Le mercredi 4 mai, les représentants de treize factions palestiniennes devaient signer au Caire l’accord auquel elles sont parvenues. Cette cérémonie fait suite à l’entente entre le Hamas et le Fatah survenue quelques jours plus tôt, sous l’égide de l’Egypte.
Le texte prévoit la formation d’un gouvernement de technocrates ou d’indépendants; la tenue d’élections présidentielle et législative d’ici un an; la réforme de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et une solution à la division des organes de sécurité. Comme il est prévu par les accords d’Oslo, c’est l’OLP et elle seule qui est habilitée à négocier des solutions de paix avec le gouvernement israélien (Lire «Palestinian factions sign reconciliation deal», Al-Jazeera english, 3 mai.)
Ce texte facilitera sans aucun doute la campagne de l’Autorité en faveur de la reconnaissance par l’Assemblée générale des Nations-unies d’un Etat palestinien indépendant dans les frontières de juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Il a donc suscité un rejet immédiat de la part des Israéliens — qui ont déjà commencé à prendre des mesures de rétorsion, notamment en arrêtant les paiements de taxes qu’ils collectent au nom de l’Autorité palestinienne — et un accueil très froid par l’administration américaine. Il est encore difficile de savoir comment il sera appliqué, mais le texte reflète les profonds changements qui affectent la région.
L’accord entre le Fatah et le Hamas a pris par surprise tous les observateurs qui regardaient les deux parties négocier depuis des années, sans jamais aboutir. Les raisons de cette entente sont nombreuses, certaines tenant à la situation palestinienne, d’autres à l’évolution régionale du fait, notamment, des changements en Egypte.
Les raisons du Fatah et du Hamas
Les deux partis ont été confrontés, depuis les révolutions dans le monde arabe, à la montée d’un mouvement de contestation, certes limité, mais réel. Ici, le but n’était pas «la chute du régime» mais «la chute (la fin) de la division». Les deux y ont répondu par un mélange de pressions et de répression, mais aussi en reprenant à leur compte les demandes populaires.
Plus largement, les deux organisations sont dans une impasse stratégique. Le processus de paix est mort et toute la politique du Fatah et de l’Autorité palestinienne de négociations se heurte à un refus sans faille du gouvernement israélien. Celle du Hamas aussi, qui parle de résistance, mais cherche à maintenir un cessez-le-feu avec Israël et même à l’imposer aux autres forces palestiniennes.
La frustration de Mahmoud Abbas est bien illustrée par l’article de Newsweek (24 avril) écrit par Dan Ephron, «The Wrath of Abbas». Il y raconte notamment sa conversation avec Barack Obama, qui lui demandait de retirer de la discussion du conseil de sécurité de l’ONU la résolution condamnant la colonisation israélienne. Il dénonce les pressions et même les menaces du président américain. Rappelons que cette résolution a été rejetée par une voix (prépondérante), celle des Etats-Unis, contre quatorze voix de tous les autres Etats. Il est aussi évident que le président palestinien a dû tenir compte des évolutions en Egypte — j’y reviens plus bas.
Le Hamas est aussi en difficulté sur le terrain. En plus de l’impasse stratégique, il doit faire face à des groupes salafistes, certains liés à Al-Qaida, qui lui reprochent à la fois de ne pas résister et de ne pas assez islamiser la société. D’autre part, la poursuite du blocus israélien et les difficultés quotidiennes de la population érodent en partie son influence à Gaza.
Mais d’autres raisons, liées aussi à la révolte arabe, le poussent au compromis. Les manifestations en Syrie et leur violente répression par le régime affaiblissent un de leurs alliés principaux, un allié qui abrite la direction extérieure du Hamas depuis son expulsion de Jordanie. Le fait que le cheikh Youssef Al-Qardhawi, un des prêcheurs les plus populaires de l’islam sunnite, considéré comme lié aux Frères musulmans (dont le Hamas est issu), ait fortement condamné Assad ne peut qu’amener l’organisation à prendre quelque distance, même si elle a démenti toute intention de s’installer ailleurs (Sur la situation en Syrie, on lira dans Le Monde diplomatique de mai, l’article de Patrick Seale, «Fatal aveuglement de la famille Al-Assad en Syrie»). D’autre part, les événements du Bahreïn, la violente propagande anti-chiite menée par les pays du Golfe, ont aggravé les tensions entre chiites et sunnites dans la région. Or le Hamas est non seulement partie prenante de la mouvance des Frères musulmans, mais une partie de ses fonds vient des riches hommes d’affaire du Golfe, qui ne voient pas d’un bon œil son alliance avec l’Iran. Dans ces conditions, un rapprochement avec le Fatah et surtout avec l’Egypte est une nécessité pour le Hamas.
