mardi 31 mai 2011

Printemps arabe, été européen?

Quand les jeunes du monde entier font la révolution
Jeunes "indignados" espagnols place Puerta del Sol à Madrid, jeunes grecs place Syntagma à Athènes et même quelques milliers de Français place de la Bastille à Paris: ce dimanche, la jeunesse européenne suivait l'exemple du Printemps arabe pour manifester son désarroi. Une révolution globale est-elle en marche? Entretien.


- Atlantico: Comment analysez-vous les révoltes que connaissent actuellement l’Espagne et la Grêce après le "printemps arabe"?
- Alain Bertho: C’est un symptôme supplémentaire du fait que nous vivons depuis quelques années une période un peu particulière caractérisée par le face à face d’une jeunesse mondiale qui exige un avenir et des États nationaux pris dans les contraintes de la mondialisation et donc de moins en moins en mesure de leur proposer cet avenir.

Ce qui arrive n’était certes pas prévisible, mais ce n’est pas surprenant. Depuis un certain nombre d’années des jeunes de tous pays se mobilisent de façon spontanée, souvent dans des affrontements violents avec les autorités. Nous avons à faire à une vague de fond avec, depuis janvier 2011, deux faits nouveaux majeurs:
> ces mobilisations ont agrégé pour la première fois d’autres couches et d’autres générations, ce qui a fini au moins dans deux cas – la Tunisie et l’Egypte – par ébranler l’Etat et engager un processus de fortes transformations;
> ce mouvement traverse les frontières et pour la première fois, les jeunes agissent VOLONTAIREMENT de la même façon d’un pays à un autre. Ils ont des références communes: je pense notamment au terme «indignés» qui est partagé à la fois en Espagne, en Grèce et en France (souvenons-nous du titre «Indignez-vous!» de Stéphane Hessel).

La nouveauté de ces mobilisations c’est qu’elles ne veulent pas «prendre l’Etat». Ce ne sont pas des soulèvements à l’ancienne. Leur volonté consiste à se faire entendre et d’être reconnus. Cette révolte n’est donc pas politique au sens où nous l’avons entendu pendant deux siècles, quand «politique» signifiait transformer des exigences sociales en exigences de pouvoir, en programmes et en représentation institutionnelle. Les partis ont été les instruments par excellence de cette transformation du social à l’institutionnel. Ils ne le sont plus. Les jeunesses du monde en tirent les conséquences.

Ces jeunes ont des exigences très précises sur la façon dont le pouvoir doit être organisé, sur la manière dont les richesses nationales doivent être utilisées, sur les droits élémentaires qui doivent être assurés par la puissance publique. Dans le manifeste publié par les révoltés espagnols il y a le droit au travail, le droit au logement, la liberté sur Internet… des choses extrêmement concrètes qui sont bien de nature politique… un nouveau dispositif politique est donc en train de se mettre en place à l’échelle du monde, de nouvelles pratiques, une nouvelle représentation du rapport entre les peuples et leurs États.

- Est-ce que ce mouvement est comparable à mai '68?
- Mai '68 a clos la séquence de la politique moderne initiée à la fin du XVIIIè siècle: celle des révolutions et de la représentation partisane. La «Contestation» a critiqué le dispositif politique et social moderne mais en reprenant, dans la forme, les discours révolutionnaires à l’ancienne. En mai '68, on parlait de prise du pouvoir, de destruction de l’État. Les modes opératoires étaient ceux des siècles précédents, avec les barricades, etc. Mai '68 a déçu les espoir de ses acteurs et n’a pas fondé une nouvelle pratique ni une nouvelle subjectivité de la politique dans son rapport à l’Etat.

Depuis quelques mois, nous avons affaire à de nouvelles pratiques, à de nouvelles subjectivités collectives. Sans organisation ni porte-parole, ces émeutes pacifiques prennent la rue, la place, la parole pour se faire reconnaitre face à l’Etat, pour exiger de lui qu’il prenne ses responsabilité, à l’instar des Zapatistes mexicains. Ces derniers en effet, depuis vingt ans, ont annoncé leur ferme intention de ne pas prendre le pouvoir, de ne pas se présenter aux élections, mais d’obtenir «un gouvernement obéissant».

Aujourd’hui, l’exigence morale est aussi forte que l’exigence sociale. C’est vrai en France, mais aussi en Tunisie ou en Egypte. La question de la corruption était très forte dans ces pays; c’est aussi le premier point du manifeste des Indignés espagnols! Il s’agit donc d’un sujet qui concerne les jeunes du monde entier.

Aujourd’hui, les partis politiques qu’ils soient dans l’opposition ou dans le gouvernement, de droite ou de gauche, sont complètement dans l’espace institutionnel et ne comprennent pas la situation,. C’est un langage et une représentation du pouvoir qui leur est étrangère. Les mots et les énoncés anciens sont incapables de dire ce qui se passe.

- Parler de «jeunesse mondialisée» comme vous l’écrivez ne revient-il pas à nier les différences entre peuples?
- Il y a bien-sûr de très grandes singularités nationales: tout dépend de l’Etat auquel on a affaire, de la culture politique nationale, de la place et de la trajectoire du pays dans les bouleversements apportés par la mondialisation. Mais on constate que sur la question du rapport au pouvoir, il existe aujourd’hui quelque chose d’universel. La génération qui vient s’indigne pour les mêmes choses.

Est-ce que le mouvement va toucher la France? C’est impossible à dire. Mais ce qui est intéressant avec le mouvement actuel, c’est qu’il commence à y avoir des transferts de représentations, de modes opératoires, d’un pays à un autre. Surtout, ce transfert est en train de se produire de façon consciente. C’est un point essentiel.

- Quel rôle joue Internet dans ce mouvement?
- On sait qu’Internet avec Facebook et Twitter a un rôle majeur. Ce n’est pas vraiment nouveau. C’est un instrument adéquat aux formes de subjectivité qui sont à l’œuvre. Il y a eu une rencontre évidente entre les jeunesses du monde entier et un outil technique qu’elles maîtrisent mieux que leurs ainés. Auparavant, on faisait des flashmobs ou des apéros géants. Ces révoltes peuvent donc être lues comme des flashmobs politiques qui ont pris une ampleur nationale.

- Pourquoi cette révolte se produit-elle aujourd’hui de façon simultanée dans plusieurs régions du monde?
- Alors ça! Peut-être que les historiens réussiront à l’expliquer. Mais est-ce la bonne question? Face à un événement qui nous aveugle on cherche toujours à se rassurer par un discours sur ses «causes». Mais le sens d’un évènement collectif, le message qu’il nous faut d’abord décrypter, c’est ce qu’il fonde, c’est la nature de la période qui s’ouvre avec lui. Ce ne sont pas ses causes mais ses conséquences. Mai '68, il y a bien longtemps qu’on en a oublié les causes…

Propos recueillis auprès de Alain Bertho 
Professeur d'anthropologie à l'Université de Paris 8-Saint-Denis.
Co-auteur, avec Samuel Luret du documentaire “Les raisons de la colère” (ARTE-Morgane production), il revient sur quarante années d'émeutes dans son dernier ouvrage Le temps des émeutes.
30.05.11
Source: atlantico.fr

lundi 30 mai 2011

Réglementez le nucléaire, pas les bananes!


 
En Suisse,Berne annonce sa sortie du nucléaire


L'Allemagne l'a évoqué, la Suisse va le faire: c'est officiel, Berne va renoncer à l'énergie nucléaire d'ici à 2034. Cinq réacteurs sont aujourd'hui en activité et ils représentent plus de 40% de l'électricité produite. C'est la ministre de l'Energie Doris Leuthard qui l'a annoncé le 25 mai, en présentant la nouvelle stratégie énergétique de la Suisse jusqu'en 2050, explique la Tribune de Genève. Pour le quotidien, "La Suisse joue les précurseurs. Elle est la première à prendre une décision aussi radicale deux mois après la catastrophe de Fukushima. L’Allemagne pourrait suivre." Pour La Tribune de Genève, il s'agit d'une "décision historique qui fait de la Suisse un des premiers pays au monde à décider pour un avenir sans atome", même si "le tracé est encore flou", car la place des énergies renouvelables et des centrales à gaz n'est pas définie, tout comme les moyens financiers pour effectuer la reconversion énergétique.

La décision suisse reflète les "divisions en Europe sur le nucléaire", qui se sont "creusées depuis Fukushima", note The Guardian qui résume ainsi la situation: "Le Royaume-Uni et la France continuent à soutenir fermement le nucléaire, l'Italie a mis de côté ses projet de construction de nouvelles centrales et l'Allemagne se dirige vers une sortie". Ces divisions, ajoute le quotidien londonien, se sont traduites également par le débat sur la nature des nouveaux tests de sûreté renforcé pour les centrales nucléaires, adoptés le 24 mai par les Vingt-Sept. Sous la pression de Londres, Paris et Prague, ils ont convenu que les tests ne concerneront que les risques naturels et pas les attaques terroristes, "ces dernières relevant des autorités nationales chargées de la sécurité et non de la Commission européenne ou des autorités atomiques nationales".

L'UE harmonise la réglementation sur les fruits et légumes, mais pas sur la sécurité nucléaire. Après Fukushima, il est aberrant que les Etats continuent de décider seuls, sans contrôle et dans l'opacité, déplore un journaliste allemand.

Toute banane commercialisée sur le territoire de l’Union européenne doit mesurer au minimum 14 centimètres de longueur et 27 millimètres d’épaisseur. C’est ce que l’on peut lire dans le règlement européen sur les normes de qualité pour les bananes.

Pour les centrales nucléaires exploitées dans l’Union, il n’existe en revanche aucune norme de sécurité commune. Chaque pays fait exactement ce qui lui plaît, et l’appareil communautaire, d’ordinaire obnubilé par l’uniformisation – avec, dans le meilleur des cas, des résultats comiques – apparaît soudain dépourvu de toute compétence formelle.

Il n'y a pas plus absurde. Si nous perdons le contrôle d’un réacteur nucléaire, peu importe où il se trouve en Europe, c’est l’ensemble du continent qui sera touché. Or, c'est précisément dans ce domaine que les Etats membres peuvent décider seuls de ce qu'ils font et de ce qu'ils permettent. Une telle conception de l’UE, qui ne fixe des normes que dans les domaines dépourvus d’importance, est insupportable. Plus que jamais depuis Fukushima. Sinon, la communauté risque à terme de se muter en république bananière.

Et pendant que l’on parle de pouvoir décisionnel: sur la scène politique intérieure non plus, on ne sait plus très bien – et ce depuis longtemps – qui est aux commandes du nucléaire allemand. De quel pouvoir le gouvernement fédéral dispose-t-il encore dans le domaine de la politique énergétique – ou plutôt: dans quelle mesure est-il déjà aux mains du lobby nucléaire?

Mettre un terme à l'ère de folie nucléaire
Souvenons-nous qu'à l’occasion d’une réunion secrète qui s’est tenue l’automne dernier, l’industrie a dicté au gouvernement qu’il inscrive la prolongation de la durée de vie des centrales dans la loi sur l’énergie nucléaire. Au lendemain de Fukushima, Angela Merkel & C°, visiblement poussés à la repentance par les sondages d’opinion, ont voulu éviter de donner l’impression qu’ils étaient à la botte des lobbys en redonnant un coup d’accélérateur à la sortie du nucléaire.

Mais cet horrible soupçon resurgit aujourd’hui: voilà soudain que la taxe sur le combustible nucléaire, qui venait de voir le jour, est menacée de disparition – le gouvernement noir-jaune [chrétien-démocrate – libéral] s’apprête ainsi à jeter aux oubliettes sa seule et unique avancée pertinente dans le domaine de la politique énergétique. Encore une preuve d'incompétence.

