dimanche 17 octobre 2010

Réponse à celles et ceux qui critiquent le mouvement BDS


C’est le niveau élevé du soutien dont profite Israël qui rend cet Etat si prédisposé au BDS... Israël serait incapable de continuer l’occupation ne serait-ce qu’un seul jour, sans le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne. 


Au cours de ces trois dernières années (2007/2009), le mouvement de boycotts, désinvestissements et sanctions (BDS) contre Israël a fait un grand pas en avant. Beaucoup de personnes dans le monde ont répondu à cet appel, des actions d’organisations dans les supermarchés en France et en Grande-Bretagne, protestant contre les produits israéliens fabriqués ou cultivés dans les colonies, jusqu’aux cinéastes qui retirent leurs films des festivals, et aux personnalités israéliennes qui prennent publiquement position en faveur du mouvement BDS. Rien que dans une période récente, un fonds norvégien de plusieurs milliards s’est désinvesti de l’entreprise israélienne d’armement Elbit, pendant que d’autres entreprises, comme Véolia, conglomérat français impliqué dans la construction et la gestion du tramway de Jérusalem, essuyaient des revers grâce à la mauvaise publicité que le mouvement de boycott avait générée.

La liste des actions BDS qui furent couronnées de succès est devenue bien trop longue pour les énumérer toutes, et pourtant, il y a encore beaucoup de gens qui ne croient pas dans ce mouvement et qui émettent des réserves sur un certain nombre de points. Ils expriment deux préoccupations principales auxquelles il est rarement répondu, ou seulement de façon superficielle. La première c’est, pourquoi y a-t-il un mouvement de boycott contre Israël, et pas contre d’autres pays comme la Chine, le Soudan ou les Etats-Unis. Cette objection est souvent associée à l’idée que ce boycott serait inhérent à de l’antisémitisme. La seconde préoccupation met en avant que le boycott serait anti-dialogue, un argument qui va de pair souvent avec l’accusation qu’il serait une censure et constituerait une forme de punition collective.

Le boycott d’autres pays
Deux récentes déclarations publiques sur le boycott au cours de cet été, celles de Naomi Klein (1) et de Neve Gordon (2), anticipent toutes les deux la première critique, mais sans aller suffisamment loin dans leur argumentation pour démontrer pourquoi il est nécessaire de boycotter Israël et pourquoi nous ne boycottons pas d’autres pays. Gordon ne pose la question que pour l’ignorer presque complétement, pendant que Klein fournit deux explications qui, associées, commencent à former une réponse cohérente. Dans son article publié par The Nation le 8 janvier 2009, répondant à la question, pourquoi ne boycottons-nous pas d’autres pays occidentaux qui violent également les droits de l’homme, Klein dit: «Le boycott n’est pas un dogme; c’est une tactique. La raison pour laquelle la stratégie BDS doit être essayée contre Israël est pratique: dans un pays si petit et si dépendant commercialement, elle peut vraiment marcher.» Bien qu’il soit exact, cet argument ne répond pas pleinement aux critiques.

Il existe plusieurs autres raisons pour lesquelles nous ne boycottons pas certains des autres pays cités ci-dessus. De loin la plus importante, et abordée brièvement par Klein lors de son interview par Cecilie Surasky pour Alternet (1), le 1er septembre 2009, c’est que les gens à travers le monde ne boycottent pas, en réalité ils répondent à un appel au boycott qui émane de la société civile palestinienne. Klein n’est pas la première à dire cela; des vétérans de la campagne antiapartheid pour l’Afrique du Sud, dont le boycott fut un succès, ont également insisté sur la nécessité qu’il y avait de se tenir aux côtés des communautés autochtones. Le boycott est une initiative qui tient compte de ce que demande la communauté opprimée et il suit son exemple. L’idée est qu’il n’existe aucun mouvement, en dehors du Tibet dans le cas de l’oppression chinoise, ou de l’Iraq dans celui de l’occupation américaine, qui appelle la communauté internationale à un boycott. C’est important! Le mouvement BDS vient de l’intérieur de la société palestinienne et c’est ce facteur qui le rend si puissant et si efficace. S’il y avait des appels à boycott venant de l’intérieur de pays comme les Etats-Unis, la Chine ou la Corée du Nord, contre ces gouvernements oppresseurs, alors il serait intéressant d’entendre de tels appels.

