samedi 4 avril 2009

Pourquoi ce filet de sang déchire-t-il le pétale de ta joue?



Nurit Peled
n'est pas seulement israélienne. C'est une opposante israélienne dont la fille de 14 ans est morte il y a quelques années dans un attentat kamikaze. Nurit Peled a fondé l'Association des familles iraéliennes et palestiniennes victimes de violences. Ses deux fils sont Refuzniks. Invitée à l'occasion de la Journée des Femmes le 8 mars 2005, au Parlement européen, voici ce qu'elle y a déclaré :


Merci de m'avoir invitée à cette journée. C'est toujours un honneur et un plaisir d'être ici, parmi vous. Cependant, je pense que vous auriez dû inviter une femme palestinienne à ma place, parce que les femmes qui souffrent le plus de la violence dans mon pays sont les femmes palestiniennes. Et je voudrais dédier mon discours à Miriam R'aban et à son mari Kamal, de Bet Lahiya dans la bande de Gaza, dont les cinq petits enfants ont été tués par des soldats israéliens alors qu'ils ramassaient des fraises dans le champ de la famille. Personne ne passera jamais en jugement pour ce meurtre…

Lorsque j'ai demandé aux gens qui m'ont invitée ici pourquoi ils n'invitaient pas de femme palestinienne, leur réponse a été que cela rendrait la discussion "trop localisée".
Je ne sais pas ce qu'est la violence non localisée. Le racisme et la discrimination peuvent être des concepts théoriques et des phénomènes universels, leur impact est toujours local et bien réel. La douleur est locale, l'humiliation, les abus sexuels, la torture et la mort sont tous très locaux, de même que les cicatrices.

Il est malheureusement vrai que la violence locale infligée aux femmes palestiniennes par le gouvernement et l'armée d'Israël s'est étendue sur toute la planète. En fait, la violence d'Etat et la violence de l'armée, la violence individuelle et collective, sont le lot des femmes musulmanes aujourd'hui, et pas seulement en Palestine mais partout où le monde occidental éclairé pose son grand pied impérialiste. C'est une violence qui n'est presque jamais abordée et que la plupart des gens en Europe et aux Etats-Unis excusent du bout des lèvres.

C'est ainsi parce que le soi-disant monde libre a peur de l'utérus musulman. La grande France de la liberté, égalité et fraternité est effrayée par des petites filles avec des foulards sur la tête ; le Grand Israël juif a peur de l'utérus musulman que ses ministres qualifient de menace démographique. L'Amérique toute-puissante et la Grande-Bretagne contaminent leurs citoyens respectifs avec une crainte aveugle des Musulmans, dépeints comme vils, primitifs et assoiffés de sang - en plus d'être non démocratiques, chauvins, machistes et producteurs en masse de futurs terroristes. Cela en dépit du fait que les gens qui détruisent le monde aujourd'hui ne sont pas musulmans. L'un d'entre eux est un Chrétien dévot, l'autre est Anglican et le dernier est un Juif non pieux.

Je n'ai jamais vécu la souffrance que les femmes palestiniennes subissent tous les jours, toutes les heures. Je ne connais pas le genre de violence qui fait de la vie d'une femme un enfer constant. Cette torture physique et mentale quotidienne des femmes qui sont privées de leurs droits humains fondamentaux et de leurs besoins fondamentaux d'une vie privée et de dignité. Des femmes dans la maison desquelles on entre par effraction à toute heure du jour et de la nuit, à qui l’on ordonne sous la menace d'une arme de se mettre nue devant des étrangers et devant leurs propres enfants, dont les maisons sont détruites, qui sont privées de leurs moyens d'existence et de toute vie de famille normale. Cela ne fait pas partie de mon épreuve personnelle. Mais je suis une victime de la violence contre les femmes dans la mesure où la violence contre les enfants est en fait une violence contre les femmes. Les femmes palestiniennes, irakiennes, afghanes sont mes sœurs parce que nous sommes toutes prises dans l'étreinte des mêmes criminels sans scrupules qui se désignent comme les dirigeants du monde éclairé, libre, et qui au nom de cette liberté et de ces lumières, nous volent nos enfants. De plus, les mères israéliennes, américaines, italiennes et britanniques ont été, pour la plupart, violemment aveuglées et décervelées à un point tel qu'elles ne peuvent pas se rendre compte que leurs seules soeurs, leurs seules alliées dans le monde sont les mères musulmanes palestiniennes, irakiennes ou afghanes dont les enfants sont tués par nos enfants ou qui se font exploser en morceaux avec nos fils et nos filles. Elles sont toutes infectées par les mêmes virus engendrés par les politiciens. Et les virus, bien qu'ils puissent avoir divers noms illustres comme Démocratie, Patrie, Dieu, sont tous les mêmes. Ils font tous partie d'idéologies fausses et truquées qui ont pour intention d'enrichir les riches et de donner du pouvoir aux puissants.

