Marolles, et ces gens … n’ont rien avoir avec la Belgique, ils haïssent les Belges. »

Remarque : Nouvelle utilisation du terme « infiltrer » pour mieux appuyer la conclusion :« Ils haïssent les Belges ». Par ce « Ils », doit-on entendre des « terroristes musulmans » qui« n’ont rien à avoir avec la Belgique » ? Ce nouvel amalgame raciste et l’accusation de haine sont d’autant plus absurdes qu’une grande partie de la dite « communauté musulmane » est belge, née en Belgique, scolarisée en Belgique et travaille en Belgique.

• Journaliste : « Parler-vous de toute la communauté marocaine, de toute la communauté musulmane de Bruxelles ? »

Remarque : Dans un accès de spontanéité, le journaliste commet à son tour un amalgame :musulman = marocain. Ce qui est faux. Mais cet aveu spontané dévoile QUI est censé se cacher derrière ce terme de « communauté musulmane ». Sachant qu’il existe - en Belgique comme dans le monde ! - des musulmans à la peau blanche, aux yeux bridés ou à la peau noire, De Rycke stigmatise bien « les Marocains » et par extension : « les Arabes ». Le fait qu’il se reprenne directement en parlant à nouveau de « toute la communauté musulmane » confirme la stigmatisation anti-arabe.

2. « Non, non, des Marocains avec leur barbichette, leur demi pantalons et les pieds nus dans leurs chaussures. Non, c’est une communauté très dangereuse, une bombe à retardement »

Remarque : après avoir tenté de ridiculiser « des Marocains », l’auteur retourne à son obsession. « Une communauté très dangereuse » habillée d’une métaphore parlante : la« bombe à retardement ». Allusion qui accole - pour la troisième fois ! - la caractéristique terroriste à la dite « communauté ». Aucun argument, aucune justification, aucun raisonnement ne vient étayer cette affirmation gratuite et raciste qui vise à effrayer l’auditoire.Et celle-ci doit se comprendre comme telle : « Les Arabes sont dangereux parce que terroristes ».

3. « Vous devriez vous concentrer sur les 25% de musulmans vivant àBruxelles. Le danger, il est là (…) Les Marocains sont bien plus dangereux que les Wallons ».

Remarque : L’amalgame raciste concernant « Les Marocains » se double d’un autre implicite : Les Wallons, dans leur ensemble, sont « dangereux ». Mais « beaucoup moins » que les Marocains …

Journaliste : « Vous dites ‘25% de musulmans à Bruxelles’. Sont-ils tous dangereux ? Non, quand même ? ».

Van Amerongen : « Non, mais si 1% d’entre eux sont dangereux, vous êtes mal barré… »

Remarque : Outre la falsification chiffrée, l’inouïe trivialité de cette « réponse » rend tout groupe « dangereux » puisque dans chaque groupe humain peut se trouver une minorité d’individualités dangereuses. A ce compte-là, les Belges, les Bouddhistes, les cyclistes, les footballeurs, les roux, les gros, etc. sont tous dangereux puisque certains d’entre eux peuvent l’être … Cette phrase démontre, à nouveau, le racisme de son auteur. Il sous-tend que la dangerosité supposée d’une minorité va contaminer l’ensemble de la dite « communauté musulmane ». Et il conclut : « Vous êtes mal barré ». Un « Vous » qui n’a pas les cheveux crépus ou le teint basané mais qui ressemble au physique blanc du présentateur…

4. « Que faut-il penser des Marocains qui vivent ici ? Vous pensez qu’ils sont loyaux envers le gouvernement belge ? Non. Ils nous haïssent. Les Marocains nous haïssent ».

Remarque : Ici, le discours est dénudé des précautions oratoires de pure forme telles que« communauté » ou « musulmans ». Il s’agit d’un discours raciste assumé et asséné dans lequel « Les Marocains », dans leur ensemble, sont « déloyaux » envers les autorités et« haïssent » les Européens. Ici encore, le « nous » concerne à la fois le présentateur et l’invité ; un Belge et un Hollandais. Plus prosaïquement, ce « nous » signifie « Blancs » ;« Les Marocains » signifiant « Les Arabes ».

5. A la question « Imaginons que cet attentat ait lieu (à Bruxelles) ? Qui le commettra et surtout pourquoi ? », Van Amerongen répond :« Des Marocains ! Regardez tous les attentats en Europe : Madrid, même en Angleterre … 80% sont des marocains ».« Mais que veulent-ils obtenir ainsi ? », cautionne le journaliste De Rycke.« La haine », répond Van Amerongen.« C’est la haine de la Belgique, des Pays-Bas, de l’Occident, de la culture chrétienne, de tout ce que vous voulez. Ils haïssent ce que nous sommes. Les Marocains nous haïssent ».

Remarque : le racisme profond contenu en filigrane dès le début de l’entretien est ici totalement débridé. Cette sordide apologie de l’exclusion et de la peur, qu’on croyait pourtant interdite de télévision, se trouve ici médiatisée comme une opinion certes raide mais finalement légitime. Ce cinquième extrait, qui n’a, pour l’instant, fait réagir aucune association antiraciste et qui bénéficie toujours d’une complaisance médiatique, confirme qu’aujourd’hui le racisme anti-arabe explicite est de plus en plus toléré ou … partagé.

