samedi 30 avril 2011

Algérie: Fausses Routes




Il ya plusieurs façons de faire fausse route. Continuer dans la même voie pour le régime. Et appeler à un coup d’Etat pour l’opposition. 
 


Que le Président Bouteflika soit malade cela ne constitue qu’un facteur aggravant de la crise. Cette dernière était déjà là quand le public sortait les chaises sur les trottoirs pour écouter aux terrasses des cafés le Bouteflika du premier mandat discourir à l’infini. Sur l’Algérie et sur le monde. Sur le passé et sur l’avenir. Sur le peuple et sur le pouvoir. Sur le président et sur les généraux.

 Mais sur toutes ces questions Bouteflika comme tous ses prédécesseurs- et ceux qui les ont fait- n’a eu que des discours. La réalité n’a jamais été abordée sérieusement. Par les actes. Ce n’était pas le but du jeu. Même si les discours se sont multipliés, tantôt se répétant. Tantôt se contredisant. Tantôt dans le style du sketch de Ramadan. Tantôt dans le savant babillage des experts. Et tantôt dans les roucoulements de quelques courtisans. Ou les rugissements de quelques opposants. La plupart en service commandé. Ou même pas. Ce qui est presque pire dans l’évaluation de l’état d’avilissement politique d’une société.

Bouteflika est malade et Ali yahia Abdennour demande sa destitution légale par recours à l’article 88 de la constitution.

A la tête d’une CNDC politiquement aussi malade que le Président lui-même, le vieux routier des Droits de l’Homme veut confier à un "conseil national de transition" désigné par un clan (fût-il de l’opposition!) la mission de tracer la feuille de route pour la sortie de crise.

On devine que cela ne va pas plaire aux autres clans. Ceux dans l’opposition. Pas plus que ceux déjà au pouvoir. Mais quel bonheur pour la crise! Enfin! Il y a là de la vraie matière pour continuer à faire comme avant en ayant l’air de changer. Et en changeant juste les figurants. Pour juste un épisode.

Et ce n’est pas le pire! Le pire est que le pays, sa crise multiforme, sa société déstructurée, sa morale en putréfaction avancée, ses équilibres précaires, ses élites sous influence, traumatisées ou au bord de la crise de nerfs, ne seront pas en mesure de supporter le choc d’une autre issue illusoire.

Encore une porte ouverte sur le vide et tout le monde descend! Ou plutôt tombe.
Qu’il est doux à demander Iskat ennidham! Quand on est persuadé que le Nidham c’est l’Autre!
Quand on oublie, ou ne sait même pas, de combien d’autres on est l’Autre! Et qu’on est le Nidham de tous ceux pour qui on est l’Autre.
On croit un certain nombre de choses assez curieuses chez nous.
Que seul le pouvoir est porteur de fausses solutions.
Que seul le pouvoir est concerné par le changement.
Que seul le pouvoir doit mettre ses actes en conformité avec ses paroles. 
Et quand ça tourne mal on appelle l’armée à un redressement révolutionnaire. Ou les jeunes à prendre le maquis.

Le problème est qu’on se trompe lourdement à demander aux militaires de prendre partie dans cette affaire.  Qu’ils n’ont plus les moyens, combien même en auraient-ils l’envie, de redistribuer les cartes comme ils l’ont toujours fait jusqu’ici.
 Le problème est que les jeunes d’aujourd’hui n’ont plus envie de mourir pour les multiples "opiums" des idéologies. Même pas celles d’Internet.

Tant qu’à faire avec la violence. Les maquis des narco-trafiquants et du trafic d’armes sont un horizon stratégique ouvrant bien plus de perspectives de promotion sociale qu’un statut de martyr pour une révolution «par et pour les autres».

Dans sa faillite, le Pouvoir algérien a réussi à entrainer la faillite de l’opposition. Et la faillite de la société. C’est là le drame. Et c’est à ce drame qu’il faut trouver une solution. C’est en cela que l’Algérie n’est pas concernée de la même manière que les autres par le "Printemps arabe".

La révolution, si elle devait avoir lieu ici, sera consensuelle, négociée et pacifique! A tous les autres programmes ce sera NON! Elle a déjà donné l’Algérie!

Aux illusionnistes, aux génies du changement par décret, aux révolutionnaires de palais, aux relais d’ambassades, aux imbéciles impénitents, aux prédateurs à dents longues, aux assassins, aux calomniateurs, aux fanfarons, aux traitres, aux criminels et aux mercenaires de toutes obédiences!
Elle a donné les plus naïfs de ses enfants. Les plus irremplaçables. Par ce qu’on mettra longtemps avant de faire pousser à nouveau sur cette terre de cette sorte d’enfants qui meurent pour des idées.

On ne mourra plus désormais que pour tuer. La nuance est de taille. Entre ces deux espèces de candidats au sacrifice. Il y a une génération qui a été sacrifiée. Et une autre qui préfère vendre chèrement sa peau. Et tant qu’à l’offrir ce sera aux poissons. Au feu. A la corde. Au bitume. Mais pas pour vos figures.

Les réactions au discours prononcé par le président Bouteflika vendredi dernier révèlent au moins une chose. La fracture qui traverse la scène algérienne entre une société virtuelle qui dispose du pouvoir réel, dont celui de neutraliser les institutions, et une société réelle qui ne dispose que d’un pouvoir virtuel, celui de se mobiliser.

Il reste quelques chances de sortir le pays de ce jeu pervers qui consiste à faire se télescoper le virtuel et le réel Sans que jamais ils ne se rencontrent.

Il est temps 50 ans après l’indépendance de libérer la société et le pouvoir. De ce piège des apparences. Fausses institutions, fausses sociétés, fausses mobilisations, fausses solutions et des textes à profusion.

Une seule règle en amont: pas d’exclusion. Une seule en aval: le respect de la règle. Et entre les deux se mettre d’accord sur la règle.

Par une curieuse ironie du sort, à l’époque où Bouteflika remplissait bien sa mission d’amuseur des foules, après le diner en s’installant pour rigoler un bon coup on allait écouter le président parler dans les chaumières et on disait faut pas rater Cassandra! C’était le nom du feuilleton mexicain à la mode avant l’arrivée des concurrents turcs. Pour rappel Cassandre est le nom de cette héroïne grecque qui annonce les catastrophes. Dont la destruction de Troie.

Pour rappel également, un homme averti de la chose politique algérienne avait dit de Bouteflika à son arrivée au pouvoir: il enterrera le système… ou le pays.

Ne l’aidons pas à enterrer le pays par de fausses solutions.

Salima Ghezali
26.04.11
Source: la nation

vendredi 29 avril 2011

«Le citoyen vit dans un sentiment d’insécurité informationnelle»


 «L’homme contemporain court le risque de devenir un ignorant bourré d’informations», explique Ignacio Ramonet, spécialiste des médias, dans son nouveau livre l’Explosion du journalisme (Éditions Galilée). Le développement d’Internet, s’il menace la presse papier, pourrait aussi marquer l’essor d’une démocratie renouvelée dans laquelle transparence et fluidité éroderaient toutes les dominations.


- Vous dites que «le journalisme traditionnel se désintègre complètement».
- Ignacio Ramonet. Oui, parce qu’il est attaqué de toutes parts. D’abord il y a l’impact d’Internet. Il est clair qu’Internet, en créant un continent médiatique inédit, a produit un journalisme nouveau (blogs, pure players, leaks.) directement en concurrence avec le journalisme traditionnel. Ensuite, il y a ce qu’on pourrait appeler la «crise habituelle» du journalisme, qui préexistait à la situation actuelle, c’est-à-dire la perte de crédibilité, directement liée à l’accélération générale des médias; la consanguinité entre un certain nombre de journalistes et d’hommes politiques. Le tout suscitant une méfiance générale du public. Enfin, il y a la crise économique qui provoque une chute très importante de la publicité, principale source de financement des médias privés. Ce qui entraîne de lourdes difficultés de fonctionnement pour les rédactions.

- Vous évoquez une perte de crédibilité, pourquoi?
- I. R. La perte de crédibilité des grands médias s’est accentuée ces deux dernières décennies essentiellement comme conséquence de l’accélération du fonctionnement médiatique. La presse n’a jamais été parfaite, faire du bon journalisme a toujours été un combat. Mais depuis le milieu des années 1980, nous avons assisté à deux substitutions. D’abord, l’information en continu à la télévision, plus rapide, a pris le pas sur l’information délivrée par la presse écrite. Cela a abouti à une concurrence plus vive entre médias, une course de vitesse qui laisse de moins en moins le temps de vérifier les informations. Ensuite, à partir du milieu des années 1990 avec le développement d’Internet, et depuis deux ou trois ans avec l’irruption de «néojournalistes», ces témoins-observateurs d’événements (sociaux, politiques, météorologiques, faits divers) qui sont une nouvelle source d’information extrêmement sollicitée par les médias eux-mêmes.

- Malgré ces pratiques de proximité, le public semble avant tout justifier sa défiance à l’égard de la presse par la promiscuité entre le pouvoir et les journalistes.
- I. R. Pour la plupart des citoyens, le journalisme se résume à quelques journalistes: ceux que l’on voit toujours et partout. Une vingtaine de personnalités connues, qui vivent un peu «hors sol», qui passent beaucoup de temps «embedded» avec les hommes politiques, et qui sont globalement fort conciliants avec eux. Bref, il s’est ainsi constituée une sorte de noblesse du quant à soi, leaders politiques et journalistes célèbres vivent et se marient même entre eux, c’est une nouvelle aristocratie. Mais ce n’est pas du tout la réalité du journalisme. La caractéristique principale de ce métier, aujourd’hui, c’est avant tout la précarisation. La plupart des jeunes journalistes sont exploités, très mal payés; ils travaillent à la pige, à la tâche, dans des conditions préindustrielles. Plus de 80 % des journalistes ont de petits salaires, toute la profession vit sous la menace de licenciements. Donc, à tous égards, la vingtaine de journalistes célèbres n’est pas représentative et masque la misère sociale du journalisme français. Et cela n’a pas changé avec Internet, cela s’est même aggravé. Dans les sites d’information en ligne créés par la plupart des médias, les conditions de travail sont encore pires. Est ainsi apparue une nouvelle sorte de journalistes exploités: les forçats de l’info, les pigistes d’abattage, les OS du Web, les galériens du clavier. Ce qui peut les consoler c’est que, peut-être, l’avenir leur appartient.

- Dans ces conditions le journalisme peut-il encore se prévaloir du titre de quatrième pouvoir, agit-il encore comme un contre pouvoir?
- I. R. On assiste à une extraordinaire concentration des médias. Si on observe la structure de la propriété de la presse nationale française, on constate qu’elle est entre les mains d’un très petit nombre de groupes. Une poignée d’oligarques - Lagardère, Pinault, Arnault, Dassault - est devenue propriétaire des grands médias français. Des médias qui expriment de moins en moins une pluralité mais sont soupçonnés de protéger les intérêts des grands groupes financiers et industriels auxquels ils appartiennent. En ce sens il y a crise du «quatrième pouvoir». Sa mission historique, qui consiste à créer une opinion publique disposant d’un sens critique et susceptible de participer activement au débat démocratique, n’est plus garantie. Aujourd’hui, les médias cherchent, au contraire, à domestiquer la société pour éviter toute remise en cause du modèle dominant. Les grands médias ont créé un consensus autour d’un certain nombre d’idées (la mondialisation, la construction européenne, le nucléaire, le libre-échange) considérées comme étant «bonnes pour tout le monde» et qui ne peuvent être contestées. Si vous les contestez, vous quittez ce qu’Alain Minc appelle le «cercle de la raison». Vous êtes donc dans la déraison.

