samedi 23 mai 2009

En 2005, Internet refait l'Europe

A la fin 2004, on ne voyait encore rien venir. Il semblait acquis que le référendum du 29 mai suivant sur le projet de Constitution européenne se réduirait à une formalité. "On nous dit que les Français doivent lire la Constitution. Vous pensez, c'est un texte de trois cents pages! Moi-même, je ne l'ai pas lue", claironnait M. Malek Boutih (1). Quelques mois plus tard, le secrétaire national du Parti socialiste chargé des questions de société était sans doute l'une des dernières personnes en France à ne pas avoir lu la Constitution.

Avec l'écrasante majorité des médias dans le camp du "oui", la contestation du texte soumis au vote se réfugia sur Internet. Faisant mentir l'idée reçue selon laquelle les échanges en ligne asphyxient la "vraie vie", le réseau fit plutôt office de caisse de résonance d'un mouvement qui impliquait aussi des réunions publiques bondées et des meetings enthousiastes.

Il présentait en outre l'avantage de mettre tous les documents officiels à portée de clic. Cette facilité d'accès autorise, dans le rapport à la politique, un changement que l'un des premiers activistes de l'Internet français, Laurent Chemla, comparait à celui introduit dans le rapport à la religion par la Réforme protestante: désormais, on revendique de pouvoir lire soi-même les textes pour se faire une opinion, au lieu de s'en laisser imposer une interprétation - en général intéressée - par une autorité quelconque.

Quelques semaines durant, c'est tout l'ordre symbolique qui fut mis cul par-dessus tête. Pour avoir produit un argumentaire efficace et synthétique en faveur du "non", qui se propagea par courriel comme une traînée de poudre, un parfait inconnu, Etienne Chouard, supplanta tous les maîtres à penser institués. Effaré par les pelletées de messages vengeurs que lui valait sa campagne en faveur du "oui", le chroniqueur de France Inter Bernard Guetta se désespérait dans le quotidien suisse Le Temps (16 avril 2005) : "La mobilisation, les conversations se font de bouche à oreille, amplifiées par Internet, ses "chats", ses blogs et ses méticuleuses et fausses analyses du projet qu'on y trouve à foison".

Cette période aura révélé de manière particulièrement cruelle la pauvreté, voire le simulacre, de la vie démocratique "normale", et le mépris foncier que vouent à leurs électeurs ou à leur public bien des personnalités politiques et médiatiques. Ce qui explique peut-être pourquoi elle a, depuis, été refoulée avec tant d'application, y compris par ceux à qui elle a laissé un excellent souvenir. Mais qui sait par quels chemins souterrains les expériences passées peuvent resurgir?

(1) L'Humanité, Paris, 29 septembre 2004

Mona Chollet
Le Monde diplomatique - Mai 2009

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