La remarque initiale de Naomi Klein, où elle dit que BDS n’est pas dogmatique mais tactique, est cruciale; elle est cruciale en ce sens que le mouvement ne prétend pas que BDS puisse être utilisé avec succès dans chaque combat contre l’oppression partout où il se déroule, mais que dans certains cas d’apartheid ou d’oppression coloniale, c’est un outil hautement efficace. Le cas d’Israël s’avère particulièrement saillant parce que ce pays reçoit un montant quasiment surréaliste d’aides et d’investissements étrangers venant du monde entier, la plupart des Etats-Unis notamment grâce auxquels il bénéficie d’un statut spécial. Cela rend l’Etat israélien et ses institutions encore plus responsables de leurs actions quotidiennes devant la communauté internationale que dans le cas d’un pays comme le Soudan, fréquemment évoqué par les critiques du boycott à cause de la violence au Darfour. Cela signifie aussi, dans le cas du boycott et du désinvestissement économiques, que la communauté internationale doit cesser (à peine une punition) ses cadeaux et son soutien, au lieu de permettre à Israël de jouir de son statut spécial. C’est le niveau élevé du soutien dont profite Israël qui rend cet Etat si prédisposé au BDS, alors que pour certains des autres pays souvent cités dans les débats sur le boycott, comme dit Klein, «il y a (déjà) des sanctions très claires de la part des Etats contre ces pays.»

Dans le même article de septembre (1), Yael Lerer, éditeur israélien, interviewé aux côtés de Klein, reprend cette position: «Ces pays ne disposent pas de festivals de films, et Madonna ne va pas faire de concerts en Corée du Nord. Le problème ici, c’est que la communauté internationale traite Israël comme si c’était un Etat normal, comme si c’était un Etat européen, occidental. Et c’est cela la base de l’appel au boycott: la relation particulière que les universités israéliennes ont avec les universités européennes et celles des Etats-Unis, une relation que les universités du Zimbabwe n’ont pas. Je crois qu’Israël serait incapable de continuer l’occupation ne serait-ce qu’un seul jour, sans le soutien des Etats-Unis et de l’Union européenne.»

Celles et ceux qui critiquent BDS doivent garder à l’esprit l’aspect tactique du mouvement. Nous ne pouvons pas boycotter tous les pays dans le monde, mais cela ne veut pas dire que le BDS contre Israël ne peut être utilisé comme un outil pour obliger à reconstruire les relations entre Palestiniens et Israéliens. Cela nous amène à l’autre critique du boycott, qui l’accuse d’être anti-dialogue.

Le boycott est le dialogue
Depuis la signature des accords d’Oslo en 1994, beaucoup ont suivi ce chemin du dialogue - j’ai essayé pendant plusieurs années - et ils ont constaté que c’était une stratégie qui ne cherchait qu’à gagner du temps, pendant que le gouvernement israélien construisait sa réalité sur le terrain. Nous avons vu que dialoguer était devenu le slogan des anciens criminels pour leur permettre de se laver les mains du sang qu’ils avaient fait couler et apparaître comme des pacifiques alors qu’ils poursuivaient leurs stratégies d’oppression; le président israélien Shimon Peres a été un maître dans l’art d’utiliser de telles tactiques. J’ai constaté sur les campus universitaires aux Etats-Unis, où j’ai étudié, que le dialogue était une façon de neutraliser la confrontation, et d’aseptiser un conflit sale. Mais éviter la confrontation ne fait que favoriser le statu quo, et le statu quo, jusqu’à la campagne BDS, était en faveur de l’occupation.

Le mouvement de boycott va, bien sûr, à l’encontre de tels dialogues, mais il n’est pas contre le dialogue dans son sens véritable. En réalité, par son essence même, BDS est un mouvement qui suppose le dialogue, et qui réintroduit le sens du mot dialogue à sa juste place - celle où l’on voit une communication entre deux partenaires égaux, et non un occupant qui impose ses exigences et dicte ses conditions à l’occupé. BDS est censé promouvoir le dialogue en localisant ceux qui sont engagés dans un combat réel et constant contre le sionisme - et cela apparaît comme le plus approprié, non dans les formes économiques du boycott, mais dans ses formes culturelles et universitaires où artistes, musiciens, cinéastes, universitaires et autres personnalités culturelles, sont capables de se retrouver, de converser et construire des réseaux face aux institutions oppressives qui sont la véritable cible de ces boycotts. Là où le boycott économique crée une pression économique, le boycott culturel favorise le dialogue et la communication précisément parce qu’il rend honteux et fait fuir ceux qui collaborent directement avec le gouvernement israélien et ses institutions.