Plus que jamais, il semble évident que le tournant énergétique a surtout besoin aujourd’hui de personnes qui œuvrent activement à bannir purement et simplement le nucléaire à l’aide des sources d’énergie alternatives. Hier, par exemple, les installations photovoltaïques allemandes ont produit 120 millions de kilowattheures d’énergie solaire – soit la production journalière de quatre centrales nucléaires.

Créer des précédents concrets, voilà sans doute aujourd’hui le meilleur moyen de mettre fin une fois pour toutes à cette ère de folie nucléaire. En Allemagne comme en Europe.

Bernward Janzig
26.05.11
Source: presseurop.eu

dimanche 29 mai 2011

La Nakba qui attend l’Amérique

"A partir du moment où nous avons choisi d’assumer un rôle qui comprend la domination permanente du monde par les armes, nous nous sommes retrouvés seuls: craints, haïs, corrompus et corrupteurs, maintenant "l’ordre" par le terrorisme d’Etat et la corruption, et adonnés aux rhétoriques mégalomaniaques et aux sophismes qui invitaient littéralement le reste du monde à s’unir contre nous. Nous sommes montés sur le tigre napoléonien. La question était: allions-nous en descendre un jour et serait-ce même possible?" (Chalmers Johnson, The Sorrows of Empire 284).

La semaine dernière, la communauté mondiale a pu constater la justesse de la prémonition que Johnson a eue il y a six ans en voyant les efforts de Netanyahu et Obama pour contrôler le tigre lâché par la création de l’Etat d’Israël - à coup de fourberies, de terrorisme et de puissance militaire - au milieu du monde arabe, Etat qui doit maintenant faire face au printemps arabe qui naît des cendres des dictateurs déchus. La coercition, la corruption et la puissance militaire pouvaient créer une illusion de stabilité aussi longtemps que des accords fournissaient les milliards de dollars nécessaires à la police de la sécurité, à l’entraînement des troupes par les USA, au soutien technique et au matériel militaire qui maintenaient les dictateurs au pouvoir.

Mais deux facteurs: le fait que l’oligarchie issue des multinationales ("corpocracy") qui gouverne cet empire le contraint à obéir aux desideratas de son enfant adopté, et la guerre sans fin qu’il mène pour soutenir sa croissance économique, ont terriblement affaibli les USA comme le montrent leurs futiles efforts pour contenir le terrorisme dans tout le Moyen-Orient. Désormais les USA se retrouvent sans pouvoir, sans ressources et sans amis, manipulés par les sionistes israéliens comme Sharon, Olmert, et Netanyahu qui méprisent la faiblesse des USA et tiennent son Congrès prisonnier par la force, la corruption et le mensonge, les mêmes méthodes qu’Israël a utilisées contre les peuples du Moyen-Orient pour créer l’illusion de pouvoir.

Ironiquement dans son discours à l’AIPAC et à Netanyahu, lundi, Obama a dressé une carte démographique qui contraint Israël et la communauté mondiale à voir ce qui motive réellement le parti du Likoud au moment même où il prétend que "la paix est le premier objectif d’Israël". La population palestinienne de la Palestine historique sera égale à la population juive avant 2014 (Palestine Bureau of Statistics). Ce fait matériel (litt."sur le terrain") montre que les Palestiniens seront majoritaires à l’Ouest du Jourdain; l’ironie réside dans une déclaration du Likoud qui est passée inaperçue: "Le gouvernement d’Israël rejette absolument la création d’un état palestinien à l’ouest du Jourdain". Non seulement ceci signifie que le gouvernement israélien rejette totalement un Etat palestinien (d’une manière comparable en vérité au refus du Hamas de reconnaître Israël) mais il le fait alors même qu’il est confronté à l’évidence incontournable que les juifs seront alors minoritaires en Palestine. Le refus d’un état palestinien aboutira donc à un Etat israélien non démocratique d’apartheid contrôlé par une minorité, comme l’Afrique du Sud il y a des dizaines d’années.

Mais le discours d’Obama a été plus loin que les statistiques démographiques. Il a essayé d’expliquer aux Israéliens que les murs et les barrières de maillon de chaînes ne pourraient pas contenir les 6,1 millions de futurs Palestiniens même avec des barbelés, des tours de contrôle et de la haute technologie. Comment Israël pourrait-il contrôler une population supérieure en nombre à la sienne, entassée sur 15% de la Palestine historique pendant que sa propre population en occupe 85%? (PCBS). Comment la communauté mondiale pourrait-elle accepter une situation d’une telle injustice, surtout que ces chiffres ne comprennent pas les 5,6 millions de réfugiés qui vivent dans divers pays arabes. Selon le Droit international, ces personnes ont le droit du retour et beaucoup d’entre elles auraient le droit de revenir sur des terres qui sont maintenant revendiquées par Israël. Obama laisse entendre qu’Israël doit choisir entre accepter un accord qui donnerait assez de terres et de ressources aux Palestiniens ou affronter l’inévitable dissolution de l’Etat juif si la solution d’un seul Etat devient une réalité de facto. En 2002 le prince saoudien a proposé un plan de paix basé sur les frontières de 1967 qui incluait une totale reconnaissance de l’Etat d’Israël par tous les pays arabes. Israël et les USA l’ont rejeté d’emblée.

Obama n’a pas dit au gouvernement israélien ce qu’il devait faire, mais il a noté que les temps changent (times are changing). Il ne sera plus possible, sous-entend Obama, d’accueillir parmi l’élite les quelques personnes qu’on peut soudoyer pour qu’ils acceptent de signer avec Israël un pseudo accord de paix comme ceux qui ont été signés en Egypte et en Jordanie, ni de contraindre les pairs de Kadhafi à conclure des accords de pétrole juteux, ni d’envahir illégalement un pays qui n’a rien fait aux USA comme nous l’avons fait en Irak et en Afghanistan pour mettre en place des leaders complaisants qui feront ce que veulent nos entreprises. Non, les temps ont changé; le nouvel arabe se rend compte que les ressources des USA s’épuisent, il est conscient de sa crise économique et de sa dette colossale, il voit l’étau qui se resserre sur les juifs à cause de la croissance de la population palestinienne, il veut la justice pour lui-même et pour les Palestiniens et il sait qu’il peut forcer la communauté internationale à se réveiller à travers l’assemblée générale de l’ONU.

Obama n’a que trop conscience du peu de pouvoir qu’il a en tant que président des USA. Il sait que les réprésentants du peuple sont aux mains des multinationales et du lobby israélien. Cela signifie qu’il ne peut rien faire en matière de législation ni de politique étrangère ou intérieure s’il s’oppose aux sionistes qui contrôlent son gouvernement et qu’il ne sera pas non plus réélu. C’est un homme enchaîné et soumis à ses maîtres. Mais il sait aussi que cette soumission est un danger pour les USA, que ses soldats sont au service d’une puissance étrangère et que la haine des étasuniens brûle le cœur de ceux qui vivent sous la botte des troupes israéliennes.

Mark Perry fait état d’un briefing d’un caractère explosif unique de l’amiral Mullen selon lequel les dirigeants arabes les plus importants pensent que l’administration étasunienne est incompétente et incapable de tenir tête à Israël; il parle aussi de ceux du General Petraeus qui voit la soi-disant "relation spéciale" avec Israël comme un risque pour les vies des Etasuniens et leurs intérêts.

Le briefing de janvier de Mullen était une première. Aucun commandant précédent du Centcom (Commandement central des USA) ne s’était jamais exprimé sur ce qui était considéré essentiellement comme une question politique; c’est pourquoi ceux qui ont fait ce rapport à Mullen ont insisté sur le fait que leurs conclusions étaient le fruit d’un tour de la région effectué en 2009 sur les instructions de Petraeus au cours duquel ils avaient parlé à des dirigeants arabes importants. "Partout où ils sont allés, le message était assez humiliant" a dit un officier du Pentagone qui connaît le briefing. "Non seulement les USA sont considérés comme faibles mais sa puissance militaire dans la région diminue." (voir Mark Perry, “Putting American Lives At Risk")

Voici la déclaration faite par le géneral Petraeus au nom du Centcom devant le comité des services armés du Sénat le 16 mars 2010:
"Il n’y a pas de progrès suffisant vers une paix générale au Moyen Orient. Le conflit qui ne se résout pas entre Israël et certains de ses voisins entrave notre capacité à faire avancer nos intérêts dans le territoire placé sous notre responsabilité (AOR). Les tensions entre Israël et les Palestiniens dégénèrent souvent en violences et en confrontations armées d’importance. Le conflit engendre des sentiments anti-étasuniens qui sont dûs au sentiment que les USA favorisent Israël. La colère arabe au sujet de la question palestinienne limite la force et la profondeur des partenariats entre les USA et les gouvernements et les peuples de l’AOR et entame la légitimité des leaders arabes modérés de la région. Al-Qaeda et d’autres groupes militants exploitent cette colère pour obtenir du soutien. Le conflit augmente aussi l’influence de l’Iran sur le monde arabe à travers ses obligés, le Hizbollah au Liban et le Hamas."

Obama a compris les implications pressantes de la renaissance des aspirations humanitaires des peuples de Tunisie, d’Egypte, de Libye, du Barhein, du Yémen, d’Arabie Saoudite, de Syrie, de Jordanie, d’Iran et même de Palestine, surtout de Palestine, car ces aspirations submergent les bureaux des représentants de l’ONU pour exiger la reconnaissance des citoyens occupés et assiégés de Palestine. On s’attend à ce qu’en septembre prochain, l’Amérique Latine, l’Asie, la plus grande partie de l’Europe et tous les pays arabes acceptent comme membre à part entière l’Etat palestinien dans les frontières de 1967, et alors le long calvaire du peuple palestinien durant 63 ans d’un processus de paix toujours saboté par Israël, touchera à sa fin (Voir Jeff Halper, “Israel is the Problem,” The Plight of the Palestinians).

Ce vote va mettre Israël dans une position intenable parce que les USA vont être obligés de renoncer au rôle de protecteur d’Israël pour qui ils ont défié l’ONU pendant toutes ces années, faisant de l’ONU une institution sans objet et sans pouvoir et anéantissant les aspirations de la communauté mondiale. Les discours d’Obama devant le Congrès et l’AIPAC contraindront Netanyahu soit à accepter des négociations de paix qui verront la création d’un Etat palestinien viable soit à négocier avec l’ONU au lieu des Etats-Unis la création d’un Etat palestinien, une perspective qui ne plaît pas à Israël. Cependant la vérité est que l’Etat d’Israël a été reconnu par l’ONU par un vote de l’assemblée générale en 1949 rendant donc difficile un vote similaire au profit des Palestiniens. C’est seulement si l’ONU intervient pour établir des frontières légitimes aux deux pays, créant ainsi une situation équitable de départ, qu’une paix juste et réelle deviendra possible.

