Tandis que les Suisses rejetaient, par près de 70 %, une proposition visant à bannir les exportations de matériel de guerre, ils votaient massivement en faveur de l’interdiction des minarets. Comme le note le site du quotidien suisse Le Temps le 29 novembre : « Contrairement à ce qu’avaient prédit les sondages, l’initiative contre la construction des minarets est acceptée à une large majorité, avec 57,5% des voix (résultats officiels). La majorité des cantons est acquise. Dix-neuf et demi d’entre eux sont en faveur de l’initiative, la palme revenant à Appenzell Rhodes-Extérieures (71,5%) et Glaris (68,8%). Seules exceptions, à Genève (59,7%), Bâle-Ville (51,6%), Vaud (53%) et Neuchâtel, le Non l’emporte. Le Conseil fédéral prend acte du résultat dans un communiqué qui tend la main aux musulmans. »
Dans son éditorial « La peur et l’ignorance », sur ce site, François Modoux écrit :
« L’image maudite qui colle à l’islam depuis de nombreuses années – un intégrisme religieux qui se décline dans des formes aussi choquantes que le terrorisme, la charia, la burka, la lapidation des femmes infidèles, etc. - est certes en total décalage avec la réalité de l’islam vécu par la très grande majorité des musulmans en Suisse. La campagne l’a très bien démontré, elle qui a amené les musulmans du pays à se présenter au grand jour et à s’expliquer sur leurs valeurs, lesquelles puisent à un islam européen, très éloigné d’un islam conquérant et intégriste. Mais c’est pourtant bien cette image négative de l’islam, ancrée dans les esprits de Suisses désécurisés, qui a tout emporté. »
Le conseil fédéral a publié un communiqué stipulant qu’il acceptait le résultat et que, désormais, il était interdit de construire des minarets en Suisse et qu’il fallait prendre les craintes qui s’exprimaient au sérieux.
« Les quatre minarets existants ne sont pas touchés par cette interdiction. Les mosquées et autres lieux de prière musulmans peuvent toujours être construits et utilisés en Suisse. Mme Widmer-Schlumpf souligne que la décision prise par le peuple ce dimanche ne vise que la construction de nouveaux minarets et ne constitue pas l’expression d’un rejet de la communauté musulmane, de sa religion ou de sa culture ; le Conseil fédéral s’y engagera. La paix religieuse est un élément essentiel du modèle qui a fait le succès de la Suisse. »
Les Verts, pour leur part, annonçaient qu’ils pourraient saisir la Cour européenne des droits de l’homme. « Les musulmans de Suisse n’ont pas reçu une claque, mais un coup de poing en pleine figure », a déclaré Ueli Leuenberger qui s’est dit consterné par la décision du peuple suisse. C’est le résultat d’« une propagande extrêmement bien faite, qui a joué sur les préjugés ».
Il y a trois ans, dans un texte intitulé « Peut-on encore critiquer l’islam », je notais :
« Car la vraie question est là. Pourquoi certains journalistes, certains éditeurs, certains intellectuels se plaisent-ils à jeter de l’huile sur le feu ? Pourquoi l’incompétence est-elle une clef pour pouvoir publier des pamphlets approximatifs, non étayés, schématiques ? Les exemples sont multiples de ces nouveaux spécialistes de l’islam intronisés par les médias. On pourrait citer, parmi d’autres, Caroline Fourest ou Mohamed Sifaoui, dont les travaux d’“enquête” sont à la vérité, pour reprendre une formule du chanteur Renaud, “ce que le diable est au bon dieu”. Il suffit de se promener dans n’importe quelle librairie pour mesurer le nombre de livres consacrés aux musulmans ou à l’islam. La grande majorité sont très critiques (ce qui est parfois tout à fait légitime, quand cette critique s’appuie sur un vrai savoir). »
« Le débat autour de l’islam est-il impossible ? inutile ? nuisible ? Sûrement pas. De nombreuses questions se posent sur l’islam, le monde dit musulman, à condition de toujours utiliser le “pluriel” : les musulmans sont au nombre de plus de 1 milliard, ils sont majoritaires dans une soixantaine de pays de plusieurs continents : ils vivent sous des dictatures, des régimes autoritaires, des démocraties ; ils pratiquent leur foi de manière différente et les musulmans ne se réduisent sûrement pas à une foi dont les interprétations sont multiples. »
En novembre 2001, dans Le Monde diplomatique, j’écrivais un article intitulé « Islamophobie ». Nombre de lecteurs semblaient alors sceptiques face à ce concept. Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, et la Suisse montre à quel point l’islamophobie est désormais présente dans les sociétés européennes.
Et tous nous en portons la responsabilité. Une partie de la gauche a agité le chiffon rouge de la menace islamique, pour avoir fait croire que la laïcité était ébranlée, que « nos » valeurs étaient menacées. Elle a participé, avec nombre d’éditorialistes, à la création d’un climat qui permet à la droite de triompher et aux idées du choc des civilisations de progresser.
Les médias aussi qui utilisent n’importe quel prétexte, d’une burqa dans une banlieue à un foulard dans le public de l’Assemblée, pour « faire évènement », pour créer les amalgames entre islam, immigration, identité nationale, délinquance et terrorisme.
Désormais, il n’est plus possible de discuter sereinement des musulmans en Europe et de leur place dans notre société. Il est ironique de constater que les Suisses, par leur vote, ont infligé une terrible défaite à la raison elle-même...
Alain Gresh
29.11.09
Source: les Blogs du Diplo
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