Le régime marocain semble, pour l’heure, relativement préservé du vent de contestation et de fronde qui souffle sur le monde arabe depuis quelques semaines. De façon tellement spectaculaire qu’il a pris de court aussi bien les régimes qui y sont confrontés que les chancelleries occidentales. Cela a révélé aussi, à cette occasion, les failles et compromissions de la diplomatie occidentale aveugle aux aspirations des populations de la rive Sud de la Méditerranée et hélas, plus scrupuleuse quant aux intérêts économiques immédiats. Ne dénions pas, cependant, les voix courageuses parmi les diplomates et responsables publics qui dénoncent la diplomatie du chéquier. L’honneur est, en partie seulement, sauf.
La monarchie alaouite est qualifiée d’autoritaire par nombre de chercheurs en sciences sociales en raison d’un champ institutionnel sous étroite surveillance du Makhzen (vaste appareil administratif et sécuritaire). Dans un tel type de structure, les partis politiques sont marginalisés. Ils sont tenus à l’écart de la compétition pour le contrôle légitime des institutions étatiques. Ce qui, en principe, devrait être l’une des vocations principales des partis politiques dans un système représentatif digne de ce nom; comme c’est précisément le cas dans les sociétés de longue tradition libérale. Cependant, la démocratie est le point d’aboutissement d’un processus historique long, complexe et contradictoire. Elle ne se décrète pas.
La monarchie exerce un contrôle étroit sur presque tous les mécanismes de distribution du pouvoir en ménageant toutefois, habilement, la chèvre et le chou. Pour ce faire, elle tâche d’ouvrir le champ politique à toutes les sensibilités pour créer un phénomène de décompression afin d’éviter un «effet cocotte minute» qui pourrait, à terme, se retourner contre les titulaires «réels» du pouvoir.
Par ailleurs, elle pratique la prédation en entretenant un monopole de type clientéliste sur les réseaux économiques du pays comme d’autres régimes voisins. A cet égard, elle n’a rien à leur envier. Mais chose apparemment paradoxale, le Trône échappe depuis plusieurs décennies à la gronde populaire en dépit de protestations épisodiques et limitées de certains groupes sociaux tels que les diplômés chômeurs. Comment peut-on expliquer cette relative stabilité de la monarchie et la rareté des mouvements sociaux de grande ampleur dans un pays qui compte pourtant, outre des élites éduquées, nombre de «laissés-pour-compte» du marché de l’emploi et de catégories paupérisées? D’ailleurs, celles et ceux qui visitent annuellement le Maroc peuvent aisément deviner l’étendue de cette anomie sociale au vu du nombre de travailleurs «improvisés» et de mendiants omniprésents dans la rue marocaine. A cette question très générale, quelques explications peuvent être tentées.
Alors que tous les indicateurs socio-économiques (130ème au classement de l’IDH en 2007) sont au rouge foncé, le Maroc semblerait ainsi, a priori, réunir tous les ingrédients d’une explosion sociale imminente qui n’arrive pourtant pas. Est-ce à dire qu’elle n’arrivera jamais? Là n’est pas notre propos. Nous ne faisons pas de la prospective. Ce qui est sûr, en revanche, est que la variable socio-économique ne peut à elle seule provoquer un cycle de conflit comparable à ce qui se passe en Tunisie, en Egypte et à présent en Libye. La frustration sociale, seule, n’est pas causale. Elle est un adjuvant. La variable politique demeure quant à elle centrale. Dans la mesure où derrière l’arbre des protestations sociales, il y a la forêt des demandes politiques en faveur de plus de libertés, d’égalité et de dignité.
