mardi 19 avril 2011

Le socialisme cubain, cinquante ans après

«Cuba, c’est comme une telenovela de cinquante mille épisodes dont chacun pense que le prochain sera le dernier», résume Fernando Ravsberg, journaliste à la British Broadcasting Corporation (BBC). Avant d’ajouter, dans un sourire: «Mais elle continue toujours.» Cinquante-deux ans après le «triomphe de la révolution», le volet qui s’ouvre en 2011 débute par un événement et un double anniversaire.


L’événement? La tenue du sixième congrès du Parti communiste cubain (PCC). Non seulement le précédent rassemblement du parti date de 1997, mais le président de l’Assemblée nationale, M. Ricardo Alarcón, estime que l’enjeu des travaux de cette année n’est autre que de «sauver le socialisme cubain». Ce qui, peut-être, explique le choix des dates: du 16 au 19 avril.

1961: les tensions avec le voisin du Nord sont telles que plus personne, à Cuba, ne doute de l’imminence d’un débarquement piloté par Washington. Le 16 avril, mobilisant ses troupes pour la bataille qui s’annonce, Fidel Castro proclame le caractère socialiste de la révolution: «Voilà ce qu’ils ne peuvent pas pardonner: que nous, ici, sous leur nez, ayons donné naissance à une révolution socialiste.» Le lendemain, des exilés cubains tentent d’envahir l’île, en passant par la baie des Cochons. Après trois jours de combats, leur entreprise échoue.

A priori, le calendrier du congrès ne suggère pas la réforme. Pourtant, le 24 décembre 2010, un éditorial de Granma – l’organe du PCC – proclamait: «Il ne s’agit plus pour nous de réfléchir à “l’année qui vient” mais au “pays qui vient”.»

Cuba pourrait donc «vraiment» changer? Sur le plan économique, tout conduit à penser qu’il le faudra. Les Cubains manquent de tout: le pays importe 80% de l’alimentation dont il a besoin. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la débrouille et les combines constituent un quotidien dont les discours officiels ont récemment pris acte: une petite révolution (lire notre reportage dans l’édition d’avril du Monde diplomatique, en kiosques.)

Pour une grande part, le document préparatoire du congrès – les lineamientos («lignes directrices») – vise ainsi à légaliser des pratiques courantes, mais discrètes: embauches d’autres Cubains, fixation des prix selon une logique de marché, rémunérations en fonction de la productivité, etc. Mais ce n’est pas tout: il faut «ouvrir l’économie», assène l’économiste Omar Everleny Pérez, l’un des directeurs du Centre d’étude de l’économie cubaine (CEEC) – où sont nées une grande partie des réformes en cours. De retour du Vietnam – «un pays qui ressemble beaucoup à Cuba et qui a beaucoup à nous enseigner» –, il martèle les priorités: «Changer l’état d’esprit des Cubains et accroître l’autonomie des entreprises.» Avant d’ajouter: «Il faut aller vite: pour mettre en œuvre un changement aussi brutal, on n’a que deux ou trois ans.»

S’agit-il pour Cuba de tourner le dos au socialisme? Bien qu’elle aspire au changement, la population n’est pas disposée à tirer un trait sur les conquêtes sociales de la révolution. Et pour cause: la mortalité infantile de l’île est quatre fois plus faible que la moyenne de la région. Depuis 1950, l’espérance de vie est passée de 58 ans à 77 ans. Un numéro récent de la revue Foreign affairs soulignait que «Cuba est le seul pays pauvre au monde qui puisse affirmer que la santé ne constitue plus un problème fondamental pour sa population. Sa réussite dans ce domaine est inégalée».

La logique des réformes ne risque-t-elle pas de conduire à la remise en question progressive de ce que l’on prétend aujourd’hui protéger? Ce ne serait pas la première fois. La question est sur toutes les lèvres; les démentis convaincants sont rares. Pérez, de son côté, n’hésite à se montrer brutal: «Oui, les inégalités vont augmenter. Mais elles existent déjà dans la société cubaine.»

En 1959, le monde est dirigé par des hommes nés au XIXe siècle: Dwight Eisenhower aux Etats-Unis, Charles de Gaulle en France, Harold Macmillan au Royaume-Uni, Konrad Adenauer en République fédérale d’Allemagne (RFA), Nikita Khrouchtchev en Union soviétique, Mao Zedong en Chine... «C’est dans ce monde de vieillards que débarquent les guérilleros – à la fois jeunes et photogéniques – des collines cubaines, observe l’historien Richard Gott. Des combattants pleins d’énergie, la vingtaine ou la trentaine, qui promettent de balayer l’ordre ancien et de faire advenir une nouvelle époque.»

Cinquante-deux ans plus tard, les guérilleros ont vieilli. Dans le système politique qu’ils ont conçu, la relève «jeune et pleine d’énergie» n’a pas sa place. Il revient donc aux mêmes de faire advenir, une fois encore, «une nouvelle époque».

Renaud Lambert 
15.04.11
Source: cetri.be 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire