lundi 28 mars 2011

Bassin méditerranéen: rappel de quelques notions utiles







Région méditerranéenne : une zone sous influences multiples



La région méditerranéenne est aujourd’hui une zone vitale pour la sécurité et la croissance économique des grandes puissances mondiales. Ainsi, elle occupe une place centrale dans les stratégies politiques et militaires de ses pays riverains et de l’Union Européenne mais également des Etats-Unis et de l’OTAN mais aussi de la Russie et, de façon discrète mais néanmoins grandissante, de la Chine et de l’Inde.

Les Etats-Unis interviennent au Proche-Orient et plus largement en Méditerranée dans le cadre d’une stratégie très structurée et très ancienne. La politique d’influence des Etats-Unis dans la région remonte à l’indépendance de la puissance américaine. En 1791, Washington ouvre son premier consulat à Tanger. En 1794, le premier navire de guerre américain entre en Méditerranée dans le cadre d’un accord signé entre les Etats-Unis et le bey de Tunis. Les Etats-Unis mettent fin à cette politique d’influence et d’intervention directe avec l’adoption de la «doctrine Monroe» en 1823. Le grand retour des Etats-Unis au Moyen-Orient s’effectue à l’occasion de l’alliance signée avec l’Arabie Saoudite dans le cadre des accords de Quincy signés en 1945. La seconde grande alliance américaine est celle qui lie les Etats-Unis et l’Etat d’Israël. Le soutien indéfectible des Etats-Unis à Israël ne s’est jamais démenti au cours des dernières décennies. Dans le contexte de la guerre froide, l’espace méditerranéen occupe une place centrale dans la lutte d’influence entre les Etats-Unis et l’URSS. Dans un premier temps, les Etats-Unis tentent une politique d’influence directe auprès des jeunes nations de la région dont ils ont soutenu l’émancipation du joug colonial comme l’Algérie et l’Egypte. Dans un second temps, la stratégie américaine se resserre sur les objectifs de protection de l’Etat d’Israël et de sécurisation des approvisionnements en hydrocarbures. C’est dans cette perspective que s’inscrit le maintien en Méditerranée depuis plus de cinquante ans de la 6è flotte de l’US Navy. L’OTAN constitue un autre outil de la présence de la puissance américaine en Méditerranée. Depuis 1992, l’OTAN maintient une force permanente en Méditerranée. Après la chute du Mur de Berlin, l’OTAN a été amené à reformuler ses objectifs stratégiques. Dans ce cadre, le Dialogue méditerranéen défini en 2004 occupe une place prépondérante.

Pour la Russie, l’accès à la Méditerranée constitue un objectif stratégique traditionnel dans le cadre de sa «course aux mers chaudes» (Mer Noire, Méditerranée, Océan Indien). Le démantèlement du bloc socialiste avait marqué un net reflux de la Russie dans la zone. Il semblerait que l’on assiste aujourd’hui à un «retour» de la Russie en Méditerranée. Une partie du «jeu russe» en Méditerranée s’inscrit dans le contexte de sa stratégie globale de reconstruction de la puissance russe à travers l’utilisation de l’arme énergétique. La politique de Moscou vise ainsi à créer les conditions lui permettant d’augmenter son pouvoir. Sa stratégie de «verrouillage» du marché européen est révélée par une série d’initiatives prises par le géant gazier russe Gazprom, au cours des dernières années. Certains observateurs ont ainsi évoqué une «reconquista russe» à l’occasion de la visite de Vladimir Poutine en Algérie en 2006.

Pour l’instant, la Chine et l’Inde, du fait de leur relative faiblesse stratégique, sont obligés de déléguer aux Etats-Unis la sécurisation de la région. Un des enjeux des décennies à venir sur le plan de la géopolitique méditerranéenne consiste à savoir si ces deux grandes puissances mondiales vont se maintenir dans cette situation de dépendance stratégique vis-à-vis des Etats-Unis où si elles vont, au contraire, décider de prendre leur indépendance et d’entrer à leur tour dans le «grand jeu méditerranéen». La participation de la Chine à la force d’interposition mise en place par les Nations Unies au Liban (FINUL) peut représenter un phénomène avant-coureur de cette montée en puissance de la Chine en Méditerranée sur le plan militaire et stratégique.

Un carrefour commercial et énergétique
La Méditerranée est exposée de façon grandissante aux flux de la mondialisation. La Méditerranée est aujourd’hui un carrefour au sens littéral du terme dans la mesure où elle constitue une des principales zones de trafic du commerce mondial avec près de 30% des transports de marchandises qui la traversent. Cette situation est tout d’abord favorisée par la position géographiquement centrale de l’espace dans les flux commerciaux mondiaux. La Méditerranée est «naturellement» inscrite dans les flux commerciaux internationaux. Ce positionnement privilégié remonte aux temps de la route de la soie puis, plus près de nous, à la mise en service du canal de Suez en 1869. Elle semble actuellement en voie d’intensification comme en témoigne l’augmentation à un rythme très rapide (de l’ordre de 10% par an) des flux d’échange animant l’espace méditerranéen. Auparavant, la croissance et les flux mondiaux étaient captés par d’autres zones. Aujourd’hui, la croissance des échanges entre l’Europe et, d’une part, l’Asie et, d’autre part, l’Amérique et particulièrement l’Amérique latine ont accru la part des flux mondiaux traversant la Méditerranée. Dès à présent, les flux commerciaux entre l’Europe et la Chine sont du même ordre de grandeur que ceux mesurés entre la Chine et les Etats-Unis. Or, une bonne partie de ces flux traverse la Méditerranée.

