Comme l’illustre la montée en puissance des partis national-populistes un peu partout en Europe, la crise financière et économique fait le lit des tenants du repli sur soi. L’histoire semble ainsi se répéter, à l’image de la montée du fascisme et du nazisme dans les années 1930, suite au krach de 1929 et à la Grande dépression.
Aujourd’hui comme hier, le responsable tout trouvé des problèmes sociaux engendrés par la crise est, pour ces forces national-populistes, l’étranger. Il en résulte les discours habituels qui stigmatisent les migrants en proposant comme solution à la crise de les renvoyer d’où ils viennent et d’éviter au maximum de les accueillir. Le pire est sans doute que ces discours des partis xénophobes ont tendance à entraîner les partis démocratiques sur le même terrain, aboutissant à la construction d’une Europe-forteresse, à mille lieues des idéaux universalistes sur lesquels la construction européenne est censée être fondée, et renvoyant au second plan les véritables causes économiques et financières de la crise.
Cette réalité est d’autant plus déplorable que les arguments national-populistes, s’ils rencontrent un succès grandissant, n’en sont pas moins fallacieux. Le problème semble dès lors, après analyse, moins concerner les migrants que le discours dominant qui les concerne. A force d’entendre les même poncifs et de voir agiter les mêmes épouvantails, les citoyens victimes de la crise finissent en effet par y croire et par préférer l’original à la copie, d’où les résultats électoraux enregistrés par les partis xénophobes et la menace qu’ils représentent pour nos démocraties. Il est donc temps de sortir de cette logique et de construire un discours alternatif fondé sur les faits et le respect des droits humains fondamentaux.
D’une part, comme l’a souligné le rapport 2009 des Nations-unies sur le développement humain: «Seules 37% des migrations dans le monde ont lieu d’un pays en développement vers un pays développé». En d’autres termes, les pays riches sont loin d’accueillir toute la misère du monde et la majorité des flux migratoires ne vont pas du Sud vers le Nord. Les migrations ne sont pas davantage un phénomène historiquement répandu, puisque les migrants ne représentent de nos jours qu’environ 3% de la population mondiale, contre 10% un siècle plus tôt. Quant à la «hausse spectaculaire» de demandeurs d’asile annoncée ces derniers mois en Belgique, elle est toute relative: 19.941 demandes d’asile ont été enregistrées en 2010 (dont la majorité en provenance d’Irak, d’Afghanistan, de Tchétchénie et du Kosovo), contre 42.691 en 2000 et 26.882 en 1993 lors des deux dernières hausses constatées.
D’autre part, l’affirmation selon laquelle les migrations auraient un impact négatif sur l’emploi des pays d’accueil est tout simplement fausse. Les études empiriques sur la question démontrent en effet le contraire. En 1980, 125.000 Cubains ont migré vers la Floride, soit une hausse de 7% de la population active. Entre 1989 et 1996, ce sont 670.000 Russes qui ont migré vers Israël, entraînant une augmentation de 14% de la population active. Dans les deux cas, l’impact sur les marchés du travail a été mineur. Ces conclusions rejoignent celles de l’impact des migrations d’Allemands de l’Est sur l’emploi en Allemagne de l’Ouest entre 1987 et 2001 suite à la chute du Mur de Berlin: l’immigration n’a pas eu d’impact sur l’emploi des travailleurs allemands, quel que soit leur niveau d’éducation. Il est important de préciser que dans tous ces cas, le contexte a permis une intégration économique et sociale des populations immigrées. Cela démontre l’importance pour les pays d’accueil de garantir les droits des migrants et de favoriser leur intégration sociale.
A contrario, les politiques restrictives actuelles ne sont pas efficaces et ont surtout pour effet de pousser les migrants dans l’illégalité et d’exacerber l’exploitation des sans-papiers qui alimente le dumping social. L’harmonisation de nos politiques européennes s’organise ainsi sous l’angle sécuritaire et, pour ce qui concerne le respect des droits humains, se fait dramatiquement par le bas. En définitive, les étrangers sont de plus en plus exclus du droit commun, isolés dans une espèce de zone de non-droit. Or l’histoire nous a appris que ce processus ne s’arrête jamais aux catégories que l’on visait à l’avance. Si l’on crée une zone de non-droit dans un État de droit, elle évolue comme un cancer: elle crée des métastases et atteint bientôt d’autres parties du corps social. A cette réalité s’ajoute le funeste spectacle d’une Europe qui, face à l’extraordinaire élan de liberté que représente le printemps arabe qui se déroule à ses portes, semble obnubilée par une pseudo-menace migratoire, en décalage total avec le sens de l’histoire.
