dimanche 13 février 2011

LA REVOLUTION POURRA-T-ELLE ABOUTIR?




La Tunisie libérée du joug d’un dictateur … par sa jeunesse, les Nouzouhs venus du Sud.



Plusieurs de mes amis, opposants tunisiens de la première heure ou soutien de cette opposition en France m’ont demandé pourquoi je n’ai rien écrit sur cette libération de la Tunisie alors que je n’arrêtais pas de diffuser les textes d’analyse des uns et des autres sur la situation de ce pays.

J’ai préféré attendre, suivre les événements, essayer de comprendre, voir si cette révolte pouvait continuer sans se faire récupérer comme cela est arrivé tant de fois par le passé.

Cela  fait douze ans que je ne peux me rendre en Tunisie, Ben Ali m’en ayant interdit l’entrée à cause de mon engagement concret contre le dictature, mon soutien aux prisonniers politiques, ma dénonciation d'un régime corrompu, mes actions publiques contre la banalisation de la répression policière et de la torture.

Cela fait 12 ans que je dénonce le soutien économique et politique dont bénéficie le dictateur sous prétexte qu'il constituerait un rempart contre la montée de l'islamisme et par ses positions de soutien au sionisme comme en témoigne l' installation d’un «Conseil économique israélien» sur l’avenue Bourguiba, alors que l’encre de ces «accords d’Oslo» qui trahissaient l’Intifada, n’était pas encore séchée.

Ma fille Franco-tunisienne, ainsi que ma petite fille qui avait tout juste 11 ans, ont également eu des problèmes lors de leur arrivée à l’aéroport et gardées au commissariat afin d’être interrogées pendant plusieurs heures. Mon ex-mari a été obligé de produire l’acte de divorce pour pouvoir rentrer en Tunisie. La famille tunisienne, sur place a également été soupçonnée à cause de mes engagements contre la dictature tunisienne. Le pouvoir benaliste était d’une telle férocité qu’il s’en prenait à toute la famille grande et petite et également aux amis de tous ceux qui osaient le critiquer. Il est vrai, qu’étant en France, je prenais moins de risque que la famille qui était au pays. Mais fallait-il se taire pour autant?

Nous étions peu nombreux, il y a une quinzaine d’années, à soutenir les Tunisiens, à accueillir les réfugiés, à essayer de comprendre comment ce pays qui prétendait respirer l’hospitalité, la douceur de vivre, qui vantait ses plages, son sable fin et son ciel bleu pouvait traiter aussi férocement sa population.

Mes liens avec la Tunisie sont des liens très étroits qui datent de mon mariage avec un Tunisien. J’ai été souvent dans sa famille que j’ai toujours appréciée.

J’ai beaucoup aimé ce pays malgré le fait que l’on ne pouvait s’exprimer ouvertement dans la rue , dans les cafés, ou le TGM, le train qui faisait le tour de la baie de Tunis. Déjà sous Bourguiba les gens chuchotaient quand ils critiquaient le gouvernement. Sous Ben Ali, c’était encore pire, ils attrapaient des torticolis à force de se retourner dans tous les sens pour voir s’ils n’étaient pas écoutés. Ayant été élevée librement en Alsace par des parents engagés communistes et anticolonialistes, je n’avais pas l’habitude de ce genre d’attitude et j’étais souvent mal à l’aise, sans compter que je gênais mes interlocuteurs. Surtout que j’étais très curieuse de nature et je que je posais plein de questions sur l’organisation de la société, sur la politique du pays, sur les liens avec les Palestiniens.

J’ai pris vite conscience que la décolonisation ou la «déprotectoration» de la Tunisie n’était pas terminée et que ce pays dépendait toujours de la France. J’ai vu également déferler cette société de consommation occidentale au détriment des consommations, productions, distributions locales. Le formica devenait roi, ainsi que le pain industriel et le préfabriqué dans une société qui avait des traditions ancestrales et surtout communautaires. C’est cette solidarité familiale, de clan, communautaire qui me plaisait le plus, vu que j’arrivais d’un pays où l’individualisme, le matérialisme, la compétition, l‘élimination des plus pauvres était roi.

