Troisième procès en appel, intenté à des personnes liées au DHKPC, une organisation turque d’opposition radicale. Désignées comme des dirigeants d’une organisation terroriste, elles pourraient subitement voir leur rôle réduit à celui de simples membres.
Le prononcé du troisième procès en appel, intenté à des personnes liées au DHKPC, une organisation turque d’opposition radicale, sera rendu le 16 décembre. Il était d’abord attendu pour le 14 juillet, mais la Cour a décidé de reporter le jugement et de rouvrir les débats afin de pouvoir procéder à une requalification "à la baisse" des inculpations. Il s’agit là d’une nouvelle phase d’un procès qui a déjà connu de multiples rebondissements. Trois jugements et deux arrêts de cassation ont déjà ponctué cette affaire. La dernière péripétie, qui a consisté dans le report en dernière minute du prononcé, en dit déjà long sur le caractère arbitraire qui préside à ce genre de poursuites.
Des personnes, qui étaient désignées depuis des années comme des dirigeants d’une organisation terroriste, pourraient subitement voir leur rôle réduit à celui de simples membres. La réouverture des débats a permis de comprendre ce revirement. Pour le parquet, il s’agit de préserver l’essentiel : pouvoir criminaliser des activités d’information "en soutien à un groupe à vocation terroriste", activités qu’il considère comme "aussi dangereuses que l’action terroriste elle-même".
Ainsi, l’accusation a décidé d’abandonner les aspects les plus caricaturaux de ses propos afin de pouvoir criminaliser le "soutien moral" à une organisation désignée comme terroriste. Le deuxième jugement en appel avait parfaitement rencontré les souhaits du parquet fédéral. Il stipulait que même donner une explication au sujet d’une organisation désignée comme terroriste constitue un fait punissable et que les individus qui ne prennent pas leurs distances avec la doctrine d’une telle organisation doivent être considérés comme "socialement dangereux et enfermés".
En conséquence, serait criminalisé non seulement le fait d’apporter un point de vue opposé à celui du pouvoir sur un conflit violent partout dans le monde, mais aussi de rapporter des faits qui sont en contradiction avec la politique du gouvernement. Si les prévenus venaient à être condamnés sur une telle base, notre pays n’aurait plus rien d’un Etat de droit. Sans avoir adopté de loi créant des incriminations comme le "soutien indirect" ou la "glorification" du terrorisme, la Belgique serait soumise à une jurisprudence qui produirait les mêmes résultats. Sans que les parlementaires en aient fait le choix en votant une loi spécifique, le parquet fédéral et une partie de l’appareil judiciaire auraient la possibilité de remettre en cause une partie essentielle de nos libertés. Il serait périlleux de s’en remettre à ces institutions en pensant qu’elles feraient un usage raisonnable des pouvoirs arbitraires qui leur seraient ainsi offerts.
Tout le déroulement de cette affaire a prouvé le contraire. Afin d’obtenir de sévères condamnations, le premier jugement n’avait-il pas été rendu par un tribunal créé en violation des procédures légales (1) ? Le parquet fédéral n’avait-il pas participé, avec des fonctionnaires du ministère de la Justice, à une tentative d’enlèvement d’un des accusés de nationalité belge, afin de le remettre à la Turquie (2) ? Ces antécédents nous montrent que l’on doit nourrir de grandes appréhensions sur l’apparition d’une jurisprudence qui serait le résultat de l’action du parquet fédéral.
Dans les faits, ce dernier deviendrait le véritable législateur. La loi antiterroriste de 2004 est particulièrement floue. Son véritable champ d’application sera fixé par les attendus des jugements. L’enjeu fondamental de cette affaire est de permettre une utilisation directement politique de la loi. La requalification des préventions se situe dans ce cadre. L’essentiel n’est pas de condamner lourdement les prévenus afin de plaire à la Turquie mais de recentrer l’affaire sur son objectif fondamental : l’installation d’une jurisprudence qui permettrait de criminaliser toute opposition politique non reconnue par le pouvoir.
Jusqu’à présent, seule une partie de l’appareil judiciaire a suivi le parquet fédéral. En effet, cette affaire a connu des jugements en sens opposés. Ce qui montre bien le caractère subjectif de ces lois. En février 2006, les prévenus avaient été lourdement condamnés pour terrorisme par le tribunal correctionnel de Bruges, ainsi que par le tribunal d’appel de Gand en novembre de la même année. Cependant, la Cour de cassation, dans un premier arrêt, avait critiqué le déplacement d’un juge, ce qui, dans les faits, créait un tribunal spécial. Les deux premiers jugements s’en trouvaient invalidés et l’affaire a dû être jugée de nouveau en appel. Le 7 février 2008, la cour d’appel d’Anvers a acquitté les prévenus de toute participation à une organisation terroriste ou criminelle et avait estimé que leur action, pour l’essentiel, n’avait pas outrepassé le droit de réunion ou d’opinion. La Cour de cassation avait ensuite invalidé ce deuxième jugement en appel, stipulant que la loi ne requiert nullement que des individus soient personnellement impliqués dans la commission de délits pour être sanctionnés, le seul fait d’appartenir à une organisation incriminée suffit pour être condamné.
Le prononcé du dernier jugement, qui doit avoir lieu le 16 décembre, sera donc essentiel pour déterminer la portée de la loi antiterroriste. Le jugement en appel à Anvers avait démontré que les inculpés n’avaient pas formé d’association délictueuse en Belgique. Si le prononcé du 16 décembre remet en cause cet acquis, en stipulant que le seul fait de donner des informations sur les actions de l’organisation incriminée revient à participer à l’activité de celle-ci et ainsi à en faire partie, une mutation dans notre ordre de droit sera opérée. Il sera inscrit, dans l’ordre juridique de notre pays que, dans le cadre d’une poursuite en matière "terroriste", la manière dont les choses sont nommées doit primer sur leur réalité matérielle et que toute personne inculpée dans le cadre d’une telle affaire peut être condamnée, quels que soient ses actes ou ses intentions.
Jean-Claude Paye, Jean Cornil, Josy Dubié, Jean-Marie Dermagne, Dan Van Raemdonck, ...
11.12.09
Notes :
(1) "Lutte contre le terrorisme. Un procès exemplaire", "La Libre Belgique", 10 mars 2006.
(2) "Terrorisme. Une jurisprudence d’exception", "La Libre Belgique", 8 septembre 2006.
Source : Lalibre.be
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