vendredi 11 juin 2010

Lettre à Mr Louis Michel



 Mr Michel,

à quelques reprises, nous avons déjà eu l'occasion de nous rencontrer ainsi que d'échanger nos réflexions sur la situation en Palestine, que ce soit sur un plateau de la RTBF ou au Ministère des Affaires étrangères, ou encore par courriers.
Vous ne vous souviendrez pas de moi, et vu le nombre d'interlocuteurs que vous rencontrez, c'est bien normal. Cela ne m'empêche cependant pas de vous écrire ces quelques mots qui, je l'espère, pourront retenir votre attention un instant.

J'ai en main votre "Lettre aux citoyens de mon pays"...
Le propos est bien construit. Et son contenu a le mérite de l'intelligence. Ce que je vous reconnais volontiers.
Il n'en reste pas moins que, une fois décrypté, le propos théorique de cette lettre, se heurte aux réalités du quotidien. Et dans le cas de la Palestine, bien que vous preniez ici-et-là et de temps à autre, la parole pour dire votre "indignation" (c'est le moins qu'on puisse faire!), je veux vous répéter ce que je vous ai dit à chaque occasion: c'est (entre autres) votre choix de l'équidistance dans un dossier où il y a pourtant clairement un oppresseur et un oppressé, qui amène à la dramatique situation que l'on a connu ces derniers jours (après la guerre sur Gaza) avec l'assassinat de civils à bord de la flottille.
Vous pouvez bien dès lors "attendre une réaction du gouvernement" comme vous l'avez indiqué lors de votre conférence avec I. Durand... quand vous étiez au gouvernement, vous auriez dû écouter les militants qui vous ont répété, inlassablement, que la politique d'équidistance n'est pas la bonne... et qu'aujourd'hui, l'on peut voir qu'elle mène au pire !
Je vous invite à ce sujet à prendre connaissance de l'excellent papier qu'a signé Michel Warschawski, résistant israélien de gauche, et intitulé: "L'impunité pousse au crime"...*
Cela fera peut-être réfléchir votre fils en charge de la Coopération au développement, à une option plus courageuse que celle de l'équidistance, qui finalement ménage la chèvre et le chou... dans un dossier où, encore une fois, tout le monde voit clairement qui est l'agresseur et qui est l'agressé.

Par ailleurs, vous indiquez dans votre "Lettre" que "la crise politique vous a fait mal, vous a déçu et empli de colère"...
Nous sommes des millions à ressentir la même chose face à l'injustice qui prévaut dans la question palestinienne. Et ce, depuis des décennies !

Vous indiquez plus loin "le droit à la différence, à l'intelligence critique ainsi qu'au débat politique, condition essentielle de notre liberté"...
Force est de constater que ce droit n'est pas entendu. Il est juste écouté distraitement, mais rarement pris en compte par les politiques, qui mènent leurs dossiers sans prendre la mesure de la question palestinienne,
qui est une question essentielle de justice et vécue comme l'illustration par excellence du deux-poids, deux-mesures par des millions de citoyens.
Voyez vous-mêmes les réactions planétaires que cette question ne cesse de soulever. Il faut être autiste pour ne pas s'en rendre compte.

Enfin, vous écrivez (avec raison) que "chaque être humain est doté de qualités propres qui font de lui une personne unique, ayant le droit de vivre dignement, de s'assumer et d'être respecté (...) et que c'est le combat politique que l'UE doit continuer d'incarner sur la scène des Puissances mondiales"...
C'est un beau plaidoyer... mais qui est systématiquement taillé en brèches par les pratiques mêmes de notre diplomatie et celle de l'UE!
Parce que, à partir du moment où des élections ont été contrôlées par nos cadres et par une armada de "contrôleurs internationaux" qui ont confirmé le respect strictement démocratique de la tenue de ce scrutin, mais que le résultat de celui-ci ne nous convient pas, il est absolument intolérable de voir l'UE et notre pays, réfuter le résultat de cette élection de janvier 2006, en refusant tout dialogue avec le Hamas, sous prétexte que c'est une organisation terroriste.
Cette attitude ruine purement et simplement les valeurs sur lesquelles vous dites vouloir bâtir nos démocraties.
Par cette attitude, vous piétinez vos propres principes et vous vous (nous) discréditez de la manière la plus élémentaire.

