dimanche 31 janvier 2010

Les commémorations de l’Holocauste sont une bénédiction pour la propagande israélienne



Dès l’aube, les grosses légumes d’Israël ont attaqué sur tous les fronts. Le président en Allemagne, le premier ministre et une délégation géante en Pologne, le ministre des affaires étrangères en Hongrie, son adjoint en Slovaquie, le ministre de la culture en France, le ministre de l’information aux Nations Unies et même Ayoob Kara, Druze du parti Likud membre de la Knesset, en Italie. Ils étaient tous de sortie pour de flamboyants discours sur l’Holocauste.

Mercredi était la Journée Internationale de Commémoration de l’Holocauste, et il y a belle lurette qu’on n’avait pas vu pareille opération de relations publiques israélienne. Le moment choisi pour cet effort exceptionnel — jamais on n’a vu un tel déploiement de ministres sur toute la planète — ce n’est pas une coïncidence : alors que le monde parle de Goldstone, nous parlons de l’Holocauste, comme à l’affût d’une occasion d’en estomper l’effet. Quand le monde parlera occupation, nous parlerons Iran comme si nous voulions qu’il oublie.

Cela ne servira pas à grand chose. La Journée Internationale de Commémoration de l’Holocauste passée, les discours seront vite oubliés, et la déprimante réalité quotidienne restera. Israël n’en sortira pas grandi, même après cette campagne de relations publiques. La veille de son départ, le premier ministre Benjamin Netanyahu a parlé à Yad Vashem. "Le mal habite le monde", a-t-il dit. "Le mal doit être extirpé à la racine." Certains "cherchent à nier la vérité". Nobles paroles, prononcées par celui-la même qui, pas plus tard que la veille, presque dans la foulée, a prononcé des mots très différents, des mots empreints du mal véritable, de ce mal qui devrait être éradiqué dès le départ, de ce mal qu’Israël tente de masquer.

Netanyahu a parlé d’une nouvelle "politique d’immigration", politique qui est le mal absolu. Il a odieusement mis dans le même sac les travailleurs migrants et les réfugiés qui fuient la misère en avertissant que tous mettent Israël en danger, font baisser nos salaires, compromettent notre sécurité, nous transforment en pays du tiers-monde et font entrer la drogue. Il a soutenu avec zèle Eli Yishaï, notre ministre de l’intérieur raciste, qui a qualifié les migrants de propagateurs de maladies comme l’hépatite, la tuberculose, le SIDA et Dieu sait quoi d’autre. Aucun discours sur l’Holocauste n’effacera ces mots d’incitation à la haine et de diffamation envers les migrants. Aucun discours de commémoration n’effacera la xénophobie qui a pris pied en Israël, non seulement à l’extrême droite comme en Europe, mais dans tout le gouvernement.

Nous avons un premier ministre qui parle du mal mais qui est en train de construire une barrière pour empêcher les réfugiés de guerre de frapper à la porte d’Israël. Un premier ministre qui parle du mal mais qui a sa part de responsabilité dans le crime du blocus de Gaza, maintenant dans sa quatrième année et qui laisse 1,5 million de personnes dans une situation scandaleuse. Un premier ministre dont les colons perpètrent des pogroms contre d’innocents Palestiniens avec "le prix à payer" pour slogan (qui a d’affreuses connotations historiques), mais contre lesquels l’État ne fait pratiquement rien. Voilà le premier ministre d’un État qui arrête des centaines de militants de gauche en manifestation contre les injustices de l’occupation et de la guerre à Gaza, alors qu’avec le temps vient l’amnistie générale pour ceux qui ont manifesté contre le désengagement. Dans son discours d’hier, Netanyahu n’a rien fait d’autre que de la propagande bon marché en assimilant Allemagne nazie et Iran fondamentaliste. "Dépréciation de l’Holocauste" : l’Iran n’est pas l’Allemagne, Ahmedinejad n’est pas Hitler, et les assimiler n’est pas moins spécieux qu’assimiler soldats israéliens et nazis.

L’Holocauste ne doit pas être oublié, et il n’est pas nécessaire de le comparer avec quoi que ce soit. Israël doit prendre part aux efforts pour en garder vivante la mémoire, mais, pour ce faire, il doit se montrer les mains propres, propres de tout mal venant d’elles. Et il ne doit pas se rendre soupçonnable d’utiliser cyniquement la mémoire de l’Holocauste pour effacer et gommer d’autres choses. Malheureusement, ce n’est pas le cas. Comme ç’aurait été beau si, en cette Journée Internationale de Commémoration de l’Holocauste, Israël avait pris le temps de réfléchir sur lui-même, de chercher en lui-même et de se demander, par exemple, comment il se fait que l’antisémitisme a resurgi dans le monde précisément au cours de l’année dernière, l’année après que nous ayons bombardé Gaza au phosphore blanc. Comme ç’aurait été beau si, en cette Journée Internationale de Commémoration de l’Holocauste, Netanyahu avait annoncé de nouvelles mesures pour intégrer les réfugiés au lieu de les expulser ou s’il avait levé le blocus de Gaza.

Mille discours contre l’antisémitisme n’éteindront pas les flammes allumées par l’opération Plomb Durci, des flammes qui menacent non seulement Israël mais le monde juif tout entier. Tant que Gaza sera sous embargo et qu’Israël sombrera dans sa xénophobie institutionnalisée, les discours sur l’Holocauste resteront creux. Aussi longtemps que le mal sera endémique ici, dans le pays, ni le monde ni nous ne pourrons admettre que nous fassions la leçon aux autres, même s’ils le méritent.

Gideon Levy
29.01.10
Source: haaretz.com

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