mardi 7 juillet 2009

La non-solidarité ouvrière et syndicale

Bourse du travail, mars 1938.
«J’ai honte de ceux dont je me suis toujours sentie le plus proche. J’ai honte des démocrates français, des socialistes français, de la classe ouvrière française.»
Poursuivant, l’auteure des lignes ajoute à propos des ouvriers : «Depuis des années ils voient leurs compagnons de travail nord-africains souffrir à leurs côtés plus de souffrances qu’eux-mêmes, subir plus de privations, plus de fatigues, un esclavage plus brutal.» «Y a-t-il beaucoup d’hommes, parmi les militants ou les simples membres de la SFIO et de la CGT, qui ne s’intéressent pas beaucoup plus au traitement d’un instituteur français, au salaire d’un ajusteur français, qu’à la misère atroce qui fait périr de mort lente les populations d’Afrique du Nord ?»

Ainsi s’exprimait la philosophe Simone Weil, qui dénonçait les positions des partis politiques et des syndicats du mouvement ouvrier relativement aux colonies de la République impériale et aux travailleurs «indigènes» présents en métropole. Victimes de dispositions discriminatoires et racistes dans les territoires d’outre-mer dominés par la France, ceux qu’il faut appeler «les colonisés-immigrés» subissent alors dans l’Hexagone une exploitation et une oppression spécifiques trop souvent inaperçues ou tenues pour secondaire par ceux-là mêmes qui prétendent défendre les «intérêts matériels et moraux» de tous les prolétaires. Quant à la «solidarité ouvrière», elle n’est qu’un mythe, affirme Simone Weil.

24 juin 2009.
La commission administrative de la Bourse du travail à Paris, composée de représentants de la CFDT, de la CGT, de FO, de l’Unsa et de Solidaires, publie un communiqué pour saluer la «libération» de ce lieu - c’est le terme employé, dévoyé serait plus juste - par des militants de la CGT. Libéré de qui ? Des centaines de sans-papiers qui y vivaient dans des conditions précaires depuis le 2 mai 2008 et empêchaient les réunions des «salariés», comme on peut le lire dans le même texte qui dénonce aussi «une sorte de prise en otage». Remarquable rhétorique qui n’a rien à envier, du point de vue des arguments et du vocabulaire utilisés, à celle du Medef ou du gouvernement lorsqu’ils sont confrontés à des situations voisines. Pour rétablir l’ordre dans les entreprises, par exemple, eux aussi affirment agir au nom de la liberté bafouée par des activistes irresponsables. Libéré de quelle manière ? Par la violence, de nombreux témoignages concordants le prouvent, et l’appel aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur, comme le reconnaît le secrétaire général de la commission précitée, Edgar Fisson, membre de la CGT. En effet, alors que «l’évacuation» était en cours - admirons une fois encore la délicate euphémisation du langage employé pour désigner ce qui doit être considéré comme une expulsion conduite manu militari - il s’est adressé au maire de Paris pour obtenir l’intervention de la «police».

Adéquation des discours et des pratiques qui transforment les victimes de la politique xénophobe aujourd’hui mise en œuvre par l’Etat en adversaires stigmatisés qu’il faut combattre et jeter à la rue en couvrant cette ignominie d’une phraséologie empruntée à la défense des salariés et de leurs organisations syndicales. La CGT n’est pas seule en cause. Toutes les confédérations syndicales, qui observent aujourd’hui un silence bruyant, de même les partis de la gauche parlementaire, qui n’ont pas jugé nécessaire de dénoncer cette action perpétrée à la Bourse du travail, sont concernés.

Bavure, comme certains l’affirment ? C’est oublier un long passé, celui rappelé par Simone Weil, et un long passif qui a vu, au début des années 80, certains applaudir la destruction par des bulldozers de l’entrée d’un foyer de travailleurs maliens à Vitry-sur-Seine, et la dénonciation publique de jeunes Marocains présentés comme des dealers par Robert Hue, alors maire de Montigny-lès-Cormeilles.

Plus récemment, quand Manuel Valls, confronté à des «populations de couleur», déclare qu’il faut plus de «Blancs» dans la ville qu’il dirige - Evry -, peu s’en sont émus au Parti socialiste, et nul dirigeant national, à notre connaissance, ne s’est précipité pour dénoncer ce discours. Au mieux l’indifférence, un mol soutien aux luttes des sans-papiers ou l’abandon à «l’air du temps» sécuritaire et xénophobe en espérant des jours meilleurs alors qu’une telle attitude conforte les préjugés et la stigmatisation dont sont victimes les étrangers en situation irrégulière, notamment. Au pire l’exploitation partisane et syndicale des inquiétudes des «Français» comme disent les uns, des «salariés» comme disent les autres, sur le dos de ces nouveaux parias que sont les «clandestins». Dangereuses dérives. Sinistre époque.

Olivier Le Cour Gand Maison
Enseignant à l'Université Evry-Val-d'Essonne
06.07.09
Source: www.liberation.fr

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