Je suis athée et ne partage pas certaines approches du Hamas, mais si le peuple palestinien a voté pour le Hamas, je respecterai son vote.
Parce que je crois aux principes essentiels de la démocratie.
Cette différence entre vous et moi (et des millions d'autres citoyens d'ailleurs) fait exactement la différence entre le "discours" politique, et la "pratique" politique... d'une véritable démocratie.

Mr Michel, en vous remerciant pour votre attention, vous comprendrez que nombreux d'entre nous restent dubitatifs sur ce qu'ils lisent lors de campagnes électorales, et les pratiques qu'ils voient mises en œuvre, une fois le vote passé...

Respectueusement,

Daniel Vanhove
Observateur civil
09.06.10

  
* L'impunité pousse au crime
 
Une des raisons principales du mal-être de l'Etat d'Israël est sans aucun doute le statut d'impunité dont il jouit, ou plutôt dont il souffre. Tel un enfant qui est conscient de commettre des bêtises de plus en plus graves et que personne ne rappelle a l'ordre, Israël est en manque de limites, et se sent entraîné dans le cercle infernal de la répression - représailles - répression et l'escalade de violence produite par 35 ans d'occupation.
L'application de sanctions contre un Etat qui bafoue le droit et viole les résolutions de l'ONU n'est pas seulement un acte de justice envers ses victimes. C'est aussi un moyen de lui imposer des limites et rappeler la différence entre le bien et mal, pour parler comme George W Bush, entre la loi et ce qui est hors la loi.
C'est ce qu'a compris le Parlement européen quand il votait, à une très large majorité et toutes tendances confondues, le projet, soumis par le groupe parlementaire de la Gauche unitaire européenne, de suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. Cette résolution ne doit pas être comprise uniquement comme l'application stricte de l'accord qui stipule le respect des droits de la personne par les bénéficiaires de cette coopération, mais comme un rappel à un principe élémentaire: il n'y a pas de droits sans devoirs, il n'y a pas de privilèges pour qui se situe hors la loi. Des dizaines de résolutions du Parlement européen sont systématiquement violées par l'Etat d'Israël, de nombreuses demandes de l'Union européenne sont cyniquement ignorées par son gouvernement:  pourquoi l'Europe devrait alors continuer à donner un statut commercial privilégié à qui ne cesse de répéter que seuls les Etats-Unis comptent dans l'arène internationale ?
L'exécutif européen reste, dans le mécanisme consensuel qui le régit pour l'instant, l'otage d'une minorité de pays qui refusent toute forme de pression sur l'Etat d'Israël. C'est donc au tour des Etats membres de prendre leurs responsabilités, et de traduire par des actes forts et responsables leurs propres déclarations de principe, ainsi d'ailleurs que le vote du Parlement. Et si les Etats tergiversent, c'est aux citoyens de jouer, comme l'ont montré les enseignants de l'université Paris-VI. Ce faisant, ils n'appliquent pas seulement la décision   démocratique des élus européens, mais font preuve d'un engagement citoyen et de responsabilité envers tous les protagonistes du conflit qui déchire le Moyen-Orient. Il faut le dire et le répéter: des sanctions contre Israël ne sont pas un acte hostile envers le peuple israélien, mais au contraire, l'expression d'un sens de la responsabilité envers un Etat qui devient victime de sa puissance. Et de son impunité.

