En voulant à tout prix éviter l'immigration tunisienne, jusqu'à envisager la suspension de la liberté de circuler dans l'Union européenne, le gouvernement français rate une occasion de montrer sa compréhension des événements qui se déroulent de l'autre côté de la Méditerranée, soulignent Khadija Mohsen-Finan (Paris 8) et Malika Zeghal (Harvard).
Parmi les 22.000 Tunisiens arrivés sur l'île italienne de Lampedusa entre janvier et avril derniers, certains ont gagné la France, d'autres rêvent de pouvoir passer la frontière et de rejoindre un pays dont ils se sentent culturellement proches. Ils ont quitté la Tunisie avec l'espoir de trouver enfin un travail et d'échapper à la misère économique et aux mauvaises conditions de vie qui sévissent dans leur pays.
En vertu de la Convention de Schengen, l'Italie leur a accordé des titres de séjour temporaires qui leur permettent de rester légalement six mois sur son territoire. Ces titres donnent le droit de circuler dans l'espace Schengen, même si ce droit est soumis à certaines conditions. En particulier, celles de ne pas constituer une menace pour l'ordre public et de disposer de ressources suffisantes. Paris et Rome ont d'abord fait une lecture différente, voire divergente de ce droit de circulation et ont sollicité l'arbitrage de la Commission européenne sur le statut de ces ressortissants originaires d'un pays qui vient de vivre une révolution et tente péniblement de mettre en place une transition vers la démocratie. Pour la Commission européenne, ces Tunisiens ne peuvent obtenir le statut de réfugiés, leur pays n'étant pas en guerre. Ils ne peuvent pas non plus bénéficier d'une «protection temporaire» dans la mesure où leurs vies ne sont pas en danger dans leur pays. Cependant, derrière ces batailles juridiques, ces arrangements et ces compromis, le traitement de cette question revêt une dimension éminemment morale.
En effet, si les Tunisiens ont réussi à mettre un terme à des décennies d'une dictature, leur économie est dans un état catastrophique, mettant en danger la transition vers la démocratie. La croissance est passée de 5% à 0,8% et des secteurs clés comme le tourisme ne redémarrent pas. C'est pourtant dans ce contexte de difficultés économiques et sociales extrêmes que les Tunisiens ont accueilli quelques 225.000 réfugiés en provenance de Libye parmi lesquels figurent des Soudanais et des Ivoiriens qui refusent de regagner leur pays d'origine. La Tunisie a appréhendé cette question sous l'angle humanitaire.
On aurait pu s'attendre à pareil traitement de la part de la France, pays d'accueil, d'asile et des droits de l'Homme. Paris aurait en effet pu accueillir provisoirement les immigrants munis de permis de circuler dans l'espace de Shengen, en indiquant le caractère exceptionnel d'un geste dont les Français comme les Tunisiens auraient retenu le symbole. Ce geste aurait été susceptible de faire oublier les ratés diplomatiques de la France aux premières heures de la révolution tunisienne, de même qu'il aurait permis de montrer que la France percevait parfaitement l'importance des événements qui se déroulent au Maghreb. Le gouvernement français peut saisir ce moment pour rendre lisible la manière dont il envisage à présent ses rapports avec le Sud de la Méditerranée.
Avant la révolution tunisienne, Paris apportait un soutien sans faille au régime de Ben Ali en échange de la coopération tunisienne sur les dossiers du contrôle des flux migratoires et du terrorisme. La France doit à présent mesurer les bouleversements qui prennent pied au Maghreb et redéfinir son partenariat avec la Tunisie sur un pied d'égalité. Elle gagnerait également à rendre intelligible sa politique méditerranéenne en énonçant et en mettant en pratique des valeurs claires. L'opinion publique tunisienne devient, par la force des choses, un enjeu politique incontournable que la France et l'Union européenne ne peuvent ignorer. Que retiendront les Tunisiens de ces épisodes sinon qu'en France les droits de l'Homme sont peut-être bons pour les Français - en particulier ceux dits «de souche» - mais pas pour les étrangers? A l'heure où le Sud s'ouvre vers de nouveaux horizons politiques, l'Europe se referme sur elle-même.
Si les interpellations de Tunisiens dans les jardins publics, ces jours derniers, ont peut-être un caractère légal, il n'en demeure pas moins qu'elles sont choquantes dans le contexte politique d'aujourd'hui. Elles le sont d'autant plus qu'elles s'inscrivent dans le prolongement d'une politique qui a déjà tenté de mettre en place un débat sur l'identité nationale, puis sur la laïcité. Deux entreprises malheureuses qui stigmatisent les étrangers et les Français d'origine étrangère. En réalité, derrière le projet de «réformer» les accords de Schengen et de remettre en question l'acquis fondamental de la liberté de circulation se cachent un pouvoir frileux et un chef d'Etat qui tente cyniquement et avec peine de séduire un électorat d'extrême droite.
