lundi 24 mai 2010

Une page noire de l'histoire de France dévoilée à Cannes



Le film "Hors-la-loi" de Rachid Bouchareb est présenté le vendredi 21 mai à Cannes. Le film évoque la répression par les autorités françaises d'une manifestation, le 8 mai 1945, de partisans du nationaliste algérien Messali Hadj.

Une projection du film Hors la loi est prévue le 21 mai à Alger pour les médias locaux. "Le choix de cette date n'est pas fortuit, puisqu'au même moment ce film sera projeté à Cannes pour la presse internationale", rappelle le quotidien algérien Le Temps, expliquant que cette projection va permettre "aux journalistes algériens d'éclairer les lecteurs sur ce film tant attendu".

Comment un film que personne n'a vu suscite-t-il une telle polémique ? Une campagne de dénigrement a été menée. A sa tête, le député UMP des Alpes-Maritimes, Lionel Luca, qui accuse le film – sans l'avoir vu bien sûr – de falsifier l'Histoire. Evidemment, l'extrême droite a saisi la balle au bond, promettant déjà une "croisade sur la Croisette".

Le film revient sur les événements du 8 mai 1945, au lendemain de la victoire des Alliés sur l'Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Les Algériens, dont beaucoup ont contribué à la libération de la France occupée et collaborationniste, ont manifesté dans l'esprit du combat qui s'est déroulé en Europe pour la liberté et la libération. Et une répression hallucinante et sanglante s'est abattue sur les populations de Sétif, Guelma et Kheratta : 45 000 morts, tous des civils. Le film de Bouchareb dérange parce qu'il met le doigt sur cette page sombre, un massacre contre des civils qui a tous les ingrédients d'un génocide, à l'exemple de celui des Arméniens (reconnu officiellement par l'Assemblée nationale française) ou celui des Tutsis rwandais (dans lequel l'Etat français a été partie prenante).

Les Français redoutent l'impact que représenterait une éventuelle distinction cannoise pour "Hors-la-loi". Des intellectuels se sont inquiétés, dans le quotidien Le Monde, du fait que "des pressions aient été exercées sur les chaînes de France Télévisions pour ne pas coproduire le film ainsi que sur les responsables de la sélection officielle du Festival de Cannes pour qu'il ne soit pas programmé dans la sélection officielle, alors que le producteur a été l'objet de demandes inhabituelles émanant de la présidence de la République et du secrétariat d'Etat à la Défense et aux Anciens Combattants pour visionner – dans quel but ? – le film avant la date de sa présentation à Cannes."

Ces intellectuels ont tenu à dénoncer la "campagne" lancée contre le film de Rachid Bouchareb. Elle traduit, estiment-ils, le "retour en force de la bonne conscience coloniale dans certains secteurs de la société française, avec la complicité des gouvernants". Et d'ajouter: "Ceux d'entre nous qui ont été invités comme historiens à voir le film ont aussi des réserves précises sur certaines des évocations du contexte historique de la période. Mais le travail d'un réalisateur n'est pas celui d'un historien et n'a pas à être jugé par l'Etat. Personne n'a demandé à Francis Ford Coppola de raconter dans Apocalypse Now la guerre du Vietnam avec précision historique."

Le cinéma colonial français faisait des films qui dressaient généralement un portrait caricatural des Algériens et des Arabes en général. Les personnages étaient sans profondeur, interchangeables et intemporels, et étaient toujours joués par des acteurs français. Le film Le Désir (1928) d'Albert Durec, qui aborde le sujet de la polygamie, est un parfait exemple de l'approche superficielle du cinéma français durant la période coloniale. Ce cinéma montrait l'Algérien comme un être sans parole et évoluait dans des décors et des situations "exotiques", comme l'avaient fait les premiers peintres qui avaient accompagné les militaires français. Le tableau Les Femmes d'Alger dans leur appartement de Delacroix est très significatif. Pour comprendre les raisons de cette prise de conscience chez le peuple algérien, il faut revenir sur l'essence profonde de ce que fut le système colonial français. Tout d'abord, il faut voir que la présence française ne reposait sur aucune légitimité. L'Algérie a été conquise par la force dès 1830 et allait se voir imposer une domination qui devait aboutir à la déstructuration complète de sa société…

Belkacem Rouache
21.05.2010
Source: courrier international

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