Enfin, la tendance qui consiste à utiliser les budgets de coopération au développement pour enrayer les migrations est une impasse, comme l’ont démontré les expériences espagnoles ou françaises de ces dernières années. Non seulement les montants proposés en échange de politiques peu populaires dans les pays d’émigration sont trop faibles, mais en outre ils ont pour effet de détourner l’aide au développement des critères internationaux d’efficacité qui consistent à soutenir les stratégies de développement locales. A cette aune, les 600.000 euros affectés par le conseil des ministres du 8 avril 2011 pour prévenir les flux migratoires en Belgique est un dangereux précédent: cette somme dérisoire sera utilisée dans des pays qui ne font pas partie des dix-huit pays partenaires de la coopération belge et ne seront donc pas, si on se fonde sur les objectifs de développement, utilisés «là où c’est le plus utile», comme l’a affirmé le secrétaire d’Etat Melchior Wathelet (La Libre Belgique du 9-10 avril 2011).
En réalité, l’immigration est un phénomène incontournable, au cœur même de notre système économique et social. Même s’il est tentant de surfer sur la vague populiste et sécuritaire qui rencontre un certain succès auprès de citoyens désorientés par la crise et désinformés par le battage médiatique qui entoure les flux migratoires, il est illusoire de penser qu’on les endiguera avec des mesures administratives et policières, qui ont par ailleurs pour effet de contribuer à l’essoufflement du projet politique européen, rongé de l’intérieur par les forces national-populistes qui sont aussi des forces eurosceptiques. Il est en outre inacceptable de promouvoir une mondialisation qui garantit la liberté de circulation des capitaux plutôt que celle des êtres humains. C’est pourquoi il convient d’inverser la logique actuelle en définissant la liberté de circulation comme un droit universel auquel les Etats pourraient exceptionnellement apporter des restrictions, plutôt que comme une interdiction atténuée par les stratégies utilitaristes des pays d’accueil. Ne nous trompons pas de cible: c’est la liberté de circulation des capitaux spéculatifs qui a provoqué la crise actuelle, pas celle des êtres humains!
Arnaud Zacharie
Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11)
Benoît Van der Meerschen
Président de la Ligue belge francophone des droits de l’Homme
14.05.11
Source: cadtm (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde)
Aujourd’hui comme hier, le responsable tout trouvé des problèmes sociaux engendrés par la crise est, pour ces forces national-populistes, l’étranger. Il en résulte les discours habituels qui stigmatisent les migrants en proposant comme solution à la crise de les renvoyer d’où ils viennent et d’éviter au maximum de les accueillir. Le pire est sans doute que ces discours des partis xénophobes ont tendance à entraîner les partis démocratiques sur le même terrain, aboutissant à la construction d’une Europe-forteresse, à mille lieues des idéaux universalistes sur lesquels la construction européenne est censée être fondée, et renvoyant au second plan les véritables causes économiques et financières de la crise.
Cette réalité est d’autant plus déplorable que les arguments national-populistes, s’ils rencontrent un succès grandissant, n’en sont pas moins fallacieux. Le problème semble dès lors, après analyse, moins concerner les migrants que le discours dominant qui les concerne. A force d’entendre les même poncifs et de voir agiter les mêmes épouvantails, les citoyens victimes de la crise finissent en effet par y croire et par préférer l’original à la copie, d’où les résultats électoraux enregistrés par les partis xénophobes et la menace qu’ils représentent pour nos démocraties. Il est donc temps de sortir de cette logique et de construire un discours alternatif fondé sur les faits et le respect des droits humains fondamentaux.
D’une part, comme l’a souligné le rapport 2009 des Nations-unies sur le développement humain: «Seules 37% des migrations dans le monde ont lieu d’un pays en développement vers un pays développé». En d’autres termes, les pays riches sont loin d’accueillir toute la misère du monde et la majorité des flux migratoires ne vont pas du Sud vers le Nord. Les migrations ne sont pas davantage un phénomène historiquement répandu, puisque les migrants ne représentent de nos jours qu’environ 3% de la population mondiale, contre 10% un siècle plus tôt. Quant à la «hausse spectaculaire» de demandeurs d’asile annoncée ces derniers mois en Belgique, elle est toute relative: 19.941 demandes d’asile ont été enregistrées en 2010 (dont la majorité en provenance d’Irak, d’Afghanistan, de Tchétchénie et du Kosovo), contre 42.691 en 2000 et 26.882 en 1993 lors des deux dernières hausses constatées.