Cette stabilité du Maroc, réelle ou supposée, a sans doute partie liée avec l’instauration, dès l’indépendance, d’un pluripartisme que d’aucuns nomment «autoritaire» ou «limité». En outre, l’ouverture politique concédée par Hassan II à l’orée des années 1990, après près de trente ans «d’années de plomb» lesquelles s’étaient traduites par des emprisonnements arbitraires, l’élimination et la disparition physique d’opposants, a clairement amélioré les rapports entre la monarchie, les partis politiques et les administrés. Même si ce ne fut pas une panacée, tant s’en faut. En tout été de cause, cela a permis au royaume chérifien d’éviter de sombrer, pour l’instant tout du moins, dans un cycle de violences susceptibles, le cas échéant, de le faire vaciller.
L’étau s’est ainsi desserré sur les opposants d’hier au premier rang desquels les islamistes, l’une des forces politiques les mieux organisées du pays bien qu’elle soit divisée en deux grandes formations: l’une, le Parti de la Justice et du Développement est reconnue et participe depuis 1997 à la vie publique officielle (parlement national et assemblées communales); l’autre, l’association Justice et Bienfaisance demeure en dehors du champ partisan. Pour les leaders de cette organisation, participer aux élections reviendrait à collaborer avec le Palais et donc, à se renier. Bien que tolérée, elle demeure étroitement surveillée par les agents de l’Etat.
Mohammed VI a poursuivi cette politique d’ouverture des circuits de l’arène parlementaire, à l’opposition en général et à des catégories d’acteurs islamistes en particulier. En portant ainsi l’opposition et la contestation au sein d’un système politique institué et contrôlé par le Makhzen, comme par exemple celles portées par les islamistes du Parti de la Justice et du Développement, le Roi a provoqué chez ces derniers, une accélération inattendue des révisions idéologiques et une sécularisation de leurs discours. L’Etat islamique ne nourrit plus véritablement son homme…islamiste.
C’est une fiction qui permet encore de tenir en haleine une partie de la base militante et d’entretenir ainsi leur enthousiasme. Les dirigeants semblent, pour leur part, l’avoir abandonnée aux prises avec la froideur du réel. En effet, les islamistes, en même temps qu’ils sont revenus dans le giron de la légalité délaissant la clandestinité et la violence, ont été amenés, parfois à leur corps défendant, à rompre avec les relents révolutionnaires et messianiques de naguère. Ce pour habiter leur nouveau «rôle» d’élus confrontés aux problèmes concrets des concitoyens qui scrutent ainsi la réponse matérielle apportée à leurs problèmes d’administrés.
Si des élections relativement transparentes sont organisées de façon régulière, le champ politique marocain, n’en demeure pas moins «désamorcé», selon l’heureuse formule du politologue marocain Mohammed Tozy. Les élections ne débouchent sur aucune majorité cohérente disposant de moyens institutionnels suffisamment larges pour mener à bien des politiques publiques autonomes. En outre, à chaque élection, certains partis, notamment en milieu rural, n’hésitent pas à donner de l’argent aux administrés afin de recueillir leurs suffrages.
Cependant, la présence de partis politiques en général et du PJD en particulier, a permis à la monarchie de canaliser la protestation en évitant au maximum les dérives populistes de mouvements anti-système.
Le discours de Mohammed VI, le 9 mars dernier, était avant tout destiné à calmer les ardeurs des opposants et à rassurer les partenaires étrangers. Le monarque a cherché à renforcer l’image d’Epinal d’un Roi à l’écoute des attentes de sa population dans une relation moins contractuelle que paternaliste. L’annonce d’une réforme constitutionnelle globale relève davantage de la contorsion rhétorique que d’une réelle volonté de redéfinir, sur le mode «du consensus par confrontation», les périmètres exacts du pouvoir royal. L’irresponsabilité, au sens juridique, d’un Roi qui gouverne sans être élu, est éminemment problématique. Or, à l’heure actuelle, il s’agit d’un tabou absolu. Rares sont les élites politiques marocaines qui osent ouvertement briser la glace.
