Face aux bouleversements dans la région et à une tension interne jusque-là mise en sourdine, le royaume, qui accuse un taux de chômage de 18 % et compte 60 % de jeunes de moins de 18 ans, opte encore pour la poigne de fer.
«L’Arabie saoudite est un pays où 40 % de la population a moins de 14 ans, où le chômage est rampant et où le conservatisme religieux est dominant. Ces trois ingrédients sont une dangereuse mixture, ajoutez-y les réseaux médiatiques et sociaux et vous obtiendrez une bombe qui n’attend que la détonation». Voilà ce qu’écrit la blogueuse saoudienne Eman Al-Najfan.
Sur Facebook, des groupes sont déjà en place pour demander le changement. Celui qui est intitulé Le peuple veut réformer le régime met en avant ses revendications: «Une monarchie constitutionnelle, une Constitution écrite approuvée par le peuple où les pouvoirs sont délimités, la transparence et la lutte contre la corruption, un gouvernement au service du peuple, des élections législatives, les libertés publiques et le respect des droits de l’homme. Une complète citoyenneté et l’abolition de toutes sortes de discrimination, l’instauration des droits des femmes et une résolution sérieuse du problème du chômage».
Un vrai programme politique en complète contradiction avec la réalité du royaume dont, comme l’écrit le Wall Street Journal du 18 février dernier: «L’âge moyen du triumvirat de princes régnants est de 83 ans alors que 60 % des Saoudiens ont moins de 18 ans. Grâce à la télévision par satellite, à Internet et aux réseaux sociaux, les jeunes sont désormais parfaitement conscients de la corruption des autorités - tout comme ils savent que 40 % des Saoudiens vivent dans la pauvreté et que près de 70 % ne peuvent se payer de logement. Ces Saoudiens mènent une vie digne du tiers-monde, ils souffrent d’une éducation lamentable et sont incapables de trouver du travail dans un secteur privé, où 90 % des employés sont des étrangers».
Face aux bouleversements dans la région, il y a à la tête du pays le roi Abdallah, revenu au pays après trois mois de traitement médical aux États-Unis et au Maroc, le prince héritier Sultan, 85 ans, atteint d’un cancer et de la maladie d’Alzheimer, et le prince Naif, premier ministre adjoint, 77 ans, souffrant de diabète et d’ostéoporose. Et parmi les 7.000 princes de la famille Al Saoud, ce n’est pas l’entente parfaite. Les analystes parlent déjà de probables rivalités pour l’accession au trône. Certains prévoient une division de fiefs «au-delà de la transformation des ministères en fiefs de père en fils, il y a des provinces qui succombent au même phénomène et qui pourraient devenir de plus en plus autonomes. Le tout pourrait bien être couronné d’un pouvoir symbolique autonome. Ce sinistre scénario est en train de s’installer depuis le milieu des années 1990», note un politologue saoudien.
En 2005, le régime saoudien avait tenté un semblant de réforme en organisant pour la première fois des élections pour désigner la moitié des conseils municipaux, mais l’expérience a vite tourné court quand le rendez-vous électoral suivant de 2009 a été reporté sine die.
Une situation intérieure tendue
Aujourd’hui, la monarchie médiatiquement opaque, puisque les médias étrangers n’ont pas la latitude d’y travailler, est entourée d’une Égypte sans Mubarak, d’un Bahreïn aux prises avec des révolutionnaires et est aussi accusée de soutenir les tyrans arabes. Le gouvernement tunisien a présenté une requête officielle pour l’extradition de Ben Ali, et des informations non confirmées circulent en Égypte sur un probable transfert de la fortune de Mubarak dans les banques du royaume.
Mais plus encore, elle fait face à une activité intérieure et est en état d’alerte. Suite à la révolution tunisienne, des femmes saoudiennes ont manifesté à Riyad pour réclamer la libération des détenus emprisonnés sans jugement dans le cadre de la lutte anti-terroriste. 50 d’entre elles ont été arrêtées. Au même moment, plusieurs professeurs ont entamé un sit-in devant le ministère de l’Éducation revendiquant des chances de travail dans un pays où le taux de chômage avoisine les 18 %, selon les estimations officielles.
Des sources intérieures, reprises par les journaux, parlent d’un état d’alerte maximal, notamment dans l’est du pays, où se concentre une grande partie de la population chiite et là où se trouve le gros de la richesse pétrolière. Plus de 50 % des forces y sont consignées jusqu’à nouvel ordre. A Khobar, des jeunes sortis pour manifester leur joie suite au retour de convalescence du roi ont été arrêtés et conduits aux commissariats, ils y ont signé des déclarations sur l’honneur où ils se sont engagés à ne plus sortir manifester. Il y a un mois, les autorités ont eu également à réprimer une manifestation contre l’infrastructure défectueuse à Djeddah, frappée par les inondations. L’inquiétude du royaume vient aussi du Net et des réseaux sociaux sur lesquels un contrôle drastique est imposé. En effet, en une semaine, la page Facebook citée plus haut et appelant à une réforme du régime a réuni plus de 3.000 membres. On peut y lire d’ailleurs une information insolite et révélatrice, selon laquelle des élèves en 5è primaire à Riyad, en colère contre les procédés de la directrice, ont scandé: Nous voulons la chute de la directrice, à l’instar du slogan égyptien nous voulons la chute du régime! La directrice a résolu le problème en usant du bâton.
Sur le plan de l’activité politique, plusieurs activistes des droit de l’homme dans le royaume ont entamé la semaine dernière des prises de contacts dans la perspective de créer «un courant national basé sur la foi en l’État de citoyen, l’État de droit et le principe de la citoyenneté». Cette activité intervient après l’annonce faite par des activistes islamistes quelques jours auparavant en remettant aux autorités saoudiennes une demande de reconnaissance d’un parti islamique «dans le cadre des nouvelles données de l’époque et en harmonie avec la mouvance civile dans la région qui réclame la démocratie et la liberté». Le régime qui interdit la création des partis a procédé en réponse à l’arrestation des membres du comité central du parti. Ce qui illustre que la monarchie n’est pas prête à lâcher du lest.
Najet Belhatem
23.02.11
Source: info-palestine- Al-Ahram/hebdo
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