- Vous appelez de vos vœux un cinquième pouvoir.
- I. R. Oui, si l’on fait le constat que le «quatrième pouvoir» ne fonctionne pas, cela pose un grave problème à la démocratie. Car il n’est pas imaginable de concevoir une démocratie sans véritable contre-pouvoir de l’opinion publique. L’une des spécificités d’une démocratie réside dans cette tension permanente entre le pouvoir et son respectif contre-pouvoir. C’est ce qui fait la versatilité, l’adaptabilité et la réalité de ce système. Le gouvernement a une opposition, le patronat a les syndicats. Mais les médias n’ont pas - et ne veulent pas avoir! - de contre-pouvoir. Or il y a une forte demande sociale d’informations sur l’information. Beaucoup d’associations, comme l’Acrimed, par exemple, passent déjà au crible de la véracité, le fonctionnement des médias. Les gens veulent savoir comment fonctionne la manipulation médiatique. Pour mieux s’en défendre. C’est ainsi qu’aujourd’hui nos sociétés démocratiques construisent, dans le tâtonnement bien entendu, un «cinquième pouvoir». Le plus difficile étant de faire admettre aux médias dominants que ce «cinquième pouvoir» puisse exister et qu’ils lui donnent la parole.

- Vous faites dans votre ouvrage un constat alarmant sur l’avenir de la presse écrite en général, qu’en est-il de la presse d’opinion?
- I. R. Les journaux les plus menacés sont, selon moi, ceux qui reproduisent toutes les informations générales et dont la ligne éditoriale se dilue totalement. Si pour le citoyen il est important que toutes les opinions s’expriment, cela ne veut pas dire que chaque média, en son sein, soit obligé de reproduire toutes ces opinions. En ce sens, la presse d’opinion, non pas une presse idéologique qui se ferait le relais d’une organisation politique, mais une presse d’opinion capable de défendre une ligne éditoriale définie par sa rédaction, est nécessaire. Dans la mesure où, pour tenter de combattre la crise de la presse, des journaux ont décidé de mettre sur le même plan, dans leurs colonnes, toutes les thèses politiques, de l’extrême gauche à l’extrême droite, au prétexte que tout se vaut, de nombreux lecteurs ont cessé d’acheter ces journaux. Parce que l’une des fonctions d’un journal, en plus de fournir des informations, est de conférer une «identité politique» à son lecteur. Or désormais, «leur» journal ne dit plus, aux lecteurs, qui ils sont. Au contraire, ils troublent son identité politique et l’égarent. Ils achètent, mettons, Libération et y lisent, par exemple, un entretien avec Marine Le Pen. Pourquoi pas? Mais ils peuvent y découvrir qu’ils ont peut-être quelques idées en commun avec le Front national. Et nul ne les rassure. Et cela les inquiète. Un tel brouillage de ligne a confondu de nombreux lecteurs. D’autant qu’aujourd’hui le flot d’informations qui circule sur Internet peut leur permettre de se faire leur propre opinion. En pleine crise des médias, le succès de l’hebdomadaire allemand Die Zeit est significatif. Il a choisi d’aller à l’encontre des idées et des informations dominantes, avec des articles de fond, longs, parfois ardus. Et il voit ses ventes s’accroître. Au moment où toute la presse fait la même chose: des articles de plus en plus courts, avec un vocabulaire d’à peine 200 mots. Die Zeit a choisi une ligne éditoriale claire et distincte, et se souvient par ailleurs que le journalisme est un genre littéraire.

- S’agissant de cette hyperabondance d’informations, d’Internet et de ses réseaux sociaux, vous évoquez tour à tour sagesse collective et abrutissement collectif?
- I. R. Jamais dans l’histoire des médias on a vu les citoyens contribuer autant à l’information. Aujourd’hui, si vous mettez une information en ligne, elle peut être contredite, complétée, discutée par tout un essaim d’internautes, qui, sur beaucoup de sujets, seront au moins aussi qualifiés, voire plus, que le journaliste auteur de l’article. Donc on assiste à un enrichissement de l’information grâce à ces «néojournalistes», ceux que j’appelle les «amateurs-professionnels». Rappelons que nous sommes dans une société qui n’a jamais produit autant de diplômés de l’enseignement supérieur, le journalisme s’adresse donc aujourd’hui à un public, qui par segments, bien sûr, très éduqué. Par ailleurs, les dictatures qui veulent contrôler l’information n’y parviennent plus, on l’a vu en Tunisie, en Égypte et ailleurs. Souvenons-nous que l’apparition de l’imprimerie, en 1440, n’a pas uniquement transformé l’histoire du livre, elle a bouleversé l’histoire et le fonctionnement des sociétés. De même, le développement d’Internet n’est pas qu’une rupture dans le champ médiatique, il modifie les rapports sociaux. Il crée un nouvel écosystème qui produit parallèlement une extinction massive de certains médias, en particulier de la presse écrite payante. Aux États-Unis quelque 120 journaux ont déjà disparu. Cela veut-il dire que la presse écrite va disparaître? La réponse est non, l’histoire montre que les médias s’empilent, ils ne disparaissent pas. Cependant, peu de journaux vont résister. Survivront ceux qui auront une ligne claire, qui proposeront des analyses fouillées, sérieuses, originales, bien écrites. Mais le contexte d’hyperabondance d’informations a également pour effet de désorienter le citoyen. Il n’arrive plus à distinguer ce qui est important et ce qui ne l’est pas. Qu’est-ce qui est vrai, qu’est-ce qui est faux? Il vit dans un sentiment permanent d’insécurité informationnelle. De plus en plus, les gens vont donc se mettre rechercher des informations de référence.

- Comment assurer un avenir à l’information et à ceux qui la font alors que celle-ci est désormais accessible gratuitement?
- I. R. S’il est incontestable que c’est la presse en ligne qui va dominer l’information dans les années à venir, reste évidemment à trouver un modèle économique viable. Pour l’instant, la culture dominante d’Internet est effectivement la gratuité. Mais nous sommes, au moment actuel, entre deux modèles, et aucun des deux ne fonctionne. L’information traditionnelle (radio, télévision, presse écrite) est de moins en moins rentable, et le modèle de l’information en ligne ne l’est pas encore, à de très rares exceptions près.

- Au fond, ces nouveaux espaces médiatiques ont-ils une chance de modifier les rapports de domination qui prévalent aujourd’hui au sein même de la société?
- I. R. J’ai consacré, dans mon ouvrage, un chapitre important à WikiLeaks (site Internet qui donne audience aux «fuites d’informations»). C’est le domaine de la transparence. Dans nos sociétés contemporaines, démocratiques, ouvertes, il sera de plus en plus difficile, pour le pouvoir, d’avoir une double politique: l’une vis-à-vis de l’extérieur, et l’autre plus opaque, plus secrète, à usage interne, où le droit et les lois peuvent être transgressés. WikiLeaks a fait la démonstration que les médias traditionnels ne fonctionnaient plus et n’assumaient plus leur rôle. C’est dans la niche de leurs carences que WikiLeaks a pu pousser et se développer. Ce site a aussi dévoilé que la plupart des États avaient un côté obscur, caché. Mais le grand scandale, c’est qu’après les révélations de WikiLeaks, il ne se soit rien passé! Par exemple, WikiLeaks a révélé que, à l’époque de la guerre d’Irak, un certain nombre de dirigeants socialistes français allaient faire allégeance à l’ambassade des États-Unis à Paris pour expliquer aux Américains que s’ils avaient été au pouvoir, ils auraient engagé la France dans cette guerre. Et cela n’a pas fait de vague. Alors que c’était presque de la haute trahison.

- Cette évolution vers plus transparence peut-elle alors avoir des effets concrets?
- I. R. Elle va nécessairement jouer sur les privilèges des élites et les rapports de domination. Si les médias peuvent jusqu’ici s’attaquer au pouvoir politique, c’est parce que le politique a perdu beaucoup de son pouvoir au profit des sphères financières. C’est sans doute dans l’ombre de la finance, des traders, des fonds de pension. que s’établit aujourd’hui le véritable pouvoir. Or ce pouvoir demeure préservé parce qu’il est opaque. Il est significatif que la prochaine grande révélation de WikiLeaks concerne justement le secret bancaire! Il est possible aujourd’hui, grâce aux nouveaux systèmes médiatiques, de s’attaquer à ces espaces occultes. Ce pouvoir est comme celui des vampires, la lumière le dissout, le réduit en poussière. On peut espérer que, grâce aux nouveaux médias numériques, ce sera au tour du pouvoir économique et financier d’être désormais interrogé et dévoilé.

Entretien réalisé par Frédéric Durand
13.04.11 
Source: medelu 

jeudi 28 avril 2011

Immigration et Islam: retour sur quelques ignominies


 «Le mensonge moderne (...) est fabriqué en masse et s'adresse à la masse. (...) Aussi, si rien n'est plus raffiné que la technique de la propagande moderne, rien n'est plus grossier que le contenu de ses assertions qui révèlent un mépris absolu et total de la vérité.» A. Koyré. Réflexions sur le mensonge.


Pendant que son maître s'active sur la scène internationale pour porter "haut les couleurs de la France", le vibrionnant ministre de l'Intérieur, cette éminence très grise passée de l'ombre à la lumière selon l'expression consacrée, veille sur le pays, ses frontières et sa sécurité intérieure. Au premier, la conduite de «nos vaillantes armées combattant pour la liberté des peuples», comme le répète la propagande officielle, au second, la protection de nos «concitoyens» et de leur «mode de vie.»

Multipliant déclarations et déplacements sur le terrain, qui feraient presque passer Eric Besson et Brice Hortefeux pour des amateurs velléitaires, Claude Guéant croit découvrir chaque semaine un nouveau péril national qu'il entend combattre avec la mâle fermeté qui sied à ses fonctions régaliennes. Que ne ferait-il pas pour que la France, qu'il prétend incarner et défendre, «reste la France»? Peu après son entrée en fonction, il s'alarmait des «vagues migratoires» en provenance du Maghreb puis de la générosité suspecte de celles et ceux qui sont en charge de la procédure d'asile. Plus récemment encore, il confiait ses inquiétudes face à l'augmentation considérable, selon lui, du nombre de musulmans présents sur le territoire national. Entre «cinq et six millions» soutenait-il avec l'air grave et entendu de celui qui révèle un secret important ignoré jusque-là sans que nul ne s'étonne de ces chiffres et de leur imprécision qui ne laisse pas de surprendre dans la bouche d'un homme réputé tout connaître de la place Beauvau. Mais que font les nombreux fonctionnaires des services?

Trois assertions, trois mensonges! Des centaines de milliers d'immigrés étaient annoncés par les gouvernements italien et français toujours prompts à exploiter le moindre fait divers pour satisfaire, par un prurit xénophobe et sécuritaire, leur électorat respectif; 22.000 environ sont effectivement arrivés sur l'île de Lampedusa. Quant aux demandeurs d'asile, le rapport d'activité de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), rendu public il y a quelques jours, révèle que le taux global d'admission, ayant débouché sur l'octroi du statut de réfugié, a baissé de presque 2 points entre 2009 et 2010 pour s'établir à 27,5% ce qui représente 10.340 personnes pour cette dernière année. Invasion? Charges insupportables pour les finances publiques? Menaces pour l'emploi des Français? Laxisme des fonctionnaires et des juges de la Cour national du droit d'asile comme le laisse entendre le ministre de l'Intérieur qui a commandé une étude sur le sujet? Tromperies de bonimenteur, bien plutôt, destinées à alimenter sans fin le phantasme de «flux migratoires incontrôlés et massifs» ce qui permettra de justifier l'adoption de nouvelles mesures restrictives et, par la grâce de quelques opérations policières médiatisées avec soin, de mettre en scène l'efficacité prétendue du gouvernement.