Netanyahu, au contraire, a ignoré ces implications et tenté de défendre la rhétorique mégalomaniaque d’Israël:
• une rhétorique qui fait grand cas de la menace contenue dans la charte du Hamas de ne pas reconnaître l’Etat d’Israël mais oublie de parler au monde du rejet pur et simple d’un Etat palestinien dans le propre programme du Likoud;
• une rhétorique qui prétend que les frontières de 1967 sont indéfendables pour Israël tout en niant les massacres de Palestiniens avant et après la mise en œuvre du plan de partition de l’ONU qui s’est soldé par la confiscation de 21.000 dounams (1 dounam=1000m2) de terre en Galilée, Al-Muthalath et dans le Negev;
• une rhétorique qui déclare que les colonies doivent rester en Cisjordanie au même titre que l’autoroute d’apartheid que seuls les juifs ont le droit d’utiliser en dépit du fait qu’il y a jusqu’à 517.774 juifs éparpillés en Cisjordanie rendant une Palestine viable impossible tandis que 1.496 dounams, de plus ont été confisqués pour construire le mur d’annexion pour les colonies en expansion;
• une rhétorique qui exige que les Palestiniens reconnaissent Israël comme un Etat juif et démocratique même si cette définition est un oxymore qui a comme conséquence de faire des Arabes israéliens des citoyens de seconde classe, tandis qu’Israël refuse la création d’un Etat palestinien à l’Ouest du Jourdain;
• une rhétorique qui exige que les Palestiniens rejettent la violence alors qu’Israël occupe leur pays illégalement ainsi que des terres libanaises et syriennes et a assassiné sans relâche des Palestiniens depuis sa création, un fait qui est attesté par d’innombrables résolutions de l’ONU.

En ce temps de commémoration, il faut que le peuple des USA réfléchisse sur le rôle qu’il a joué dans la naissance ratée de l’Etat d’Israël et la désastreuse catastrophe qu’a subie le peuple palestinien. Ironiquement, la plupart des Etasuniens ne peuvent se souvenir ni de la Déclaration d’indépendance d’Israël ni de la Nakba et pourtant en 2011 leur existence économique, politique et internationale est tributaire des décades de soutien inconditionnel que le gouvernement étasunien à donné à l’Etat terroriste d’Israël. Ironiquement au moment où le président Obama donne un aperçu de ce que l’évolution de la situation au Moyen-Orient lui inspire, le "soutien indéfectible" à l’Etat d’Israël a déjà provoqué la condamnation universelle de son pays considéré comme une nation qui a perdu son honneur, en qui on ne peut pas avoir confiance et à qui il faut mieux ne pas avoir à faire car il ne lui reste plus aucune velléité de rendre justice aux faibles et aux personnes sans défenses. Voilà peut-être ce qui mène la puissance étasunienne à la catastrophe: notre politique de domination du monde au profit de notre élite économique.

William A. Cook
Professeur d’Anglais à l’Université de La Verne dans le Sud de la Californie.
Auteur.
27.05.11
Pour consulter l’original: http://countercurrents.org/cook2505...
Traduction: D. Muselet

samedi 28 mai 2011

La révolte des indigné(e)s. Notes depuis la Plaza Tahrir de Barcelone

Il n’y a plus de doutes. Le vent qui a électrisé le monde arabe ces derniers mois, l’esprit des protestations répétées en Grèce, des luttes étudiantes en Grande-Bretagne et en Italie, des mobilisation anti-Sarkozy en France… est arrivé dans l’État espagnol.


Il n’y a plus de place pour le «business as usual». Les confortables routines mercantiles de notre «démocratie de marché» et ses rituels électoraux et médiatiques se sont vus soudainement perturbés par l’irruption imprévue dans la rue et dans l’espace public d’une mobilisation citoyenne. Cette révolte des indigné(e)s inquiète les élites politiques, toujours mal à l’aise quand la population prend au sérieux la démocratie… et décide de la pratiquer pour son propre compte.

Il y a deux ans demi, quand la crise historique a éclaté en septembre 2008, les «maîtres du monde» ont connu un bref moment de panique, alarmés par l’ampleur d’une crise qu’ils n’avaient pas prévue, par l’absence d’instruments théoriques pour la comprendre et par la crainte d’une forte réaction sociale. Sont arrivées alors les proclamations creuses sur la «refondation du capitalisme» et les faux mea culpa qui se sont peu à peu évaporés, dès que le système financier a été sauvé, face à l’absence de toute explosion sociale.

La réaction sociale s’est faite attendre. Depuis l’éclatement de la crise, les résistances sociales sont relativement faibles. Il y a eu un énorme gouffre entre le discrédit du modèle économique actuel et sa traduction sous forme d’action collective. Plusieurs facteurs l’expliquent, en particulier la peur, la résignation face à la situation actuelle, le scepticisme par rapport aux syndicats, l’absence de référents politiques et sociaux et l’influence, parmi les salariés, des valeurs individualistes et consuméristes inculquées en permanence depuis des années par le système.

La révolte actuelle, cependant, ne part pas de zéro. Des années de travail à petite échelle des réseaux et mouvements alternatifs, d’initiatives de résistances à l’impact bien plus limité ont maintenu la flamme de la contestation pendant cette période difficile. La grève générale du 29 septembre avait ouvert une première brèche, mais la démobilisation ultérieure des directions des syndicats CCOO et UGT et la honteuse signature du Pacte social l’ont refermée en stoppant toute mobilisation syndicale. Avec comme conséquence le discrédit et la perte de tout prestige des syndicats majoritaires aux yeux de la jeunesse combative qui organise aujourd’hui les occupations.

Indignés et indignées!
«L’indignation», rendue populaire à travers le pamphlet de Stéphane Hessel, est une des idées-force qui définissent les protestations en cours. C’est la réapparition, sous une autre forme, du «Ya Basta!» («Assez!») lancé par les Zapatistes à l’occasion de leur soulèvement le 1er janvier 1994 dans la première révolte contre le «nouvel ordre mondial» proclamé à l’époque par George Bush père après la Première guerre du Golfe, la disparition de l’URSS et la chute du Mur de Berlin.

«L’indignation est un commencement. On s’indigne, on se soulève et puis on voit» soulignait Daniel Bensaïd. Peu à peu, on est passé du malaise à l’indignation et de l’indignation à la mobilisation. Nous sommes face à une véritable « indignation mobilisée ». Du tremblement de terre de la crise commence à surgir le tsunami de la mobilisation sociale.

Pour lutter, il ne faut pas seulement du malaise et de l’indignation, il faut également croire dans l’utilité de l’action collective, dans le fait qu’il soit possible de vaincre et que tout n’est pas perdu avant même de commencer. Pendant des années, les mouvements sociaux dans l’État espagnol n’ont connu que des défaites. L’absence de victoires qui démontre l’utilité de la mobilisation sociale et qui augmente les expectatives du possible ont pesé lourdement dans la lente réaction initiative face à la crise.

C’est précisément ici qu’entre l’immense contribution des révolutions dans le monde arabe aux protestations en cours. Elles nous montrent que l’action collective est utile, que, oui, « on peut le faire ». Il n’est donc pas étonnant que des ces révolutions, tout comme les victoires moins médiatisées du peuple islandais contre les banquiers et la caste politique, constituent, depuis le début, des références pour les manifestant-e-s et les activistes du mouvement actuel.

Ensemble avec la conviction que « c’est possible », que l’ont peut changer les choses, la perte de la peur, dans un contexte de crise et de difficultés personnelles, est un autre facteur clé. « Sans Peur », c’est exactement l’un des slogans les plus exprimés ces derniers jours. La peur paralyse encore une grande majorité des travailleurs et des secteurs populaires, ce qui amplifie la passivité ou favorise les réactions xénophobes et peu solidaires. Mais la mobilisation du 15 mai et les occupations qui se répandent comme une traînée de poudre constituent un puissant antidote contre la peur.

Le Mouvement du 15 mai et les occupations ont une importante composante générationnelle. Comme à chaque fois qu’éclate un nouveau cycle de luttes, c’est une nouvelle génération militante qui émerge avec force, et la « jeunesse » en tant que telle acquiert visibilité et protagonisme. Mais si cette composante générationnelle est fondamentale, et s’exprime par exemple dans certains mouvements organisés tels que « Juventud Sin Futuro », il faut souligner que la protestation en cours n’est pas un mouvement générationnel. C’est un mouvement de critique du modèle économique actuel et des tentatives de faire payer la crise aux travailleurs dans lequel les jeunes ont un poids important. Le défit est précisément que, comme dans tant d’autres occasions, la protestation de la jeunesse agisse comme un facteur déclenchant et un catalyseur d’un cycle de luttes sociales plus vaste.

L’esprit alterglobaliste est de retour
Le dynamisme, la spontanéité et l’impulsion des protestations actuelles sont les plus fortes depuis l’émergence du mouvement alterglobaliste il y a plus d’une décennie. Né au niveau international en novembre 1999 dans les protestations de Seattle pendant le sommet de l’OMC (bien que ses racines remontent au soulèvement zapatiste au Chiapas en 1994), la vague altermondialiste avait rapidement atteint l’État espagnol. Le référendum pour l’annulation de la dette en mars 2000 (organisé le jour même des élections législatives et qui fut interdit dans plusieurs villes par la Junte Électorale) et la forte participation au contre-sommet de Prague en septembre 2000 contre la Banque mondiale et le FMI furent ses premières batailles, en particulier en Catalogne. Mais son caractère massif et large fut atteint avec les mobilisations contre le sommet de la Banque mondiale à Barcelone les 22 et 24 juin 2001, dont on fêtera sous peu le dixième anniversaire. Dix ans plus tard, nous assistons donc à la naissance d’un mouvement dont l’énergie, l’enthousiasme et la force collective n’a plus été observé depuis lors. Il ne s’agira donc pas d’un anniversaire nostalgique, bien au contraire. Nous allons le fêter avec la naissance d’un nouveau mouvement d’ampleur.

Les assemblées qui se sont tenues ces derniers jours sur la Place de la Catalogne (et, sans aucun doute, dans toutes les occupations qui ont lieu dans le reste de l’État espagnol, à commencer par celle de la Puerta del Sol à Madrid), nous ont offert des moments inoubliables, de cette sorte d’événements qui n’arrivent que peu de fois et qui marquent un avant et un après dans les trajectoires militantes de ceux qui y participent et dans la dynamique des luttes sociales. Le mouvement du 15 mai et les occupations sont d’authentiques «luttes fondatrices» et des symptômes clairs que nous assistons à un changement de cycle et que le vent de la révolte souffle à nouveau. C’est une véritable «génération Tahrir» qui émerge, comme l’a fait avant elle la «génération Seattle» ou la «génération Genova».

A mesure que l’impulsion du mouvement «alterglobaliste» a parcouru la planète, pourchassant les sommets officiels à Washington, Prague, Québec, Göteborg, Gênes ou Barcelone, des milliers de personnes se sont identifiées à ces protestations et une grande quantité de collectifs de par la monde ont eu la sensation de faire partie d’un même mouvement commun, d’un même «peuple», le «peuple de Seattle» ou de «Gênes», de partager des objectifs communs et se sentir participant à une même lutte.

Le mouvement actuel s’inspire également de références internationales plus récentes et importantes de luttes et de victoires. Il cherche à se situer dans la constellation de mouvements aussi divers que les révolutions en Egypte et en Tunisie, des victoires en Islande, dans le contexte d’un combat général contre le capitalisme global et les élites politiques à sa solde. A l’intérieur de l’État espagnol, les manifestations du 15 mai, et aujourd’hui les occupations, exemplaires du point de vue de la simultanéité, de la décentralisation et de la coordination, tracent les contours d’une identité partagée et d’une communauté d’appartenance symbolique.

Le mouvement alterglobaliste a eu en ligne de mire, dans sa phase la plus élevée, les institutions internationales, OMC, BM, FMI et les multinationales. Ensuite, avec le déclenchement de la «guerre globale contre le terrorisme» lancée par Bush junior, la critique de la guerre et de la domination impérialiste ont acquis une forte centralité. Le mouvement actuel, par contre, axe sa critique contre la caste politique nationale, dont la complicité et la servilité face aux pouvoirs économiques ont été plus que jamais mises à nu avec la crise. «Nous ne sommes pas une marchandise aux mains des politiciens et des banquiers» proclamait l’un des principaux slogans du 15 mai. On relie ainsi la critique frontale de la caste politique, de la politique professionnelle, avec la critique, pas toujours bien articulée ou cohérente, du modèle économique actuel et des pouvoirs financiers. «Capitalism? Game over».