11.05.11
Srouce: mediapart
Parmi les 22.000 Tunisiens arrivés sur l'île italienne de Lampedusa entre janvier et avril derniers, certains ont gagné la France, d'autres rêvent de pouvoir passer la frontière et de rejoindre un pays dont ils se sentent culturellement proches. Ils ont quitté la Tunisie avec l'espoir de trouver enfin un travail et d'échapper à la misère économique et aux mauvaises conditions de vie qui sévissent dans leur pays.
En vertu de la Convention de Schengen, l'Italie leur a accordé des titres de séjour temporaires qui leur permettent de rester légalement six mois sur son territoire. Ces titres donnent le droit de circuler dans l'espace Schengen, même si ce droit est soumis à certaines conditions. En particulier, celles de ne pas constituer une menace pour l'ordre public et de disposer de ressources suffisantes. Paris et Rome ont d'abord fait une lecture différente, voire divergente de ce droit de circulation et ont sollicité l'arbitrage de la Commission européenne sur le statut de ces ressortissants originaires d'un pays qui vient de vivre une révolution et tente péniblement de mettre en place une transition vers la démocratie. Pour la Commission européenne, ces Tunisiens ne peuvent obtenir le statut de réfugiés, leur pays n'étant pas en guerre. Ils ne peuvent pas non plus bénéficier d'une «protection temporaire» dans la mesure où leurs vies ne sont pas en danger dans leur pays. Cependant, derrière ces batailles juridiques, ces arrangements et ces compromis, le traitement de cette question revêt une dimension éminemment morale.
En effet, si les Tunisiens ont réussi à mettre un terme à des décennies d'une dictature, leur économie est dans un état catastrophique, mettant en danger la transition vers la démocratie. La croissance est passée de 5% à 0,8% et des secteurs clés comme le tourisme ne redémarrent pas. C'est pourtant dans ce contexte de difficultés économiques et sociales extrêmes que les Tunisiens ont accueilli quelques 225.000 réfugiés en provenance de Libye parmi lesquels figurent des Soudanais et des Ivoiriens qui refusent de regagner leur pays d'origine. La Tunisie a appréhendé cette question sous l'angle humanitaire.
On aurait pu s'attendre à pareil traitement de la part de la France, pays d'accueil, d'asile et des droits de l'Homme. Paris aurait en effet pu accueillir provisoirement les immigrants munis de permis de circuler dans l'espace de Shengen, en indiquant le caractère exceptionnel d'un geste dont les Français comme les Tunisiens auraient retenu le symbole. Ce geste aurait été susceptible de faire oublier les ratés diplomatiques de la France aux premières heures de la révolution tunisienne, de même qu'il aurait permis de montrer que la France percevait parfaitement l'importance des événements qui se déroulent au Maghreb. Le gouvernement français peut saisir ce moment pour rendre lisible la manière dont il envisage à présent ses rapports avec le Sud de la Méditerranée.
Avant la révolution tunisienne, Paris apportait un soutien sans faille au régime de Ben Ali en échange de la coopération tunisienne sur les dossiers du contrôle des flux migratoires et du terrorisme. La France doit à présent mesurer les bouleversements qui prennent pied au Maghreb et redéfinir son partenariat avec la Tunisie sur un pied d'égalité. Elle gagnerait également à rendre intelligible sa politique méditerranéenne en énonçant et en mettant en pratique des valeurs claires. L'opinion publique tunisienne devient, par la force des choses, un enjeu politique incontournable que la France et l'Union européenne ne peuvent ignorer. Que retiendront les Tunisiens de ces épisodes sinon qu'en France les droits de l'Homme sont peut-être bons pour les Français - en particulier ceux dits «de souche» - mais pas pour les étrangers? A l'heure où le Sud s'ouvre vers de nouveaux horizons politiques, l'Europe se referme sur elle-même.
Si les interpellations de Tunisiens dans les jardins publics, ces jours derniers, ont peut-être un caractère légal, il n'en demeure pas moins qu'elles sont choquantes dans le contexte politique d'aujourd'hui. Elles le sont d'autant plus qu'elles s'inscrivent dans le prolongement d'une politique qui a déjà tenté de mettre en place un débat sur l'identité nationale, puis sur la laïcité. Deux entreprises malheureuses qui stigmatisent les étrangers et les Français d'origine étrangère. En réalité, derrière le projet de «réformer» les accords de Schengen et de remettre en question l'acquis fondamental de la liberté de circulation se cachent un pouvoir frileux et un chef d'Etat qui tente cyniquement et avec peine de séduire un électorat d'extrême droite.
11.05.11
Srouce: mediapart
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