Face à la crise financière qui affecte l’ensemble de l’économie mondiale et se combine avec une crise alimentaire, énergétique et climatique, pour déboucher sur un désastre social et humanitaire, diverses réactions se profilent à l’horizon. Certains proposent de punir et de changer les acteurs (les "voleurs de poules", comme dit Michel Camdessus, l’ancien directeur du FMI) pour continuer comme avant. D’autres soulignent la nécessité de réguler le système, mais sans changer les paramètres, comme George Soros. Enfin il y a ceux qui estiment que c’est la logique du système économique contemporain qui est en jeu et qu’il s’agit de trouver des alternatives.
L’urgence de solutions est le défi majeur. Il ne reste plus beaucoup de temps pour agir efficacement sur les changements climatiques. Au cours des deux dernières années, selon la FAO, 100 millions de personnes ont basculé sous la ligne de pauvreté, le besoin impératif de changer de cycle énergétique est à nos portes. Une multitude de solutions alternatives existent, dans tous les domaines, mais elles exigent une cohérence pour garantir leur efficacité ; non pas un nouveau dogme, mais une articulation.
Au même titre que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme proclamée par les Nations unies, une Déclaration universelle du Bien commun de l’humanité pourrait jouer ce rôle. Certes les Droits de l’Homme ont connu un long parcours entre les révolutions française et américaine et leur adoption par la communauté internationale. Le processus fut aussi progressif avant de proclamer la troisième génération des droits, incluant une dimension sociale. Très occidental dans ses perspectives, le document fut complété par une Déclaration africaine et par une initiative similaire du monde arabe. Sans aucun doute la Déclaration est souvent manipulée en fonction d’intérêts politiques, notamment par les puissances occidentales. Mais elle reste une référence de base, indispensable à toute légitimité politique et une protection pour les personnes.
Aujourd’hui elle doit être complétée, car c’est la survie de l’humanité et de la planète qui est en jeu. Quatre axes fondamentaux pourraient donner cohérence aux nouvelles initiatives cherchant à construire des alternatives et orienter de nombreuses pratiques.
1. L’utilisation durable et responsable des ressources naturelles. Cela signifie une autre approche des relations entre les êtres humains et la nature : passer de l’exploitation au respect de cette dernière, source de toute vie.
2. Privilégier la valeur d’usage sur la valeur d’échange. Donc, définir l’économie comme l’activité destinée à créer, dans le respect de normes sociales et écologiques, les bases de la vie physique, culturelle et spirituelle de tous les êtres humains sur la planète.
3. Généraliser la démocratie à tous les rapports sociaux et à toutes les institutions. Non seulement l’appliquer et l’approfondir dans le champ politique, avec une nouvelle définition de l’Etat et des organismes internationaux, mais l’élargir aux domaines de l’économie, de la culture et des rapports hommes-femmes.
4. La multiculturalité, afin de donner la possibilité à tous les savoirs, toutes les cultures, toutes les traditions philosophiques et religieuses, de participer à la définition du Bien commun de l’humanité et à l’élaboration de son éthique.
L’adoption de ces principes permettrait d’engager un processus alternatif réel face aux règles qui président actuellement au déroulement de l’économie capitaliste, à l’organisation politique mondiale et à l’hégémonie culturelle occidentale et qui entrainent les conséquences sociales et naturelles que nous connaissons aujourd’hui. Les principes exprimés débouchent sur de grandes orientations qu’il est possible d’esquisser.
En effet, il est clair que le respect de la nature exige le contrôle collectif des ressources. Il demande aussi de constituer les plus essentielles à la vie humaine (l’eau, les semences…) en patrimoines de l’humanité, avec toutes les conséquences juridiques que cela entraine. Il signifierait également la prise en compte des “externalités” écologiques dans le calcul économique.
Privilégier la valeur d’usage exige une transformation du système de production, aujourd’hui centré prioritairement sur la valeur d’échange, afin de contribuer à l’accumulation du capital considéré comme le moteur de l’économie. Cela entraine la remise en place des services publics, y compris dans les domaines de la santé et de l’éducation, c’est à dire leur non-marchandisation.
