En ces temps de désaveu fréquent de la politique, marqué notamment par l'abstentionnisme des jeunes (près de 70 % n'ont pas voté aux élections européennes de juin), ce qui s'est passé à Notre-Dame-des-Landes, en Loire-Atlantique, du 3 au 10 août, est non seulement rafraîchissant, mais prometteur.
Des associations locales en lutte contre un projet d'aéroport au nord de Nantes y avaient organisé une "semaine de la résistance", à laquelle se sont associées de nombreuses organisations écologiques et politiques de gauche. S'y est inclus, pour la première fois en France, un "camp action climat", illustrant une coupure générationnelle : alors que des militants valeureux mais tannés par l'expérience se retrouvaient du côté de la semaine de la résistance, le "camp" réunissait la majorité des jeunes, plus séduits par cette nouvelle forme d'engagement.
Inaugurés en Angleterre en 2006 et toujours inscrits dans une lutte concrète, les "camps action climat" visent à articuler une pratique écologique et une vie collective démocratique. La démarche suscite un intérêt croissant, puisqu'une dizaine d'initiatives similaires ont été (ou vont être) organisées cet été en Angleterre, Irlande, Danemark, Allemagne, Belgique, Etats-Unis, etc.
A la base, le désir de mettre en pratique le mode de vie écologique que l'on recommande pour la société : "Tout le monde en a marre du bla-bla, il faut bouger, montrer l'exemple", dit Pauline, une des participantes du "camp" (la plupart d'entre eux ne souhaitent pas que soit indiqué leur nom, voire leur prénom). Idée sous-jacente : on ne peut pas changer la société si on ne change pas individuellement.
Le "camp" a ainsi démontré la possibilité d'une vie sobre et à impact écologique faible. Eoliennes, plaques solaires et générateur à huile végétale assuraient une quasi-autonomie énergétique (la cuisine requérant cependant du bois et du gaz). Les participants se passaient d'équipements consommateurs d'électricité (sauf les téléphones portables), et il n'y avait pas de lumières le soir sauf dans les espaces communs. L'eau était fournie par un agriculteur voisin. Les toilettes étaient sèches, les excréments mélangés à la sciure constituant un compost récupéré pour l'agriculture. La nourriture était issue d'agriculture biologique. Pas de viande, bien sûr, ce qui a été une nouvelle expérience pour beaucoup, et trois boulangers préparaient du pain à base de farine biologique.
Mais il s'agit aussi d'expérimenter une nouvelle façon de s'organiser et de décider en commun. Le site Internet du camp en résume la philosophie : "Les gens peuvent s'organiser de façon non hiérarchique, sans qu'il y ait un(e) dirigeant(e) pour les y forcer ou leur montrer comment faire (...). La coopération basée sur des accords volontaires entre les gens eux-mêmes est plus inventive, plus efficace et surtout plus juste pour affronter les enjeux écologiques et sociaux actuels."
Aussi bien dans les villages qu'à l'assemblée générale quotidienne, les décisions sont ainsi prises au consensus. Il n'y a pas de porte-parole, pas d'élu, pas de vote ; mais des discussions qui doivent se poursuivre jusqu'à l'atteinte du consensus sur les sujets débattus. "Le consensus, explique Jean-Pierre, cela signifie que les gens qui ne sont pas d'accord avec la décision sont invités à exprimer la raison pour laquelle ils ne sont pas d'accord, et la décision peut être modifiée de façon à trouver une troisième voie qui va convenir à tous."
Pourquoi refuser le vote ? "Dans le vote, dit C., 50 % des gens sont contents et 50 % insatisfaits. L'intérêt de la prise de décision au consensus, c'est de recueillir l'adhésion pleine de la personne, et donc d'avoir une implication et une appropriation de la décision par chaque personne, parce que chacun y a contribué. C'est de la démocratie, mais pas représentative." Des procédures particulières aident à la discussion. Un langage de signes permet d'exprimer son opinion sans parler (par exemple, main agitée en l'air signifie l'accord).
Des volontaires sont facilitateurs de la discussion, scribes ou scrutateurs de sensations (pour s'assurer que certains ne sont pas exclus ou repliés sur eux-mêmes). "Ce système permet une vraie qualité d'écoute entre des gens aux positions totalement opposées, assure Jean-Pierre. On n'est plus dans un rapport de force, mais dans un rapport d'intelligence." "Les femmes ont vachement de place, observe Laurence, c'est un indicateur que cela se passe bien."
Il reste que le refus de la politique institutionnelle et du système des partis, fréquent chez les participants de ces "camps", est discutable. "Ce n'est pas parce que nous sommes déçus par la pratique politique qu'il faut laisser la politique à ceux qui nous ont déçus", dit Corinne Morel-Darleux, présente pour le Parti de Gauche à la semaine de la résistance.
Certes. Mais les démocrates classiques et sincères ont tout intérêt à entendre ce que leur disent les démocrates écolo-autonomes. Pour autant, bien sûr, qu'ils veuillent redonner vie à un système politique qu'une large partie du peuple ressent de plus en plus comme une coquille vide et illégitime.
Hervé Kempf
16.08.09
Source: lemonde.fr
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