jeudi 20 janvier 2011

Qui a le plus intérêt à un Liban déstabilisé?

En 2005, le premier ministre du Liban, Rafic Hariri, un homme d’affaires très lié à l’Arabie saoudite, est tué lors d’un attentat à Beyrouth. Immédiatement, Jacques Chirac, très proche du millionnaire libanais (dont il occupe actuellement un appartement quai Voltaire à Paris) et Georges W. Bush désignent la Syrie comme commanditaire de l’attentat et font adopter par le Conseil de Sécurité une résolution créant un tribunal spécial chargé d’identifier, de mettre en examen et de juger les auteurs et les commanditaires de cet attentat.

Cette décision a surpris de très grands spécialistes du droit pénal international. Ainsi l’article publié dans Le Monde diplomatique d’avril 2007 par trois éminents juristes, Géraud de Geouffre de La Pradelle, Antoine Korkmaz et Rafaëlle Maison, «Douteuse instrumentalisation de la justice internationale au Liban». En effet, pour la première fois depuis la création de l’ONU, un tribunal pénal international ad hoc est créé non pas pour juger des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes de génocide. Mais d’un assassinat politique. Un assassinat comme il y en a eu, hélas, des centaines, sinon des milliers depuis 1945. Rares sont ceux qui ont connu des suites judiciaires. Dès lors, au-delà des considérations juridiques, on est en droit de se poser la question: pourquoi cet assassinat-ci? Aucun procès international pour les assassinats de leaders historiques de la décolonisation comme Ben Barka ou Patrice Lumumba. Aucun procès international pour les «assassinats ciblés» décidés par le gouvernement israélien. Aucun procès international pour des journalistes et des magistrats abattus ou disparus alors qu’il procédaient à des enquêtes impliquant des décideurs politiques.

Depuis sa mise en place, ce «tribunal spécial pour le Liban» (TSL), s’est surtout caractérisé par les démissions successives de plusieurs de ses cadres et par l’obligation devant laquelle il s’est trouvé de se déjuger en libérant des officiers libanais incarcérés en dépit d’un dossier dont il a finalement fallu reconnaître qu’il était vide. La piste syrienne fut, depuis lors, abandonnée. En 2009, l’ONU renonçait à compléter les effectifs du tribunal, «faute d’accusés».

Mais depuis quelques mois, des informations distillées hors du Liban, laissent entendre que ce ne serait plus la Syrie, mais un autre acteur de «l’empire du mal», le Hezbollah, qui serait impliqué dans l’attentat. Le Hezbollah, c’est tout à la fois un courant religieux libanais (le chiisme), un parti politique libanais et une composante militaire de la «résistance libanaise». Une organisation considérée comme terroriste par les USA et Israël. La question n’est pas de savoir si on aime ou si on n’aime pas un mouvement comme celui-là. Rien ne rend proche d’un tel mouvement l’athée et l’objecteur de conscience que je suis. Mais l’observateur de la vie politique libanaise ne peut ignorer que le Hezbollah, que cela plaise ou non, est une partie intégrante de la société libanaise. Outre le fait qu’il exerce une influence décisive sur l’essentiel du Sud-Liban et sur une partie de Beyrouth, il compte des élus au Parlement et jusqu’à hier des ministres dans le gouvernement d’union nationale. Et surtout, aux yeux d’un grand nombre de Libanais, y compris des chrétiens comme Michel Aoun et son Courant Patriotique Libre, il incarne la volonté de résister à Israël. La capacité du Hezbollah à s’opposer, l’été 2006, à une offensive de l’armée israélienne, performance militaire unique dans l’histoire du conflit israélo-arabe, fait à la fois sa force au Liban mais aussi sa faiblesse dans un camp occidental aveuglément derrière l’État hébreux.

Alors que les autorités libanaises procèdent depuis une bonne année au démantèlement d’un réseau d’espionnage israélien dans le système libanais des télécommunications, on apprend que le TSL, se basant sur des écoutes téléphoniques, se prépare à inculper des membres du Hezbollah. Celui-ci a répondu en affirmant détenir des preuves – qu’il n’a pas montrées jusqu’ici (si, partiellement - ndlr) – de l’implication d’Israël dans l’attentat de 2005 et de sa capacité, via son réseau d’espions dans le système de télécommunication libanais, à en attribuer la responsabilité au mouvement chiite. Cette mise en cause du Hezbollah, distillée depuis trois mois à partir de sources étrangères, n’a plus cessé depuis lors d’empoisonner la vie politique du Liban au point de paralyser complètement son gouvernement. Au moment précis où Israël, avec la collaboration de compagnies américaines, prétend détenir le monopole de l’exploitation des très importants gisements de pétrole et de gaz dans une partie de la Méditerranée qui relève de la souveraineté du Liban. Au moment aussi où, en Israël, l’échec de 2006 nourrit plus que jamais des idées de revanche.

Une médiation tentée par la Syrie et l’Arabie saoudite a échoué. Il s’agissait d’éviter que les activités du TSL ne mettent en péril la vie du gouvernement libanais et la fragile paix qui règne entre les composantes de ce pays qui compte pas moins de 22 groupes ethniques et 17 communautés confessionnelles (4 musulmannes, 6 chrétiennes catholiques, 7 chrétiennes non catholiques) et qui a connu une guerre civile extrêmement meutrière de 1975 à 1989. Cette médiation vient d’échouer.

Le premier ministre Saad Hariri, fils du premier ministre assassiné, en visite à Washington, a subi la pression des plus inconditionnels alliés d’Israël, Nicolas Sarkozy et Hillary Clinton, pour faire passer le fonctionnement du TSL avant toute autre considération. Au prix de la survie de son gouvernement et de la stabilité du Liban. Quel est, dans la région, le pays qui va en profiter? Quid crimen prodest?

Raoul Marc Jennar
18.01.11
Source: altermondesansfrontières

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