Changements en Egypte
L’accord entre le Hamas et le Fatah reflète aussi et surtout la nouvelle politique extérieure égyptienne. Le Caire, sans rompre avec les Etats-Unis, sans remettre en cause le traité de paix avec Israël, se dégage de la politique de soumission aux intérêts israéliens et américains. Mubarak s’opposait à l’unité entre le Fatah et le Hamas, notamment parce qu’il craignait l’influence des Frères musulmans dans son pays; il considérait Gaza comme un problème sécuritaire et participait à son blocus. Alors que les Frères musulmans s’apprêtent à participer aux élections de septembre en Egypte, et peut-être même au gouvernement, ces craintes ne sont plus de mise. D’autant que le climat démocratique en Egypte permet l’expression plus forte de la solidarité avec les Palestiniens et du refus massif du blocus, dont le gouvernement doit tenir compte.
Le ministre des affaires étrangères égyptien a affirmé avec force que le point de passage de Rafah serait ouvert, qualifiant de «honteux» le blocus israélien (lire «Egypt to throw open Rafah border crossing with Gaza», Ahram online, 29 avril). Presque plus importante est la déclaration du chef d’état-major égyptien Sami Anan: celui-ci a mis en garde Israël contre toute tentative d’interférer dans la décision prise par Le Caire («Egypt warns Israel: Don’t interfere with opening of Gaza border crossing», Haaretz, 30 avril). Une autre source israélienne lui fait dire: «Le gouvernement israélien doit faire preuve de retenue quand il discute des pourparlers de paix. Il doit s’abstenir de s’ingérer dans les affaires intérieures palestiniennes.» (« Egypt to open Rafah crossing », Y-net, 29 avril).
Cette inflexion se traduit dans les relations de l’Egypte avec l’Iran, puisque l’on parle de reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Téhéran, comme Damas, a d’ailleurs salué l’accord interpalestinien. «Il y a un nouveau sentiment en Egypte, que l’Egypte doit être respectée comme une puissance régionale», explique un spécialiste égyptien de relations internationales, cité par David Kirkpatrick, («In Shift, Egypt Warms to Iran and Hamas, Israel’s Foes», New York Times, 28 avril 2011).
Alain Gresh
03.05.11
Source: les carnets du diplo
Le texte prévoit la formation d’un gouvernement de technocrates ou d’indépendants; la tenue d’élections présidentielle et législative d’ici un an; la réforme de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et une solution à la division des organes de sécurité. Comme il est prévu par les accords d’Oslo, c’est l’OLP et elle seule qui est habilitée à négocier des solutions de paix avec le gouvernement israélien (Lire «Palestinian factions sign reconciliation deal», Al-Jazeera english, 3 mai.)
Ce texte facilitera sans aucun doute la campagne de l’Autorité en faveur de la reconnaissance par l’Assemblée générale des Nations-unies d’un Etat palestinien indépendant dans les frontières de juin 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale. Il a donc suscité un rejet immédiat de la part des Israéliens — qui ont déjà commencé à prendre des mesures de rétorsion, notamment en arrêtant les paiements de taxes qu’ils collectent au nom de l’Autorité palestinienne — et un accueil très froid par l’administration américaine. Il est encore difficile de savoir comment il sera appliqué, mais le texte reflète les profonds changements qui affectent la région.
L’accord entre le Fatah et le Hamas a pris par surprise tous les observateurs qui regardaient les deux parties négocier depuis des années, sans jamais aboutir. Les raisons de cette entente sont nombreuses, certaines tenant à la situation palestinienne, d’autres à l’évolution régionale du fait, notamment, des changements en Egypte.
Les raisons du Fatah et du Hamas
Les deux partis ont été confrontés, depuis les révolutions dans le monde arabe, à la montée d’un mouvement de contestation, certes limité, mais réel. Ici, le but n’était pas «la chute du régime» mais «la chute (la fin) de la division». Les deux y ont répondu par un mélange de pressions et de répression, mais aussi en reprenant à leur compte les demandes populaires.
Plus largement, les deux organisations sont dans une impasse stratégique. Le processus de paix est mort et toute la politique du Fatah et de l’Autorité palestinienne de négociations se heurte à un refus sans faille du gouvernement israélien. Celle du Hamas aussi, qui parle de résistance, mais cherche à maintenir un cessez-le-feu avec Israël et même à l’imposer aux autres forces palestiniennes.
