ENQUETE
Roberto Hernandez Montoya est président de la Fondation centre d’études latino-américaines Romulo Gallegos (CELARG) au Venezuela.
Vous avez présenté en avril dernier devant l’Organisation des États américains (OEA) un travail portant sur le «totalitarisme médiatique». Que recouvre ce concept ?
Roberto Hernandez Montoya: Ce concept recouvre un changement de civilisation. Hier, il existait une presse engagée, de droite comme de gauche, ou encore religieuse. Mais elle n’était pas organisée comme le sont les grandes sociétés, les corporations. Cette presse avait ses tendances idéologiques, politiques mais elle n’était pas un tout global au sens où aujourd’hui, quelques médias - le Washington Post, Fox News, CNN - marquent la cadence des informations, et leur contenu. Ce sont des épicentres de l’information qui la répandent. Si l’on prête attention d’ailleurs, une information est parfois répétée avec les mêmes erreurs orthographiques. Les médias réagissent aux évènements extrêmement ressemblants. Il s’agit d’une domination tant idéologique que corporative. Le totalitarisme médiatique produit de l’idéologie néolibérale mais également des phénomènes dangereux, voire criminels. Les États-Unis ont menti sur les « armes de destruction massive » en Irak. Le totalitarisme médiatique les a suivis pour justifier l’invasion du pays, devenant à son tour une arme de destruction massive. Cette invasion a coûté la vie à plus d’un million d’Irakiens. Le totalitarisme médiatique n’est pas partagé mais ordonné. Des milieux autour des pouvoirs militaires dits complexes militaro-industriels, orientent, décident. Ils procèdent à la création des ennemis, comme au temps de l’Inquisition où quiconque n’obéissait pas à l’orientation générale de l’Église était accusé d’hérétique. Le droit à la défense a été aboli. Actuellement, nous vivons une situation similaire. Prenons le cas des talibans. Hier, c’étaient des héros. Le président Ronald Reaggan les appelait « les combattants de la liberté ». Parce qu’ils luttaient contre l’Union soviétique, ils étaient forcément bons. Aujourd’hui, ils incarnent le mal, parce qu’ils agissent de leur propre chef. Lorsque Saddam Hussein faisait la guerre à l’Iran, personne ne trouvait rien dire. Mais lorsqu'il a commencé à agir pour son compte, il est devenu l’ennemi à abattre. L’impérialisme est un maître assez nerveux.
Un cas d’école : le coup d’État au Honduras…
Roberto Hernandez Montoya: Ce coup d’État ressemble, de manière assez suspecte, à celui perpétré contre Hugo Chavez en 2002. On a séquestré un président. On a dit qu’il avait démissionné, ce qui n’est pas vrai dans les deux cas. On a dit que ce n’était pas un coup - d’État. Au Venezuela on a parlé d’une vacance de pouvoir ; au Honduras, d’un acte soit disant constitutionnel. Et puis il y a la révolte et la répression des masses. C’est une nouvelle façon de faire des coups d’État. Dans le cône sud (Chili, Argentine, Uruguay), après les coups d’État, il était impossible d’agir. Il s’agissait d’immobiliser les masses. Aujourd’hui, c’est différent. On assiste à des coups d’État « en douceur », des guerres de quatrième génération. Tout commence par des manifestations souvent menées par des étudiants de droite puis des mobilisations de la couche moyenne. Et puis des activités déjà codifiées se mettent en place. Il existe des manuels pour ce faire.
Le traitement médiatique de ces événements participe-t-il, même à son corps défendant, de la stratégie politique ?
Roberto Hernandez Montoya: Le coup d’État au Venezuela était un coup d’État médiatique. Pour la première fois au monde, les médias ont tout organisé. Ils ont appelé à une manifestation assez grande qui a dévié vers le palais présidentiel. Et puis on a placé des snippers qui ont tué dix-neuf personnes dont quinze étaient chavistes. Ils voulaient provoquer une situation de violence pour accuser Hugo Chavez de violation de droits de l’homme. Ils ont mis en place un scénario qui était un pur mensonge. Il a fallu un autre film d’analyse des évènements pour montrer que le gouvernement n’était pas responsable des morts. Concernant le Honduras, les médias se sont trompés sur la réaction de Barack Obama. Le président a parlé de façon assez claire contre le coup d’État. La situation aux États-Unis est complexe, notamment à droite. Mais des secteurs autour d’Obama continuent d’agir, avec l’aide des bases américaines présentes dans la région, et au Honduras.
Dans quelles mesures les nouvelles technologies, notamment Internet, jouent-elles un rôle pour briser ce mur médiatique ?
Roberto Hernandez Montoya: J’ai écrit il y a quelques années une réflexion intitulée « Nouveaux médias contre vieux coups d’État ». Au moment du coup d’État au Venezuela, Internet et les téléphones portables ont encerclé les médias traditionnels. Lorsqu’ils se sont rendu compte que le coup d’État échouait, ils ont fini par se démobiliser.
Les médias se substituent-ils aux partis d’opposition ?
Roberto Hernandez Montoya: Oui. Ils agissent comme des partis politiques.
Entretien réalisé par Cathy Ceïbe
Source: L'Humanité
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