Il y a évidemment ceux qui croient aider le peuple israélien en défendant inconditionnellement tous ces méfaits, et dénoncent violemment tous ceux qui croient juste de dire non aux crimes commis par l'Etat hébreu, voire d'exiger que ceux-ci soient sanctionnés. À ceux-la on ne peut répliquer qu'en dénonçant à la fois leur manque de boussole morale et leur irresponsabilité face a l'avenir de la petite minorité juive dans le Proche-Orient arabe.
Mais il y a aussi ceux qui, tout en ne taisant pas leur critique de l'occupation et de la colonisation israéliennes et des crimes commis par l'armée coloniale, dénoncent les sanctions, et plus particulièrement celles prises dans le domaine de la recherche scientifique et de la coopération inter-universitaire. Quatre arguments étayent leur critique:
- 1/ ils dénoncent le "boycott des universitaires israéliens", alors que les motions discutées dans de nombreuses universités d'Europe et d'Amérique du Nord ne parlent pas de boycott, mais de suspension d'accords qui donnaient des privilèges aux institutions de recherche israéliennes.
Ces motions demandent de mettre fin à ces privilèges, tant que l'Etat d'Israël continue a violer les résolutions de l'ONU et les conventions internationales telles que la quatrième convention de Genève.
- 2/  pourquoi seulement Israël ? N'est-ce pas le signe d'un antisémitisme plus ou moins conscient ? Cette accusation est évidemment fausse: l'Afrique du Sud a été l'objet de sanctions, voire d'un boycott, y compris dans les domaines sportifs et universitaires, la Grèce des colonels a subi des sanctions populaires, de même que l'Espagne franquiste. De même, des mesures ont été prises, dans certaines universités américaines au moins, contre la Russie, pour dénoncer la répression anti-tchétchène.
- 3/ pourquoi sanctionner les universités qui sont à l'avant-poste du combat pour la paix et les droits des Palestiniens ? Cette critique est révélatrice des préjugés de ceux qui la soulèvent: aucun fait ne confirme cette affirmation, car les universités ont, malheureusement, été totalement silencieuses sur la violation des droits de la personne dans les territoires occupés, et les attaques systématiques contre le droit d'étudier et contre les institutions scolaires. Ce qu'une telle contrevérité révèle en fait c'est le racisme de ceux qui la défendent: c'est le peuple qui est raciste, qui viole les droits de l'homme; les intellectuels eux seraient, par définition, la conscience critique d'Israël, et nul n' a besoin de preuves matérielles pour étayer cette affirmation.
- 4/ des sanctions porteraient atteinte à la coopération universitaire israélo-palestinienne. Autre contrevérité : non seulement la coopération (très limitée) entre universités israéliennes et palestiniennes a totalement cessé dès l'an 2000, et sans qu'aucun institut israélien n'ait fait quoi que ce soit pour permettre la reprise d'une telle coopération, et ce au moment ou les institutions scolaires et universitaires palestiniennes étaient attaquées comme "bases du terrorisme", mais, ce qui est encore plus grave, aucune initiative, aucune motion, aucun appel n'ont émané des universités israéliennes pour dénoncer les obstacles immenses que l'armée d'occupation place devant l'activité scolaire palestinienne, du jardin d'enfant à l'université.
 
Parmi ceux qui, en Israël, se battent contre la violation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, y compris contre les atteintes systématiques au droit à l'éducation, il y a de nombreux universitaires. Non seulement, ils ne parlent pas au nom des institutions dans lesquelles ils travaillent, mais sont menacés de sanctions et d'exclusion, comme l'a montré l'affaire Ilan Pappé, l'été dernier. Et ils soutiennent les sanctions exigées par leurs collègues européens, pour le bien, y compris, de leurs propres universités.
Si tous ceux qui dénoncent en France la prise de sanctions contre les institutions israéliennes s'étaient mobilisés pour défendre le droit inconditionnel des Palestiniens à l'éducation, et avaient exercé une pression efficace en ce sens, il est vraisemblable qu'il n'aurait pas été nécessaire de prendre une mesure aussi controversée.
Contrairement a ce que voudraient nous faire croire Claude Lanzman, Alain Finkielkraut et autres, le débat n'est pas entre boycott et soutien à la coopération scientifique israélo-palestinienne, mais entre défense du droit à l'éducation pour tous et l'impunité pour les criminels et leurs complices.
  
Michel Warschawski
22.01.03

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