mardi 30 novembre 2010

Palestine-Israël: "Le processus de paix n'existe pas"




A l'occasion de son récent passage à Luxembourg, un entretien avec une figure incontournable du mouvement pour la paix en Israël, Michel Warschawski.



- Tageblatt: Actuellement, les discussions au Proche-Orient portent essentiellement sur la question de la colonisation. Pourquoi est-ce qu’Israël se montre si réticent par rapport à un nouveau moratoire sur la colonisation, alors que cela empêche la reprise du dialogue de paix et que cela nuit à l’image d’Israël?
- Michel Warschawski: Parce que l’objectif de ce gouvernement est une politique de colonisation, ce n’est pas un aspect secondaire. L’objectif à long terme est celui d’étendre les frontières d’Israël en colonisant, parce que le ’Grand Israël’ se fait sur le terrain. Il y a un processus de colonisation, mais il n’y a pas de processus de paix. Le processus de paix est totalement virtuel, il n’existe pas. Au moins nous avons la chance d’avoir un gouvernement qui dit ouvertement qu’il n’est pas intéressé par le processus de paix, parce que celui-ci risque précisément d’entraver la colonisation, qui est le fondement même de la politique israélienne des 20 dernières années et pour les années à vernir, à moins qu’on ne l’arrête.

- T: Est-ce que cette politique est vraiment dans l’intérêt des Israéliens?
- M.W: Toute politique qui ne favorise pas l’intégration dans la région et qui ne vise pas à l’acception d’Israël dans le monde arabe est nuisible à long terme. A court terme on n’en paie pas le prix. Cela explique précisément l’état déplorable du mouvement de la paix en Israël. Israël est en sécurité, aucun Etat arabe ne menace Israël. Il n’y a pas eu d’attentat depuis des années. Il y a aussi la prospérité malgré la crise économique mondiale. Israël est un pays riche. Les critères économiques sont au-dessus de la moyenne européenne. A côté de la sécurité et de la prospérité, le troisième facteur qui pourrait faire pression, serait un isolement international, mais on n’y est pas. Même si l’opinion publique européenne est largement scandalisée depuis la guerre de Gaza, au niveau de la politique européenne, on est en train de rehausser le statut d’Israël à l’UE et non pas de prendre des sanctions qui pourraient freiner les velléités colonisatrices.

- T: L’élection du président américain Barack Obama a suscité beaucoup d’espoir. Est-ce que vous pensez qu’il y a eu un vrai changement?
- M.W: Non. On y a cru. Moi personnellement, j’y ai cru. Obama a une autre politique telle qu’il l'a définie dans le discours du Caire. Il a dit que la clé de la stabilité au Proche-Orient, c’est la question palestinienne et la question de la colonisation. Mais il s’est heurté à une fin de non-recevoir israélienne. Obama a compris que cette politique ne se ferait pas dans la douceur. Pour obliger ce gouvernement (israélien) à s’adapter à ce que les Américains considèrent comme leur intérêt, il faudrait exercer une pression forte. Donc, Obama a tout de suite fait marche arrière. Il n’a pas été prêt à entrer dans une partie de bras de fer qui aurait affaibli Israël, car un tel affaiblissement n’est pas dans l’intérêt des USA.

- T: Les Palestiniens évoquent désormais la possibilité de proclamer un Etat de façon unilatérale. Une telle action, pourrait-elle faire avancer les choses?
- M.W: Il faut secouer Israël. La société israélienne est tellement sûre de soi. On ne peut pas continuer comme le fait de façon un peu pathétique Obama en comptant sur un processus de paix qui n’existe pas. Donc, c’est une meilleure méthode de prendre des mesures unilatérales côté palestinien. Y compris de s’adresser aux instances juridiques internationales.

-T: Le gouvernement israélien actuel regroupe la droite de Benjamin Netanyahu, l’extrême droite d’Avigdor Lieberman et les travaillistes. Le principal parti d’opposition, Kadima, est également de droite. Existe-t-il encore une gauche israélienne?
- M.W: Non. Le centre-gauche au parlement a été laminé. Il n’existe plus comme force politique. J’inclus totalement Ehud Barak (le leader des travaillistes) dans la droite. Le parlement israélien est désormais divisé entre la droite et l’extrême droite. La gauche et le centre-gauche, le Meretz par exemple, paient le prix de leur politique. Ils ont soutenu le massacre de Gaza, ils ont perdu leur âme et surtout ils ont raté l’occasion de se présenter comme une alternative. Quant au parti Kadima de Tzipi Livni, il est inexistant. Malgré une représentation parlementaire importante, il est tiraillé par les divergences politiques internes. Donc, il n’y a pas d’opposition. Le mouvement de la paix lui-même s’est suicidé en l’an 2000 et il ne s’en est pas remis. Il reste ceux qui combattent sur la base de valeurs contre la guerre, mais c’est une petite minorité qui ne peut pas avoir d’impact sur les décisions politiques.