Quant aux musulmans, enfin, une enquête conjointe menée par l'Insee et l'Ined démontre qu'ils ne sont que 2,1 millions (Cfr. Les Echos, 16 mars 2011) ce qui n'empêche pas une certaine presse, qui se croit encore courageuse et indépendante, de relayer avec une servilité remarquable le discours officiel. C'est ainsi que dans Le Figaro du 8 avril 2011, Ivan Rioufol, qui croit informer ses lecteurs lors même qu'il se comporte comme un vulgaire propagandiste, reproduit les contre-vérités de Claude Guéant en ignorant superbement l'étude précitée. N'oublions pas le vaillant directeur de L'Express, Christophe Barbier, qui, affublé de son inévitable écharpe rouge, a cautionné par sa présence à la tribune et ses propos ineptes le pseudo-débat organisé par l'UMP sur la laïcité en déclarant qu'il était «bon en début de campagne de poser des problèmes philosophiques.» Si penser, c'est distinguer, ce journaliste en vue est à l'évidence victime d'un lourd sommeil dogmatique qui lui fait prendre des vessies pour des lanternes, et des discours idéologiques convenus pour l'expression de la vérité et de la sagesse. Chapeau bas devant une telle confusion qui anéantirait les espoirs de tout candidat au baccalauréat mais dans le petit monde de monsieur Barbier, où les connivences politico-médiatiques tiennent lieu de principe, cela est sans conséquence. Admirable ! Sur ce sujet, il persévère dans la grossièreté intellectuelle et l'amalgame racoleur puisqu'au mois d'octobre 2010 on pouvait lire en Une de L'Express le titre suivant: L'Occident face à l'Islam. Le retour de la menace terroriste. La poussée des fondamentalistes. L'échec de l'intégration. Les forces politiques qui en profitent. Subtil, n'est-il pas?

A ceux qui se comportent ainsi et violent les règles déontologiques élémentaires de leur profession en s'épargnant la peine de vérifier la véracité des propos tenus par certains dirigeants politiques, rappelons ces lignes écrites il y a cinquante ans: «Journaliste, j'avais besoin de croire (...) que la publicité n'est pas partout la reine, que le fin du fin de la profession ne consiste pas à coller le masque de la moralité sur des reportages immondes, que le dernier mot de notre métier n'est pas de flatter la paresse du public et sa lubricité, ni de lui fournir des images et des gros titres pour le dispenser de lire le reste...» Qui est l'auteur de cette mise en garde salutaire et toujours d'actualité, hélas? Jean-Paul Sartre? Non, Claude Mauriac. Quel journal a publié l'article d'où cette citation est extraite? Un organe de la gauche "angélique" et "irresponsable" comme l'écrivent quelques éditorialistes aujourd'hui? Erreur. Il s'agit du Figaro littéraire le 30 septembre 1961.

Sur l'immigration, les réfugiés et l'Islam, Claude Guéant, adepte de la tolérance zéro, est un menteur multirécidiviste qui traite la réalité et les rapports officiels d'institutions reconnues en vulgaires chiens crevés cependant que se dévoile une méthode éprouvée de gouvernement: mentir donc en faisant passer des propos hyperboliques pour des déclarations informées et sérieuses. Pareil comportement témoigne d'un mépris remarquable de la vérité et de données statistiques pourtant établies par des spécialistes et, plus fondamentalement, d'une corruption du débat public soutenue par le désir de manipuler l'opinion en faisant croire que les immigrés et les musulmans menacent l'identité et la stabilité nationales. De là ce "diagnostic": «la panne de l'intégration» désormais répété comme une vérité première par une cohorte hétéroclite de Diafoirus bavards qui croient ausculter la société française. Piètres médecins mais vrais idéologues qui masquent ainsi l'échec des politiques conduites en direction des quartiers populaires en faisant porter la responsabilité des maux sociaux qui les ravagent à celles et ceux qui sont victimes de discriminations multiples, réitérées et graves. L'ethnicisation des réalités observées et le recours quasi pavlovien à l'Islam comme facteur d'explication prétendu sont au fondement de cette opération au terme de laquelle les habitants de ces quartiers sont désignés comme les nouvelles classes pauvres et dangereuses. L'objectif est clair: nourrir sans cesse le sentiment d'insécurité et la peur suscitée par ces "Autres" réputés incarner une étrangeté absolue, et pour cela irréductible et menaçante.

Spéculer sur ces deux affects afin de s'appuyer ensuite sur une réalité subjective et collective qui, pour être sans rapport avec les phénomènes constatés, permettra au ministre de l'Intérieur, au gouvernement et aux dirigeants de l'UMP d'affirmer qu'ils sont à l'écoute des Français; telle est donc la stratégie arrêtée. C'est ainsi que le plus idéologique passe alors pour le plus objectif car les dirigeants politiques qui agissent de la sorte entretiennent constamment la confusion entre la perception de certaines réalités, en partie forgée par eux et quelques journalistes, et les réalités elles-mêmes. En ces matières, Claude Guéant est un orfèvre habile et sans scrupule qui use de procédés rhétoriques et démagogiques identiques à ceux employés depuis fort longtemps par les Le Pen père et fille. Pour conserver le pouvoir, le parti majoritaire est prêt à tout; chaque jour les fidèles de Nicolas Sarkozy en apportent les preuves tangibles et multipliées. Le printemps semble léger et doux, mais le fond de l'air est sinistrement lourd.

Olivier Le Cour Grandmaison
20.04.11
Source: mediapart

mercredi 27 avril 2011

Chine-Turquie: la question du Xinjiang

L’effondrement de l’Union soviétique, l’affirmation de l’Islam politique, la mondialisation ouvrent de nouveaux horizons. La Turquie tourne son regard vers l’immensité des steppes d’Asie Centrale. Le pantouranisme, la volonté de penser les peuples turcs de l’Adriatique à la muraille de Chine comme une même communauté de destin et de civilisation imprègne l’ensemble de l’arc politique. Cette idée d’une aire géographique à l’échelle continentale est à la source d’un puissant sentiment d’appartenance et de fierté. Le Xinjiang ou Türkestan oriental jouit d’une place particulière dans l’imaginaire national. À l’origine, le berceau historique du premier empire turc, se situait entre le désert de Gobi et les monts de l’Altaï. Signe de la prégnance de cette plus longue mémoire, un décret oblige depuis 1993 l’insertion d’une carte du monde turc, à la fin de chaque manuel scolaire.

Peu avant sa mort, le fondateur de la Turquie moderne, Mustapha Kemal prédisait: «Un jour le monde verra avec stupeur s’éveiller et se mettre en marche cet empire invisible qui gît, encore ensommeillé dans les flancs de l’Asie». Kemal était convaincu qu’à un moment donné cette entité prendrait conscience d’elle-même et se détacherait de la tutelle des Russes et des Chinois comme la Turquie républicaine s’était arrachée des griffes de l’Occident.

Cette conception hypertrophiée de l’identité renvoie à la politique étrangère d’Ankara. Elle se décline en trois grandes familles de pensée:
- La synthèse islamo-nationaliste
- Les souverainistes
- L’école néo-ottomane

Ce classement est arbitraire dans la mesure où les délimitations sont souvent floues. Un même auteur peut se situer à la confluence de plusieurs courants. Bien que leur influence soit inégale, ils marquent chacun à des degrés variables un intérêt pour les populations turques vivant hors d’Anatolie. Si l’école islamo-nationaliste influence les réactions épidermiques les plus visibles de l’opinion publique, son impact réel sur la politique étrangère d’Ankara est limité. Inversement, les tenants du néo-ottomanisme, proches du parti islamiste au pouvoir, ou les souverainistes, liés à l’armée, sont davantage en mesure de peser sur les décisions. Ami, rival, partenaire, ennemi, Pékin est inclus dans un large spectre de points de vue. Mais, à chaque fois, l’analyse des positions turques renvoie à la question du Xinjiang.

La synthèse islamo-nationaliste
La synthèse turco-islamique allie religion traditionnelle et nationalisme. Elle est depuis le début des années 80 l’idéologie officieuse de l’État turc. Instaurée avec l’aide des militaires soucieux d’éradiquer la subversion gauchiste en canalisant la soif de sacré de la population, elle revendique une voie particulière. Les Turcs sont prédestinés à l’Islam, leur croyance chamaniste annonçait déjà l’idée d’un Dieu unique. Les Turcs en se convertissant à la religion de Mahomet ont sauvé l’Islam des croisés. A contrario, sans l’Islam, l’identité turque aurait dépéri. Les islamo-nationalistes rappellent souvent l’exemple des Bulgares, des Hongrois qui ont perdu leur turcité en refusant l’Islam. Dès lors, la Turquie doit reprendre son rôle de protectrice des musulmans et des Turcs à travers le monde.

Théoricien de la synthèse islamo-nationaliste et du courant souverainiste, Suat Ilhan définit le monde turc de la manière suivante: il rassemble « les États Turcs indépendants, les communautés autonomes turques, les minorités turques, les pays dans lesquels il y a des ressortissants turcs, les traces de culture turque. Le Taj Mahal en Inde, les ponts sur la Drina, la mosquée de Tolun en Egypte sont autant de vestiges cette grandeur passée» (1). Si l’on applique cette grille de lecture à la Chine, il est de fait qu’une partie importante de son territoire relève du monde turc. La grande muraille qui a protégé pendant des siècles la Chine des assauts des peuples nomades turcophones, n’est qu’à 70 kilomètres de Pékin…

La Chine est perçue avec une profonde défiance. En raison de son régime politique, elle est assimilée à une dictature athée qui opprime les musulmans. Necemettin Özfatura, penseur issu des cercles nationalistes et contributeur régulier au quotidien Türkiye, souligne la dimension religieuse qu’il perçoit dans la répression de Pékin: «Le génocide commis par les Chinois au Türkestan oriental, n’est ni le premier, ni le dernier commis contre des Turcs musulmans» (2). Pour ce courant, le Xinjiang est partie intégrante de la communauté des croyants (Umma). Il abrite le tombeau du maître soufi Bugra Khan. Il est islamisé depuis des siècles. Il existe une communauté d’appartenance irrévocable entre la Turquie et le Türkestan oriental. «Le Türkestan oriental est partie intégrante de notre âme et de nous-même. Pendant 11 ans de 1886 à 1877 le Türkestan fut une province ottomane» (3) [ Le Türkestan avait symboliquement reconnu l’autorité du Sultan-calife] s’exclame Özfatura. En d’autres termes, il semble qu’à partir du moment où l’attention de l’opinion mondiale se fixe sur un territoire qui a relevé de la Sublime Porte, l’orgueil national turc brutalement réveillé, ne peut admettre que la souveraineté y soit exercée par un pays tiers. C’est le complexe de la souveraineté évincée…

Les théoriciens de la synthèse islamo-nationaliste considèrent la Chine comme un géant au pied d’argile miné par des dissensions internes, prêt à s’affaisser sur lui-même à la première crise. La «Chine comme l’Union soviétique éclatera et le régime s’effondrera, nous le verrons un jour» (4). Si les républiques d’Asie centrale se sont libérées du joug communiste, l’indépendance du Türkestan oriental est, elle aussi, inéluctable. Ses ressources en matière première (gaz, pétrole, uranium) garantissent largement sa viabilité.
 Aussi, Ankara n’a pas intérêt à ménager particulièrement Pékin y compris pour des raisons d’ordre économique. Les échanges entre les deux pays profitent en priorité à Pékin. «Les Chinois exportent 80 % de leurs marchandises contre 20 % pour nous. Dès qu’un navire chinois arrive dans nos ports une usine ferme» (5). Selon les islamo-nationalistes, il serait donc normal que la Turquie adopte une politique plus protectionniste et qu’elle ait recours à l’arme du boycott.