Vers l’avenir
L’avenir du mouvement initié le 15 mai est imprévisible. A court terme, le premier défi est de continuer à élargir les occupations en cours, à mettre en marche les villes qui ne sont pas encore touchées et à les maintenir, au moins, jusqu’au dimanche 22 mai. Il n’échappe à personne le fait que les journées du 21, «jour de réflexion» pré-électoral, et du 22, jour des élections, vont être décisifs. Le caractère massif des occupations sera alors fondamental.

Il est également nécessaire de mettre en avant de nouvelles dates de mobilisation, dans la suite directe de celle du 15 mai, afin de maintenir le rythme. Le défi principal est de préserver la dynamique simultanée d’expansion et de radicalisation de la protestation que nous avons connues ces derniers jours. Et, dans le cas spécifique de la Catalogne, de chercher des synergies entre la radicalité et la soif de changement du système, exprimés le 15 mai et dans les occupations, avec les luttes contre l’austérité, en particulier dans les secteurs de la santé et de l’enseignement. L’occupation de la Plaza Catalunya (rebaptisée «Plaza Tahrir» par les occupant(e)s, ndt) est devenue un point de rencontre, un puissant aimant, attirant de nombreux secteurs animant les luttes les plus dynamiques. Il s’agit d’amplifier son caractère de point de rencontre des résistances et des luttes qui permette de jeter des ponts, de faciliter le dialogue et de propulser avec force les mobilisations à venir. Établir des alliances entre les protestations en cours, entre les activistes non organisés, le syndicalisme alternatif et de combat, le mouvement des voisins, les collectifs de quartiers, tel est le grand défi des prochains jours.

«La révolution commence ici» chantions-nous hier sur la Plaza Catalunya. Au moins, ce qui commence, c’est un nouveau cycle de luttes de masses. Ce qui ne fait pas de doute par contre, c’est que plus de dix ans après l’émergence du mouvement alterglobaliste et deux ans après l’éclatement de la crise, la révolte sociale est de nouveau à l’ordre du jour.

Voir en ligne : http://esthervivas.wordpress.com/fr...

Josep Maria Antentas
Professeur de sociologie à l’Universitat Autónoma de Barcelona (UAB).
Esther Vivas
Centre d’études sur les mouvements sociaux (CEMS) de l’Universitat Pompeu Fabra (UPF).
Tous deux sont membres de la Gauche Anticapitaliste (Izquierda Anticapitalista – Revolta Global, en Catalogne) et auteurs de «Resistencias Globales. De Seattle a la Crisis de Wall Street» (Editorial Popular, 2009) et participent à l’occupation de la Plaza Catalunya de Barcelone.
22.05.11
Source: cadtm

vendredi 27 mai 2011

Comment en finir avec l’oligarchie

Eva Joly, candidate aux primaires écologistes, et Hervé Kempf, journaliste et essayiste, dressent le même constat: une oligarchie gouverne la France et l’Europe. De «la bande du Fouquet’s» aux banquiers, des dirigeants des grands médias au lobby nucléaire, ils servent d’abord leurs intérêts particuliers. Comment en finir avec cette domination? Faut-il d’abord nationaliser les banques ou instaurer un tribunal pénal pour les crimes écologiques? Faut-il instaurer un revenu maximal, ouvrir davantage les grandes écoles? Réponses.

- Basta : Qu’est-ce que l’oligarchie? Qui fait partie de cette oligarchie que vous dénoncez?
- Hervé Kempf: l’oligarchie, d’un point de vue sociologique, c’est l’actuelle classe dirigeante, qui mêle pouvoir économique, pouvoir politique, hauts fonctionnaires, dirigeants de grands médias. L’autre façon d’envisager l’oligarchie, c’est comme un système de gouvernement dans lequel un petit nombre de personnes va imposer ses décisions à l’ensemble de la société. Il y a une confusion des intérêts et un va-et-vient permanent des personnes entre les différents cercles. Cette situation n’est pas spécifiquement française.

- Eva Joly: ce qui caractérise l’oligarchie française, c’est cette porosité entre les secteurs de la banque, de la politique, de l’industrie, des médias. Les membres de l’oligarchie sont cooptés. C’est un milieu difficile d’accès, plus fermé en France qu’en Allemagne ou dans les pays scandinaves. Ici, le recrutement de l’oligarchie est beaucoup assuré par les grandes écoles. En Allemagne, comme dans les pays scandinaves, vous pouvez diriger une entreprise en ayant commencé au bas de l’échelle.

- Hervé Kempf: aux Etats-Unis, on est plus proche du modèle français. Le nouveau directeur de cabinet de Barack Obama, William H. Daley, vient de l’une des plus grandes banques, J. P. Morgan. Idem en Europe: le futur dirigeant de la Banque centrale européenne (BCE) sera sans doute l’italien Mario Draghi, qui a travaillé pour Goldman Sachs. La BCE devrait être indépendante des grands opérateurs financiers qui nous ont conduit à la crise financière de 2008, et en particulier de ceux comme Goldman Sachs qui ont eu une attitude absolument inacceptable, aboutissant par exemple à la crise de la Grèce. Et il est probable que cet homme devienne directeur de la BCE!

- Eva Joly: ce sont très souvent les grandes banques comme Goldman Sachs qui fournissent les cadres de l’administration, les cadres de la Réserve fédérale aux Etats-Unis, que ce soit sous Bush ou sous Obama. C’est le même recrutement, voilà pourquoi cela ne change pas. Qu’est-il arrivé à ceux qui étaient responsables de la crise financière de 2008? AIG, la compagnie d’assurance américaine, a été renflouée par le contribuable américain à hauteur de 180 milliards de dollars. Un de ses dirigeants, Joseph Cassano, considéré comme un «génie» de la finance, a inventé le «credit default swaps» (CDS), une garantie contre la défaillance d’un débiteur. Quand les gens sont venus demander des comptes après septembre 2008, ils ont découvert qu’il n’y avait pas de provisions: ce n’était pas véritablement un contrat d’assurance mais un produit financier. Et 46% de ces CDS étaient des bonus distribués à ceux qui les avaient conçus. A ma connaissance, il n’y a pas eu de poursuites pour escroquerie. Et lorsque les contribuables américains ont décidé de renflouer les banques, dont AIG, ils ont aussi renfloué les produits spéculatifs.

- Basta: cette situation d’impunité de l’oligarchie est-elle nouvelle? Pourquoi la puissance publique ne reprend-elle pas le contrôle?
- Hervé Kempf: il y a eu d’autres périodes où régnait l’oligarchie. La particularité de la situation actuelle, c’est que cette oligarchie n’a pour but essentiel que de maintenir son système de privilèges complètement démesurés. On a évité de justesse le passage de la crise financière à une crise économique, qui aurait été catastrophique, grâce à l’intervention de la puissance publique, grâce au soutien de l’épargne publique. On aurait dû remettre en cause tout le système qui avait conduit à cette situation. Et deux ans après, tout se remet en place. On retrouve à nouveau des bonus extravagants. Les patrons des grandes entreprises américaines gagnent plus qu’en 2007! 9,6 millions de dollars en moyenne pour les dirigeants des 200 plus grandes entreprises. Cette oligarchie ne prétend pas gouverner mieux que les autres: elle a pour objectif de maintenir une répartition des richesses absolument injuste, et dont le moteur est la destruction de l’environnement.

- Eva Joly: en France, Baudouin Prot, directeur général de PNB Paribas, vient d’annoncer une rémunération fixe de près d’un million d’euros, et plus 5 millions de bonus. C’est un scandale! L’Union européenne a voulu réguler le montant de cette «rémunération variable», qui est à l’origine de la crise financière, car les banquiers ont pris des risques insensés pour toucher ces bonus. Une directive européenne a été votée: les bonus doivent être «en équilibre» avec la rémunération fixe. La France a décidé de ne pas respecter cette directive. Dans sa transcription, ils ont oublié le mot «équilibre»! Ce n’est pas un hasard. C’est une décision de Christine Lagarde, sans doute sur instruction directe de Sarkozy. Les dirigeants des banques l’ont convaincu d’agir ainsi, sous prétexte de garder en France les meilleurs traders et dirigeants de banques. C’est inadmissible. Rien ne justifie qu’un être humain touche 6 millions d’euros de revenus annuels.

En plus ces banques sont responsables du fait que les pays occidentaux ont tous augmenté leur endettement d’environ 20 points de PIB. Tant que nous n’avons pas rattrapé ces 20 points, nous ne devrions distribuer aucun dividende ou bonus! Et j’affirme que les comptes de ces banques sont faux. Car les banques françaises sont exposées à hauteur de 200 milliards d’euros dans les pays en difficulté: Grèce, Espagne, Portugal, Irlande. Si la Grèce fait défaut, ces banques vont perdre une partie de leurs actifs. Les banques françaises sont, par exemple, exposées à hauteur de 60 milliards d’euros en Grèce. Or la Grèce va sans doute rééchelonner une partie de son endettement, ce qui aura un impact sur la valeur des titres. Est-ce que cet impact a été provisionné dans les comptes des banques françaises? Probablement pas. Ces banques n’auraient donc jamais dû distribuer de dividendes ou payer de bonus.

- Hervé Kempf: d’autant que la BNP continue ses activités dans les paradis fiscaux et organise la fraude fiscale. J’ai deux questions, Eva Joly: êtes-vous en faveur du revenu maximal admissible? Est-ce que vous pensez qu’il faut nationaliser certaines banques?

- Eva Joly: je suis en faveur du revenu maximal. Dans notre programme pour les élections européennes, on a fixé ce revenu à 40 fois le revenu médian. Soit 500.000 euros de revenu par an, ce qui est déjà énorme. Au-delà de ce montant, une fiscalité très forte. C’est une mesure de justice sociale fondamentale. Qui peut croire que les décisions prises par un directeur de banque justifient un tel accaparement de la richesse nationale? Qu’est-ce qui distingue au fond un directeur de banque d’un expert-comptable, d’un commissaire aux comptes? Il y a des centaines de milliers de personnes qui peuvent remplir cette fonction à la tête d’une banque.

Sur la nationalisation des banques, c’est plus compliqué. Nous aurions pu nationaliser la BNP en 2008, plutôt que lui prêter de l’argent. Aujourd’hui nationaliser les banques comporte un coût, et les finances publiques ne le supporteraient pas. Cependant, nous pouvons règlementer l’usage que les banques peuvent faire de l’épargne. Et l’épargne française représente 5.000 milliards d’euros, gérés par les banques. C’est la matière première des banques. Sans cette épargne, elles ne sont rien. Le résultat ne sera pas aussi fort qu’une nationalisation, mais sera très positif pour l’économie réelle.

- Basta: comment expliquez-vous que toute notion d’«intérêt général» ait disparu?
- Eva Joly: la perte du sens du «bien public» n’est pas récente. Dans l’enquête que j’ai faite sur Elf, j’ai vu un décalage entre certains hauts fonctionnaires qui pensaient réellement servir «l’intérêt énergétique» français, et les génération ultérieures, qui avaient clairement pour objectif de s’enrichir. Dans un procès-verbal du dossier, une des personnes mises en examen décrit une fête, organisée lorsque Loïc Le Floch Prigent est nommé à la tête d’Elf. Les participants voyaient Elf comme une source d’enrichissement personnel. Ce n’est pas une exception. Cela est possible parce que la seule valeur commune partagée aujourd’hui, c’est la fascination envers l’argent. C’est le moteur.

