A travers la crise politique au Honduras, la politique étrangère envers l’Amérique latine |1| de l’administration Obama se révèle au grand jour. Alors que son prédécesseur, embourbé en Irak ne parvenait plus à maintenir un sous-continent en ébullition, la nouvelle administration Obama parvient à détourner momentanément l’opinion publique de la guerre en Irak et en Afghanistan tout en réaffirmant sa présence en Amérique latine. Les Etats-Unis n’en peuvent plus de contempler la vague progressiste de gouvernements de gauche déferler sur le continent sans rien faire, d’autant que celle-ci se rapproche dangereusement, jusqu’en Amérique centrale : Le Nicaragua a élu le sandiniste Daniel Ortega au premier tour de l’élection de 2006 et le Salvador vient d’élire Mauricio Funes du FLMN (Frente Farabundo Marti para la Liberacion Nacional) en mars 2009 qui a aussitôt renoué ses relations diplomatiques avec Cuba. |2| Comment, dans ce contexte, laisser Manuel Zelaya, président du Honduras, adhérer à l’ALBA et rejoindre ainsi les pays qui tentent de satisfaire les besoins humains fondamentaux pour tou-te-s avant les intérêts d’une minorité ?
Déploiement de forces américaines :
Comme convenu dans le programme politique pré-électoral de Rafael Correa, la base américaine de Manta sur le territoire équatorien n’est pas renouvelée et prend fin en 2009. Pour contrebalancer cette perte, Washington, réplique en se déployant sur sept bases militaires en territoire colombien (Palanquero, Malambo, Apiai, Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio et Hacienda Larendia). |3| La Colombie, allié stratégique des Etats-Unis fait office “de porte avion” militaire.
Un mois seulement après le coup d’Etat militaire du Honduras, ce déploiement de force ouvre une crise diplomatique à l’échelle du continent. Le président colombien parle d’un « accord de coopération contre le narcotrafic, le terrorisme et d’autres délits » qui laisse augurer du pire. On craint une accélération de la course aux armements en Amérique latine, alors que « l’argent que des pays comme le Chili, le Brésil et le Venezuela dépensent pour l’importation d’armes, sert à remplacer un équipement obsolète ». (...) « Ils modernisent leurs armements qui datent pour la plupart d’il y a plus de 20 ans, certains même du temps de la guerre froide. » explique Carina Solmirano, l’une des chercheuses de l’Institut international de recherche pour la paix à Stockholm. |4| En réponse à ce déploiement de force américano-colombien, les gouvernements progressistes opposés à Washington sont incités à entrer dans la course à l’armement. Les autres suivront sans aucun doute la surenchère...
Afin de désamorcer cette véritable bombe à retardement, Alvaro Uribe, président colombien d’extrême droite, ultra conservateur et puissant allié des Etats-Unis, réalise une tournée express dans 7 pays (Bolivie, Pérou, Brésil, Chili, Uruguay, Paraguay, Argentine) sans pour autant calmer cette nouvelle crise diplomatique. Hormis le Pérou, autre soutien indéfectible de la Colombie et de Washington, les autres voisins d’Alvaro Uribe envoient des mises en garde plus ou moins virulentes et l’Argentine propose, depuis le sommet de l’Unasur, un sommet extraordinaire sur la question. Déjà, fin juillet, Miguel Angel Moratinos, ministre espagnol des affaires étrangères, après une rencontre avec son homologue brésilien Celso Amorim, lui-même préoccupé par cet accord militaire, avait prié les Etats-Unis « d’éviter une militarisation » de l’Amérique latine. La pression diplomatique aidant, la vice-présidente du gouvernement espagnol, Maria Teresa Fernandez de la Vega a soutenu officiellement la Colombie dans son « acte souverain », rectifiant les dires de son ministre tout en confirmant l’alignement de l’Espagne avec les États Unis. Mais de quelle souveraineté parlent-ils lorsqu’en plus d’être un prétexte pour livrer une guerre politique impérialiste, la guerre que mènent les Etats-Unis contre la drogue se fait à l’extérieur de ses frontières pour d’autres motifs, allant jusqu´à violer l’espace aérien de l’Equateur pour le bombarder (un campement des FARC en territoire équatorien fut bombardé en mars 2008 par l’armée colombienne appuyée par les Etats-Unis, tuant 17 guérilleros dont Raoul Reyes). Le peuple colombien fatigué par tant de violence se prononcerait-il pour cette militarisation si seulement il avait l’occasion de s’exprimer ? L’Espagne, a assuré Maria Teresa Fernandez de la Vega lors d’une conférence de presse, « sera toujours aux côtés des Colombiens dans la lutte pour l’éradication de la violence ». Sans peur de l’absurde, elle insiste : « Nous travaillerons toujours à la recherche d’accords, pour que les conflits se résolvent, pour que les tensions disparaissent... », un comble quand il s’agit d’établir de nouvelles bases militaires américaines. |5| Hugo Chavez, quant à lui, parle de « vents de guerre [qui] commencent à souffler » sur la région et assure qu’il est « évident que l’ordre [du coup d’Etat au Honduras] fut donné depuis la base américaine de Palmerola », située au Honduras et d’où partaient les offensives contre le Nicaragua sandiniste. |6| Avant le coup d’Etat, Manuel Zelaya, reprenant un rapport de la Aeronáutica Civil, avait déclaré qu’il transformerait cette base militaire en aéroport international civil afin de soulager l’aéroport de Tegucigalpa, considéré comme un aéroport dangereux. |7|On comprend tout de suite mieux l’empressement américain devant la possible perte de deux bases militaires.