Ces représentations sont largement répandues dans l’opinion publique. Elles servent de prêt-à-penser à toute une génération de politologues, d’historiens et de journalistes. Elles forment un consensus rarement remis en question et sont à l’origine de pensées-réflexes particulièrement perceptibles en cas de tensions ou de crises. Les propos de Tayip Erdogan qualifiant la répression chinoise des émeutes de juillet 2009 de «génocide» en sont une illustration parmi d’autres. Néanmoins, si l’on quitte la sphère de l’émotionnel et des réactions épidermiques, l’influence de la synthèse turco-islamique est restreinte. Elle n’influe pas réellement sur les grandes orientations politiques. L’on peut juger de son influence à l’aune de son impact sur la crise yougoslave. En dépit d’une très forte campagne dans l’opinion sur le thème: «La Bosnie ne sera pas une nouvelle Andalousie», Ankara ne s’est jamais départie d’une grande prudence dans sa politique balkanique. Tout au plus la Turquie a-t-elle permis l’acheminement d’une aide humanitaire. La réserve d’Ankara prend son origine dans son refus d’avaliser un précédent qui remettrait en cause l’intangibilité des frontières. Cela est particulièrement vrai pour le Kosovo. Ces considérations renvoient bien entendu au problème kurde…

Les réseaux de soutien aux Ouïgours liés à la mouvance islamo-nationaliste se retrouvent dans certains partis de la droite radicale:
- Le Parti de la Grande Union (BBP) scission islamiste du Parti d’Action Nationaliste (MHP).
- Le Parti de la Félicitée (Saadet Partisi) parti islamiste orthodoxe
- Le Milli Görüs, organisation islamiste interdite en Turquie mais autorisée en Europe matrice originelle de la plupart des partis islamistes en Turquie
- Des quotidiens populaires à grands tirages: Türkiye, Vakit, Milli Gazete
- La confrérie des Nakshibendis

Les souverainistes
Le mouvement souverainiste a émergé en Turquie au tournant des années 2000. Par-delà le traditionnel clivage droite-gauche, il rassemble des patriotes d’obédiences diverses mais tous attachés au maintien de l’État et de la nation dans la forme léguée par Mustapha Kemal à sa mort en 1938. Il mêle kémalistes proche du Parti Républicain du Peuple et nationalistes bon teints sympathisants du Parti d’Action Nationaliste. Cette mouvance conjugue rejet de l’Occident, attachement au rôle de l’État, refus du processus d’adhésion à l’Union européenne. Hostile aux États-Unis, elle considère avec une grande suspicion le Parti de la Justice et du Développement qu’elle accuse de servir les ambitions de Washington et d’être à l’avant-garde d’un projet d’Islam modéré en contradiction avec les principes fondateurs de la République.

Pour cette mouvance, Ankara doit rompre avec l’Union Bruxelles et réorienter sa politique étrangère dans une perspective eurasiste. La Russie, les Républiques d’Asie Centrale et dans une certaine mesure la Chine offrent des voies alternatives. Proche de l’institution militaire, cette mouvance dispose de solides réseaux dans les rangs des officiers supérieurs.

À la différence de la synthèse turco-islamique, les souverainistes ne font pas de la religion un point non-négociable de leur orientation en politique étrangère. Au contraire, attachés aux notions de laïcité, d’État-nation, de non-ingérence dans les affaires étrangères, ils ont tendance à se méfier des courants religieux ou politiques à vocation transnationale. Ils sont fidèles en cela à la devise kémaliste «Paix dans le monde, paix dans le pays». Les rapports avec la Chine sont donc perçus sous l’angle de la realpolitik. Les souverainistes pointent deux problèmes dans les rapports turco-chinois:
- Chypre
- Le PKK

Défendant l’intangibilité des frontières et la notion d’intégrité du territoire Pékin est en accord avec les thèses de Nicosie. Elle défend un règlement dans le cadre des Nations Unies et une réunification de l’île sous l’égide du seul gouvernement reconnu officiellement par la communauté internationale. La Chine n’a jamais appuyé les projets séparatistes ou de nature confédérale d’Ankara sur l’île d’Aphrodite (6).

Les souverainistes turcs reprochent aux Chinois leur immixtion dans les problèmes intérieurs turcs en particulier sur la question kurde. Ils énumèrent les ouvrages et les revues, journaux édités par des organismes d’État en faveur de la cause séparatiste. En outre, ils soulignent l’importance de l’armement chinois équipant les milices kurdes d’Irak du Nord (7).

Toutefois les souverainistes reconnaissent que certaines critiques chinoises sont justes. On ne peut réprimer le PKK au nom de l’unité nationale et, d’un autre coté, se faire le porte-parole d’un mouvement séparatiste au Xinjiang sous le prétexte qu’il s’agit d’un peuple turcophone. En substance, chacun devrait ne pas se mêler des affaires intérieures des autres. L’amitié de la Chine doit être recherchée et cela pour trois raisons:
- La Chine est un grand pays et elle est membre du Conseil de sécurité des Nations Unies. En 2030 elle aura dépassé les États-Unis.
- Sur la question de Chypre et du PKK, la Chine peut influencer la communauté internationale. Autant donc ne pas la provoquer.
- La Turquie doit travailler à prendre des parts de marché en Chine.

Pour les Dr Hidayyet Nurani Ekrem, chercheur au TÜRKSAM, think-tank souverainiste proche de l’armée «la politique extérieure d’un pays est le prolongement de sa politique intérieure. En même temps, la politique extérieure d’un pays a pour devoir de préserver les intérêts nationaux. La politique étrangère doit bénéficier aux intérêts nationaux» (8). Dès lors, comme le Kurdistan, le Xinjiang relève des affaires intérieures de la Chine. «Le Türkestan doit jouer le rôle de point de contact entre la Turquie et la Chine. Dans cette perspective l’intérêt stratégique du Türkestan doit prendre le rôle d’un pont entre les deux pays» (9). Sans l’avouer trop ouvertement les souverainistes turcs reconnaissent que les Chinois ont accordé un statut de région autonome au Xinjiang, des droits en matière culturelle, linguistique, éducative qu’ils n’auraient jamais eux-mêmes concédés aux Kurdes…
Aussi, il n’existe pas à proprement parler dans la mouvance souverainiste d’organisations de soutien aux Ouïgours. La priorité demeure la défense et le maintien de l’État turc dans ses frontières actuelles.

L’école néo-ottomane
L’école néo-ottomane désigne à l’origine un groupe de personnalités issues de la mouvance religieuse et nationale-libérale gravitant autour de Türgüt Özal, Président de la République dans les années 80-90. Pour bon nombre, ils sont proches à l’origine de la synthèse turco-islamique. Ils considèrent le kémalisme avec scepticisme. La Turquie républicaine par la brutalité de ses réformes s’est, selon eux, coupée de son environnement traditionnel. Depuis lors, elle souffre d’une véritable lobotomie culturelle. La Turquie est le pays le plus apte à prendre le flambeau du monde musulman, comme le fut auparavant l’empire ottoman.

Toutefois, à la différence des cercles islamo-nationalistes, l’école néo-ottomane ne rejette nullement l’ouverture vers l’Occident. Au contraire, elle nourrit une certaine fascination pour le modèle anglo-saxon capable d’allier en même temps foi, démocratie et économie de marché. Loin de succomber à la tentation chimérique d’une hypothétique restauration impériale, les Néo-ottomans prônent le recours au soft power.

À l’image des grandes puissances et de leurs anciens espaces coloniaux, la Turquie peut légitimement prétendre à sa propre zone d’influence. Ahmet Davutoglu, actuel ministre des Affaires étrangères et principal théoricien de cette mouvance estime que la Turquie appartient par ordre décroissant à trois grands espaces:
- Le monde arabo-musulman
- Le monde turcique avec l’Asie centrale
- L’Occident avec l’espace balkanique

Ankara doit se libérer des chaînes autarciques de la politique kémaliste pour devenir un acteur global de l’échiquier planétaire.

Dans son ouvrage fondamental, Strategik Derinlik, (Profondeur stratégique), il insiste sur la notion de puissance civilisationnelle. Les civilisations islamiques, indiennes, confucéennes ont autant le droit d’affirmer leur spécificité que la civilisation occidentale. L’erreur à éviter, selon Davutoglu, serait de «juger la politique chinoise à l’aune de critères humanitaires et non à partir de sa culture». La Turquie est asiatique par son histoire, aussi «jouer la carte culturelle est susceptible de procurer des avantages immédiats». De cette façon, «la Turquie pourra compenser sa faiblesse numérique par celle de l’insertion culturelle» (10).

Une fois prise en compte cette dimension, il faut replacer les relations turco-chinoises dans leur environnement. Davutoglu souhaite voir Ankara jouer un rôle actif en Asie Centrale, en devenant un arbitre à l’intersection des États-Unis, de la Russie et de la Chine. La Turquie, remarque Davutoglu, est le «seul membre de l’OTAN à disposer d’une profondeur stratégique en Asie» (11). Cependant, cette appartenance au camp occidental ne doit pas faire renoncer à Ankara ses propres spécificités géostratégiques. Au contraire, en s’affirmant la Turquie pourra approfondir sa marge de manœuvre dans la consolidation de ses rapports avec Pékin sans pour autant être estampillé automatiquement comme fourrier de Washington. L’Asie Centrale et les liens particuliers qui unissent la république anatolienne à ses épigones des steppes offrent à Ankara la possibilité de devenir une puissance médiane à «la croisée du local, du global et du continental» (12).

Quatre puissances influent directement sur le devenir de l’Asie centrale selon Davutoglu: la Russie, la Turquie, la Chine, le Japon. La rivalité d’Ankara avec Moscou est le pendant de la confrontation opposant à l’autre extrémité Pékin à Tokyo. «Mais il y a aussi une concurrence entre la Chine et la Russie sur l’Asie Centrale, des motifs de discorde entre le Japon et la Russie au sujet des îles Kouriles. Dès lors chaque relation transversale influe sur l’ensemble de l’Asie centrale» (13). Conséquence de ce billard à plusieurs bandes, Ankara doit ajuster ses relations en permanence avec la Chine, la Russie, le Japon.

Cet équilibre entre puissances est précaire. Une démographie incontrôlée peut tout bouleverser estime Davutoglu. Le Kazakhstan est plus étendu que le plus grand pays de l’UE, or sa population s’élève à peine à 17 millions d’habitants. En comparaison, avec sa superficie, surenchérit Davutoglu, «le Türkestan oriental qui recoupe 25 % du territoire chinois est faiblement peuplé. C’est comme si en proportion la superficie de l’Afrique était peuplée de manière équivalente à la Sibérie» (14).

Il est donc évident que le décalage existant entre les très fortes densités de population existant en Chine maritime et le vide existant en Asie centrale induit un déséquilibre et de futures crises, car «l’Asie centrale est l’espace de projection du trop plein démographique» chinois (15). Sur le long terme la Chine élargit son emprise démographique et économique sur l’Asie orientale, mais pour cela elle a besoin de se porter au-devant des ressources énergétiques en gaz, pétrole d’Asie centrale et du Moyen-Orient. Davutoglu note qu’avec la disparition de l’Union soviétique, il est beaucoup plus difficile de juguler la pénétration chinoise en Asie Centrale. A contrario, simultanément, l’émancipation des républiques turcophones a fait germer au Xinjiang «le désir d’autodétermination» (16).

Davutoglu appréhende la poussée chinoise en Asie Centrale. Démographiquement et économiquement la Russie et les Républiques turcophones ne sont pas en mesure de faire obstacle. Dès lors la formation de point d’abcès ralentissant cette progression vers les champs énergétiques, n’est pas forcément inutile. La crise au Xinjiang peut faire gagner de temps. En outre, Davutoglu, à l’inverse du courant souverainiste, ne remet pas fondamentalement en cause le tropisme atlantiste de la Turquie. Aussi, la Turquie peut-t-elle ponctuellement sous-traiter la politique américaine en Asie centrale. D’autant que la présence de Washington en Afghanistan s’explique en grande partie par la volonté de bloquer les routes énergétiques de la Caspienne à Pékin.

