mercredi 9 février 2011

Révolution égyptienne, l’exceptionnalisme israélien



Quand on entend les réactions israéliennes à l’insurrection du peuple égyptien, l’aspect le plus frappant est l’abîme vertigineux existant entre ces réponses et celles du reste du monde. On dirait qu’Israël vit sur une planète totalement différente.

Que ce soit sincèrement ou hypocritement, il n’y a pas un seul dirigeant dans le monde à ne pas exprimer un soutien aux exigences des masses égyptiennes, et à ne pas critiquer (mollement ou durement) le fonctionnement du Président Mubarak au cours de ces trois dernières décennies. Non seulement le Président Obama mais aussi le porte-parole des républicains néolibéraux ont été contraints d’exprimer des doutes sur leur allié égyptien et de lui suggérer de partir et de faciliter la mise en œuvre de réformes politiques et sociales. Le monde entier comprend, ou tout au moins déclare, que Mubarak est le responsable de la rage justifiée de son peuple et qu’il doit rentrer chez lui ou, comme son collègue tunisien, s’exiler. Il n’y a qu’en Israël où les réactions sont différentes, à l’exact opposé, tant dans la rue que dans l’establishment.

Inquiétude et peur caractérisent la réaction de la rue israélienne. Les Israéliens soudain se souviennent qu’il existe un accord de paix entre Israël et l’Égypte, et que ce traité est un «atout stratégique», que le Président Mubarak est un allié important, et que la «paix froide» israélo-égyptienne a économisé des millions de dollars au ministère de la Défense d’Israël. De plus, si un citoyen israélien moyen peut encore accorder quelque crédit (limité) aux dirigeants arabes, surtout s’ils portent costume et cravate et parlent anglais correctement, les masses arabes, elles, lui font peur. À ses yeux racistes, les masses arabes sont à jamais passionnées, «incitées» et débordantes de haine pour tout ce qui évoque la culture (occidentale) et bien sûr, ces masses sont anti-israéliennes et antijuives. Les masses arabes constituent une menace stratégique et ne peuvent donc inspirer que la peur, et non l’empathie.

Et s’agissant de l’establishment d’Israël, avec tous ses instituts de Renseignements, il a complètement oublié que dans le monde arabe, il y a une chose qu’on appelle «la rue», qui est capable de parler, de crier, de se mobiliser et même de renverser des régimes. Il n’est pas surprenant, par conséquent, que cet establishment recherche frénétiquement «mais qui donc est derrière les manifestations»: les Frères Musulmans, Ben Laden, l’Iran...? L’ancien chef du Service général de la sûreté, Avi Dichter, nous a même expliqué à la télévision que la surprise des autorités des Renseignements israéliens ne devait pas nous inquiéter... parce qu’ils ne possèdent pas les outils pour prédire les soulèvements populaires (il a même rappelé sans honte que lui et ses amis ne s’étaient pas attendus ni à la Première Intifada, ni à la Deuxième) ou les changements de régimes. L’aveu de l’ancien chef du SGS est, certes, encourageant, mais s’il en est ainsi, pourquoi devons-nous leur payer des salaires, et ne vaudrait-il pas mieux affecter les énormes budgets du poste Renseignements à ceux de l’Enseignement et du Logement public?

A part l’échec de l’establishment israélien au niveau des Renseignements, sa réponse se caractérise par l’expression d’un chagrin profond devant la chute du dictateur égyptien, et même de la colère voyant qu’il n’a pas pris les décisions qui s’imposaient pour réprimer immédiatement les manifestants. L’ancien ministre Ben Eliezer ne comprend pas pourquoi son ami Moubarak n’a pas ordonné de tirer sur les manifestants (apparemment 300 morts, ce n’est pas assez pour l’ancien gouverneur militaire); Benjamin Netanyahu est en colère contre Obama - qu’il considère depuis longtemps comme un Président mollasson qui a abandonné la défense du monde libre et flirte avec l’Islam - qui s’est désolidarisé immédiatement de son allié égyptien et ne lui a pas apporté l’assistance nécessaire pour sauver son régime; et Ehud Barak qui reste coi, car là encore il n’a rien compris à ce qui se passait, à l’opposé du Président Shimon Peres qui sait précisément ce qui n’a pas fonctionné et ce qui doit être fait. Lors de la rencontre de Peres avec la Chancelière allemande Angela Merkel, cette semaine, celle-ci, comme tous ses collègues européens, a parlé du besoin de réformes, pendant que le Prix Nobel de la paix, Peres, lui, déclarait, «le monde doit apprendre ce qui s’est passé à Gaza. La démocratie commence avec les élections, mais elle ne s’arrête pas aux élections. La démocratie, c’est la civilisation et si c’est le mauvais camp qui est élu, il conduit la démocratie à sa perte... Le monde a très bien vu ce qui est arrivé à Gaza quand il y a eu les pressions pour des élections démocratiques et que c’est un mouvement radical et dangereux qui s’est trouvé élu, ce qui n’a même pas permis un seul jour de démocratie pour les habitants de Gaza».

Le monde, selon le Président israélien Shimon Peres: il y a un monde cultivé, dont fait partie Israël, qui mérite un régime et des élections démocratiques, et il y a un monde de ratés et d’ignorants qu’il ne faut pas laisser maître de son propre destin, et qui requiert une dictature pour l’arrêter de faire n’importe quoi. En réalité: le peuple cultivé israélien a démocratiquement élu un Lieberman et ses copains - des intellectuels vraiment cultivés. Nous espérons que le parlement égyptien qui sera élu lors d’élections démocratiques donnera au peuple égyptien des représentants plus dignes. Il est certain que les Égyptiens ne trouveront pas de responsables plus pathétiques que ceux que nous avons ici, en Israël.

Michel Warschawski
06.02.11

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