D’autre part, l’affirmation selon laquelle les migrations auraient un impact négatif sur l’emploi des pays d’accueil est tout simplement fausse. Les études empiriques sur la question démontrent en effet le contraire. En 1980, 125.000 Cubains ont migré vers la Floride, soit une hausse de 7% de la population active. Entre 1989 et 1996, ce sont 670.000 Russes qui ont migré vers Israël, entraînant une augmentation de 14% de la population active. Dans les deux cas, l’impact sur les marchés du travail a été mineur. Ces conclusions rejoignent celles de l’impact des migrations d’Allemands de l’Est sur l’emploi en Allemagne de l’Ouest entre 1987 et 2001 suite à la chute du Mur de Berlin: l’immigration n’a pas eu d’impact sur l’emploi des travailleurs allemands, quel que soit leur niveau d’éducation. Il est important de préciser que dans tous ces cas, le contexte a permis une intégration économique et sociale des populations immigrées. Cela démontre l’importance pour les pays d’accueil de garantir les droits des migrants et de favoriser leur intégration sociale.
A contrario, les politiques restrictives actuelles ne sont pas efficaces et ont surtout pour effet de pousser les migrants dans l’illégalité et d’exacerber l’exploitation des sans-papiers qui alimente le dumping social. L’harmonisation de nos politiques européennes s’organise ainsi sous l’angle sécuritaire et, pour ce qui concerne le respect des droits humains, se fait dramatiquement par le bas. En définitive, les étrangers sont de plus en plus exclus du droit commun, isolés dans une espèce de zone de non-droit. Or l’histoire nous a appris que ce processus ne s’arrête jamais aux catégories que l’on visait à l’avance. Si l’on crée une zone de non-droit dans un État de droit, elle évolue comme un cancer: elle crée des métastases et atteint bientôt d’autres parties du corps social. A cette réalité s’ajoute le funeste spectacle d’une Europe qui, face à l’extraordinaire élan de liberté que représente le printemps arabe qui se déroule à ses portes, semble obnubilée par une pseudo-menace migratoire, en décalage total avec le sens de l’histoire.
Enfin, la tendance qui consiste à utiliser les budgets de coopération au développement pour enrayer les migrations est une impasse, comme l’ont démontré les expériences espagnoles ou françaises de ces dernières années. Non seulement les montants proposés en échange de politiques peu populaires dans les pays d’émigration sont trop faibles, mais en outre ils ont pour effet de détourner l’aide au développement des critères internationaux d’efficacité qui consistent à soutenir les stratégies de développement locales. A cette aune, les 600.000 euros affectés par le conseil des ministres du 8 avril 2011 pour prévenir les flux migratoires en Belgique est un dangereux précédent: cette somme dérisoire sera utilisée dans des pays qui ne font pas partie des dix-huit pays partenaires de la coopération belge et ne seront donc pas, si on se fonde sur les objectifs de développement, utilisés «là où c’est le plus utile», comme l’a affirmé le secrétaire d’Etat Melchior Wathelet (La Libre Belgique du 9-10 avril 2011).
En réalité, l’immigration est un phénomène incontournable, au cœur même de notre système économique et social. Même s’il est tentant de surfer sur la vague populiste et sécuritaire qui rencontre un certain succès auprès de citoyens désorientés par la crise et désinformés par le battage médiatique qui entoure les flux migratoires, il est illusoire de penser qu’on les endiguera avec des mesures administratives et policières, qui ont par ailleurs pour effet de contribuer à l’essoufflement du projet politique européen, rongé de l’intérieur par les forces national-populistes qui sont aussi des forces eurosceptiques. Il est en outre inacceptable de promouvoir une mondialisation qui garantit la liberté de circulation des capitaux plutôt que celle des êtres humains. C’est pourquoi il convient d’inverser la logique actuelle en définissant la liberté de circulation comme un droit universel auquel les Etats pourraient exceptionnellement apporter des restrictions, plutôt que comme une interdiction atténuée par les stratégies utilitaristes des pays d’accueil. Ne nous trompons pas de cible: c’est la liberté de circulation des capitaux spéculatifs qui a provoqué la crise actuelle, pas celle des êtres humains!
Arnaud Zacharie
Secrétaire général du Centre national de coopération au développement (CNCD-11.11.11)
Benoît Van der Meerschen
Président de la Ligue belge francophone des droits de l’Homme
14.05.11
Source: cadtm (Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers-Monde)
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