Réseaux pro-Ouïgours et main de la CIA?
Les Ouïgours peuvent compter sur l’appui discret de cercles proches du gouvernement turc et du parti au pouvoir, l’AKP. La confrérie nurcu de Fethullah Gülen qui compte un nombre important de l’AKP est en première ligne (17). Cette confrérie travaille en Asie centrale depuis de nombreuses années à la formation des élites locales. Outre des écoles, des universités, les Fethullacis possèdent de nombreux journaux, chaînes de radio et télévisions. Étroitement associée à la CIA, l’activité de la confrérie est considérée avec défiance par Moscou qui l’a interdite de séjour sur son territoire. Marc Grosseman et Morton Abramowitz anciens ambassadeurs des États-Unis à Ankara supervisent l’action de la confrérie. Ils agissent conjointement avec Graham Fuller, ancien vice-président de la CIA et principal promoteur du projet d’Islam modéré. Fuller est par ailleurs auteur d’un rapport sur le Xinjiang en 1998, révisé en 2003 pour la Rand Corporation. Abramowitz, Fuller ont parrainé en septembre 2004 à Washington «un gouvernement du Türkestan en exil». Par ailleurs, Enver Yusuf Turani chef de ce gouvernement fantôme est un proche de Gülen.

Tancrède Josseran
25.04.11
Notes:
( 1 ) Suat Ilhan, Türk olmak zordur, Alfa, Istanbul, 2009, p. 632.
( 2 ) Türkiye, 14 juillet 2009, Necati Özfatura, Dogu Türkistan’da zülüm, [La tyrannie au Türkestan oriental].( 3 ) Idem.
( 4 ) Idem.
( 5 ) Türkiye, 4 août 2009, Necati Özfatüra, Dogu Türkistan’da son durum, [Dernier état des lieux au Türkestan oriental].
( 6 ) www.türksam.org/tr/a35.html. Hiddayet Nurani Ekrem Türkiye-çin iliskisinde dogu Türkistan [Le Türkestan oriental dans les relations turco-chinoises].
( 7 ) Idem.
( 8 ) Idem.
( 9 ) Idem.
( 10 ) Ahmet Davutoglu, Stratejik Derinlik, [Profondeur stratégique], Kure, Istanbul, 2008, p.494.
( 11 ) Ibid.p.492.
( 12 ) Ibid.p.493.
( 13 ) Ibid.p.494.
( 14 ) Ibid.p.464.
( 15 ) Idem.
( 16 ) Ibid.p.478.
( 17 ) Merdan Yanardag, Fethullah Gülen hareketinin perde arkasi Türkiye nasil kusatildi ?[ derrière le rideau du mouvement de Fethullah Gülen, comment la Turquie a été encerclée], Siyah Beyaz, Istanbul, 2008
Source: medialibre.eu

mardi 26 avril 2011

Tourisme de catastrophe


Avant/après... à Tchernobyl, la fascination du désastre
26 avril, jour d’anniversaire funeste pour un lieu qui cherche à fuir les mémoires. Qui désire encore se souvenir ? La date exacte d’une catastrophe nucléaire est un euphémisme, car le temps concerné s’étire vers nous, pollue notre présent et pollue l’avenir. A l’heure où nous pressentons que Fukushima étendra aussi, comme une tache d’huile, le lieu du désastre pour des décennies incertaines, revenons vers Tchernobyl, où l’on observe un bien curieux usage des lieux: le tourisme du désastre.

La saison des frissons
Les premiers touristes aisés de la fin du XVIIIè siècle avaient déjà le béguin pour les vestiges, les lieux oubliés et les terres arides. L’attrait pour la beauté des ruines n’est pas nouveau. Mais nous avons franchi un cran de plus dans cette fascination. Eprouver le vertige factice d’un temps où l’humanité aura disparu fait aujourd’hui partie des comportements ordinaires. Chacun peut aller regarder sur Internet les vidéos de son choix, pour se faire le film de la fin du monde. L’effondrement total de nos civilisations appartient déjà à notre monde culturel, à portée de simulation. Le tourisme à Tchernobyl, débuté en secret, en temps de fraude, a fini par rejoindre cette banalisation: le voilà officiellement organisé, offert comme un sucre d’orge aux amateurs de l’extrême.

L’inocuité apparente de ce phénomène social, heureusement répercuté par les journaux, se décline en termes de faits inéluctables: «Vingt-cinq ans après la catastrophe, les autorités ukrainiennes veulent attirer les touristes au cœur de la zone entourant le sarcophage», lisons-nous dans Courrier International le 7 janvier 2011 [1]. «Fin décembre 2010, le ministère des Situations d’urgence ukrainien a présenté au gouvernement une carte du site comportant des itinéraires sans risque. Dès cette année, le secrétariat d’Etat aux Stations balnéaires et au Tourisme va ainsi pouvoir proposer des parcours aux visiteurs, et l’année prochaine, lorsque le pays accueillera l’Euro 2012 de football, un million de touristes sont attendus.»

Ce qui frappe, à la lecture de ces présentations, c’est la façon dont «Tchernobyl», lieu des horreurs nucléaires, point de départ d’effondrements sociaux et d’éradications des espaces naturels, est accolé à des termes comme «itinéraire», «station balnéaire», «parcours», «football», qui évoquent la joie des vacances. La juxtaposition de tels termes forme déjà en soi un déni. On cherche le moyen d’organiser des parcours safe dans lesquels la prise de dose sera sans risque, où le frisson face au néant anticipé sera bien à portée d’une bourse moyenne. On fait donc un calcul économique pour monnayer l’un des plus grands crimes industriels commis par le monde nucléaire.

Le verrou historique
Cette façon dont le phénomène touristique nous apparaît à la fois comme inéluctable et comme économiquement bénéfique, est la meilleure manière de fabriquer ce que j’appellerai un verrou historique, c’est à dire une interdiction de penser l’événement dans son temps. L’image qui illustre l’article en question montre deux appareils captant le fond de la réalité visuelle: la centrale de Tchernobyl, prise dans son corset de fer, avec sa cheminée. Au premier plan, un compteur Geiger, tenu par le guide; un peu en retrait, un appareil photo, tenu par une touriste souriante. La légende dit que le compteur montre «un niveau de rayonnement 37 fois plus haut que la normale». Le compteur est l’organe de la maîtrise: mesurer le rayonnement radioactif, même sans rien connaître de la nature des radionucléïdes qui entourent la jeune touriste, donne le sentiment d’avoir prise sur quelque chose. L’appareil photo, lui, permet de fixer le souvenir: j’étais à Tchernobyl.

Tout se passe comme si le tourisme permettait de fixer l’état catastrophique des lieux dans un cadre allant de la mesure technique au souvenir de vacances. Le verrou historique, par voie touristique, tente ici de cautionner l’idée que la catastrophe est localisable.

Gérer le danger
De fait, lisons-nous dans le même article, le gouvernement ukrainien a pris le train en marche, pour éviter le pire: les excursions clandestines, bien monnayées, pourvoyant aux touristes les senteurs sauvages de larges bouquets de radionucléïdes.

Il faut bien éviter le pire, récupérer les bénéfices, et garder l’autorité sur la distribution des périls. Les fameuses taches de contamination peuvent, semblent-il, être contournées, au profit d’itinéraires au-dessus de tout soupçon. L’Etat assume sa mission: la mesure des lieux, à l’aide de bornes de contrôle de la radioactivité. La technique gère le danger. Les touristes autorisés, encadrés, peuvent donc circuler dans une aire unique au monde, reconquise par les bêtes sauvages, où les constructions civilisées poursuivent leur effondrement, tandis que crépite légèrement le compteur à isotopes. Moyennant la gestion des dangers, avec un «régime spécial», les abords de la centrales deviendront «une des zones les plus attractives de la planète» [2].

La gestion appartient ainsi au verrou historique, car elle fait passer les lieux d’un état d’immobilité catastrophée (personne n’était censé venir dans la zone interdite) à un état de mouvement panoptique (tout le monde est autorisé à venir en voir un maximum). L’interdiction n’avait rien de religieux, ou de moral: il s’agissait d’une précaution sanitaire basique, évidente. La santé des touristes devient, dans cette logique de la gestion, l’enjeu fondamental des parcours autorisés. La gestion élimine le message moral, humain, que pouvait encore recueillir la zone d’exclusion: l’interdit pouvait encore véhiculer quelque réflexion sur le franchissement historique accompli par la catastrophe. Les plus hautes autorités s’accordent bien pour mettre en haut de l’échelle des valeurs le «potentiel économique», comme le reconnaît Helen Clark, administratrice du Programme des Nations-unies pour le développement (PNUD) et coordinatrice de l’ONU pour la coopération internationale pour Tchernobyl. La gestion démocratise le tourisme du désastre, évitant les surenchères pour braver l’interdit.

L’aventurière des zones mortes
On pourrait se demander dans quelle mesure les premières prises de vue sur les lieux, les tout-premiers reportages de voyageurs et journalistes peuvent éventuellement servir de cadre à ce tourisme isotopique. Ce n’est pas encore Tchernoland, il doit bien y avoir autre chose que le sens du frisson. Il faut se demander si la destination touristique contient, comme pour d’autres lieux d’éco-tourisme, une vocation pédagogique.

Pour aborder les lieux, notre imaginaire dispose déjà d’au moins un modèle mythique: Elena Filatova, Ukrainienne née en 1974, campe un intéressant personnage initiatique/initiateur. Sanglée de cuir noir, de jour comme de nuit, munie de son compteur Geiger, elle parcourt à bord d’une moto de solide calibre les routes vides, dans un rayon de 250 kilomètres autour de la centrale. Ses reportages, publiés sur Internet, montrent une volonté de mémoire et de réflexion, au cours des années, sur l’extension du territoire contaminé.

Le père d’Elena, physicien nucléaire, lui a ouvert très tôt les yeux sur le monde des centrales. Elle a fait son premier voyage en 1992, un an après l’effondrement du monde soviétique. Au-delà de son rêve de motarde, rouler à grande allure sur des routes libres de tout autre véhicule et de toute police, ce qui anime la jeune femme est d’«observer, d’année en année, comment le monde matériel se dissout dans le néant» [3].

Les photos sont belles: dépouillées, comme les paysages traversés, la couleur un peu sépia semble avoir atteint le cœur des choses. Au bord des routes gris clair, même les panneaux qui portent les trois pales du sigle nucléaire sont rongés par la rouille. La nostalgie envahit le corps des bâtiments comme une fatigue mortelle, les façades courbent l’échine, on voit à vif les côtes des fermes, les toitures pleurent leurs larmes de tuile rouge. Le sentiment de désolation profonde pénètre jusque dans la végétation, abondante pourtant, qui semble maigre et sèche, lianes inextricables, fûts étroits de bouleaux, même au printemps. Les arbres poussent à travers les planchers des maisons abandonnées, à travers le béton dans les immeubles des villes. Dans les villes désertées, le travail des hommes est réduit à néant. Une banque à ciel ouvert a perdu son escalier: fracassé, il gît au fond d’une pièce étroite comme une prison. Une forme de surréalisme atomique laisse voisiner des formations émouvantes: un jeune arbre pousse dans une poubelle, un squelette de chien reste lové dans les draps d’un lit d’enfant.

On découvre alors qu’en regardant ces photos, on entre dans une autre dimension du temps. Quelle dimension? Car il ne s’agit pas seulement ici de tourisme. La solitude de la photographe est essentielle à la portée de son regard. Pas de groupe de touristes, pour protéger ce regard. Le dépouillement des «paysages» leur enlève le caractère de paysage. Même les sangliers, qui nagent dans un petit lac, semblent fuir quelque chose.

Parmi les fantômes de l’Histoire
Dans son journal, en juin 2006, Elena écrit: «Tchernobyl est facilement oublié parce qu’il n’est connu que de nous. Les premières années après l’accident, nous ne voulions pas partager notre histoire avec le reste du monde, et maintenant, nous ne pouvons plus la partager, nous nous la rappelons à peine nous-mêmes. Tout ce qui nous reste de cette tragédie est le souvenir, affaibli et défiguré par le temps. Dans le futur, l’indifférence des gens étouffera les quelques braises restantes, jusqu’à ce qu’elles s’éteignent. Après cela, Tchernobyl ne restera que dans la connaissance de quelques éminents personnages et l’unique propriété de la nature.» [4]

Ecrire sur le tourisme d’aujourd’hui à Tchernobyl, c’est garder encore quelques braises vivantes et les ranimer. Là-bas, dans les bourgades vides, les monuments commémorent des temps disparus. Voici un mémorial de la seconde guerre mondiale. En voici un autre de la «Grande Guerre Patriotique». Quand la statue va-t-elle sombrer? Voici un monument de la Guerre Civile «En 1921, écrit Elena, l’Armée Rouge écrasa l’Armée Blanche à cet endroit.» L’herbe et le sable escaladent déjà l’escalier qui monte vers la pierre symbolique.

