jeudi 4 novembre 2010
Réflexions sur la suite d'un engagement
(...) Je suis rentré il y a peu en France après un séjour d’un an au Cambodge où j’ai travaillé comme conseiller du gouvernement sur les questions de frontières (le sujet de ma thèse doctorale).
Grâce à Internet et à TV5 (une des meilleures chaînes publiques pour la qualité des infos), j’ai essayé de rester informé de ce qui se passe en France. Et les odeurs qui me sont parvenues étaient nauséabondes: racisme d’État, corruption des élites dirigeantes, instrumentalisation de la Justice, déclin de l’État de droit, discriminations en tous genres, affaiblissements répétés de la santé publique et de l’école publique, poursuite des privatisations, poursuite de la régression sociale et de la casse des acquis sociaux, laïcité mise à mal. L’injustice comme modèle de société.
Avec, en face, un PS dont on ne sait qui il faut écouter pour connaître sa position, dominé par ses libéraux, incapable d’offrir une alternative authentique à un système qui se renforce chaque jour du chacun pour soi, de la concurrence de tous contre tous, du déclin de l’intérêt général. Au sens où Jaurès entendait le mot, le socialisme n’est plus défendu en France. À la gauche du PS, j’ai retrouvé le même paysage désolant de la division et de l’éparpillement. Les uns défendent leur pureté inoxydable, les autres leur mission historique. Rien à ce jour n’émerge qui rassemble sur une vision accompagnée d’un projet de gouvernement. D’un côté, il y a ceux qui promettent un avenir radieux, mais totalement imprévisible. De l’autre, il y a ceux qui ne proposent qu’une collaboration différée avec le PS.
Le seul à ramasser le flambeau de Jaurès semble être Mélenchon et son Parti de Gauche. Le livre qu’il vient de publier propose une vision et un projet. Ses déclarations tranchent avec le discours convenu ou la langue de bois des uns et des autres. Mais je suis échaudé par ma propre expérience de 2008-2009 où je me suis égaré dans un NPA qui s’est avéré n’être qu’une LCR ravalée que j’ai quittée au début de cette année. Sans doute est-on enrichi par chacune des expériences, positives ou négatives, que l’on fait dans sa vie. Alors, aujourd’hui, je suis partagé entre la méfiance et le désir de vivre un nouvel enthousiasme. Je ne peux pas me résigner à la passivité. Je ne peux pas me satisfaire de la seule contestation, si indispensable soit-elle. Parce que je ne crois pas en la fatalité. Parce que je crois qu’une société organisée autrement est possible. Parce que je suis convaincu qu’après avoir renversé l’aristocratie féodale et cléricale, le temps est venu de renverser l’aristocratie de l’argent.
Même si, jamais comme aujourd’hui, le capitalisme n’a régné sur le monde. La mondialisation néolibérale, voulue par un patronat remarquablement organisé au plan international, négociée par nos gouvernements avec l’implication décisive du PS (dont deux membres éminents sont aujourd’hui les patrons du FMI et de l’OMC) est à l’origine des régressions démocratiques et sociales que nous subissons. La marchandisation de toutes les activités humaines s’impose partout. Et pourtant, la crise de 2008 a révélé, une nouvelle fois, les fragilités d’un système qui n’existe en réalité que du fait de la complicité ou de la faiblesse de celles et de ceux qui devraient s’y opposer. Ils sont forts avant tout parce que, à cause de nos divisions, à cause de notre incapacité à proposer un nouvelle espérance, nous sommes faibles.
Je suis hanté par la mémoire de millions de femmes et d’hommes qui au XXè siècle ont, sur tous les continents, donné le meilleur d’eux-mêmes, y compris leur vie, pour un idéal qui, dès que les conditions furent réunies de le mettre en oeuvre, s’est transformé en barbarie sanglante. On ne dénoncera jamais assez ceux qui, de Lénine à Pol Pot, ont tué l’espérance en un autre monde. Il nous faut penser une nouvelle espérance avec, au cœur de notre démarche, la conscience que la fin se trouve déjà dans les moyens et qu’on ne peut proposer une société différente que si on adopte dès maintenant des comportements différents. On ne peut promouvoir une démocratie citoyenne si on ne la pratique pas en son sein. On ne peut promouvoir l’écologie politique si on ne modifie pas son propre mode de vie.
Pendant des années, j’ai milité en simple citoyen, en intellectuel engagé, pour faire connaître l’OMC, ses accords et leur nocivité et tenir informé des négociations quasi permanentes qui s’y tiennent. Pendant des années, j’ai milité pour une Europe différente de celle qui s’appelle «Union européenne» et, dès l’automne 2004, je suis parti en campagne contre le Traité constitutionnel européen. J’ai eu la chance d’être invité et accueilli partout où ces sujets préoccupaient, du PCF à la LCR en passant par les Alternatifs, Attac et d’autres groupements. Je garde chaud au coeur le souvenir du formidable rassemblement du Larzac en août 2003 comme les 132 réunions publiques tenues pour convaincre de dire «non» au TCE. Peu à peu, on m’a fait confiance et on a donné du crédit à mes propos.
Et puis, coup sur coup, je me suis trompé deux fois. Après l’échec des efforts en vue d’une candidature unitaire pour les présidentielles de 2007, j’ai choisi de soutenir un candidat. Et de m’impliquer dans une campagne qui a révélé bien des limites. Peu après, alors que la gauche offrait le paysage d’un champ de ruines, alors que rien ne bougeait (Mélenchon n’avait pas encore claqué la porte du PS) parce qu’un parti, fait exceptionnel dans l’histoire politique, décidait de se dissoudre pour permettre l’émergence d’un mouvement politique nouveau en phase avec les défis de notre temps, ouvert à l’idée d’un rassemblement plus vaste, j’ai fait confiance à des promesses qui ne se sont pas vérifiées. Et je me suis trompé une deuxième fois. Après de telles erreurs, comment pourrais-je prétendre encore m’adresser aux gens pour les inviter à me croire et à suivre les propositions que je défendrais? Au nom de mes sincérités successives? Pas sérieux.
Il m’apparaît que je doive me limiter à faire ce que je fais le moins mal, sans trop commettre d’erreurs: analyser, décoder les documents qui comptent, traités ou directives, programmes et projets. Et faire connaître les actions et les textes que je soutiens. C’est ce à quoi je vais m’employer.
Raoul Marc Jennar
27.10.10
Source: jennar.fr
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