- T: Une minorité continue à s’engager. Dans quel climat se déroule leur engagement aujourd’hui en Israël?
- M.W: L’atmosphère a radicalement changé au cours des trois dernières années. J’ai rarement utilisé le mot de fascisme, mais il y a aujourd’hui, et beaucoup de commentateurs politiques le disent, une véritable fascisation, une remise en question d’une certaine conception démocratique. Il y a surtout une atmosphère brutale. La répression est sélective, elle vise la minorité arabe, dans le but de terroriser tous les autres. Désormais, je vois des gens qui ont peur de parler dans la rue, alors que les Israéliens sont des gueulards qui parlent fort. Tout d’un coup, les gens se sentent agressés, même si c’est plus une atmosphère que de véritables attaques.

- T: La minorité arabe représente environ 20 pour cent de la population israélienne. Quelle place lui accorde la société israélienne?
- M.W: Le message adressé systématiquement à la population palestinienne en Israël c’est: ’vous n’êtes pas une minorité dans une majorité, vous êtes une minorité tolérée’. Le discours d’expulsion, les projets d’un Lieberman concernant un échange de territoires (entre Israël et les Palestiniens) terrorise la population arabe. Les Arabes israéliens ont connu 20 ans d’ouverture, de démocratisation relative, de liberté publique réelle, pas d’égalité, mais de moins d’inégalité. Tout cela est fini. Le message actuel est: ’la fête est finie’. Le résultat est qu’il y a un certain recul de la mobilisation. J’ai récemment vu un de mes amis, un député arabe, et il m’a dit que même au parlement, il rase les murs. Dès qu’il commence à parler, il est hué. On ne fait même plus semblant de jouer le jeu de la démocratie. Il y a une véritable chape de plomb qui se met en place.

- T: Est-ce qu’Israël est un Etat démocratique?

- M.W: La constitution israélienne, enfin la constitution de fait parce qu’il n’y en a pas, n’a jamais considéré Israël comme un Etat démocratique, mais comme un Etat juif et démocratique. C’est évidemment une contradiction dans les termes. Par contre, Israël a amélioré son comportement par rapport à la minorité arabe dans les années 80/90. Mais la libéralisation a été enterrée par Barak en octobre 2000. Depuis c’est la régression.

- T: Depuis l’incident de la flottille de Gaza, la Turquie a changé son attitude face à Israël. Aujourd’hui Ankara critique fortement Israël. Comment réagit-on en Israël?
- M.W: On est en train de vivre un tournant dramatique stratégique dans la région. Et je suis terrorisé non pas par ce qui se passe, mais par l’aveuglement de nos dirigeants.
Le premier ministre turc a fait une déclaration il y a quelques jours, en disant qu’Israël est un danger stratégique pour la Turquie, alors qu’auparavant c’était l’allié numéro un. J’aurais appelé à une réunion d’urgence de nuit du cabinet des ministres. Le gouvernement israélien n’a pas réagi. Comme ami des Palestiniens je suis content, mais parfois cette irresponsabilité des dirigeants me fait peur. C’est quand même le pays où vivent mes enfants. C’est comme si le capitaine était complètement ivre.

- T: Le Liban est sur la voie de la réconciliation nationale. Dans le gouvernement libanais se trouvent désormais des membres du Hezbollah. Comment voyez-vous l’avenir des relations d’Israël avec le Liban?
M.W: Je vois une guerre contre le Liban comme la plus vraisemblable des prochaines aventures militaires israéliennes. Pour deux raison: chaque fois que le Liban entre dans un processus de stabilisation, d’union nationale, on s’énerve à Tel Aviv.
Plus généralement, le discours agressif vis-à-vis de l’Iran ne se terminera pas avec une attaque contre l’Iran, parce que le gouvernement israélien est courageux, mais pas téméraire. Par contre, il pourrait attaquer l’Iran par le biais du Liban.

Michelle Cloos
Interview pour le „Tageblatt“ - Luxembourg
24.11.10

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