Avec les évènements actuels en Égypte et en Tunisie, toute la région et au-delà est rivée aux téléviseurs. La rue arabe, dont on ne parle que trop souvent, est apparemment ressuscitée d’entre les morts. Mais s’il est satisfaisant de voir le chef d’État d’une dictature destitué par son propre peuple, il est bien trop tôt encore pour s’en réjouir.
Ce à quoi nous assistons, c’est au rejet et au remplacement de dirigeants, et non pas à un changement de système politique qui a permis à quelqu’un comme le président égyptien Hosni Moubarak de rester au pouvoir pendant 30 ans et d’avoir l’audace de mettre son fils en position de lui succéder, pendant que le peuple égyptien s’enfonçait dans la pauvreté. Les troubles dans toute la région vont contraindre ces régimes réactionnaires à céder sur quelques changements mineurs, comme introduire une limite aux mandats, ce qui aurait dû être fait il y a des décennies. Mais ces changements législatifs automatiques ne sont destinés qu’à persuader les manifestants de rentrer chez eux.
De même, personne ne doit sous-estimer le fait que des centaines de milliers de citoyens ordinaires sont en train de défier leur gouvernement, dans la rue. Rien à voir avec les manifestations que nous connaissons dans les pays occidentaux. Ici, c’est pour de vrai. Une conviction sérieuse, et une répression soutenue, sont la condition sine qua non pour que beaucoup de citoyens se dressent devant une police d’État qui va jusqu’à ignorer les droits humains les plus fondamentaux.
Dans le monde arabe, les soulèvements civils - ou Intifadas, comme on les appelle fréquemment - sont marqués par le contexte palestinien. Néanmoins, le contexte de la 1è Infifada palestinienne est très différent de celui que nous voyons aujourd’hui. Les Palestiniens en 1987 étaient vraiment motivés à cause de l’occupation militaire étrangère que leur impose encore Israël aujourd’hui. Les communautés de Cisjordanie et de la Bande de Gaza sont descendues dans la rue et ont maintenu leurs efforts pendant près de six ans. Ces manifestations n’étaient qu’une partie de l’histoire. Le véritable ingrédient qui a permis aux Palestiniens de rester déterminés est beaucoup plus complexe. Les Palestiniens sont extrêmement politiques, et ils se sont organisés de manière décentralisée, en sachant comment opérer hors de la vue d’Israël.
Mais la 1è Intifada visait seulement une entité étrangère, Israël, et elle a pris fin avec la signature des tristement célèbres Accords d’Oslo, violés à maintes reprises au cours de ces deux dernières décennies. La direction palestinienne a tenté de recueillir les fruits de son Intifada prématurément, et elle payé le prix fort en pertes humaines, politiques, économiques et sociales.
Les Égyptiens seraient bien avisés d’apprendre des Palestiniens que le créneau pour ouvrir un vrai changement ne se présente que trop rarement. Ils doivent par conséquent faire la clarté sur ce qu’ils désirent tirer de cet épisode historique. Je suppose que le Département d’État US a déjà mis en place un bon nombre de scénarios et les Égyptiens auront, dans les semaines à venir, à vraiment s’y confronter.
La 2è Intifada en 2000 comportait plus d’éléments semblables aux bouleversements actuels en Tunisie et en Égypte. Après la faillite des pourparlers de Camp David II et avec la poursuite des provocations israéliennes, la rue palestinienne s’est soulevée. Bien que ce deuxième soulèvement se soit rapidement orienté contre Israël, un courant profond à l’époque couvait contre une direction palestinienne gravement corrompue qui refusait en outre de changer de braquet politiquement, optant plutôt pour un processus de paix sans fin sous l’égide américaine.