Généraliser la démocratie, notamment dans l’organisation de l’économie, suppose la fin d’un monopole des décisions lié à la propriété du capital, mais aussi la mise en route de nouvelles formes de participation constituant les citoyens en sujets.
Accepter la multiculturalité dans la construction des principes exprimés signifie de ne pas réduire la culture à une seule de ses composantes et permettre à la richesse du patrimoine culturel humain de s’exprimer, de mettre fin aux brevets monopolisant les savoirs et d’exprimer une éthique sociale dans les divers langages.
Utopie ! Oui, car cela n’existe pas aujourd’hui, mais pourrait exister demain. Utopie nécessaire, car synonyme d’inspiration et créatrice de cohérence dans les efforts collectifs et personnels. Mais aussi applications très concrètes, sachant que changer un modèle de développement ne se réalise pas en un jour et se construit par un ensemble d’actions dont le déroulement dans le temps est divers. Alors comment proposer des mesures s’inscrivant dans cette logique et qui pourraient faire l’objet de mobilisations populaires et de décisions politiques ? Bien des propositions ont déjà été faites, mais on pourrait en ajouter d’autres.
Sur le plan des ressources naturelles, un pacte international sur l’eau, prévoyant une gestion collective (pas exclusivement étatique) correspondrait à une conscience existante de l’importance du problème. Quelques autres orientations pourraient être proposées : la souveraineté des nations sur leurs ressources énergétiques ; l’interdiction de la spéculation sur les produits alimentaires ; la régulation de la production des agrocarburants en fonction du respect de la biodiversité, de la conservation de la qualité des sols et de l’eau et du principe de l’agriculture paysanne ; l’adoption des mesures nécessaires pour limiter à 1 degré centigrade, l’augmentation de la température de la terre au cours du 21e siècle ; le contrôle public des activités pétrolières et minières, moyennant un code d’exploitation international, vérifié et sanctionné, concernant les effets écologiques et sociaux (entre autres les droits des peuples indigènes).
A propos de la valeur d’usage, des exemples concrets peuvent être donnés également. Il s’agirait de rétablir le statut de bien public, de l’eau, de l’électricité, de la poste, des téléphones, de l’internet, des transports collectifs, de la santé, de l’éducation, en fonction des spécificités de chaque secteur. Exiger une garantie de 5 ans sur tous les biens manufacturés, ce qui permettrait d’allonger la vie des produits et de diminuer l’utilisation de matières premières et d’énergie. Mettre une taxe sur les produits manufactures voyageant plus de 1000 kms entre leur production et le consommateur (à adapter selon les produits) et qui serait attribuée au développement local des pays les plus fragiles ; renforcer les normes du travail établies par l’OIT, sur la base d’une diminution du temps de travail et de la qualité de ce dernier ; changer les paramètres du PIB, en y introduisant des éléments qualitatifs traduisant l’idée du “bien vivre”.
Les applications de la démocratie généralisées sont innombrables et pourraient concerner toutes les institutions qui demandent un statut reconnu publiquement, tant pour leur fonctionnement interne que pour l’égalité dans les rapports de genre : entreprises, syndicats, organisations religieuses, culturelles, sportives. Sur le plan de l’Organisation des Nations unies, on pourrait proposer la règle des deux tiers pour les décisions de principe et de la majorité absolue pour les mesures d’application.
Quant à la multiculturalité, elle comprendrait, entre autres, l’interdiction de breveter les savoirs traditionnels ; la mise à disposition publique des découvertes liées à la vie humaine (médicales et pharmaceutiques) ; l’établissement des bases matérielles nécessaires à la survie des cultures particulières (territorialité).
Un appel est fait pour que les propositions concrètes soient rassemblées en un ensemble cohérent d’alternatives, qui constitueront l’objectif collectif de l’humanité et les applications d’une Déclaration universelle du Bien commun de l’humanité par l’Assemblée générale des Nations unies.
François Houtart
04.05.09
Source: www.cetri.be
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