Dans le cas marocain, si changement de régime il y a, il passera peut-être par le truchement des structures de socialisation en place et la mobilisation accrue des élites intellectuelles du pays qui pourraient être l’une des courroie de transmission des attentes de la population. Il faudrait, à cet égard, l’ébauche d’une véritable philosophie politique qui ose toutes les questions et bravades. A ce compte là, le Maroc pourrait être le laboratoire avancé d’une nouvelle theoria et praxis politique susceptible, pourquoi pas, d’inspirer le monde arabe de façon originale et inédite. Il en a les moyens humains.
Haoues Seniguer
07.04.11
Source: oumma.com
La monarchie alaouite est qualifiée d’autoritaire par nombre de chercheurs en sciences sociales en raison d’un champ institutionnel sous étroite surveillance du Makhzen (vaste appareil administratif et sécuritaire). Dans un tel type de structure, les partis politiques sont marginalisés. Ils sont tenus à l’écart de la compétition pour le contrôle légitime des institutions étatiques. Ce qui, en principe, devrait être l’une des vocations principales des partis politiques dans un système représentatif digne de ce nom; comme c’est précisément le cas dans les sociétés de longue tradition libérale. Cependant, la démocratie est le point d’aboutissement d’un processus historique long, complexe et contradictoire. Elle ne se décrète pas.
La monarchie exerce un contrôle étroit sur presque tous les mécanismes de distribution du pouvoir en ménageant toutefois, habilement, la chèvre et le chou. Pour ce faire, elle tâche d’ouvrir le champ politique à toutes les sensibilités pour créer un phénomène de décompression afin d’éviter un «effet cocotte minute» qui pourrait, à terme, se retourner contre les titulaires «réels» du pouvoir.
Par ailleurs, elle pratique la prédation en entretenant un monopole de type clientéliste sur les réseaux économiques du pays comme d’autres régimes voisins. A cet égard, elle n’a rien à leur envier. Mais chose apparemment paradoxale, le Trône échappe depuis plusieurs décennies à la gronde populaire en dépit de protestations épisodiques et limitées de certains groupes sociaux tels que les diplômés chômeurs. Comment peut-on expliquer cette relative stabilité de la monarchie et la rareté des mouvements sociaux de grande ampleur dans un pays qui compte pourtant, outre des élites éduquées, nombre de «laissés-pour-compte» du marché de l’emploi et de catégories paupérisées? D’ailleurs, celles et ceux qui visitent annuellement le Maroc peuvent aisément deviner l’étendue de cette anomie sociale au vu du nombre de travailleurs «improvisés» et de mendiants omniprésents dans la rue marocaine. A cette question très générale, quelques explications peuvent être tentées.
Alors que tous les indicateurs socio-économiques (130ème au classement de l’IDH en 2007) sont au rouge foncé, le Maroc semblerait ainsi, a priori, réunir tous les ingrédients d’une explosion sociale imminente qui n’arrive pourtant pas. Est-ce à dire qu’elle n’arrivera jamais? Là n’est pas notre propos. Nous ne faisons pas de la prospective. Ce qui est sûr, en revanche, est que la variable socio-économique ne peut à elle seule provoquer un cycle de conflit comparable à ce qui se passe en Tunisie, en Egypte et à présent en Libye. La frustration sociale, seule, n’est pas causale. Elle est un adjuvant. La variable politique demeure quant à elle centrale. Dans la mesure où derrière l’arbre des protestations sociales, il y a la forêt des demandes politiques en faveur de plus de libertés, d’égalité et de dignité.
Cette stabilité du Maroc, réelle ou supposée, a sans doute partie liée avec l’instauration, dès l’indépendance, d’un pluripartisme que d’aucuns nomment «autoritaire» ou «limité». En outre, l’ouverture politique concédée par Hassan II à l’orée des années 1990, après près de trente ans «d’années de plomb» lesquelles s’étaient traduites par des emprisonnements arbitraires, l’élimination et la disparition physique d’opposants, a clairement amélioré les rapports entre la monarchie, les partis politiques et les administrés. Même si ce ne fut pas une panacée, tant s’en faut. En tout été de cause, cela a permis au royaume chérifien d’éviter de sombrer, pour l’instant tout du moins, dans un cycle de violences susceptibles, le cas échéant, de le faire vaciller.
