Depuis les premières manifestations du processus de paix israélo-arabe après la guerre du Kippour, les rapports entre l'Amérique et Israël se caractérisent par un paradoxe. Ce sont les présidents américains considérés comme les moins amicaux à l'égard de l'État hébreu qui lui ont été le plus bénéfiques. L'action de ses fidèles alliés s'est révélée, au contraire, beaucoup moins positive.
Tout commence avec Jimmy Carter, qui a menacé de couper l'aide américaine pour pousser Menachem Begin à rétrocéder l'intégralité du Sinaï à l'Egypte, ce qui a rendu possible l'accord conclut en 1979 à Camp David.
L'autre contribution significative à la paix au Moyen-Orient revient au premier président Bush lors de la conférence de Madrid, en 1991. Quand Israël a refusé d'y participer, le secrétaire d'État, James Baker, a bloqué ses garanties d'emprunts et a demandé au Premier ministre israélien de l'époque, Yitzhak Shamir, de le rappeler quand il souhaiterait travailler à la paix. A un moment, James Baker a même interdit à Benyamin Nétanyahou - qui représentait son Premier ministre à Washington -l'accès aux bâtiments du département d'État. La rencontre de Madrid a abouti à un traité de paix avec la Jordanie, à la reconnaissance d'Israël par beaucoup de pays ainsi qu'à la première véritable négociation en face à face avec les Palestiniens.
En revanche, Ronald Reagan, Bill Clinton et George W. Bush, tous des amis de confiance, ont souvent encouragé les pires tendances israéliennes. Reagan voyait d'un œil bienveillant les revendications (fondées sur la Bible) de propriété de la Cisjordanie, l'occupation du Liban par Israël et son refus de discuter avec l'OLP. Sous Clinton, «nous n'avons jamais parlé aux Israéliens de façon sévère ou honnête de leur démarche de colonisation», écrit l'ancien médiateur de paix Aaron David Miller dans ses mémoires The Much Too Promised Land [Une Terre trop promise] .
George W. Bush a continué à fermer les yeux sur la détestable politique de colonisation de l'État hébreu, il a négligé le processus de paix et toléré les mauvais calculs militaires d'Israël en Cisjordanie, au Liban et à Gaza. Petit à petit, ces présidents ont favorisé un ressentiment arabe tout en laissant Israël continuer de s'imaginer qu'il pourrait exister une autre solution que l'échange de territoires pour parvenir à la paix.
Heureusement, Barack Obama semble en passe de faire mentir cette vieille dichotomie. Il fait peu de doute qu'il veut du bien à Israël. S'agissant de la sécurité d'Israël, «je ne me suis pas contenté de parler, j'ai agi», a déclaré le président Obama à un groupe de Juifs durant sa campagne. La secrétaire d'Etat Hillary Clinton, l'émissaire spécial au Moyen-Orient George Mitchell et le vice-président Joe Biden pourraient en dire autant.
L'émissaire spécial Dennis Ross est un Juif pratiquant, un négociateur d'expérience spécialisé dans le Moyen-Orient et un ami de longue date d'Israël. Le chef d'état-major de la Maison Blanche, Rahm Emanuel, a pour père un Israélien et a déjà servi en tant que volontaire civil dans l'armée israélienne. Il apparaît également que cette équipe s'attache sérieusement à faire pression sur Israël. Dans le discours qu'il a prononcé au Caire, Obama a demandé à Tel-Aviv de geler le processus de colonisation en Cisjordanie et d'engager des négociations de paix avec les palestiniens sur la base du principe de deux peuples-deux États. Hillary Clinton a complété ce message en précisant ce que signifiait un gel du processus de colonisation: pas de «croissance [démographique] naturelle» ni de subterfuge, quoi qu'ait pu dire en privé les représentants de Bush aux responsables israéliens.
C'est un courageux pas en avant. Aujourd'hui, être un bon ami d'Israël signifie renforcer la pression sur les Juifs et les Arabes pour travailler sérieusement à un accord de paix. Et même si on n'aboutit pas à un accord, l'engagement personnel de Barack Obama et son recadrage impartial du conflit pourraient être extrêmement bénéfiques. Le fait de montrer que les États-Unis exercent une pression égale sur leur allié israélien et sur les Palestiniens devrait légitimer dans une large mesure le rôle des États-Unis au Moyen-Orient. Mais pour faire de cette initiative un succès, Obama va devoir accomplir plusieurs missions quasi impossibles.
En premier lieu, il doit forcer Benyamin Nétanyahou ou la Knesset à changer. Bibi (Nétanyahou) a toujours estimé que les Palestiniens n'accepteraient qu'un accord prévoyant la destruction de l'État sioniste. Voilà dix ans qu'il n'est plus au pouvoir, et son hostilité à une Palestine indépendante est intacte. En fait, cette hostilité intègre un élément nouveau: une dangereuse fixation sur une frappe militaire contre les installations nucléaires de l'Iran. Mais Nétanyahou est aussi un fin politicien qui sait que la condition sine qua non de sa survie est une bonne gestion des relations avec les États-Unis, qui revêtent une importance cruciale pour son pays. Obama fait un pari: il se dit que la population israélienne, si ce n'est pas Benyamin Nétanyahou lui-même, prendra au sérieux la menace d'une diminution du soutien américain. (Voir cet excellent article de Foreign Policy sur la manière dont l'expansion de la colonisation sape les possibilités de parvenir à un règlement de paix.)
En même temps, le président américain doit apaiser la nervosité qui règne au sein des communautés juives américains. S'il s'était agi de n'importe quel autre allié, les prochaines initiatives diplomatiques auraient été plutôt simples. Vous voulez que les États-Unis continuent à prendre charge 20% de votre budget de la défense? Vous voulez que l'Amérique vous vende ses armes les plus perfectionnées? Qu'elle vous défende devant l'ONU? Mettez un terme à l'implantation de colonies. Mais des pressions trop explicites susciteraient une réaction dangereuse de la part des Chrétiens et des Juifs qui soupçonnent le président américain de nourrir secrètement une sympathie à l'endroit des musulmans. Et les conservateurs aiment à alimenter ces doutes.
Jusqu'ici, l'équipe d'Obama a fait preuve d'habileté face au dossier israélo-arabe: en regroupant les alliés d'Israël au Congrès pour soutenir la politique du qui aime bien châtie bien. Le mois dernier, après que Benyamin Nétanyahou a été réprimandé à la Maison Blanche, il s'est rendu au Congrès, où il a été surpris de voir que les plus grands soutiens d'Israël étaient du côté d'Obama. L'AIPAC, le groupe de pression pro-israélien, qui lui non plus n'est pas en faveur de la colonisation, s'est contenté d'appeler l'administration à «collaborer étroitement» avec Israël sur les points de désaccord. Mais un climat d'agitation s'est installé chez les démocrates pro-israéliens au Congrès. Pour convaincre les Juifs américains qu'il fait pression sur Israël pour son bien, Obama va devoir mobiliser tous ses talents oratoires.
Enfin, Barack Obama doit éviter de surinvestir dans le processus de paix. Négocier un règlement de paix global au conflit israélo-palestinien est le fantasme de tous les présidents américains depuis Nixon. Aucun d'entre eux n'a réussi... Barack Obama aura beau faire pression en vue d'obtenir la paix, le président américain - aussi confiant soit-il - doit se rappeler que l'échec est, hélas, quasiment certain.
Jacob Weisberg
17.06.09
Article traduit par Micha Czifra
Source: www. slate.fr
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