- Hervé Kempf: il faut replacer cette évolution dans l’histoire. Il y a une «poussée oligarchique» au début du 20è siècle, avec un capitalisme fou, qui a conduit à l’horreur de la guerre de 1914-18. Puis les années 1920 ont connu une période d’expansion, avec un désir d’enrichissement effréné et à nouveau une dérive oligarchique. Cela a conduit à la crise de 1929. A partir du New Deal et Roosevelt dans les années 1930, on observe un retour d’une politique fondée sur la recherche de l’intérêt général, et qui s’est généralisé dans les pays occidentaux après la IIè guerre mondiale. C’est par exemple en France la période de la mise en œuvre de la Sécurité sociale et des propositions du Conseil national de la Résistance. Jusqu’aux années 1970, la vie démocratique est intense. Jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Margaret Thatcher et Ronald Reagan qui marque à partir des années 1980 la remontée de la pensée néo-capitaliste. Sans frein, sans opposition, le capitalisme est devenu fou. Et l’on se retrouve dans une situation structurellement inégalitaire, fondé sur un système de valeurs individualistes, privilégiant la recherche de l’enrichissement matériel et la marchandisation généralisée.

- Basta: les institutions françaises de la Vè République favorisent-t-elle la mise en place de ce système oligarchique? Faut-il changer les institutions pour lutter contre l’oligarchie?
- Hervé Kempf: les institutions de la Vè République seraient encore pertinentes si les mécanismes n’étaient pas biaisés, pervertis. Plutôt que de créer de nouveaux mécanismes institutionnels, il faudrait déjà appliquer ceux qui existent. Comme les commissions de déontologie, chargées de contrôler qu’une personne travaillant dans un cabinet ministériel ou à la tête d’une administration ne parte pas diriger une banque… Cependant, j’ai fini par me convaincre qu’il y a un tel désordre, une telle dislocation de notre société, qu’une Constituante pourrait manifester le renouveau nécessaire.

- Eva Joly: le régime présidentiel à la française ne fonctionne pas. Il n’y pas de réel contre-pouvoir à celui du président, comme une procédure d’impeachment à l’exemple des Etats-Unis. L’article 20 de notre Constitution précise que c’est le gouvernement qui conduit la politique de la Nation… Ce serait bien de l’appliquer! La personnalisation est trop forte. Les citoyens n’ont pas de prise sur le jeu démocratique. Je suis favorable à une VIè République.

- Hervé Kempf: mais il ne faut pas trop se focaliser sur l’appareillage politique. L’oligarchie est un système dans lequel le politique n’est pas le pouvoir essentiel. Il faut mettre l’accent sur le pouvoir économique, par exemple avec la nationalisation des banques. Comment pouvons-nous reprendre le pouvoir collectivement sur les banques, au niveau européen? Comment redonner de la liberté aux médias, qui sont un enjeu essentiel de la délibération démocratique, aujourd’hui contrôlés par des grands pouvoirs capitalistes? Même si on croit beaucoup à internet, il y a toujours TF1 et de grands journaux qui ont un poids énormes. Et des Français qui passent 3h30 par jour devant la télé.

- Eva Joly: ce sont des appareils de pouvoir, de manipulation de l’opinion, d’occultation des vrais débats. En France, les propriétaires des médias sont des banquiers et des industriels, notamment du secteur de l’armement. En Islande, le plus grand journal a comme rédacteur en chef l’ancien gouverneur de la banque centrale, ancien président du parti des libéraux et ancien maire de Reykjavik. Résultat: au cœur de la crise, il n’y a plus de médias indépendants. Seuls les blogueurs permettent encore une expression démocratique dans le pays. Et l’Islande a privatisé les banques, au profit des amis de cet oligarque.

-Basta: face à cette situation, comment peut-on renouveler les classes dirigeantes? Faut-il souhaiter, comme Jean-Luc Mélenchon, «qu’ils s’en aillent tous»? Ou comme le suggère Emmanuel Todd tenter de «les ramener à la raison»?
- Eva Joly: tout le système scolaire est orienté vers la reproduction de nos élites. Le petit pourcentage de personnes d’origine modeste qui y parvienne ne sert que d’alibi. Il n’a pas augmenté en 30 ans. Il y a un enjeu immédiat: ouvrir davantage les universités et grandes écoles aux personnes des territoires les plus défavorisés, aux jeunes des banlieues. Et ne pas lésiner sur les moyens pour réaliser cette mixité sociale. A terme, il faut aussi supprimer les grandes écoles. L’école doit jouer un rôle. Elle peut assurer le renouveau des élites: dans une génération de 800.000 jeunes, il est absurde de croire que seulement 800 sont dignes de diriger le pays.

- Hervé Kempf: il faut aussi enrayer le mouvement de privatisation de l’éducation, des université et des grandes écoles. Car la démocratie repose sur des citoyens formés, instruits. J’ai le sentiment que beaucoup de jeunes de la génération des 20-25 ans veulent mettre leurs talents, leur énergie, leur créativité au service de la société. Il faut aussi une alliance politique pour porter cela. Le pouvoir de l’oligarchie est tellement fort que ceux qui portent le vrai désir des citoyens, dont la parole est aujourd’hui peu audible, doivent chercher l’alliance. Soyez rivaux quand c’est le moment de la rivalité, mais n’oubliez pas que cette compétition politique doit aboutir à une convergence des efforts pour nous faire sortir de l’oligarchie. Il y a des alliances à trouver avec le Parti de gauche, avec la gauche du PS, ceux qui sont les plus sensibles aux thèmes dont nous débattons aujourd’hui.

- Basta: les membres de l’oligarchie sont-ils capables de prendre la mesure de la crise écologique et des nécessaires mutations culturelles? Sont-ils aveugles à la nécessité d’une transition écologique, qui va à l’encontre de leurs modes de vie?
- Hervé Kempf: je ne pense pas que le système oligarchique puisse évoluer de l’intérieur. Cette classe dirigeante est bornée. On pouvait avoir un vague espoir avant l’hiver 2008-2009. Mais depuis la crise financière, ils sont revenus aux mêmes places, s’enrichissent de la même manière et continuent cette politique folle de marchandisation généralisée, de privatisation, de recherche de la croissance. Il y a énormément de conflits d’intérêts sur les questions écologiques: sur les OGM, le nucléaire et les politiques énergétiques, les produits chimiques... Ce sont les mêmes logiques que celles décrites pour le système financier. Pour maintenir son système, l’oligarchie pousse à une croissance économique qui détruit l’environnement. La croissance permet de maintenir à peu près tout le monde à flot, éventuellement d’augmenter un petit peu le niveau de vie des gens, qui finissent par accepter cette inégalité profonde, même s’ils en sont de plus en plus conscients. La remise en cause de la croissance économique n’est pas possible par l’oligarchie.

- Eva Joly: je crois beaucoup aux réformes qui viennent du bas vers le haut. C’est parce que l’opinion commence à comprendre les enjeux du nucléaire que nous allons sortir du nucléaire. Pareil pour les paradis fiscaux. Sur la question du nucléaire, la résistance va être très importante. Car le nucléaire n’est pas seulement anti-démocratique et anti-écologique: il est piloté par une «oligarchie nucléaire», issue des mêmes écoles, avec la même façon de penser. Une oligarchie technocratique. C’est un combat que je vais mener, car c’est sans doute le plus important dans les mois à venir.

- Basta: on parle de «délinquance» financière, de «crimes» écologiques de grandes entreprises. Est-on encore ici dans le débat politique? Les comportements de cette oligarchie ne relèvent-t-ils pas du droit, de la justice?
- Eva Joly: Tepco, qui exploite les centrales de Fukushima, avait obtenu la prolongation de l’exploitation des réacteurs, sans investissement supplémentaire. Cette entreprise demande aujourd’hui 9 milliards aux contribuables japonais. Les dirigeants de Tepco n’ont-ils pas mis les habitants du Japon et des pays voisins en danger? Une centrale vaut 4 ou 5 milliards, ils ont préféré les premiers jours après l’accident tenter de sauver la centrale. N’est-ce pas une «mise en danger d’autrui», telle que définie par notre code pénal? Dans le golfe du Mexique, on a découvert que BP a fait des économies sur le béton utilisé. Alors que la marée noire a tant coûté à l’environnement! Il faut un tribunal pénal international chargé de juger les catastrophes écologiques. C’est un projet à 20 ans, mais il faut commencer les négociations dès maintenant.

Un rapport de l’Onu, sorti en 2010, évalue le coût des catastrophes naturelles causées par des multinationales à 1.500 milliards de dollars. C’est probablement plus que ce que les multinationales paient en impôts. Ce sont les contribuables du monde qui paient pour les catastrophes écologiques. Même en terme financier, ce n’est pas rentable! Les dégâts sur l’environnement sont tels que cela va impacter le niveau des retraites aux États-Unis. Mais l’oligarchie s’en fiche. C’est un pillage de la nature, un pillage des caisses publiques au profit des caisses privées. Les multinationales exploitent par exemple des mines d’Afrique, détruisent le cadre de vie des habitants, offrent des boulots d’esclavage, laissent des tonnes d’arsenic ou de cyanure. Puis elles partent. Et utilisent le système des paradis fiscaux et les niches fiscales que notre gouvernement a gracieusement créées. Le groupe Total fait 10 ou 12 milliards de bénéfices et paie zéro euro d’impôt!

- Hervé Kempf: je suis assez sceptique sur les tribunaux écologiques. On ne peut pas attendre 20 ans. La catastrophe écologique, on y est déjà, même si je n’aime pas ce terme car je ne suis pas catastrophiste. Qui voulez-vous condamner? Tepco, d’accord. Et BP pour la marée noire. Mais pour les sécheresses en Chine et en Europe? Les inondations aux États-Unis? Qui est responsable? Il faut mener en priorité les batailles que l’on a citées: sur la régulation financière, les banques, le respect des règles environnementales et nucléaires.

- Eva Joly: c’est une course de vitesse. Il faut plusieurs mécanismes. Je vais rencontrer Luis Moreno-Ocampo, Procureur de la Cour pénale internationale. Nous voulons voir s’il existe un moyen pour que les «méga-catastrophes» écologiques puissent être assimilées à des crimes contre l’Humanité. Et en France, il faut assurer l’indépendance de la justice. Nous avons un parquet qui passe son temps à essayer d’éteindre les incendies et faire en sorte que des affaires ne sortent pas. Si je suis associée au pouvoir, je donnerai, par une réforme constitutionnelle, l’indépendance au parquet en France.

- Basta: l’image symbolique de ce système oligarchique est sans doute celle de la «bande du Fouquet’s», réunie par Nicolas Sarkozy au soir de son élection. En cas de victoire de la gauche en 2012, ce système sera-t-il remis en cause? Ou les intérêts centraux de l’oligarchie seront-ils selon vous entièrement préservés?
- Eva Joly: aujourd’hui l’oligarchie a directement le pouvoir, Nicolas Sarkozy est leur représentant. C’est ouvert, assumé, sans vergogne: on sert les copains. Nous pouvons avoir un gouvernement qui mette l’intérêt général au centre de son action. C’est un travail de longue haleine. Mais il faut commencer la révolution écologique: adapter l’appareil industriel à la conversion écologique, abandonner les projets pharaoniques, les constructions de nouveaux aéroports, de nouvelles autoroutes. On peut le faire tout de suite. Ce serait déjà énorme. On peut commencer la sortie du nucléaire: abandon de la construction de l’EPR, fermeture des centrales les plus anciennes, grand programme d’économie d’énergie, montée en puissance des énergies renouvelables. Imposer ces réformes sera un combat, car l’oligarchie sera toujours là. Le lobby du nucléaire, de l’armement sont extraordinairement forts. Et l’écologie n’est pas consensuelle.