Le Président palestinien de l’époque, Yasser Arafat, savait que la 2è Intifada avait le potentiel pour se retourner contre lui et le château de cartes qu’il avait monté: l’Autorité palestinienne. Arafat a su habilement comment amener son peuple à évacuer sa colère contre quelqu’un d’autre, contre Israël, l’occupant étranger. Arafat pensait, comme Moubarak aujourd’hui et beaucoup d’autres dirigeants de sa génération, que les USA viendraient à son secours et arrangeraient les choses. Il avait tort. Chaque grande crise palestinienne majeure a vu la direction palestinienne régulièrement devoir prendre des mesures in extremis pour maintenir les masses à distance. Souvent ces mesures entendaient réorganiser le cabinet tout en prétendant vouloir des réformes structurelles. Il faut s’attendre à la même chose en Égypte et en Tunisie.
Au fil des années, les Palestiniens ont su maintenir la pression sur leur occupant et surveiller leur propre gouvernement parce qu’ils s’étaient organisés au niveau local des années auparavant. Ce niveau d’organisation soutenue, en profondeur, a été moindre, voire inexistant, dans la plus grande partie du monde arabe. Les gouvernements des États policiers en Égypte, Tunisie et dans tout le Moyen-Orient ont tout fait pour que leur société civile reste docile - et les médias et secteurs privés étaient conçus pour l’être.
La question pertinente est: si les Palestiniens ont tant d’expérience pour prendre la rue, pourquoi alors y a-t-il si peu de manifestations importantes à Naplouse, Ramallah, Bethléhem ou Gaza, en solidarité avec le peuple égyptien? La réponse est que l’Autorité palestinienne a été récupérée par un agenda financé par l’étranger et dominé par les USA, agenda qui, en temps de crise, ne comprend qu’un seul outil: la force. La même réponse vaut pour le gouvernement palestinien de Gaza, pour des raisons différentes. Depuis les élections palestiniennes, qui se sont terminées en combats fratricides, les USA ont équipé, entraîné et dirigé toute une nouvelle génération de services sécurité palestiniens pour servir leur vieux modèle de gouvernance du monde arabe: États policiers et républiques bananières. Il faut s’attendre qu’au lieu d’accepter de réelles démocraties dans le monde arabe, les États-Unis montent plutôt une nouvelle façade, rajeunie, sur un système de gouvernance archaïque et corrompu.
Si vous voulez un thermomètre pour prendre la température politique du Moyen-Orient en ce moment, suivez l’Égypte; mais si vous voulez un thermomètre pour les possibilités pour demain de réformes sérieuses, durables, alors gardez l’oeil sur le peuple palestinien qui mène un double combat: l’un pour se débarrasser de quarante-trois ans d’occupation violente israélienne, et l’autre pour créer un modèle arabe de gouvernance véritablement représentative et responsable. Le principal facteur qui empêche les Palestiniens de poursuivre sur la voie de leur réforme structurelle, après leurs premières véritables élections en 2006, est le refus des États-Unis d’accepter le résultat des-dites élections. Il faut s’attendre à un veto semblable de la part des Américains à toute initiative égyptienne future pour une réforme électorale qui déboucherait sur une juste représentation.
Jusqu’à ce que le Moyen-Orient s’engage dans des réformes sérieuses et transforme ses manifestations de masse en un travail soutenu, organisé touchant tous les aspects de la société - politique, législatif, économique et social - le sang et les larmes versés dans toutes ces récentes protestations l’auront été en vain.
Sam Bahour
Palestino-américain, consultant en entreprise indépendant.
Membre du CA de l’université de Birzeit. Il est également directeur de la Banque arabe islamique et de la fondation communautaire, l’Association Dalia.
09.02.11
Source: info-palestine
J’accuserais
RépondreSupprimerUn internaute m’a envoyé cette vidéo toujours d’actualité pour éprouver mon amour pour les plus nobles causes.
Comment je peux réagir à la gifle de cet enfant de Gaza, qui a à peine 10 ans ?
En m’identifiant à sa maman par exemple… et au lieu de verser une larme de sang,
j’ai envie de l’embrasser tendrement et le féliciter pour avoir soulevé les bonnes questions...
http://www.lejournaldepersonne.com/2011/03/jaccuserais/