Nous sommes toutes les victimes de la violence mentale, psychologique et culturelle qui fait de nous un seul groupe homogène de mères endeuillées ou potentiellement endeuillées. Mères occidentales à qui l’on apprend à croire que leur utérus est un atout national tout comme on leur apprend à croire que l'utérus musulman est une menace internationale.
On les éduque pour qu'elles ne s'exclament pas : ″ Je lui ai donné naissance, je lui ai donné le sein, il est à moi et je ne le laisserai pas être celui dont la vie vaut moins que le pétrole, dont l'avenir a moins de valeur qu'un lopin de terre".

Chacune d'entre nous est terrorisée par une éducation qui infecte l'esprit pour que nous croyions que tout ce que nous pouvons faire c'est soit prier pour que nos fils reviennent à la maison, soit être fières de leurs corps morts.
Et nous avons toutes été élevées pour supporter tout ceci en silence, pour contenir nos craintes et nos frustrations, pour prendre du Prozac contre l'anxiété, mais jamais acclamer Mère Courage en public. Ne jamais être de vraies mères juives, italiennes ou irlandaises.

Je suis une victime de la violence d'Etat. Mes droits naturels et civils en tant que mère ont été violés et sont violés parce que j'ai à craindre le jour où mon fils atteindra son 18ème anniversaire et me sera enlevé pour être l'instrument du jeu de criminels tels que Sharon, Bush, Blair et leur clan de généraux assoiffés de sang, assoiffés de pétrole, assoiffés de terre.

Vivant dans le monde dans lequel je vis, dans l'Etat dans lequel je vis, dans le régime dans lequel je vis, je n'ose offrir aux femmes musulmanes quelque idée que ce soit sur la manière de changer leurs vies. Je ne veux pas qu'elles enlèvent leurs foulards ou éduquent leurs enfants différemment, et je ne les presserai pas de constituer des démocraties à l'image des démocraties occidentales qui les méprisent elles et les gens de leur sorte. Je veux juste leur demander humblement d'être mes soeurs, exprimer mon admiration pour leur persévérance et leur courage de continuer, d'avoir des enfants et de maintenir une vie de famille pleine de dignité en dépit des conditions impossibles dans lesquelles mon monde les met. Je veux leur dire que nous sommes toutes liées par la même douleur, nous sommes toutes les victimes des mêmes sortes de violences même si elles souffrent bien davantage, parce que ce sont elles qui sont maltraitées par mon gouvernement et son armée, avec l'aide de mes impôts.

L'islam en soi, comme le judaïsme en soi et le christianisme en soi, n'est pas une menace pour moi ou pour qui que ce soit. C'est l'impérialisme américain, c'est l'indifférence et la coopération européennes, et le régime israélien raciste et cruel d'occupation qui en sont une. C'est le racisme, la propagande dans l'éducation et la xénophobie inculquée qui convainquent les soldats israéliens d'ordonner aux femmes palestiniennes sous la menace des armes, de se déshabiller en face de leurs enfants pour des raisons de sécurité. C'est le manque de respect le plus profond pour l'autre qui permet aux soldats américains de violer des femmes irakiennes, qui donne une licence aux geôliers israéliens pour garder des jeunes femmes dans des conditions inhumaines, sans aide hygiénique minimum, sans électricité en hiver, sans eau propre ou matelas décent, et pour les séparer de leurs enfants et de leurs tout-petits nourris au sein. Pour leur barrer la route vers les hôpitaux, pour leur bloquer le chemin vers l'éducation, pour confisquer leurs terres, pour déraciner leurs arbres et les empêcher de cultiver leurs champs.

Je ne peux pas complètement comprendre les femmes palestiniennes et leur souffrance. Je ne sais pas comment moi j'aurais survécu à une telle humiliation, à un tel manque de respect de la part du monde entier. Tout ce que je sais, c’est que la voix des mères a été étouffée pendant trop longtemps sur cette planète dévastée par la guerre. Le cri des mères n'est pas entendu parce que les mères ne sont pas invitées aux forums internationaux comme celui-ci. Cela je le sais, et même si c'est très peu, c'est assez pour que je me souvienne que ces femmes sont mes soeurs et qu'elles méritent que je crie pour elles et me batte pour elles. Et quand elles perdent leurs enfants dans des champs de fraises ou sur des routes crasseuses aux check -points, quand leurs enfants sont abattus sur le chemin de l'école par des enfants israéliens qui ont été élevés pour croire que l'amour et la compassion s'exercent en fonction de la race et de la religion, la seule chose que je puisse faire est de me tenir à leurs côtés et à ceux de leurs bébés trahis. Et de demander ce qu'Anna Akhmatova, une autre mère qui a vécu dans un régime de violence contre les femmes et les enfants, avait demandé : “ Pourquoi ce filet de sang déchire-t-il le pétale de ta joue ?"



Nurit Peled

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