- Hervé Kempf: vous ne répondez pas à la question! En tant que candidate, vous devez sans doute ménager le parti socialiste… Mais l’oligarchie en France, ce n’est pas seulement M. Sarkozy et sa bande. C’est aussi une large part du Parti socialiste. Les tenants de la social-démocratie européenne ont depuis 20 ans baissé les bras devant le capitalisme, dans leur système de valeur comme dans leurs trajectoires professionnelles. Dominique Strauss-Kahn, représentant le plus éminent de ce courant, est tombé. Mais le PS n’a pas viré sa cuti. Ce sont d’éminents socialistes qui mènent le projet fou de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, poussé par Jean-Marc Ayrault. Les projets d’autoroutes sont très souvent soutenus par des socialistes, avec en plus des logiques de privatisation par le biais des partenariats public-privé. On a là un vrai problème politique!

- Eva Joly: d’où l’importance que le candidat de l’écologique politique fasse un bon score.

- Hervé Kempf: sans doute. A condition qu’il ait les idées claires. Mais c’est une autre question! En Allemagne, l’enlisement de la social-démocratie dans la compromission avec le néo-capitalisme a conduit à une déception totale des gens. Si on veut éviter le recours populiste, qui est stimulé de manière évidente par l’oligarchie, on doit avoir recours à une réelle alternative. Et les écologistes peuvent être cette alternative.

Propos recueillis par Agnès Rousseaux
18.05.11
Source: bastamag

jeudi 26 mai 2011

Maghreb-Machrek: Les insurrections révolutionnaires: 5 premières leçons


 Les révolutions arabes, au-delà de leurs différentes appellations, nous ont déjà beaucoup apporté. Elles constituent un évènement, au sens fort du terme, difficilement prévisible, sauf à posteriori, et qui ouvre de nouveaux avenirs. Proposons de mettre en évidence cinq leçons que nous pouvons déjà en tirer.


La première leçon est que la situation peut-être qualifiée de révolutionnaire. Nous savions déjà que nous étions en situation de crise: crise du néolibéralisme en tant que phase de la mondialisation capitaliste; crise des fondements du système capitaliste; crise de la civilisation occidentale et de son hégémonie. Les insurrections des peuples de la région du Maghreb et du Machrek montrent qu’il ne s’agit pas simplement d’une crise. Au sens que donnaient Lénine et Gramcsi à la définition d’une situation révolutionnaire: «quand ceux d’en bas ne veulent plus être gouvernés et quand ceux d’en haut ne peuvent plus gouverner ».

La deuxième leçon est l’affirmation des revendications majeures: la question sociale; le refus de la corruption; les libertés; l’indépendance. Il s’agit d’une confirmation des contradictions de la situation actuelle: la prédominance des contradictions sociales entre les couches populaires et les oligarchies, l’explosion des inégalités sociales et de la corruption; les contradictions idéologiques autour de la question primordiale des libertés; les contradictions géopolitiques liées à l’hégémonie occidentale. Les contradictions écologiques ne sont pas absentes, notamment autour des questions des matières premières, de la terre et de l’eau, mais elles sont moins explicitement présentes que dans d’autres mouvements en Amérique Latine ou en Asie.

Les insurrections mettent en lumière l’évolution des contradictions sociales. Elles révèlent que les oligarchies ont divisé les classes dominantes. Dans la région, elles se sont réduites à des clans affairistes qui se sont appuyées sur les polices, les milices et les services secrets pour s’autonomiser par rapport aux armées qui les avaient mis au pouvoir. Elles soulignent que la corruption, résultat de la concentration de montants fabuleux dans les mains de l’oligarchie, est la résultante structurelle du néolibéralisme et qu’elle gangrène l’économie et la politique mondiale.

La troisième leçon est qu’en se révoltant à sa manière, une nouvelle génération a repris le flambeau révolutionnaire. Il ne s’agit pas tant de la jeunesse définie comme une tranche d’âge que d’une génération culturelle qui s’inscrit dans une situation et qui la transforme. Elle met en évidence les transformations sociales profondes liée à la démographie scolaire qui se traduit d’un côté par l’exode des cerveaux, de l’autre par les chômeurs diplômés. Les migrations relient cette génération au monde et à ses contradictions en termes de consommations, de cultures, de valeurs. Les résultats sont certes contradictoires mais réduisent l’isolement et l’enfermement. Les chômeurs diplômés construisent une nouvelle alliance entre les enfants des couches populaires et ceux des couches moyennes.

Cette nouvelle génération construit une nouvelle culture politique. Elle modifie la manière de relier les déterminants des structurations sociales: les classes et les couches sociales, les religions, les références nationales et culturelles, les appartenances de genre et d’âge, les migrations et les diasporas, les territoires. Elle expérimente de nouvelles formes d’organisation à travers la maîtrise des réseaux numériques et sociaux, les tentatives d’auto-organisation et d’horizontalité. Elle tente de définir, dans les différentes situations, des formes d’autonomie entre les mouvements et les instances politiques. Par ses exigences et son inventivité, elle nous rappelle la forte phrase de Frantz Fanon: «Chaque génération doit découvrir sa mission, pour la remplir ou pour la trahir».

La quatrième leçon est que l’enjeu est celui de la démocratisation à l’échelle de la région Maghreb-Machrek. A partir des situations nationales, du détonateur tunisien et de la conflagration égyptienne, l’insurrection s’est déployée avec ses spécificités sur la Région. Il faut essayer de comprendre comment, à un moment donné, un peuple n’a plus peur de se révolter. C’est à l’échelle de la Région que les peuples se sont révoltés. Ils ont dévoilé la nature des dictatures en remettant en question le rôle qui leur était dévolu par l’hégémonie occidentale. Ils ont montré la réalité des quatre fonctions que remplissaient ces dictatures: la garantie de l’accès aux matières premières; la garantie des accords militaires et notamment des traités avec Israël; le «containment» de l’islamisme; le contrôle des flux migratoires. La révolte des peuples se traduit par un dévoilement et une prise de conscience, elle participe de l’abolition des impossibilités. Une nouvelle approche est indispensable et devient possible.

La démocratisation se déploie à l’échelle des régions géo-culturelles comme on a pu le voir dans d’autres régions. Les situations spécifiques sont nationales et ne sont pas abolies par l’échelle de la Région. C’est à l’échelle nationale que se définissent les rapports aux Etats et aux institutions et aux instances politiques, que se nouent les alliances et que se dénouent les situations, que se construisent les transitions. Pour autant, l’échelle de la Région est d’un grand intérêt. Comme un peuple se construit par l’histoire de ses luttes, une région se construit aussi à partir de ses transformations et de la convergence de l’action de ses peuples. C’est la construction d’une région Maghreb-Machrek qui est en cours.

Il n’est pas inintéressant de se référer à l’exemple de l’Amérique Latine qui était il y a encore trente ans un continent couvert de dictatures. Les révolutions populaires les ont renversées. Des démocraties leur ont succédé. Elles ont été contrôlées par des bourgeoisies qui ont mis en place des régimes de croissance néolibérale, correspondant à la logique dominante de la période. Il en est résulté un peu de démocratisation et beaucoup de luttes sociales. Les Etats-Unis ont fait évoluer leur domination en apprenant à passer du contrôle des dictatures au contrôle des démocraties. Mais, dans ce processus, de nouveaux mouvements sociaux et citoyens se sont développés en Amérique Latine, modifiant la situation dans de nombreux pays et dans la Région. L’évolution n’est pas à envisager sur quelques mois, mais à l’échelle d’une génération. Dans la Région Maghreb-Machrek, quels sont les nouveaux mouvements sociaux et citoyens qui vont émerger?

La cinquième leçon est que la nouvelle période ouvre la possibilité d’une nouvelle phase de la décolonisation. Le néolibéralisme a commencé par une offensive contre la première phase de la décolonisation; une entreprise de recolonisation construite par le G7, qui était alors un G5, club des anciennes puissances coloniales, arcboutées sur le contrôle des matières premières et la domination du marché mondial. Cette offensive a été construite autour de la gestion de la crise de la dette, des plans d’ajustement structurels, des interventions du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC, sans compter les interventions militaires. Cette recolonisation s’est appuyée sur les régimes répressifs et oligarchiques des pays décolonisés, nés de la rupture des alliances de libération nationale entre les peuples et les élites. Cette remise au pas des peuples du Sud a précédé l’ajustement au marché mondial des capitaux des travailleurs des pays du Nord autour des politiques de chômage, de précarisation et de remise en cause des protections sociales et des services publics.

La nouvelle phase de la décolonisation correspondrait au passage de l’indépendance des Etats à l’autodétermination des peuples. Comme le précisait dès 1976 la Charte des droits des peuples, chaque peuple a droit à l’autodétermination externe contre toute forme de dépendance extérieure. Il a droit aussi à l’autodétermination interne, c’est-à-dire à un régime démocratique, au sens d’un régime qui garantisse les libertés individuelles et collectives. Cette nouvelle phase de la décolonisation nécessite une nouvelle avancée de la solidarité internationale. Cette solidarité se construit dans la convergence vers un autre monde possible. Elle commence par la convergence des mouvements Il s’agit des mouvements ouvriers, de salariés, paysans, des femmes, pour les droits humains, de jeunes, des peuples indigènes, écologistes, des peuples sans Etat, des migrants et des diasporas, des habitants, etc. Cette convergence a progressé dans l’espace des Forums sociaux mondiaux autour d’une orientation stratégique: inventer l’égalité des droits pour tous à l’échelle mondiale et affirmer l’impératif démocratique. De nombreux mouvements de la Région Maghreb-Machrek participent activement à ces convergences. Ce qu’apportent de nouveau les révolutions de la Région, c’est l’actualité et l’importance de la convergence des peuples en mouvement.

Gustave Massiah
25.05.11
Source: cetri.be

mercredi 25 mai 2011

Un avant goût du futur? Israël dans une impasse stratégique


Nazareth - Il y a des scènes extraordinaires. Dimanche, des téléphones portables ont filmé la marche d’au moins 1.000 réfugiés palestiniens à travers le no-man’s land vers une des frontières les plus étroitement gardées du monde, celle qui sépare la Syrie du plateau du Golan occupé par Israël.


Tout en agitant des drapeaux palestiniens, les marcheurs ont bravé un champ de mines et ont arraché une série de palissades pour permettre à plus de 100 personnes de courir vers le territoire contrôlé par Israël. Pendant qu’ils serraient dans leurs bras des villageois druzes habitant de l’autre côté, on pouvait entendre des gens dire: "Voilà à quoi ressemble la liberté."

A la différence des années précédentes, la journée de la Nakba n’a pas été une simple commémoration de la catastrophe qu’ont subie les Palestiniens en 1948 quand leur patrie a été transformé par la force en Etat juif. Elle a rappelé un instant aux Palestiniens que, en dépit du fait qu’ils étaient dispersé contre leur gré depuis longtemps, ils avaient encore la capacité de se battre ensemble contre Israël.

Dimanche dernier, dans sa violente répression des manifestations sur plusieurs fronts - en Cisjordanie, à Gaza, à Jérusalem et aux frontières de la Syrie et du Liban - Israël ressemblait davantage au proverbial petit garçon qui a le doigt dans le trou du barrage qu’à une super puissance militaire.

Le "printemps arabe" palestinien arrive et Israël n’a aucune stratégie politique ni diplomatique pour y faire front. Et donc Israël a utilisé la seule arme de son arsenal - la force brute - contre des manifestants désarmés.

Le long des frontières du nord, au moins 14 manifestants ont été tués et des douzaines blessés tant à Majdal Shams dans le Golan que près de Maroun al-Ras au Liban.