J’ai été accueillie dans une grande famille très ouverte et tolérante. Mes belles sœurs, dont certaines portaient le hidjab, d’autres non, étaient très ouvertes et discutaient de tout avec moi, y compris de leurs relations de couple. Plusieurs membres de la famille étaient pratiquants, d’autres se disaient laïcs. Les débats étaient très intéressants. J’avais compris que certains se réfugiaient également dans la pratique de l’islam pour échapper à cette occidentalisation déferlante. J’avais également compris avant l’heure que les accords de partenariat signés entre l’Europe et la Tunisie allaient achever la petite paysannerie du sud, l’artisanat et la petite industrie et détruire ce qui faisait la richesse de la société tunisienne: son hospitalité et sa solidarité avec les plus pauvres.

La pauvreté du Sud est également issue de ces accords coloniaux signés individuellement par certains pays du Maghreb au détriment de leurs productions locales. Au lieu de négocier groupés, les gouvernements ont préféré aller chacun tout seul à la soupe. Une soupe qui se révéla bientôt indigeste pour les peuples, surtout le peuple tunisien. La révolte des jeunes contre la pauvreté, l’exclusion et le manque d’avenir vient pour beaucoup de cette exploitation européenne à travers les accords de «partenariat» coloniaux.

Lorsque j’avais compris, avec l’arrivée au pouvoir de Ben Ali, qui avait d’abord suscité un énorme espoir, vu ses promesses de changement, que la Tunisie allait continuer à être traitée comme une éternelle assistée par l’ancien «protecteur», j’ai essayé de discuter. Mais comme ils étaient tous attirés par le progrès, le consumérisme occidental et qu’ils voulaient tous vivre comme des Français…j’ai compris que c’était trop tôt et qu’il fallait attendre.

L’ensemble de la «gauche laïque et démocratique» tunisienne soutint Ben Ali dès sa prise de pouvoir, signant avec lui un «Pacte national».

La motivation principale du putsch médical pour virer Bourguiba avait été d’empêcher les islamistes du mouvement Ennahda (la Renaissance) d’arriver au pouvoir par une révolution populaire. Ben Ali engagea une répression féroce et efficace contre ces islamistes, soutenu dans cette opération par la quasi-totalité de la «gauche laïque et démocratique» des deux côtés de la méditerranée. Quelques avocats courageux osèrent s'opposer. Les relais internationaux,  en premier lieu la Fédération internationale des Droits de l’Homme ont pris position contre les tortures.
La répression était organisée avec la bénédiction unanime de l’Occident démocratique saluant en lui un «rempart de notre civilisation» contre l’islamisme obscurantiste.
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Une fois son «travail de nettoyage» des islamistes achevé, Ben Ali s’occupa à son tour de cette «gauche» timorée. Les uns furent réduits au silence et à l’exil, d’autres furent achetés et ont rejoint le pouvoir.

Lorsqu’il y a eu les premières répressions contre les opposants, arrestations des militants d’Ennahda suivie par celle des groupes d’extrême gauche, des militants des Droits de l’Homme, peu de gens ont bougé en France. Ils ont tous cru le «Super menteur» qui prétendait empêcher l’islamisation de la Tunisie en se servant honteusement de la propagande des généraux algériens responsables du putsch électoral sous le même prétexte. Entre dictateurs, on se sert les coudes.

Lorsque j’ai commencé à dénoncer les arrestations arbitraires, les interrogations dans les ministères, les tortures dans les commissariats, le flicage de la population… je me suis fait traiter de sous-marin des islamistes par cette gauche conditionnée, y compris par Les Verts dont j'étais une des dirigeantes (membre du CNIR).

Nous avons crée des comités, des associations en soutien aux Tunisiens, toutes tendances confondues, et lancé une campagne pour le respect des Droits de l’Homme en Tunisie.

Nous avons organisé des manifestations, des rassemblements, des conférences afin de dénoncer la torture, les arrestations, tout en soutenant les réfugiés tunisiens qui ont réussi à s’enfuir, souvent à travers la Libye et qui se sont regroupés dans une association «Solidarité tunisienne». Nous avons soutenu les grèves de la faim pour la libération des prisonniers tunisiens.