Combien de villes et villages morts? Plus de 2.000, dans un rayon de 250 kilomètres autour du réacteur maudit. Mais la ruine ne cesse de s’étendre, de se propager. Les gens s’en vont. Un trou noir dévore lentement les fosses de l’Histoire. Comme les pillards ont peur de dévaliser les églises, ces dernières sont encore un peu entretenues par les communautés avoisinantes. L’aventurière mesure une image de Christ radioactif, ainsi que la légère radioactivité d’une Bible restée ouverte à la page où l’âge de l’absinthe a été prédit [5].

L’âge de l’absinthe
La contamination prend le nom ukrainien d’une herbe amère, l’armoise ou absinthe (chernobyl). Le nom signifie littéralement la douleur noire [6]. Elena Filatova écrit qu’il a disparu des dictionnaires...

Sous le rayonnement des micro-roentgens, l’asphalte s’allume encore: il pétille de 500 à 3.000 à l’heure. «Etre vivante alors que tout est mort autour de moi m’apporte un nouveau ressenti. Je me sens beaucoup plus vivante», écrit Elena [7]. Comprenons que l’âge de l’herbe amère, c’est celui d’une sortie de l’Histoire. Ici, à Tchernobyl, il ne se passe rien, «le caractère mathématique du temps a perdu toute signification».

C’est que les lieux sont entrés dans l’âge immémorial des isotopes nucléaires. Ils s’enfoncent progresssivement dans l’invisible. Peu à peu, arbres et poteaux électriques obstruent les routes, les rendant impraticables, les ponts s’écroulent. Ce n’est certainement pas ici que passeront les touristes, avec les autocars. Par où passeront-ils donc, devons-nous demander? Au printemps 2008, d’autres voyageurs se sont aventurés solitairement sur ces mêmes chemins. Avec Elena, ils ont noté qu’il devient de plus en plus difficile d’atteindre ces villes et villages morts. On les regarde de loin.

Le tourisme officiel à Tchernobyl va donc s’installer à distance raisonnable entre les mythes médiatiques qui préfigurent le désastre nucléaire (les films comme Aurora, ou Le Nuage) et le réel pourrissement de la situation géographique (l’abandon des lieux). Car pour préserver la mémoire, comme le désire Elena Filatova, il faut passer entre les branches, fouiller sous les lianes inextricables de l’absinthe. «Tchernobyl est un avertissement à l’humanité, dit-elle en mai 2008. Cet avertissement ignoré ou incompris, nous sommes voués à refaire cette erreur encore et encore.» [8]

Dans l’apocalypse de Saint-Jean (VIII,11), l’âge de l’amertume est celui d’une nuée rouge et brillante apparue dans le ciel. Montés sur les toits des plus hauts immeubles, les gens regardaient avec étonnement l’astre de feu qui jaillissait hors du réacteur. Et maintenant, dans les forêts, des loups oranges, brûlés à force d’avoir piétiné le sol à la recherche de quelque proie, laissent pourrir leur fourrure radioactive. Et les hommes qui sont morts dans les brasiers invisibles, foudroyés par le mal des rayons, ont été enterrés loin des cimetières. Avec eux, enterrés aussi, les hôpitaux et les maisons où ils ont été soignés. Enterrée, elle aussi, la terre qui avait soutenu tout cela. La terre rendue amère par les rayons.

Qui va à Tchernobyl? 
Les premiers chasseurs, photographes, scientifiques, ont bien montré que l’on survivait sur les terres interdites. Il faut bien sonder l’évolution de la vie extrême, constater de visu les mutations. De rares habitants, âgés pour la plupart, ne se sont pas résignés à quitter leur maison, leur forêt. Il y a donc, dans ces aires désolées, des humains qui vivent et se déplacent. Le nomadisme radioactif emprunte des voies difficiles à suivre: oiseaux qui survolent les arbres rouges et se posent dans les maisons écroulées, sangliers qui fouillent le sol, poneys qui galopent dans les sablières. Au moment où j’écris ces lignes, j’ai lu que les Allemands s’inquiètent de l’arrivée de sangliers radioactifs sur leurs terres. Par où ont-il cheminé? Ces chemins sont aux routes du tourisme officiel ce que les surfaces sont aux lignes: une autre dimension. Qui ira voir ce qu’on ne voit pas? Que verront les touristes? Qui organise tout cela?

La centrale nucléaire prend un corps de légende. Mieux: complètement déréalisée, elle est décrite comme «plantée dans un décor de science-fiction» [9] ! « Depuis que certaines zones ont été décontaminées, des agences spécialisée basées à Kiev proposent, avec l’accord des autorités, un voyage d’une journée dans ce fameux périmètre de sécurité, peut-on lire. Pour environ 110 euros la journée, vous pouvez passer le check-point Dyltyatky à l’entrée de la zone, vous pouvez prendre une photo devant le réacteur numéro 4 à l’origine de la catastrophe, ou encore admirer la “forêt rouge” qui a pris cette couleur incandescente après l’irradiation. En 2010, 7.500 personnes se sont laissées tenter par cette visite hors du commun.»

Parmi les visiteurs, nombreux sont ceux qui travaillent dans le nucléaire: ils veulent venir voir de plus près l’impact réel de l’accident. D’autres, anti-nucléaires, aiguisent sur place des arguments pour confirmer leur position. Il y aussi des amateurs de sensations fortes, et des fans science-fiction, qui veulent se propulser en direct dans l’univers de Mad Max 3, après une guerre nucléaire.

Que voient-ils? Le cimetière des engins lourds: nombre de trains, des hélicoptères, des bus, des camions, dont la tôle est brûlée par le temps. Le sarcophage rouillé du quatrième réacteur, qui s’écroule doucement. A Prypyat, située à 3 kilomètres de la centrale, les arbres aussi hauts que les immeubles ont colonisé la ville. Les gens sont impressionnés par le fait que la nature «reprend le dessus».

Le seul «hôtel», situé dans une zone «décontaminée», accueille les touristes qui croisent des ouvriers ou des scientifiques. Les groupes de touristes de tous pays doivent être accompagné d’un guide officiel et respecter les consignes à la lettre: ne rien toucher, ne rien ramasser, ne pas boire ou manger sur les lieux. Pendant ce temps, chacun surveille son compteur Geiger. On peut s’approcher à 300 mètres du réacteur 4, et on n’y reste pas plus de 15 minutes, lisons-nous dans l’article des Observateurs.

Un tourisme entre réel et virtuel
Il est clair que d’années en années, le décor est évolutif. Non seulement la progression de la végétation et de la vie animale est évidente, ainsi que la dégradation des habitations, mais encore les objets intimes des habitants retombent en poussière. Ce qui semblait presque intact il y a encore dix ans finit par sombrer.

Le spectacle de la vie brutalement arrêtée, une menace réelle qui pèse sur leur tête: voilà ce que les touristes viennent voir, comme pour toucher du doigt. «Tous ces petits objets que les gens ont laissé derrière eux, dit une touriste australienne, ça rend les choses très réelles. Et regarder dans les appartements de ces gens, ça m’a mis mal à l’aise. C’est trop tôt, peut-être». La situation rend les touristes voyeurs presque malgré eux. Mais il semble que les visites aient pour but de prendre contact avec la vérité des faits, comme si la médiatisation de ces faits les avait déréalisés. Pour aller voir, les touristes doivent se mettre au défi: selon le protocole, ils vérifient leur taux de contamination avant de quitter le site, mais certains ont prévu de jeter tous les vêtements qu’ils auront portés sur les lieux.

Ce désir de rencontrer le réel tranche parfois avec la démarche des organisateurs des tours. Dans le langage des professionnels du tourisme, le réel, c’est l’offre. Ainsi les intitulés accrocheurs de ces offres avancées par les auberges de jeunesse ukrainiennes: Extreme Tour, Dead Tchernobyl, qui ressemblent à des titres de films [10]. Le guide est un conteur de la catastrophe, il raconte «des histoires effrayantes sur le désastre». Mais il n’oublie pas de proposer d’expérimenter «la paix et le silence de la ville fantôme de Prypyat», avant de laisser déambuler les émules des lieux dans les immeubles, les écoles et les hôtels déserts.

Tchernobyl entre dans ces lieux ambigus du tourisme culturel; certains le comparent à Pompéi, au Ground Zero du cœur de Manhattan, aux camps de la mort. Il entre dans les lieux du tourisme de la mort. «Comprendre la catastrophe» fait partie de la démarche: des livres sont proposés, pour réfléchir sur les erreurs trop humaines. Malgré tout, le danger semble virtuel. Si l’on peut revenir sur les lieux, c’est que ce n’est pas la fin du monde. De proche en proche, un jeu s’établit avec l’idée de fin du monde, elle ne correspond à rien de réel, on peut revenir après... Pour ceux qui viennent après, la mort est dépassée: comme dans les jeux vidéos, on a regagné une vie. Les touristes pénètrent dans le jeu de STALKER grandeur nature, dans cette arène désolée, dans l’univers semi-fictif de la «zone»: L’ombre de Tchernobyl, l’Appel de Prypyat...

Cartes et chemins dans une folle géographie
Désir de mémoire, de confrontation avec le réalisme technologique et le règne de la fin possible qu’il instaure. Désir de percevoir l’avant-goût de la fin de l’humain (les lieux abandonnés, le retour à la nature), et de braver ou approcher le monstre, d’être là, près des portes de l’enfer. Désir de comprendre l’impossible à comprendre. Comme toujours, les touristes reviendront chez eux comme ils en sont partis, avec des motifs variables dont l’impact fera son chemin.

Pour certains, c’est se trouver plus vivant, se persuader que d’aller là-bas ils ont regagné une vie. Pour d’autre, c’est prendre de quoi nourrir la colère, comme le philosophe Jean-Pierre Dupuy, auteur du Retour de Tchernobyl, Journal d’un homme en colère [11], dont il écrit un chapitre sous l’influence du romancier Joseph Conrad: Au Cœur des ténébres. Il nous dit que «certains laissent éclater la crise de sanglots qu’ils ont réussi à contenir tout le long de la visite dans l’autocar qui les ramène à Kiev». La honte de l’humanité, la nostalgie les submergent. Dupuy rapporte des images incongrues: à proximité de la barrière qui sépare la zone interdite du monde praticable, un immense écriteau dit en ukrainien «La forêt est le poumon de la planète». «Splendide forêt en vérité, écrit le philosophe, faite de résineux et de feuillus, mais slogan obsène car les arbres et les sous-bois respirent ici au strontium-90 et au césium-137, parfois au plutonium-239, lorsqu’un feu de surface consume l’humus contaminé.» Et, à l’entrée du musée consacré à la catastrophe, une centaine de noms écrits sur des bouts de tissus accueillent les visiteurs: ce sont les noms des villages rayés de la carte. Reliques symboliques, vestiges dérisoires.

Les cartes: il y aurait beaucoup à dire. Elles ne parlent plus par elles-mêmes, ou elles parlent par ce qui n’y figure pas, ou plus. Au bord extrême qui délimite le territoire vivant des zones mortes, quelqu’un a rapporté un œuf géant, blanc, qui est posé sur le bitume, comme un symbole énigmatique. Il n’est inscrit sur aucune carte. Pas inscrit non plus, le nombre des habitants (3.500) qui sont restés sur les terres dites inhabitables: 400 seulement ont survécu [12]. Pas inscrit non plus le nombre des avions, bateaux, camions, bulldozers, engins publics d’entretien, voitures, motos, ainsi que la quantité écrasante d’outils nécessaires au fonctionnement d’un pays, qui furent abandonnés.