A Gaza un adolescent a reçu une balle mortelle et 100 autres manifestants ont été blessés au moment où ils arrivaient en masse aux points de passage. A Qalandiya, le check-point principal créé par Israël pour empêcher les Palestiniens de Cisjordanie d’aller à Jérusalem, au moins 40 manifestants ont été grièvement blessés. Il y a eu aussi des heurts dans des villes importantes de Cisjordanie.

Et à l’intérieur d’Israël, les Palestiniens du pays ont organisé pour la première fois leur propre marche dans le cœur d’Israël en agitant des drapeaux palestiniens à Jaffa, la ville palestinienne autrefois célèbre qui est devenue depuis 1948 un humble faubourg de Tel Aviv.

Avec leur manque de discernement habituel les dirigeants israéliens ont dit reconnaître "l’empreinte" de l’Iran sur les événements de la journée - comme si les Palestiniens manquaient par eux-mêmes de raisons de se plaindre et de manifester.

Mais en réalité, cela fait des mois que les services secrets israéliens préviennent que de telles manifestations de masse sont inévitables, à cause de l’intransigeance du gouvernement de droite israélien à un moment où Washington s’intéresse de nouveau à la création d’un Etat palestinien et en raison du sentiment répandu par le printemps arabe que "le changement est possible".

Suivant l’exemple des manifestants égyptiens et tunisiens, des Palestiniens ordinaires ont utilisé les nouveaux médias sociaux pour organiser et coordonner leur protestation - défiant en la circonstance les murs, les palissades et les check-points qu’Israël a érigés partout pour les séparer les uns des autres. C’est Twitter, et non Téhéran, qui a guidé les manifestations.

Bien que les manifestations ne soient pas encore une troisième Intifada, elles laissent présager ce qui va arriver. Ou, comme l’a dit un commandant israélien, elles ressemblent de façon inquiétante à "un échauffement" en préparation du mois de septembre, époque à laquelle les leaders palestiniens qui viennent de se réunifier, menacent de défier les USA et Israël en demandant à l’ONU de reconnaître un Etat palestinien dans les frontières de 1967.

Ehud Barak, le ministre israélien de la Défense, a aussi manifesté son inquiétude en disant: "Nous ne sommes qu’au début de ce processus et nous pourrions avoir à affronter des problèmes beaucoup plus compliqués."

Israël devrait tirer plusieurs leçons, dont aucune n’est agréable, des affrontements qui ont eu lieu ce week-end.

La première est qu’Israël ne peut plus régler le problème du printemps arabe en fermant simplement les écoutilles. Les soulèvements que ses voisins arabes affrontent signifient que ces régimes n’ont plus la légitimité de décider du sort de leur population palestinienne en fonction d’intérêts personnels étriqués.

De la même manière que le gouvernement de l’après Mubarak en Egypte est plutôt en train d’alléger le blocus sur Gaza que de le renforcer, la situation délicate du régime syrien le rend moins apte ou désireux de retenir, et encore moins de tuer par balle, des manifestants palestiniens qui se rassemblent aux frontières d’Israël.

La seconde leçon est que les Palestiniens ont compris la signification de la récente réconciliation entre les Fatah et le Hamas. L’établissement d’un gouvernement d’unité, montre que les deux factions rivales ont tardivement réalisé qu’elles ne pouvaient pas progresser dans leur lutte contre Israël tant qu’elles étaient divisées politiquement et géographiquement.

Les Palestiniens ordinaires sont arrivés à la même conclusion: en face des tanks et des avions de combat, la force des Palestiniens réside dans un mouvement national de libération unifié qui refuse de se laisser définir par la politique de fragmentation d’Israël.

La troisième leçon est qu’Israël a profité du calme relatif à ses frontières pour renforcer l’occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem et de Gaza. Les traités de paix avec l’Egypte et la Jordanie, en particulier, ont permis à l’armée israélienne de consacrer toute son énergie au contrôle des Palestiniens qui se trouvaient sous sa coupe.

Mais Israël a-t-il assez d’hommes pour lutter sur plusieurs fronts contre des révoltes palestiniennes coordonnées et soutenues? Peut-il supporter une telle pression sans se livrer au meurtre de masse de manifestants palestiniens désarmés?

La quatrième leçon est que les réfugiés palestiniens ne resteront sûrement pas sans réaction si, en septembre, leurs intérêts n’étaient pas pris en compte par Israël ou si la requête palestinienne pour un état à l’ONU n’était pas à la hauteur de leurs aspirations.

Les manifestants palestiniens de Syrie et de Liban ont montré qu’ils ne resteront pas en marge du printemps arabe palestinien. Ce message n’a pas été perdu pour le Hamas ni le Fatah au moment où ils se mettent à élaborer une stratégie commune pour les prochains mois.

Et la cinquième leçon est que les scènes de protestations palestiniennes sur les frontières d’Israël vont enflammer l’imagination des Palestiniens partout et qu’ils vont se mettre à envisager l’impossible - exactement comme les manifestations de la place Tahrir ont galvanisé les Egyptiens jusqu’à les conduire à croire qu’ils pouvaient se débarrasser de leur dictateur.

Israël est dans une impasse stratégique et diplomatique. Le week-end dernier il a peut-être eu un premier avant-goût de ce qui l’attend désormais.

Jonathan Cook
Ecrivain et journaliste vivant à Nazareth. Son site web est: www.jkcook.net.   
20.05.11
Source: LGS 
Traduction : D. Muselet

mardi 24 mai 2011

Au Festival de Kahn, palme des reins à: «PS: la grande imposture»


Une fois encore, dans la scénographie proposée la réalité dépasse la fiction. Vous aimiez les séries made in USA et en redemandiez: vous voilà servis…


Personne ne blâmait la justice américaine que l’on voyait fonctionner depuis des années à travers la petite lucarne. Que du contraire, selon le sacro-saint audimat. D’ailleurs, n’avait-elle pas contraint l’homme le plus puissant du monde, le président Clinton, à mettre un genou à terre pour l’affaire Monica Lewinsky? Or, voilà que d’un coup, elle ne sied plus. Et comme le soulignait avec pertinence Gilles Devers dans un papier récent |1|, déjà lors de l’affaire Florence Cassez, la justice mexicaine était «injuste»; dans celle de l’Arche de Zoé, la justice tchadienne était «nulle»; et dans celle-ci elle serait «cruelle»… Il n’y aurait donc que la justice française qui soit idéale. Habitué à une justice à géométrie variable, le gratin politique qui se pense et se comporte dorénavant en «star» rejette violemment ce qu’il craint voir un jour fondre sur lui. Son immunité serait-elle à terme, menacée? Certaines des affaires les plus glauques – et la liste est longue – pourraient-elles être enfin révélées?

Peut-être faut-il rappeler que dès l’instant où d’aucuns ont la prétention de vouloir représenter le peuple aux plus hauts niveaux, ces choix les mèneront automatiquement à une vie privée réduite pour une vie publique aujourd’hui hyper-médiatisée, ce qui d’ailleurs leur convient souvent. Et où l’on ne peut à la fois vouloir bénéficier des avantages de la fonction et des feux de la rampe, sans en porter aussi les charges, les devoirs, les responsabilités et les désavantages éventuels en des moments plus difficiles. Comme dit l’adage, on ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre…

Ensuite, l’on eût apprécié que cette «présomption d’innocence» que la plupart d’entre eux – mais particulièrement à «gôôôche» – n’a de cesse de revendiquer haut et fort ait été appliquée avec la rigueur réclamée lors du dossier Woerth-Bettencourt, ou dans celui d’Outreau, sous peine de devenir suspecte… Et de traduire le fait que si les mêmes évènements s’étaient produits en France, il y a fort à parier que l’affaire DSK, comme bien d’autres, eût été étouffée…

Puis, suite aux nombreuses déclarations du gotha politico-médiatique, comment croire ceux qui, la main sur le cœur et la larme à l’œil, nous assurent qu’ils connaissent leur «ami» depuis des lustres sans jamais s’être rendus compte des fêlures de l‘homme? Drôles d’amitiés, s’il en est, puisque l’intéressé lui-même déclarait encore il y a peu au journal Libération que ses trois faiblesses étaient: le fric, les femmes et sa judéité. |2| Quelques rares humoristes comme Stéphane Guillon ou Laurent Gerra avaient osé soulever un coin du voile… et en 2007 le journaliste Jean Quatremer avait laissé entendre que DSK avait un handicap |3|, et que l’encourager à se présenter pour de hautes fonctions était un pari risqué, voire irresponsable. Mais voilà précisément le nœud de l’intrigue: le PS français et ses caciques tellement avides du pouvoir, n’ont pas voulu voir ni entendre ce qui aurait pu faire obstacle à leur vedette, fut-elle fragile sur un point majeur. Personne n’avait lu ni entendu la moindre ligne du programme de ce grand absent de l’hexagone, qui en finale n’était qu’une construction médiatique du PS dont les incessants sondages assuraient la victoire sur tous ses rivaux – et où l’on peut comprendre l’imposture de «primaires» qui ne riment à rien puisque les dés étaient jetés! Peu importe que l’individu soit fragile à un endroit de sa personne; peu importe que cette fragilité s’exerce au détriment de plus faibles; peu importe certains antécédents que nul de ces tellement proches ne pouvait ignorer: l’important étant de gagner! La responsabilité de son entourage, de sa famille politique et de ses soi-disant «amis de longue date» est plus que lourde. Elle est écrasante, totale. Mais qui d’entre ceux-là sera prêt à le reconnaître? Probablement aucun, dans cet univers nombriliste d’égocentriques prêts à tout pour sauver leur tête… et les privilèges auxquels ils ne renonceraient pour rien au monde… Ainsi, au-delà de ce que cet épisode nous enseignera encore si l’on veut bien y accorder le temps et les questions utiles pour appréhender la vérité, il eût vraiment fallu que les intimes et les vrais «amis» du sieur Strauss-Kahn l’encouragent à consulter et à se faire soigner… car loin des déclarations machistes et imbéciles de certain(e)s, et sous les apparences, quand l’on déclare à qui veut l’entendre «aimer les femmes», on ne les harcèle pas de manière aussi exécrable que celles de DSK… qui à vrai dire, doit les détester et leur en vouloir pour les maltraiter ainsi… Mais, c’est bien aux psys de traiter de cette part sombre de l’individu.

Le pouvoir corrompt, dit-on. Bien plus que beaucoup ne l’imaginent. Et les sunlights braqués en permanence sur les têtes finissent par griller les cervelles. Ce besoin compulsif d’être reconnu et flatté devient plus fort que tout. Pour lequel certains tueraient père et mère. Ce pouvoir est tellement grisant qu’il donne aux individus qui y accèdent le sentiment d’impunité absolue. Ces gens-là sont pour la plupart, des prédateurs. Que bien peu de choses arrêtent. Et à leurs yeux, que vaut une soubrette? Il n’est qu’à écouter comment ils en parlent: un petit coup de reins ou une petite pipe n’est quand même pas «mort d’homme», n’est-ce pas? C’est affligeant! Et ces mêmes hypocrites viendront ensuite déplorer que dans le pays une femme meurt de violences conjugales tous les trois jours, et qu’il s’y commet 75.000 viols par an... |4| Tout se tient dans la vie, et il serait temps qu’ils s’en aperçoivent! Sans parler de ceux que leurs fantasmes aveuglent et qui se réfugient derrière une énième «théorie du complot». C’est tellement commode…

Ainsi donc, après une nuit dans une suite luxueuse, pourquoi se priver du plaisir que l’on pourrait «prendre» avec une boniche, jeune et noire de surcroît? D’ailleurs, n’est-ce pas inclus dans le prix de la suite? Ces malades de pouvoir, qui ont dans ces moments le don curieux de se serrer les coudes, se sont hissés dans un tel univers, qu’ils en perdent tout sens commun des réalités. Leur arrogance est sans borne. Et en tant que patron du FMI, le fonctionnaire le plus payé au monde (495.000 US$ nets annuels!) censé s’occuper des pays pauvres – cherchez l’erreur! – pourquoi s’embarrasser de principes, dès lors que pour ces gens-là, tout est dû: aussi bien les lieux de vie les plus prestigieux, les bagnoles rutilantes, les costards griffés, les tables les plus prisées, les services des uns, le silence et l’appui des autres… qu’une femme que l’on prend telle une chose. Faut-il rappeler que le FMI versera 250.000 US$ à l’intéressé, en guise de dédommagement pour sa démission? L’on me rétorquera que c’est contractuel. Bien sûr… mais n’eût-il pas fallu un minimum de retenue en attendant la sentence finale de la justice américaine, avant d’annoncer pareil versement? Et s’il est reconnu coupable, cet argent est-il mérité, et pourquoi n’irait-il pas de plein droit à la victime?... Qui a pu croire un instant dans ce mauvais casting, que la goôôche-caviar était morte? C’est loin d’être le cas, mais à terme, c’est tout ce qu’elle mérite!