6. « Bruxelles est emmerdée par les Marocains, et cette femme dit : ’Non,ce sont quelques marocains qui embêtent tout le monde. Venez avec nous … ’. L’hypocrisie des Marocains est terrible (…) C’est typiquement marocain de ne pas balayer devant sa porte et toujours se défendre. Ok, 10% des Marocains de Bruxelles sont des junkies, 10% sont des extrémistes, et elle dit : ’Non, venez avec moi et vous verrez un gentil marocain qui a un petit magasin, vous verrez comme ils sont gentils’. Non, il ne s’agit pas de ça, de ces 80% là. Il s’agit des 20% qui foutent la merde ici à Bruxelles ».

Remarque : Oscillant entre la généralisation raciste et les statistiques sorties de nulle part, M.Van Amerongen évoque les « gentils marocains ». Le raciste fréquentable les qualifie spontanément de « ça » … avant de se reprendre et d’ajouter : « Ces 80% là ». Un lapsus qui balaye l’écran de fumée aux apparences respectables que visait un verbiage pseudo-journalistique.

Relances inappropriées ou cautions racistes de Filip De Rycke

• Après avoir entendu que la « communauté musulmane » est une « bombe à retardement », Filip De Rycke ne trouve rien d’autre à opposer que : « N’est-ce pas un peu entretenir la culture de la peur ? ». L’absence de désapprobation claire face à cette affirmation raciste est inadmissible de la part d’un journaliste digne de ce nom.

• Après avoir entendu « Si 1% d’entre eux sont dangereux, vous êtes mal barré », De Rycke ne trouve rien de mieux à dire que : « Mais pouvez-vous dire dans quel délai ça va arriver cette … ». Van Amerongen suggère : « Cette bombe ? ». Et le journaliste d’enchaîner : « Oui, cette ‘bombe à retardement’ ». Au lieu de s’opposer radicalementà son invité, le journaliste cautionne l’affirmation raciste selon laquelle la dite« communauté musulmane » est une « bombe ». Et s’inquiète, « sérieusement », de savoir quand celle-ci va exploser… Si besoin était, la réponse de Van Amerongen confirme l’inanité de son « livre » : « Je n’en sais rien, mais ça arrivera »… Sidérant d’incompétence, d’ignorance, de bêtise et de racisme ordinaire. Au regard de l’Histoire, comment ces inepties xénophobes peuvent-elle encore être diffusées parune chaîne publique régionale ?
• En posant la question « Revenons à cette communauté musulmane que vous avez pu infiltrer. Est-ce que cela a été facile ? », Filip De Rycke cautionne l’imagerie selon laquelle la « communauté musulmane » de Bruxelles équivaudrait à une société secrète criminelle ou à une organisation terroriste clandestine. Il n’est possible de la découvrirqu’en l’infiltrant. Par cette question, anodine en apparence, le journaliste médiatise l’équation raciste : musulman = terroriste. Il le fera à trois reprises durant l’émission.Si besoin était, la réponse de Van Amerongen montre l’absurdité de ses investigations dignes d’une propagande raciste d’un autre temps: « Non, très difficile. Je n’ai pas bu pendant huit mois. Or j’apprécie une petite bière de temps en temps » …

« Vous avez dit : ‘Plus je rassemblais des informations, moins je parvenais à comprendre les Marocains’ (…) Si c’est votre sentiment, malgré tous vos voyages -vous avez été correspondant de guerre -, malgré vos études, votre métier, ce sentiment doit être partagé par le citoyen bruxellois lambda. Cela explique-t-il en partie pourquoi la vie en commun des deux communautés est si difficile ? Ou pourquoi elles ne se reconnaissent pas ? ». Avec cette ultime interrogation, le journaliste veut-il sauver ce qu’il reste des meubles que l’invité a brûlé en direct ? Trop tard et maladroit ! Ses études, ses voyages ou son passé n’ont pas empêché Van Amerongende présenter ses pulsions racistes comme des « informations ». En revanche, ces « critères » conjugués à la bienveillante mise en scène d’une critique formelle et de façade ont empêché Filip De Rycke de faire son métier en tenant la contradiction haute face à son interlocuteur.

Conclusion

tvbrussel a permis à un personnage controversé de déployer ses élucubrations racistes en associant 3 fois le mot « dangereux » à « communauté musulmane » et 7 fois le verbe « haïr » à « Marocains ». Le tout en 11minutes. Quasi chaque minute, la loi contre le racisme et la xénophobie a été violée. Dans l’indifférence générale. tvbrussel s’est-elle excusée ? Désire-t-elle programmer une émission plus intelligente et plus équilibrée ? Non, répond le rédacteur en chef de tvbrussel, Jan De Troyer, qui estime qu’il faut « avoir la possibilité d’écouter toutes les opinions » …

Olivier Mukuna

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