J’ai également participé pendant deux années à la rédaction du journal de l’opposition «L’Audace» où je tenais une rubrique mensuelle sur les prisonniers. Je réalisais également des interviews des femmes libérées de prison tout en plaçant de temps en temps mes articles de soutien aux Palestiniens.
Je n’ai jamais fait de différence, contrairement à d’autres entre les laïcs et les religieux. Pour moi, ils étaient tous Tunisiens et victimes de la dictature de Ben Ali et de sa clique mafieuse.
J’ai été menacée par la police secrète de Ben Ali à Belleville, agressée et surveillée continuellement.
J’ai également programmé plusieurs émissions sur «Radio Méditerranée», une des dernières radio vraiment libre dont j'étais animatrice,  en invitant des opposants tunisiens afin de débattre de la dictature de Ben Ali et de ses sbires.

Mes enfants et petits enfants m’ont souvent reproché mon engagement contre le dictateur et ses ramifications, car ils ne pouvaient plus aller en Tunisie. Ce pays était également leur pays de par leur naissance. Ils l’aimaient beaucoup ainsi que la famille qui était restée en Tunisie.

L'avenir d'une Tunisie démocratique pour l'ensemble du peuple tunisien dans toute sa diversité
Maintenant que les jeunes ont libéré le pays et donné un coup de pied à Ben Ali ce voleur qui a trouvé refuge au pays des intégristes, il faut espérer qu’ils arriveront également à se débarrasser du système mafieux qu’il avait tissé, de tous les agents officiels et secrets dont il avait parsemé le pays, des mouchards, des indics de toutes sortes et des faux-culs qui arpentaient les trottoirs comme des prostitués, tout en surveillant tout le monde, y compris les touristes.

Je me demande si une Tunisie démocratique s’intégrant dans un futur Maghreb uni, se tournant résolument vers l’Afrique tout en gardant ses racines méditerranéennes sera réalisable?

Un gouvernement d'unité nationale pourra-t-il voir le jour demain?
Lors des manifestations et rassemblement pour la Tunisie à Paris, les militants tunisiens ne sont pas arrivés à faire des cortèges unitaires.Il y avait d’un côté les associations laïques, comme la FTCR ou la LTDH ou les syndicalistes de l’UGTT qui nous reprochaient nos positions sur la décolonisation de toute la Palestine et préféraient que nous ne défilions pas dans leur cortège. De l’autre côté, les représentants d’Ennadha et de tous leurs sympathisants, qui eux , nous accueillaient favorablement vu qu’ils sont également antisionistes. Mes relations avec Ennadha ont toujours été correctes, alors que je suis une «libre penseuse» notoire. Je respecte les croyants, qui en principe me le rendent bien. Je déteste également cette laïcité intégriste s’attaquant en priorité aux musulmans et qui me rappelle trop l’inquisition chrétienne qui voulait convertir tout le monde.

Maintenant que la majorité d’entre eux ont retrouvé leurs passeports et sont retournés chez eux, j’espère qu’ils arriveront à dialoguer entre eux et à construire, dégagés du cocon français et européen une identité tunisienne plurielle et multiculturelle pour laquelle ils se sont tous battus.

Le combat pour une démocratie à la tunisienne, qui n’est pas celle des impérialistes et sionistes occidentaux, une démocratie créée et discutée par l’ensemble du peuple tunisien aura bien du mal à émerger.

Mais cette démocratie-là, initiée par cette jeunesse dans la rue, concrétisée par les nombreuses discussions et négociations entre toutes les tendances politiques et sociales du pays finira par émerger.

J’ai toujours fait confiance au peuple tunisien et je suis sûre qu’il finira par gagner sa libération. Il a donné l’exemple à tous les peuples arabes dont certains, comme l’Egypte et le Yémen, commencent déjà à suivre son exemple. Il a également suscité beaucoup de réflexions chez la jeunesse européenne qui pourrait bien prendre exemple de son courage et de sa perspicacité.

Ginette Hess Skandrani
09.02.11

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