La question énergétique constitue ainsi une des dimensions majeures de la recomposition du visage géopolitique de la Méditerranée. En effet, certaines régions du bassin méditerranéen constituent des exportateurs nets de ressources énergétiques: Algérie, Libye et Egypte (gaz naturel). Le Sud et l’Est de la région se caractérisent par leur proximité de grandes réserves d’hydrocarbures: Gabon, Nigeria, Tchad, Irak, Iran. La présence de la Chine au Maghreb s’inscrit ainsi dans le cadre d’une stratégie plus globale d’implantation en Afrique, continent riche de ressources énergétiques, minières et naturelles (bois) qui sont nécessaires au développement du nouveau géant de l’économie mondiale. Par ailleurs, la mer Méditerranée constitue également un espace de transit essentiel pour les ressources énergétiques approvisionnant l’Europe et ses 450 millions de consommateurs. Ces ressources viennent du d’Afrique du Nord (principalement d’Alger et de Libye), du Caucase (acheminées par le gazoduc Bakou-Tbilissi-Ceylan), d’Afrique, du Proche-Orient… Certains analystes américains soulignent l’émergence d’un «triangle vital» dont les trois sommets sont constitués par la Chine, les Etats-Unis et le Moyen-Orient. Dépendante à 50% du Moyen-Orient pour ses importations de pétrole, la Chine cherche donc à diversifier ses approvisionnements en hydrocarbures et autres ressources stratégiques, notamment minières. La présence chinoise en Méditerranée a d’ores et déjà largement excédé la simple dimension commerciale et diplomatique classique pour prendre une dimension politique et stratégique, en témoigne ainsi la participation de troupes chinoises aux forces des Nations Unies de maintien de la paix au Liban (Minul). Comme la Chine et les Etats-Unis, l’économie indienne, en croissance constante, est dépendante des hydrocarbures du Moyen-Orient pour son approvisionnement énergétique. Dans la région, l’Inde représenterait même, à terme, un partenaire plus naturel pour les Etats-Unis que la Chine pour les questions de sécurité au Proche-Orient. L’Inde a déjà développé des relations étroites avec les Etats du Conseil de Coopération du Golfe persique (CCG).

De nouvelles puissances méditerranéennes?
Au Nord comme au Sud de l’espace méditerranéen, on constate l’émergence de nouvelles puissances économiques et politiques. Ces nouvelles puissances conduisent des stratégies de plus en plus autonomes notamment en développant des relations avec de nouveaux ensembles comme les puissances asiatiques (Chine et Inde). Le schéma post-colonial qui prévalait entre la rive Nord et la rive Sud jusqu’il y a quelques années semble est devenu aujourd’hui obsolète.

Au Nord, le contexte européen est celui d’une perte d’influence du couple franco-allemand qui semble avoir perdu son statut de moteur de la construction européenne au profit d’une coalition plus large incluant des Etats-membres comme l’Espagne et l’Italie. Ceux-ci semblent avoir largement effectué leur rattrapage économique, notamment l’Espagne dont l’économie a particulièrement profité des fonds européens de cohésion territoriale. Sur le plan international, la montée en puissance de l’Espagne se traduit par sa position privilégiée dans les échanges avec les pays d’Amérique latine.

L’évolution la plus significative réside sans doute dans l’émergence comme puissance de pays de la rive Sud de la Méditerranée.

La Turquie s’affirme de plus en plus comme une puissance régionale. Sa position géographique, présente en Europe et en Asie, en fait un pays de transit pour les projets internationaux dans le domaine du pétrole et du gaz. Le pays est ainsi devenu un «hub» énergétique. Grâce à de nombreux projets de construction d’oléoducs et de gazoducs entre les différents pays de la région, la Turquie pourrait devenir la quatrième grande source d’énergie d’Europe, après la Norvège, la Russie et l’Afghanistan. L’effondrement de l’Union Soviétique a dessiné pour la Turquie, au début des années 90, une nouvelle géographie des possibles. En Asie centrale et dans le Caucase, Ankara comptait alors pour se forger un rêve de rechange à son projet européen sur la solidarité entre peuples turcophones. En Mer Noire aussi, dont l’Empire Ottoman avait dominé presque toutes les rives du 16è au 18è siècle, la Turquie entendait bien profiter du vide créé par la chute de l’URSS. En 2008, il semble que ce rêve de rechange ait vécu. Faute de moyens suffisants, la Turquie joue un rôle aujourd’hui en Asie centrale et dans le Caucase bien plus limité qu’elle ne l’espérait.

L’Algérie connaît actuellement une renaissance de son influence sur la scène internationale. Cette montée en puissance est directement liée aux réserves financières dont s’est doté l’Etat algérien dans un contexte d’augmentation des prix des hydrocarbures. Les marges de manœuvres économiques et politiques que tire l’Algérie de ces réserves pétrolières et gazières sont accrues par la construction de nouvelles alliances avec d’autres puissances, comme la Russie. En août 2006, Gazprom et la Sonatrach ont conclu un accord portant sur la prospection et l’extraction de gaz en Algérie ainsi que sur la modernisation du réseau algérien de gazoducs. Ce retour au premier plan de l’Algérie s’appuie, par ailleurs, sur la reconnaissance par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001 de leur rôle dans lutte anti-terroriste. On observe ainsi une intensification de la coopération entre l’Algérie et les Etats-Unis sur le plan diplomatique, militaire et économique.

La Libye apparaît aujourd’hui également comme une véritable puissance nord-africaine. Ses ressources pétrolières lui offrent des capacités financières et un pouvoir de négociation internationale renouvelé. A ce jour, la Libye n’a pas été un partenaire très actif du processus euro-méditerranéen et de l’Union pour la Méditerranée. Mouammar Kadhafi a souvent accusé le concept de Méditerranée de contribuer à couper les pays d’Afrique du Nord du reste du continent.

26.03.11
Source: alterinfo/institut de la Méditerranée

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