La force de toutes ces formes de BDS est dans leur reconnaissance que la vraie justice ne pourra s’exercer que quand Israéliens et Palestiniens œuvreront ensemble à une cause commune, quand ils se rendront compte que leur combat est partagé, et quand les Israéliens comprendront qu’ils doivent se sacrifier aux côtés des Palestiniens s’ils veulent une paix véritable. La force de BDS, c’est qu’il offre une alternative au combat national mené par le Hamas et le Fatah, et qu’il appelle les Israéliens à rejoindre les Palestiniens dans leur combat, à aller au-delà de cet espace, confortable, où l’on se contente de prêcher la paix, pour entrer dans le domaine de l’action qui exige une attitude qui dise «Non, pas les affaires d’abord!». En effet, BDS fournit les moyens de générer un mouvement nouveau qui peut être une réponse aux principaux partis politiques palestiniens qui ont bafoué le droit d’un peuple à résister, en dépit de leurs réalisations passées. Une part significative de ceci provient du fait que BDS permet un discours qui va au-delà de la «fin de l’occupation», qu’il pose les exigences du droit au retour et de l’égalité des droits pour les Palestiniens en Israël, comme priorités absolues.

Si Israéliens et Palestiniens peuvent construire un mouvement ensemble, s’ils peuvent lutter ensemble, alors ce mouvement incarnera le monde qu’ils souhaitent créer, un monde qui sera partagé. On le voit, BDS n’est pas une tactique pour un mouvement national; à mesure qu’il prend de la force, on verra qu’il a des ennemis des deux côtés de la fracture nationaliste. Sa force en tant que tactique réside dans sa capacité à promouvoir un mouvement qui défie le discours nationaliste. Il peut créer les conditions rendant possible un mouvement qui reconnaisse que, même si l’autodétermination nationale reste un élément central dans un monde dirigé par des nationalismes antagonistes, elle ne doit pas être contrainte aux notions traditionnelles du nationalisme, basées sur la supériorité d’une ethnie et l’exclusion d’une autre, ou sur la force des partis politiques actuels. De cette façon, BDS n’est pas anti-dialogue, au contraire, il appelle les Israéliens à faire un pas en avant en envisageant collectivement un autre type de relation sur la terre d’Israël/Palestine.

Il est temps de sortir de nos espaces de confort pour nous confronter, de ne plus nous contenter de parler de tolérance et de dialoguer pour le plaisir de dialoguer. Il est temps de réaliser qu’un peuple reconnaît déjà l’humanité de l’autre, mais qu’une politique intervient pour veiller à ce que «nous», nous ne «leur» accordions pas cette humanité. Il est temps de réaliser que ce n’est pas l’Israélien qui est la cible du BDS, mais le gouvernement israélien et les institutions israéliennes qui collaborent à l’occupation des Palestiniens, les humilient et les diabolisent. Enfin, il est temps de réaliser que BDS est une stratégie non violente, qui peut réussir, précisément parce qu’il travaille à faire évoluer doucement des attitudes et à construire des ponts vers une vision commune de la justice et de l’égalité, et parce qu’il crée économiquement un véritable sentiment de manque à gagner, par conséquent, une véritable pression sur les gouvernements et institutions israéliens, qui va au-delà d’un «processus de paix» pour la forme.



Sami Hermez 
Prépare un doctorat en anthropologie à l’université de Princeton,
et travaille sur les questions de la violence et de la non-violence.
13.10.10

Notes:
(1) - Naomi Klein: boycotter Israël sans mettre fin au dialogue sur la Palestine - Cecilie Surasky
(2) - Boycotter Israël: une stratégie, pas un principe - Neve Gordon

Source: the electronic intifada

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