L’étau s’est ainsi desserré sur les opposants d’hier au premier rang desquels les islamistes, l’une des forces politiques les mieux organisées du pays bien qu’elle soit divisée en deux grandes formations: l’une, le Parti de la Justice et du Développement est reconnue et participe depuis 1997 à la vie publique officielle (parlement national et assemblées communales); l’autre, l’association Justice et Bienfaisance demeure en dehors du champ partisan. Pour les leaders de cette organisation, participer aux élections reviendrait à collaborer avec le Palais et donc, à se renier. Bien que tolérée, elle demeure étroitement surveillée par les agents de l’Etat.
Mohammed VI a poursuivi cette politique d’ouverture des circuits de l’arène parlementaire, à l’opposition en général et à des catégories d’acteurs islamistes en particulier. En portant ainsi l’opposition et la contestation au sein d’un système politique institué et contrôlé par le Makhzen, comme par exemple celles portées par les islamistes du Parti de la Justice et du Développement, le Roi a provoqué chez ces derniers, une accélération inattendue des révisions idéologiques et une sécularisation de leurs discours. L’Etat islamique ne nourrit plus véritablement son homme…islamiste.
C’est une fiction qui permet encore de tenir en haleine une partie de la base militante et d’entretenir ainsi leur enthousiasme. Les dirigeants semblent, pour leur part, l’avoir abandonnée aux prises avec la froideur du réel. En effet, les islamistes, en même temps qu’ils sont revenus dans le giron de la légalité délaissant la clandestinité et la violence, ont été amenés, parfois à leur corps défendant, à rompre avec les relents révolutionnaires et messianiques de naguère. Ce pour habiter leur nouveau «rôle» d’élus confrontés aux problèmes concrets des concitoyens qui scrutent ainsi la réponse matérielle apportée à leurs problèmes d’administrés.
Si des élections relativement transparentes sont organisées de façon régulière, le champ politique marocain, n’en demeure pas moins «désamorcé», selon l’heureuse formule du politologue marocain Mohammed Tozy. Les élections ne débouchent sur aucune majorité cohérente disposant de moyens institutionnels suffisamment larges pour mener à bien des politiques publiques autonomes. En outre, à chaque élection, certains partis, notamment en milieu rural, n’hésitent pas à donner de l’argent aux administrés afin de recueillir leurs suffrages.
Cependant, la présence de partis politiques en général et du PJD en particulier, a permis à la monarchie de canaliser la protestation en évitant au maximum les dérives populistes de mouvements anti-système.
Le discours de Mohammed VI, le 9 mars dernier, était avant tout destiné à calmer les ardeurs des opposants et à rassurer les partenaires étrangers. Le monarque a cherché à renforcer l’image d’Epinal d’un Roi à l’écoute des attentes de sa population dans une relation moins contractuelle que paternaliste. L’annonce d’une réforme constitutionnelle globale relève davantage de la contorsion rhétorique que d’une réelle volonté de redéfinir, sur le mode «du consensus par confrontation», les périmètres exacts du pouvoir royal. L’irresponsabilité, au sens juridique, d’un Roi qui gouverne sans être élu, est éminemment problématique. Or, à l’heure actuelle, il s’agit d’un tabou absolu. Rares sont les élites politiques marocaines qui osent ouvertement briser la glace.
Dans le cas marocain, si changement de régime il y a, il passera peut-être par le truchement des structures de socialisation en place et la mobilisation accrue des élites intellectuelles du pays qui pourraient être l’une des courroie de transmission des attentes de la population. Il faudrait, à cet égard, l’ébauche d’une véritable philosophie politique qui ose toutes les questions et bravades. A ce compte là, le Maroc pourrait être le laboratoire avancé d’une nouvelle theoria et praxis politique susceptible, pourquoi pas, d’inspirer le monde arabe de façon originale et inédite. Il en a les moyens humains.
Haoues Seniguer
07.04.11
Source: oumma.com
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