Epilogue
Fascinantes cartes. Pour parcourir les forêts rousses de la Biélorussie, il faut traverser la mythique Terre des loups. C’est une absence géographique, prise entre terres russes, ukrainiennes et biélorusses. Sur les cartes récentes, la Terre des loups est un espace vide, vert, coupé en deux par une frontière rouge. «Villes et villages déserts, comme les routes, ont tous été effacés.» [13] Des routes conduisent à des traces de ce qui, villes et villages, fut détruit et enterré. Ce n’est abordable par aucun tourisme. La zone d’exclusion biélorusse est désignée maintenant sous l’expression hallucinante de «réserve forestière écologique de la radiation»... Pour rejoindre les villages enfouis dans ce trou noir de la terre, il faut aller à pied, il n’y a pas de route. A pied, au risque de marcher sur une des décharges radioactives: car un peu partout, icognito, tout ce qui a été démoli (trop irradié) a été enterré dans de profondes fosses creusées pour l’occasion par des bulldozers, eux-mêmes enterrés ensuite. Ceux qui ont enterré tout cela sont eux-mêmes sous terre depuis longtemps.

Ici, ce sont les terres du silence. Sur ces terres irradiées pousse l’absinthe. Les tout-premiers touristes avaient payé 1.200 hryvnas (240 euros) pour passer deux heures à Prypyat: ils y sont restés un quart d’heure, incapables de supporter l’éreintant silence [14]. Des lessives pendaient encore aux balcons, des fenêtres étaient ouvertes. Tout se conjugue aux temps du passé. Une photo de l’évacuation prise au printemps 1986 montre deux vieilles dames qui marchent depuis longtemps. Elles sont parties sans argent, sans leurs chiens, sans avenir. L’une porte deux sacs et un gros manteau, elle pleure. L’autre cache son visage ou s’essuie les yeux, on ne sait. Qui, dans nos pays, connaît vraiment cet exode? Les cartes de l’ancienne Russie n’en disent rien. C’est Prométhée qui pleure, dans les larmes de deux vieilles femmes: la statue du Titan créateur de la race humaine, ayant volé le feu aux dieux, était au centre de Prypyat. Elle a été transportée près de l’usine nucléaire après l’accident...

Il faudra encore du temps, et encore d’autres catastrophes du même genre, pour faire émerger l’idée que désormais l’Histoire est coupée en deux. Le temps des transuraniens, enfants indésirables de l’uranium, se compte en percussions et crépitements des compteurs Geiger. Il y a le temps d’avant le nucléaire, et le temps infini qu’il ne faut plus compter. Celui des villes et des villages disparus. Celui des géographies troubles qui continueront d’étendre leurs zones vides. Car ces déserts isotopiques progressent. C’est le royaume des loups, 30.000 kilomètres carrés, la terre des poisons.

Christine Bergé 
Philosophe et anthropologue est l’a
Auteure de L’Odyssée de la mémoire et de Superphénix, déconstruction d’un mythe, parus en 2010 dans la collection Les Empêcheurs de penser en rond, La Découverte
24.04.11
Notes:
[1] Tatiana Ivjenko, « Ouverture de la saison touristique à Tchernobyl », traduit de la Nezavissimaïa Gazeta 
[2] L’auteur de l’article cite ici le magazine américain Forbes
[3] Elena Filatova, Journal de Tchernobyl, Vol. 4, p. 1. www.consumedland.com/elena/journal/...
[4] Journal, printemps 2007, p. 2. www.consumedland.com/elena/spring20....
[5] Journal, printemps 2007, p 9. www.consumedland.com/elena/spring20...
[6] Journal de Tchernobyl, p. 2
[7] Ibid
[8] Entretien pour le journal Kiev Post, mai 2008. http://www.angelfire.com/extreme4/k...
[9] « Tchernobyl, la destination touristique qui explose », Les Observateurs de France 24, 20 avril 2011
[10] Cf. Alexandra Lianes, « Tourisme, société, nucléaire », DD Magazine, 6 janvier 2008
[11] Editions du Seuil, 2006
[12] Journal de Tchernobyl, chap. 3, p. 2
[13] Ibid., chap. 35, p. 1
[14] Ibid., chap. 10, p. 1
Source: carnets du diplo 

lundi 25 avril 2011

Le changement démocratique en Syrie sera-t-il rouge de sang?


Ce que nous redoutions est malheureusement arrivé. Les manifestations pacifiques qui ont suivi la prière de vendredi ont été réprimées dans le sang. On compte des dizaines de victimes. Y-t-il eu provocation comme le prétend le régime? On n’en saura rien. Entre la propagande de la télévision syrienne et l’intox des télévisions satellitaires à la solde de la réaction arabe, l’opinion publique arabe est partagée.

Une chose est sûre. Le cycle contestation-répression ne fera qu’alimenter davantage la rancœur de la population et une escalade porteuse de graves menaces pour la paix civile et la stabilité de la Syrie. Pourtant, l’annonce par le président Bachar Al Assad de mesures aussi attendues que la levée de l’état d’urgence, en vigueur depuis 1963 et la dissolution de la Cour de sûreté de l’Etat auraient dû contribuer à détendre l’atmosphère politique. Ces mesures sont-elles arrivées trop tard? Ou bien sont-elles apparues largement insuffisantes au regard de la perpétuation du système policier qui continue à sévir à travers d’autres mécanismes et structures restés inchangés?

En effet, les manifestants syriens continuent à pointer du doigt le rôle omniprésent des services de sécurité tout puissants dont les pratiques restent inchangées: arrestations arbitraires, tortures, etc, et exigent désormais la fin du régime autoritaire et l’instauration d’un régime démocratique. Si au début des manifestations qui ont démarré il y a cinq semaines, la population ne réclamait pas le changement de régime, le cycle de la répression et de la contestation semble désormais se diriger vers une radicalisation politique inévitable.

Arcbouté sur ses certitudes malgré les signes évidents d’une évolution sociale et politique qu’il ne peut plus ignorer sous peine de s’isoler chaque jour davantage aussi bien sur le plan interne que sur le plan externe, le régime continue de crier au «complot» étranger. Nul doute que des parties étrangères sont déjà à l’œuvre pour tirer avantage de la situation. Comment en serait-il autrement étant donné le statut de la Syrie dans l’architecture géopolitique régionale?

Mais à supposer qu’elles soient effectives à cette étape, les manipulations étrangères suffisent-elles à justifier l’injustifiable répression par laquelle le régime répond à des manifestants pacifiques? Par sa répression disproportionnée, le régime syrien n’est-il pas le meilleur allié objectif des forces occultes qui cherchent à instrumentaliser cette crise intérieure pour affaiblir et neutraliser la Syrie? Comment expliquer un tel aveuglement politique? Par son profil, l’actuel président syrien avait tous les atouts pour répondre aux aspirations légitimes de la société à un changement démocratique. Jeune, sans passif politique et diplômé d’une des meilleures universités européennes, Bachar Al Assad était mieux placé que quiconque pour écouter le pouls de sa société composée dans sa majorité de jeunes de moins de 35 ans.

Mais les pressions d’un entourage familial et clanique qui s’appuie sur un appareil militaro-policier impitoyable allié à des milieux d’affaires sans scrupules ont fini par ajourner toutes les tentatives de réformes pourtant rendues nécessaires par l’évolution de la conjoncture nationale et régionale. La crise actuelle et l’escalade de la violence qui n’augure rien de bon finiront-elles par pousser le président Bachar Al Assad à une rupture courageuse avec la logique autoritaire du système instauré par son père il y a plus de quarante ans? Difficile d’envisager pareille rupture lorsqu’on sait qu’elle passe inéluctablement par le divorce avec un clan familial très proche et ses réseaux sécuritaires tout puissants. Pourtant la transition démocratique et pacifique est à ce prix.

Tergiversations du régime et manipulations étrangères
En effet, les tergiversations du régime à répondre aux revendications populaires pour une démocratisation réelle ne feront qu’aggraver le climat de tension propice à toutes les manipulations étrangères. Comme on a pu le constater, les funérailles des victimes tombées la veille sont à chaque fois l’occasion d’une manifestation qui se solde malheureusement par de nouvelles victimes et ainsi de suite. Jusqu’à quand?

La Syrie n’est pas n’importe quel pays arabe. Elle restera dans le cœur de tous les Arabes et de tous les Musulmans la patrie des Omeyades et de la Nahda contemporaine. Malgré les inconséquences et les errements conjoncturels de sa diplomatie, la Syrie reste néanmoins le pays qui symbolise la résistance aux Accords de Camp David et celui qui abrite les organisations de la résistance palestinienne qui s’opposent à la ligne capitularde de l’Autorité palestinienne. Le pays qui a osé s’allier au Hezbollah au Liban dans sa résistance à l’agresseur israélien et à l’Iran dans sa résistance au projet impérial du grand Moyen-Orient.

Pour toutes ces raisons, une transition démocratique pacifique qui ne compromette ni la stabilité politique ni l’unité nationale du pays reste préférable à une implosion qui risque malheureusement de le plonger dans une situation qui rappelle le triste sort de l’Irak voisin ou de la Libye actuelle. Jusqu’à présent, les forces occultes qui cherchent à réveiller les démons de la division ethnique et/ou confessionnelle ne sont pas arrivées à leurs fins. Les Syriens montrant tous les jours qu’ils sont unis, Chrétiens et Musulmans, Alaouites et Sunnites, Arabes et Kurdes pour la liberté et la dignité.

Historiquement, le réveil de la société civile syrienne n’est qu’un juste retour des choses parce qu’il s’agit tout simplement du réveil d’un peuple qui a été à l’avant-garde de la science, de la culture, de l’art et de la politique dans la région. Ce n’est pas le combat du peuple syrien pour la démocratie qui risque de contrarier l’élan national en vue de faire face aux velléités expansionnistes d’Israël. On ne peut pas résister à une machine de guerre aussi sophistiquée que celle de l’armée israélienne soutenue à bout de bras par la première puissance mondiale avec des esclaves. Seuls des hommes libres, vivant dans un pays libre, peuvent se mettre à construire ensemble les conditions scientifiques et technologiques d’un nouvel équilibre stratégique et, s’il le faut, se battre avec le cœur et l’intelligence contre n’importe quel agresseur potentiel parce qu’ils auront conscience de défendre leur liberté!

Pour des raisons propres à chacun, les puissances occidentales, Israël et les monarchies réactionnaires arabes exultent au vu du triste spectacle dont les échos nous parviennent de Syrie. Un régime «nationaliste» et «laïc» de moins dans la région, que peuvent-ils espérer de mieux? Mais rien ne dit que le changement sera nécessairement tel que l’espèrent ces vautours qui attendent avec impatience que la proie tombe à terre avant de la dépecer comme ils l’ont fait en Irak et comme ils s’apprêtent à le faire en Libye.

Les dignes enfants du peuple syrien n’ont pas encore dit leur dernier mot. Il est de bonne guerre que les puissances occidentales cherchent à tirer les marrons du feu comme toujours en actionnant leurs officines budgétivores et leurs agents en Syrie et dans la diaspora syrienne, y compris parmi les Frères Musulmans. Mais que peuvent ces basses entreprises marchandes et policières devant les tendances sociopolitiques, culturelles et historiques qui travaillent en profondeur la société syrienne comme la plupart des sociétés arabes?
 
Le dialogue avant qu’il ne soit trop tard…
Si les Américains discutent actuellement avec les Frères musulmans pour s’assurer du meilleur dénouement possible pour leurs intérêts stratégiques dans la région et pour leur allié israélien, qu’attend Bachar Al Assad pour abolir le système anachronique du parti unique et pour ouvrir un dialogue sincère et loyal avec tous les protagonistes de la scène nationale, à commencer par les Frères musulmans, qui ont à cœur la liberté et la dignité de la Syrie?