La frustration de Mahmoud Abbas est bien illustrée par l’article de Newsweek (24 avril) écrit par Dan Ephron, «The Wrath of Abbas». Il y raconte notamment sa conversation avec Barack Obama, qui lui demandait de retirer de la discussion du conseil de sécurité de l’ONU la résolution condamnant la colonisation israélienne. Il dénonce les pressions et même les menaces du président américain. Rappelons que cette résolution a été rejetée par une voix (prépondérante), celle des Etats-Unis, contre quatorze voix de tous les autres Etats. Il est aussi évident que le président palestinien a dû tenir compte des évolutions en Egypte — j’y reviens plus bas.
Le Hamas est aussi en difficulté sur le terrain. En plus de l’impasse stratégique, il doit faire face à des groupes salafistes, certains liés à Al-Qaida, qui lui reprochent à la fois de ne pas résister et de ne pas assez islamiser la société. D’autre part, la poursuite du blocus israélien et les difficultés quotidiennes de la population érodent en partie son influence à Gaza.
Mais d’autres raisons, liées aussi à la révolte arabe, le poussent au compromis. Les manifestations en Syrie et leur violente répression par le régime affaiblissent un de leurs alliés principaux, un allié qui abrite la direction extérieure du Hamas depuis son expulsion de Jordanie. Le fait que le cheikh Youssef Al-Qardhawi, un des prêcheurs les plus populaires de l’islam sunnite, considéré comme lié aux Frères musulmans (dont le Hamas est issu), ait fortement condamné Assad ne peut qu’amener l’organisation à prendre quelque distance, même si elle a démenti toute intention de s’installer ailleurs (Sur la situation en Syrie, on lira dans Le Monde diplomatique de mai, l’article de Patrick Seale, «Fatal aveuglement de la famille Al-Assad en Syrie»). D’autre part, les événements du Bahreïn, la violente propagande anti-chiite menée par les pays du Golfe, ont aggravé les tensions entre chiites et sunnites dans la région. Or le Hamas est non seulement partie prenante de la mouvance des Frères musulmans, mais une partie de ses fonds vient des riches hommes d’affaire du Golfe, qui ne voient pas d’un bon œil son alliance avec l’Iran. Dans ces conditions, un rapprochement avec le Fatah et surtout avec l’Egypte est une nécessité pour le Hamas.
Changements en Egypte
L’accord entre le Hamas et le Fatah reflète aussi et surtout la nouvelle politique extérieure égyptienne. Le Caire, sans rompre avec les Etats-Unis, sans remettre en cause le traité de paix avec Israël, se dégage de la politique de soumission aux intérêts israéliens et américains. Mubarak s’opposait à l’unité entre le Fatah et le Hamas, notamment parce qu’il craignait l’influence des Frères musulmans dans son pays; il considérait Gaza comme un problème sécuritaire et participait à son blocus. Alors que les Frères musulmans s’apprêtent à participer aux élections de septembre en Egypte, et peut-être même au gouvernement, ces craintes ne sont plus de mise. D’autant que le climat démocratique en Egypte permet l’expression plus forte de la solidarité avec les Palestiniens et du refus massif du blocus, dont le gouvernement doit tenir compte.
Le ministre des affaires étrangères égyptien a affirmé avec force que le point de passage de Rafah serait ouvert, qualifiant de «honteux» le blocus israélien (lire «Egypt to throw open Rafah border crossing with Gaza», Ahram online, 29 avril). Presque plus importante est la déclaration du chef d’état-major égyptien Sami Anan: celui-ci a mis en garde Israël contre toute tentative d’interférer dans la décision prise par Le Caire («Egypt warns Israel: Don’t interfere with opening of Gaza border crossing», Haaretz, 30 avril). Une autre source israélienne lui fait dire: «Le gouvernement israélien doit faire preuve de retenue quand il discute des pourparlers de paix. Il doit s’abstenir de s’ingérer dans les affaires intérieures palestiniennes.» (« Egypt to open Rafah crossing », Y-net, 29 avril).
Cette inflexion se traduit dans les relations de l’Egypte avec l’Iran, puisque l’on parle de reprise des relations diplomatiques entre les deux pays. Téhéran, comme Damas, a d’ailleurs salué l’accord interpalestinien. «Il y a un nouveau sentiment en Egypte, que l’Egypte doit être respectée comme une puissance régionale», explique un spécialiste égyptien de relations internationales, cité par David Kirkpatrick, («In Shift, Egypt Warms to Iran and Hamas, Israel’s Foes», New York Times, 28 avril 2011).
Alain Gresh
03.05.11
Source: les carnets du diplo
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