mardi 22 juin 2010
La Turquie s’éloigne de l’Occident, comme le reste du monde
La Turquie et toutes les nations émergentes, rendues confiantes par leurs succès économiques, s’émancipent d’une tutelle occidentale moralisatrice de plus en plus mal supportée, écrit l’éditorialiste Semih Idiz, dans le quotidien turc Hurriyet. «Cette attitude à l’égard de l’Occident n’est à l’évidence pas spécifique aux Turcs. De la Russie à l’Inde, de la Chine à l’Afrique on assiste à une réaction croissante et forte contre l’Occident. Certains parlent d’un retour de bâton « post-colonial», constate-t-il (...)
Ce texte, écrit avant l’assaut israélien, qui met en perspective l’initiative de la Turquie et du Brésil dans le dossier iranien, souligne tout en le déplorant l’aveuglement apparent de l’Occident sur les forces à l’œuvre. La séquence à laquelle nous venons d’assister illustre la distance croissante entre le monde qui nait et la façon dont il continue d’être perçu à l’Ouest. Lorsque la Turquie, jusqu’alors fermement arrimée à l’OTAN, et le Brésil, peu suspect de complaisance islamique, offrent une solution avec l’appui de la Russie à une crise diplomatique qui risque en permanence de dégénérer en conflit ouvert, l’Ouest, loin de se réjouir de voir le dossier avancer, n’a montré qu’embarras et méfiance.
Comment ne pas voir dans cette réaction une forme du mépris arrogant à l’égard de nations considérées comme de second rang, non habilitées à traiter des affaires du monde? Le dessin de Plantu publié à l’occasion - que nous percevons comme profondément insultant - l’illustrait on ne peut plus crûment, avec ses chefs d’Etats caricaturés en trois singes, l’un dément, l’autre aveugle et le dernier sourd. Ce qui nous échappe, tant il est difficile de se défaire des réflexes de dominants, d’entamer un dialogue constructif et respectueux entre égaux, c’est que vu d’Istambul, de Brasilia et d’ailleurs, l’Occident n’est plus la condition sine qua non de la solution mais une partie du problème. Ce qui pour nous relève de l’exigence indiscutable - au nom d’une morale irréprochable, comme de bien entendu - est perçu comme l’alibi déguisant une volonté de puissance appartenant à un passé révolu, ou au mieux, pour les plus indulgents dont fait partie Semih Idiz, une rigidité contre productive.
L’assaut sur la flottille turque, dans ce contexte, apporte une nouvelle pièce à un acte d’accusation déjà lourd. Israël, qui se vit comme un fortin occidental fiché au cœur d’un monde «barbaresque», porte à leur paroxysme tous les maux de l’ancienne domination coloniale, et résume la détestable injustice d’un ordre tout aussi ancien, qui refuse - ou est incapable - de se réformer. Car si les voix ne manquent pas pour proposer une analyse en termes «culturels» sous l’aspect d’un différend avec un Islam forcément rétrograde et extrémiste, à l’échelle de la scène mondiale les querelles bibliques et leurs prolongations contemporaines relèvent au plus d’étranges et lointaines traditions exotiques.Les innombrables dénégations quant au rôle central du conflit israélo-palestinien n’y peuvent rien mais reste un problème, bien réel lui, qui menace la paix et la stabilité du monde, et face auquel l’Occident continue de pratiquer un deux poids deux mesures non seulement injustifiable mais d’abord et avant tout dangereux, frisant l’irresponsabilité.
Comment s’étonner, dès lors, que d’aucuns tentent de contourner les blocages - et les blocus - nouent des liens et prennent des initiatives, dans une superbe indifférence à nos critères ?
Semih Idiz
01.06.10
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