Qu’attendent les Frères musulmans égyptiens, palestiniens et jordaniens pour encourager l’ouverture la plus rapide possible d’un tel dialogue en vue de faire échec aux manœuvres sournoises des forces occultes qui investissent dans une dangereuse stratégie de la tension pour justifier l’intervention étrangère en Syrie et saboter toute perspective de changement démocratique qui soit en même temps national et anti-impérialiste?

Il ne suffit plus, en effet, de dire que le régime syrien est victime d’un complot international en raison de ses positions diplomatiques, comme le fait le Hamas palestinien. Les Américains et les Israéliens n’ont pas besoin de comploter contre le régime syrien pour le mettre en porte-à-faux avec la société syrienne. Il s’y enfonce lui-même par son aveuglement politique et son enfermement dans une logique sécuritaire aujourd’hui dépassée.

Le Hamas se grandirait moralement et s’assurerait un meilleur avenir politique dans la région s’il se hissait au niveau des exigences historiques qui lui dictent aujourd’hui un rôle de facilitateur du dialogue entre les forces nationales et islamiques qui cherchent à sauver la Syrie du danger de l’implosion qui la guette.

Mohamed Tahar Bensaada
24.04.11
Source: oumma.com 

dimanche 24 avril 2011

Les colons font tout ce qu'ils veulent au pays des colons


L’autre jour le tout-puissant service de Sécurité Général (Shabak, anciennement Shin Bet) avait besoin d’un nouveau patron. C’est un poste excessivement important parce qu’aucun ministre ne se risque à contredire le chef du Shabak pendant les réunions du cabinet.



Il y avait un candidat évident qu’on connaît seulement sous le nom de J. Mais au dernier moment, le lobby des colons s’est mobilisé. En tant que directeur du "département juif", J. avait mis des terroristes juifs en prison. Sa candidature fut dont rejetée et Yoram Cohen, qui porte la kippa et que les colons adorent a été nommé à la place.

C'est arrivé le mois dernier. Quelque temps avant, le Conseil National de Sécurité a eu besoin d’un nouveau chef. Sous la pression des colons, le général Yaakov Amidror jusque-là l’officier le plus haut gradé de l’armée portant la kippa, un homme qui ne fait pas mystère de ses opinions ultra-ultra nationalistes, a eu le poste.

Il y a quelques semaines j’ai écrit que le problème n’est peut-être pas autant l’annexion de la Cisjordanie par Israël que l’annexion d’Israël par les colons de Cisjordanie. Cela a fait rire quelques lecteurs. Ils ont cru que c’était une blague.

Ce n’en était pas une. Et le moment est venu d’examiner sérieusement cette question: Israël est-il en train de tomber sous le pouvoir néfaste des colons?

* * *

D’abord, il faut examiner le terme "colons".

La définition officielle est claire. Les colons sont des Israéliens qui vivent au-delà de la frontière de 1967, la ligne verte ("verte" en l’espèce n’a pas de connotation idéologique. C’est juste que sur les cartes, la frontière était représentée en vert).

Les chiffres sont augmentés ou diminués suivant les besoins de la propagande. Mais on peut estimer qu’il y a environ 300.000 colons en Cisjordanie et 200.000 de plus environ à Jérusalem-Est. Les Israéliens n’appellent pas les colons de Jérusalem "colons", il les mettent dans une catégorie différente mais en fait ce sont bien des colons. Cependant quand on parle des colons dans le contexte politique, on parle d’une communauté beaucoup plus large.

Il est vrai que tous les colons ne sont pas des colons. Il y a beaucoup de gens qui vivent dans les colonies juives de Cisjordanie sans motifs idéologiques mais simplement parce qu’ils pouvaient y construire la maison de leurs rêves pour trois fois rien, avec en prime une vue pittoresque sur les minarets arabes. C’est de ceux-là que le président du Conseil des colons, Danny Dayan, parlait quand il reconnaissait, dans un entretien secret (récemment révélé) avec un diplomate étasunien, qu’il serait facile de les persuader de rentrer en Israël si on les dédommageait convenablement.

Cependant tous ces gens ont intérêt à maintenir le statu quo, et c’est pourquoi ils soutiennent les colons purs et durs dans la lutte politique. Comme dit le proverbe juif, si vous commencez à respecter un commandement pour de mauvaises raisons, vous finirez par le respecter pour les bonnes raisons.

* * *

Mais le camp des "colons" est beaucoup, beaucoup plus grand. Le mouvement appelé "national religieux" soutient tout entier les colons, leur idéologie et leurs buts. Et, cela ne surprendra personne, l’entreprise coloniale a jailli de son sein.

Cela nécessite quelques explications. Les membres du parti "national religieux" étaient au départ une petite poignée de juifs religieux dissidents. Le grand camp des orthodoxes considérait le sionisme comme une aberration et un péché de haine. Puisque Dieu avait exilé les juifs loin de leur terre à cause de leurs péchés, Lui seul - par l’intermédiaire du Messie - avait le droit de les y ramener. Les sionistes se mettaient donc au-dessus de Dieu et empêchaient la venue du Messie. Pour les orthodoxes, la pensée sioniste d’une "nation" juive laïque est toujours une abomination.

Cependant, quelques juifs religieux ont rejoint le mouvement sioniste naissant. Ils étaient considérés comme une curiosité. Les sionistes méprisaient la religion comme tout ce qui venait de la diaspora juive ("Galut" exil est un terme méprisant dans le vocabulaire sioniste). Les enfants qui, comme moi, ont été élevés dans des écoles sionistes en Palestine avant l’Holocauste apprenaient à regarder de haut les malheureux qui étaient "encore" religieux.

Cela a aussi influencé notre attitude vis à vis des sionistes religieux. Le vrai travail de construction de notre futur "Etat hébreu" (on ne disait jamais "Etat juif") a été réalisé par des socialistes athées. Les kibboutz et les moshav, les villages communaux et coopératifs, ainsi que les mouvements de jeunesse "pionniers" qui constituaient les fondations de toute l’entreprise étaient principalement socialistes tolstoïens et parfois même marxistes. Les quelques uns qui étaient religieux étaient considérés comme marginaux.

A cette époque, dans les années 1930 et 40, peu de jeunes portaient une kippa en public. Je ne me souviens pas d’un seul membre de l’Irgun, l’organisation militaire clandestine (terroriste) à laquelle j’appartenais, portant la kippa - bien qu’un certain nombre de ses membres aient été religieux. Ils préféraient porter une coiffure plus discrète comme un bonnet ou un béret.

Le parti national religieux (qu’on appelait originellement Mizrahi-oriental) a joué un rôle mineur dans la politique sioniste. Il était tout à fait modéré en ce qui concernait les affaires nationales. Dans les confrontations historiques entre le militant David Ben-Gurion et le “modéré” Moshe Sharett dans les années 50, il soutenait toujours Sharett, ce qui rendait fou Ben Gurion.

Personne n’a fait attention, cependant, à ce qui se passait sous la surface - dans le mouvement de la jeunesse national-religieux, Bnei Akiva et leurs yeshivas (écoles talmudiques, ndt). C’est là que, loin des regards du public, un dangereux cocktail alliant le sionisme ultra-nationaliste et le messianisme religieux, tribal et agressif s’est formé.

* * *

L’étonnante victoire de l’armée israélienne qui a couronné la guerre des six jours de 1967 au terme de trois semaines d’extrême anxiété, a marqué un tournant décisif pour le mouvement.

Voilà que se produisait tout ce dont ils avaient rêvé: un miracle divin, le cœur de l’historique Eretz Israël (en d’autres termes la Cisjordanie) était sous notre pouvoir, "Le Mont du Temple est dans nos mains!" comme l’a dit un général tout ému.

Comme si on avait enlevé un bouchon, le mouvement national-religieux est sorti de sa bouteille et est devenu une force nationale. Ils ont créé le mouvement gush Emunim ("Le Bloc des Fidèles"), le cœur de la dynamique entreprise coloniale dans les nouveaux "territoires libérés".

IL faut bien comprendre ceci: 1967 a libéré le camp national-religieux du dédain que lui portait le camp sioniste. Comme l’avait prophétisé la bible (Psaume 117): "La pierre que les bâtisseurs avaient rejetée est devenue la pierre angulaire". Le mouvement de jeunesse national-religieux méprisé et les kibboutz se sont retrouvés tout à coup au centre de la scène.

Alors que le vieux mouvement socialiste des kibboutz mourait de dégénérescence idéologique au fur et à mesure que ses membres s’enrichissaient en vendant de la terre aux requins immobiliers, le parti national-religieux était, lui, en pleine éruption idéologique, débordant de ferveur spirituelle et religieuse, prêchant un credo juif païen de lieux saints, de pierres saintes, et de tombes saintes mélangé à la conviction que le pays entier appartenait aux juifs et que les "étrangers" (c’est-à-dire les Palestiniens qui y vivaient depuis au moins 1.300 ans sinon 5.000 ans) devaient en être chassés.

* * *

La plupart des Israéliens d'aujourd'hui sont nés ou ont immigré après 1967. L’occupation est la seule réalité qu’ils connaissent. Le credo des colons leur paraît être une vérité évidente. Les statistiques montrent que pour de plus en plus de jeunes israéliens la démocratie et les droits de l’Homme sont des mots vides de sens. Un État juif signifie un État qui appartient aux juifs et seulement aux juifs. Personne d’autre n’a rien à y faire.

Ce climat a créé une scène politique dominée par une série de partis de droite, depuis les racistes d’Avigdor Lieberman aux adeptes carrément fascistes de feu le Rabbi Meir Kahane - tous sont absolument soumis aux colons.

Si c’est vrai que le Congrès étasunien est contrôlé par le lobby israélien, alors ce lobby est contrôlé par le gouvernement israélien qui est lui-même contrôlé par les colons. (Comme dans la blague sur le dictateur qui dit: le monde a peur de notre pays, notre pays a peur de moi, moi j’ai peur de ma femme et ma femme a peur d’une souris. Alors qui dirige le monde?)

Et donc les colons peuvent faire tout ce qu’ils veulent: construire de nouvelles colonies et agrandir celles qui existent, ignorer la Cour suprême, donner des ordres à la Knesset et au gouvernement, attaquer leurs "voisins" chaque fois que ça les tente, tuer les enfants arabes qui jettent des pierres, déraciner les oliviers et brûler les mosquées. Et leur pouvoir ne fait qu’augmenter à grands pas.

* * *

La conquête d’un pays civilisé par des combattants plus braves n’est pas un fait extraordinaire. Au contraire c’est un phénomène historique courant. L’historien Arnold Toynbee en a fourni une longue liste.

L’Allemagne a été longtemps dominée par la Ostmark (Marche orientale) qui est devenue l’Autriche. L’Allemagne culturellement développée est tombée sous la coupe d’un peuple plus hardi et plus primitif, le peuple prussien qui ne faisait pas partie de l’Allemagne. L’empire russe a été formé par Moscou, qui était originellement une ville primitive située à la bordure.

La règle semble être que, lorsqu’un peuple civilisé devient trop cultivé et trop riche, il s’amollit et un peuple voisin plus primitif, plus hardi et moins gâté par la vie le conquiert comme la Grèce a été conquise par les Romains et Rome par les barbares.

Cela peut nous arriver. Mais on peut aussi l’empêcher. La démocratie laïque israélienne est encore très forte. Les colonies peuvent être démantelées (dans un article à venir je tâcherai d’expliquer comment). La droite israélienne peut encore être repoussée. On peut encore mettre fin à l’occupation, qui est la mère de tous nos maux.

Mais pour cela il faut prendre conscience du danger - et l’affronter.

Uri Avnery
Ecrivain israélien et militant de la paix de Gush Shalom
21.04.11
Pour consulter l’original: http://www.counterpunch.org/avnery0...
Traduction: D. Muselet
Source: LGS