dimanche 6 février 2011

Démocratie par ci, démocratie par là...





Depuis le temps qu’on attendait que la Chine s’éveille, c’est finalement le Maghreb qui est tombé du lit avec une méchante gueule de bois.

C’est marrant quand on y pense. Des années à bougonner dans la barbe pour obtenir des Chinois des trucs aussi fondamentaux que les Droits de l’Homme et autres broutilles du genre, des années à accueillir les dissidents et les célébrer et aussi peu d’empathie pour les populations arabes, qui subissent quelques régimes bien musclés, là, juste à notre porte, pratiquement à portée de jets de cailloux. En gros, notre appétence à voir d’autres peuples goûter aux délices de la démocratie est étonnamment proportionnelle à leur éloignement. C’est un peu comme les pauvres et la charité bien ordonnée: on donne abondamment pour les Haïtiens et on détourne le regard pour ne pas avoir à affronter le dénuement brutal du clodo en bas de chez soi.

Donc, «vive le Tibet libre!», parce que c’est humaniste et généreux et que ça ne mange pas de pain, mais que les Arabes restent chez eux, quand bien même ils seraient poussés dans nos bras par quelques régimes bien musclés dont nous nous accommodons (quand nous ne les finançons pas directement) au nom de la bonne marche de nos affaires. Parce que c’est ça notre problème, à nous autres les vieilles démocraties donneuses de leçon: c’est que notre humanisme est terriblement à géométrie variable et en fonction de paramètres monstrueusement égocentriques.

Je ne veux même pas parler du cache-sexe ridicule du bouclier anti-islamique. On ferme les yeux sur de bonnes grosses dictatures bien moches sous prétexte que les Arabes, ils ne comprennent que deux choses: la matraque ou la Charia. Ben oui, cela a toujours été une évidence pour tout le monde: les riverains du sud de la Méditerranée, ils devraient plutôt nous être reconnaissant de les soustraire à leur penchant naturel pour des barbus surexcités en soutenant des régimes autoritaires et essentiellement corrompus par nos soins et à notre profit. J’apprécie particulièrement en ce moment l’inquiétude de ceux de mes concitoyens qui vont probablement devoir annuler leurs vacances bon marché au soleil. Parce que c’est ça, aussi le Maghreb: une destination touristique proche et ensoleillée où le bon maniement de la trique renforce le naturel serviable et convivial de l’autochtone à des prix défiant toute concurrence. Rien ne vaut une bonne dictature pour disposer d’une armée de larbins dévoués et peu regardants sur les salaires et les conditions de travail. La plupart de ceux qui reviennent de villégiature de ces pays-là sont toujours extatiques sur la qualité du service et nettement moins diserts quant à la discrétion pesante des indigènes sur leurs conditions de vie.

Quelle surprise cela a-t-il dû être dans les rédactions des grandes démocraties, que de découvrir que les GO de leur parc exotique à ciel ouvert avaient, finalement, les mêmes aspirations que tous les autres habitants de la planète: la liberté de disposer d’eux-mêmes. C’est peut-être aussi parce que dans les grandes démocraties, nous aspirons plus facilement à sacrifier nos droits pour juste un peu plus de brioche et de jeux. Parce que nous avons perdu le goût de la lutte, parce que même si notre situation se dégrade lentement, nous avons encore tellement à perdre.

Dimanche dernier, j’ai été soufflée par le traitement accordé aux révolutions du Maghreb par France Inter. Au lieu de nous féliciter de ce grand élan de démocratie comme on aimerait en voir plus souvent, ce n’était que complaintes contre cette subite absence d’ordre, ce chaos, et si personne ne parlait de racailles qui tenteraient de prendre le pouvoir par la rue, l’intention y était. Ton catastrophiste pour commenter les pillages et se féliciter que l’armée parvienne à maintenir l’ordre. À ce moment-là, j’ai compris que je n’avais jamais été citoyenne de la patrie des Droits de l’Homme, que c’était un rêve, une belle histoire pour endormir les enfants. Que je vis aussi dans une dictature économique. C’est juste que dans la mienne, le peuple est tellement considéré comme quantité négligeable qu’on a fini par lui concéder le droit de râler, du moment que cela ne perturbe pas la bonne marche des affaires.

Le million, le million !
On se serait cru chez Jean-Pierre Foucault. Après un week-end passé à vanter les charmes de l’ordre musclé contre la rue chaotique et forcément manipulée par les voyous et les islamistes, virage à 180° dans les rédactions, dans l’attente de la déferlante démocratique du Caire: un million de personnes dans la rue pour réclamer une vie meilleure. Pensez donc! Du chiffre, de l’ampleur, du spectacle! On n’avait pas vu cela depuis... cet automne en France, bande de baltringues! Quand plus de trois millions de vos compatriotes sont descendus dans la rue pour réclamer, eux aussi, une société plus juste. Étrangement, cette mobilisation massive n’a pas déclenché le même enthousiasme dans les rédactions qui ont décliné l’air de l’essoufflement dès le début du mouvement, jusqu’à ce que même les manifestants y croient, se lassent et finissent par rentrer chez eux.

J’espère juste pour ces populations malmenées par tant d’années de mauvais régimes, qu’elles auront plus de persévérance que nous.

Agnès Maillard
02.02.11
Source: le monolecte

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