Les relations diplomatiques avec le Honduras se poursuivent
Après les grandes déclarations condamnant le coup d’Etat, on se rend bien compte que les relations diplomatiques se poursuivent, la dictature du Honduras est malgré tout reconnue. L’Union européenne appuie des élections anticipées organisées par le régime putschiste, tandis que l’ALBA et l’Unasur s’engagent à ne pas reconnaître un gouvernement qui sortirait vainqueur de ces élections. Certains partis et candidats parlent déjà de se retirer. Le Pérou conserve son ambassadeur en poste au Honduras : « C’est inexplicable qu’il n’ait pas adopté cette décision [de retirer immédiatement son ambassadeur à Tegucigalpa] jusqu’à maintenant » soutient l’ex-ministre des relations extérieures du Pérou, Manuel Rodríguez. |8| Carmen Ortez Williams, ambassadeur du Honduras à Buenos Aires a été relevé de ses fonctions jeudi 13 août et à partir de maintenant, « la relation diplomatique entre l’Argentine et le Honduras se réalisera à travers l’ambassade du Honduras aux Etats-Unis », explique Patricia Rodas, ministre des affaires étrangères en exil du gouvernement Zelaya. Les relations ne seront donc pas rompues pour autant. |9| L’OEA, qui a suspendu le Honduras début juillet juste après que le Honduras se soit lui-même retiré, viendra vraisemblablement en mission à Tegucigalpa pour tenter de trouver une sortie de crise via les accords de San José. Les trois représentants de Micheletti qui faisaient partie de la négociation au Costa Rica, Vilma Morales, Mauricio Villeda et Arturo Corrales, se rendent à Washington (leurs visas diplomatiques n’ont pas été annulés) pour négocier la composition de la mission de l’OEA, avoir des entrevues avec des membres du Congrès, des fonctionnaires du Département d’Etat américain et des médias. |10|
On est non seulement en droit de se demander dans quelle mesure on peut négocier avec des putschistes qui violent la constitution, mais on ne peut par ailleurs accepter une amnistie politique incluse dans les accords de San José. |11| Les responsables de violations continues des droits de l’homme telles que les assassinats, détentions arbitraires, disparitions et tortures, ne peuvent jouir d’une amnistie et doivent être jugés par des tribunaux adéquats. Le CADTM réaffirme son soutien inconditionnel à la lutte du peuple hondurien pour le retour de la démocratie, le rétablissement du processus d’Assemblée constituante et le jugement des responsables de violation des droits humains
Alors qu’une nouvelle répression a eu lieu le 14 août à Cholona, blessant de nombreux manifestants dont deux journalistes, le CADTM salue le remarquable travail réalisé par le Front de Résistance des avocats contre le coup d’Etat pour traduire en justice les auteurs des actes barbares constatés sur la population.
Jerôme Duval
19.08.09
Notes:
|1| Amérique latine est une expression contestable : elle se réfère à Amerigo Vespucci, navigateur italien alors qu’il faudrait ressusciter le terme « Abya Yala », « terre dans sa pleine maturité », choisi par les peuples originaires pour désigner le continent.
|2| Pays (re)passés à gauche depuis 2000, chacun à des niveaux très différents : Venezuela, Chili, Argentine, Brésil, Bolivie, Uruguay, Équateur, Nicaragua, Paraguay, Salvador. Le cas du Honduras est particulier puisque son président, Manuel Zelaya est un « social démocrate » qui, avant son expulsion du pays par le coup d’Etat a tenté d’effectuer un virage à gauche (forte hausse du salaire minimum par décret, adhésion à l’ALBA, volonté de mettre en place une Assemblée constituante, …)
|3| Bases américaines dans la région en 2009 : Guantanamo, Cuba ; Roosevelt Roads et Fort Buchanan, Puerto Rico ; Soto Cano à Palmerola, Honduras d’où partaient les offensives contre le Nicaragua sandiniste ; Comalapa, El Salvador : Curazao et Aruba se sont ajoutés avec le Plan Colombia ; Valle de Huallaga, Pérou ; Tres Esquinas, Puerto Leguizamo, Villavicencio et Hacienda Larendia, Colombie. Manta en Equateur sera remplacé par Palanquero, Malambo et Apiai. Source : La crisis de Honduras en el marco del nuevo Sistema Internacional de Defensa, Elsa M. Bruzzone et José Luis Garcia, 05/08/2009.
|4| http://www.rfi.fr/actufr/articles/1...
|5| "Siempre trabajaremos para buscar acuerdos, para ayudar a que los conflictos se resuelvan, para que las tensiones desaparezcan y para que todos trabajemos en los objetivos que tenemos delante más importantes", http://www.rtve.es/noticias/2009080...
|6| http://es.noticias.yahoo.com/9/2009...
|7| http://www.radiolaprimerisima.com/a...
|8| http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|9| http://www.telesurtv.net/noticias/s...
|10| El Heraldo, vendredi 14 août 2009. El Heraldo est un des quotidiens les plus lus au Honduras. Il soutient le coup d’Etat comme tous les autres ; seul le mensuel El Libertador informe sur la répression et l’oligarchie putschiste.
|11| Les Accords de San José sont issus des négociations orchestrées par le président du Costa Rica, Oscar Arias, et supervisées par les Etats-Unis. Ces accords impliquent entre autres un gouvernement de « réconciliation et d’union nationale » comprenant différents représentants de divers partis politiques en attendant les prochaines élections présidentielles ; une amnistie générale pour les délits politiques en relation avec ce conflit et l’interdiction de toute consultation populaire appelant à une assemblée constituante. http://www.opalc.org/index.php?opti....
Source: CADTM
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