« La situation actuelle de l’insécurité alimentaire mondiale ne peut pas nous laisser indifférents », affirmait Jacques Diouf, directeur général de la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture), le 19 juin 2009 lors de la présentation du dernier rapport sur la faim dans le monde (1).
« Indifférent », dit-il… Mais de quoi parle-t-on déjà ? De la brève en bas de page dans le journal ? Certes l’indifférence tue, mais qui sont les indifférents au juste ? Ceux qui donnent aux mendiants en bas de chez eux sachant qu’ils ne changeront rien au fond du problème, ceux qui ne donnent pas car trop préoccupés par leurs propres survies, les avares fortunés, ou bien ceux qui, malgré les beaux discours, encouragent cet assassinat massif programmé en toute connaissance de cause par des politiques néolibérales ?
Le nombre d’affamés sur terre ne cesse d’augmenter depuis le milieu des années 1990. Selon les nouvelles estimations publiées par la FAO, la faim dans le monde bat un nouveau record historique en 2009 : l’humanité compte désormais 1 milliard 20 millions de personnes victimes de la faim, soit une personne sur six, principalement au Sud. En un an, ce sont plus de 100 millions de personnes supplémentaires qui sont venus grossir le rang de celles en état de sous-alimentation chronique. Sur tous les continents, la famine se répand, le tableau est déjà monstrueux, odieux, insupportable et la FAO annonce une augmentation de 11% pour l’année 2009. S’il fallait une donnée pour prouver l’échec du capitalisme néolibéral mondialisé, en voilà une qui résume tant ! Alors que nous produisons suffisamment de nourriture pour nourrir l’humanité entière, les peuples crèvent de faim. Quelle en est la logique hormis celle du profit avant l’homme ? Celle de la loi du plus fort dénuée de morale au service du commerce ? L’important est de rembourser les créanciers, exporter et enrichir les multinationales de l’agrobusiness, le reste n’est qu’anecdotique. Même l’aide alimentaire gérée par le PAM (Programme alimentaire mondial) est ambigüe : quand elle ne sert pas à écouler les stocks en surplus, elle en arrive à proposer des aliments transgéniques à des pays du Sud qui y sont réfractaires afin d’accroître les profits de cette agro-industrie. (2)
Le G8 (3) s’est empressé d’inclure le sujet à son ordre du jour, mais comment ce G8 peut-il agir pour des politiques réellement émancipatrices en matière de souveraineté alimentaire alors qu’il est au service des grands créanciers et des sociétés multinationales ? Renoncera-t-il aux politiques qu’il a lui-même fait mettre en œuvre par le FMI et la Banque mondiale, engendrant pauvreté et famine ? Il n’avait pas daigné agir lors des émeutes de la faim au début 2008 (4). En plus d’être illégitime, le G8 est incapable d’éradiquer la misère et la faim, tout autant que le FMI et la Banque mondiale. Agissant de concert, ce trio infernal accompagné de l’OMC n’a fait qu’aggraver la misère humaine du plus grand nombre tout en augmentant les profits de quelques-uns. Et pour couronner le tout, il sauve la mise aux responsables de la crise financière en cours. Voilà pourquoi nous devons instaurer un Tribunal compétent en la matière, faire un audit des effets de leurs politiques sur les populations et juger les responsables pour crime contre l’humanité.
Les politiques d’ajustement mises en œuvre par ces mêmes institutions sont en effet responsables de la scandaleuse augmentation de la faim : l’agriculture intensive principalement dédiée à l’exportation pour permettre le remboursement de la dette est imposée au détriment d’une agriculture familiale génératrice de sécurité alimentaire. L’exode rural et la surpopulation des bidonvilles à la périphérie des mégapoles en sont la conséquence directe. La Banque mondiale promeut l’expansion des agro-carburants, réduisant ainsi la surface cultivée pour l’alimentation. Les pays membres de l’ONU se sont engagés, à travers les Objectifs du Millénaire pour le développement, à réduire de moitié la population souffrant de la faim entre 1990 et 2015. En juin 2008, les pays membres de la FAO avaient réaffirmé cette volonté. On ne se bat pas pour abolir la torture de la faim, on se contente de vouloir la réduire de moitié. Pourquoi ne pas en réclamer l’éradication totale ? Comment se contenter de ce timide objectif, qui plus est irréalisable dans un contexte capitaliste ? Encore une promesse qui ne sera pas tenue.
Jusqu’à quand allons-nous supporter ce crime contre l’humanité ? Un sixième de la population est quotidiennement menacé de disparition complète de la surface du globe. Combien d’hommes et de femmes faudra t-il sacrifier sur l’autel du profit pour mettre fin à cette logique capitaliste mortifère ?
La définition du mot génocide telle qu’elle est utilisée en droit international s’applique pour la destruction de groupes ethniques, politiques, « raciaux » ou religieux et non pour une classe sociale appauvrie et affamée. Pourquoi ? Élargissons la définition aux classes sociales, on est effectivement en droit d’appliquer le terme ’génocide’ pour un tel massacre. C’est un ’génocide de classe’ à grande échelle, et pas des moindres au regard des chiffres.
La terminologie fait débat et, comme le dit Sven Lindqvist (5), sans rien enlever à la particularité de l’Holocauste, elle doit aussi s’appliquer entre autre à « la traite des esclaves par les Européens qui a déplacé par la force quinze millions de noirs d’un continent à l’autre et qui en a tué peut être autant ». Il ajoute : « Le pas entre massacre et génocide ne fut pas franchi avant que la tradition antisémite ne rencontre la tradition du génocide qui avait surgit durant l’expansion européenne en Amérique, en Australie, en Afrique et en Asie ». (6)
Le capitalisme engendre ce génocide de classe sociale au niveau mondial et tant qu’il demeurera, incapable de partager les richesses et de faire en sorte que chacun subvienne à ses besoins, nous serons là pour le combattre.
Jérôme Duval
Source : bulletin CADTM France, Nº 39, http://www.cadtm.org/spip.php?rubrique53
(1) Voir sur le site de la FAO : http://www.fao.org/news/story/fr/item/20690/icode/
(2) En 2002, alors que 13 millions de personnes sont menacée par la famine, les Etats-Unis proposent l’envoie de mais génétiquement modifié à 5 pays d’Afrique australe. Seule la Zambie refusera.
(3) Le G8 doit se tenir à L’Aquila, en Italie du 8 au 10 juillet 2009.
(4) Des émeutes dites de la faim ont eu lieu dans une trentaine de pays lors de l’augmentation fulgurante des prix des denrées alimentaire en 2008.
(5) Sven Lindqvist, Exterminer toutes ces brutes, L’Odyssée d’un homme au cœur de la nuit et les origines du génocide européen, Le Serpent à Plumes, 2002.
(6) Ibid. p.210
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