Et venons-en au mensonge. Qui en général ne les étouffe pas. Dans le cas présent, la version des faits évolue non en fonction de la vérité, mais de la stratégie qui permettra d’adoucir la sentence du tribunal. Le «présumé innocent» a d’abord choisi de se déclarer non-coupable. Ben oui, faut pas rêver, ces gens-là ont rarement le courage d’avouer leurs méfaits! Mais comme la première juge ne l’a pas libéré sous caution, on apprend que le «storytelling» où l’intéressé niait les faits et où ses avocats indiquaient avoir un alibi en béton est soudain modifié. Désormais, la jeune femme harcelée par un DSK concédant qu’il l’a séduite, aurait dit «oui, ouii…» Voyez la duperie. Voyez l’arnaque qui tente de masquer le délit en retournant la situation sur le dos de la vraie victime: c’est désormais elle qui en redemandait, et donc elle qui ment! Ah, il est courageux le candidat socialiste, le pressenti aux ors de l’Elysée. Et elles sont belles les valeurs du favori idolâtré de cette gôôôche-caviar, qui sera passé des meilleures tables de New-York à la gamelle du prisonnier. Que ces quelques nuits en cellule où il aura eu le loisir de méditer sur l’égalité de traitement entre les individus et sur sa petitesse soit la première leçon d’une longue série...

Par ailleurs, il en faudra du courage à la jeune Nafissatou Diallo, après en avoir eu pour témoigner de son outrage. Tout sera fait pour la contraindre, pour la broyer, pour qu’elle revienne sur ses déclarations, ou pour qu’elle les modifie. Rien ne lui sera épargné, ni à elle ni à ses proches. Après l’humiliation qu’elle aura ressenti et devra porter pour le reste de sa vie, celle qu’une collègue a découvert prostrée et abattue au fond d’un couloir, aura une vie d’enfer, à fuir et se cacher pour échapper au harcèlement de hyènes qui avec leur fric, ont cette capacité à tout flétrir et tout abîmer. Puisqu’ils n’ont le respect de rien, ni de personne. Et que le dossier se soldera sans doute par un gros chèque dont certains baveront que c’était le but recherché…

En conclusion: au summum de leur narcissisme, et dans l’obsession de reconnaissance qu’ont certains de se faire dorénavant désigner par leur acronyme comme s’il s’agissait-là de la consécration ultime – DSK, BHL, PPDA, FOG, etc… – j’aurais un dernier mot: les toilettes publiques aussi sont désignées par les lettres WC…

Daniel Vanhove
Observateur civil
Auteur
23.05.11
Notes:

[4] http://www.web3u2free.com/article-plus-de-75000-viols-par-an-en-france-et-198000-tentatives-61722146.html

lundi 23 mai 2011

En Espagne, la «génération perdue» se révolte contre les politiques et les banquiers

Qualifiée de «génération perdue» par le FMI (Fonds monétaire international), la jeunesse espagnole montre qu’elle ne s’est pas endormie. Depuis le 15 mai, ils sont des centaines de milliers dans la rue, avec pour mot d’ordre: «Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers». Face aux mesures d’austérité, la révolte gronde...

Sur La Puerta del Sol, célèbre place de Madrid, il plane comme un parfum de révolution de jasmin. Les premiers manifestants sont arrivés dimanche 15 mai, alors que le mouvement gagnait une trentaine d’autres villes espagnoles. Lundi, à l’aube, la police a démantelé le camp. Mais le lendemain les manifestants sont revenus plus nombreux. A Madrid, mais aussi à Barcelone, Bilbao, Córdoba, Valence, Séville, Saragosse ou Grenade, des centaines de milliers de jeunes, chômeurs, migrants, retraités, travailleurs précaires sont descendus dans la rue pour réclamer une Democracia Real Ya, «une vraie démocratie, maintenant».

Un chômage à 21%
L’impression d’être une génération sacrifiée, condamnée à la précarité perpétuelle, a poussé nombre de jeunes à occuper les rues. Avec 4,2 millions de chômeurs, l’Espagne compte aujourd’hui le taux de sans emploi le plus élevé de l’Union européenne. Soit 21% de la population active. Chez les moins de 30 ans, ce taux avoisine les 44%. La crise économique frappe de plein fouet la jeunesse espagnole. Au point que le FMI a récemment qualifié ces jeunes de «génération perdue». Dans les cortèges, beaucoup sont des «Mileuroista», «ceux qui gagnent 1.000 euros par mois», fatigués du chômage et de la corruption des politiques. «Vous prenez l’argent, nous prenons la rue», proclame une banderole dépliée sur la Puerta del Sol.

Les slogans montrent une certaine défiance envers le gouvernement. Les manifestants veulent «que les coupables de la crise paient». Pas question pour ces Espagnols de payer la facture d’une crise financière qui n’est pas la leur mais «celle des banquiers et des politiques», selon les organisateurs du mouvement. L’austérité mise en place par le gouvernement depuis plusieurs mois, pour réduire à toute vitesse la dette du pays conformément aux injonctions de Bruxelles et du FMI, défait un à un les filets de la protection sociale. Le gouvernement socialiste de Zapatero opère une réduction drastique des dépenses publiques: les enseignants par exemple ont vu leur salaire réduit de 5%.

Un mouvement structuré par les réseaux sociaux
Le ras-le-bol envers la classe politique se nourrit aussi d’affaires de corruption, impliquant des hommes politiques de gauche comme de droite. Sur les pancartes, les manifestants demandent la fin des privilèges de la classe politique et l’arrêt de la privatisation du secteur public, ainsi que de vrais moyens pour lutter contre la fraude fiscale et la fuite des grandes fortunes vers les paradis fiscaux. Des élections municipales et régionales partielles se tiennent ce 22 mai. Une «assemblée» s’est tenue jeudi 19 mai sur la place Puerta del Sol, au cours de laquelle ont été annoncées les principales revendications. Les manifestants appellent notamment à la réforme de la loi électorale en Espagne qui façonne le paysage politique du pays, le condamnant à une hégémonie du système bipartite, entre le PSOE (sociaux-démocrates) et le Parti populaire (droite), qui a montré ses limites.

L’assemblée demande que soit accordée la priorité aux droits fondamentaux des citoyens: droits au logement, au travail, à la culture, à la santé, à l’éducation, à la participation citoyenne, au libre développement personnel et à la consommation des biens nécessaires pour une vie saine et heureuse. Le mouvement exige la comptabilisation du vote blanc, la moralisation de la vie politique à travers l’adoption d’une loi sur la responsabilité politique, l’interdiction d’inscription sur les listes électorales pour les hommes politiques poursuivis en justice, et la prohibition du financement privé des partis politiques. Le slogan Democracia Real Ya prend tout son sens.

A la Une des journaux espagnols, le mouvement du 15 mai – surnommé « el movimiento 15-M » – a surpris. Spontané, dépourvu de signes politiques ou syndicaux, il s’est forgé dans les réseaux sociaux, dont Facebook et Twitter, et a été organisé par des «citoyens anonymes». A la source de ce mouvement, on retrouve des collectifs comme Democracia real ya - une plateforme en ligne lancée par un groupe de blogueurs et d’internautes qui a réussi à agréger en quelques mois des dizaines d’associations -, Toma la Plaza (Occupons la place) et Juventud sin futuro (Jeunesse sans avenir). Le mouvement, présenté comme citoyen, participatif et démocratique par les organisateurs de la marche du 15 mai, se poursuit par l’occupation permanente de l’espace public, des places et des rues.

Vers un naufrage de la gauche de gouvernement?
Mais à l’approche des élections locales et régionales, cette mobilisation fait l’objet de mesures d’interdiction de la part de la commission électorale, qui estime que de telles manifestations risquent «de perturber la campagne électorale et la liberté des citoyens dans leur droit de vote». Aucun appel formel à l’abstention ou au vote blanc n’a été lancé par le mouvement du 15 mai. Même si l’une des principales revendications de ces «indignés» est la fin du bipartisme.

Alors que la société civile espagnole sort de l’apathie, la gauche, au pouvoir, se prépare à un naufrage électoral le 22 mai. Les récentes réformes du gouvernement Zapatero ont, pour de nombreux analystes, démobilisé l’électorat de gauche. La mairie de Barcelone tenue par le Parti socialiste (PSOE) pourrait être perdue au profit des nationalistes catalans de Convergence et Union (CiU). La droite conservatrice du Parti populaire (PP) est donnée grande gagnante des scrutins de dimanche. Elle pourrait l’emporter dans des fiefs socialistes, comme la région de Castille-la-Manche. Un avant-goût des législatives prévues pour mars 2012? Les partis de gauche tentent de reprendre à leur compte le mouvement du 15 Mai. Et c’est peut-être Izquierda Unida (Gauche unie), la coalition ancrée à gauche du PSOE, qui pourrait profiter des retombées du mouvement.

Angela Merkel demande aux Espagnols de faire «des efforts»
En Europe, on voit ce mouvement d’un très mauvais œil. A commencer par la chancelière allemande Angela Merkel, qui n’a pas hésiter à railler, en termes peu amènes, «les Européens du Sud peu travailleurs», le 17 mai lors d’une manifestation de son parti: «Il faudrait que dans des pays comme la Grèce, l’Espagne, le Portugal, on ne parte pas à la retraite plus tôt qu’en Allemagne, que tous fassent un peu les mêmes efforts, c’est important». Outre-Rhin, l’âge de la retraite a été porté à 67 ans. Et les conseillers économiques du gouvernement allemand préconisent de le fixer progressivement à 68 ou 69 ans. «Nous ne pouvons pas avoir une monnaie commune et accepter le fait que certains aient beaucoup de vacances et d’autres très peu», a-t-elle ajouté.

Un ton et des propos qui ne devraient pas plaire à ceux qui se reconnaissent dans le Mouvement du 15 mai... Et allant à contrario des données d’Eurostat, publiées par le Wall Street Journal le 14 février, révélant que les Grecs ont la plus longue semaine de travail en Europe, avec une moyenne de 42 heures, suivis par les Espagnols et les Portugais avec 39 heures par semaine. Sans oublier l’inégalité des salaires: 2.980 euros bruts en moyenne en Allemagne contre 2.260 euros en Espagne.

Malgré la répression policière et les dizaines de comparutions immédiates pour «trouble de l’ordre public et atteinte aux biens publics», les sit-in persistent. Comme le conclut le manifeste du Mouvement du 15 mai: «c’est mieux de risquer et de perdre, que de perdre sans avoir risqué».

Sophie Chapelle
20.05.11
Source: bastamag.net