vendredi 11 septembre 2009

A chacun son 11 septembre...

Le 11 septembre 1906, Gandhi lançait la première campagne de désobéissance civile

La date du 11 septembre évoque bien sûr les attentats de New-York. Mais cette année, elle est aussi l’anniversaire du centenaire de la désobéissance civile… Dans la mémoire des luttes non-violentes, le 11 septembre 1906 évoque le lancement par Gandhi de la première campagne de désobéissance civile contre les lois discriminatoires qui opprimaient les Indiens en Afrique du Sud. Et depuis cette date, cette stratégie d’action collective non-violente a été utilisée avec succès aux quatre coins du monde dans de nombreux combats pour la dignité humaine et les droits des peuples.

En 1906, Mohandas K. Gandhi, jeune avocat indien formé en Angleterre, défend les droits de la minorité indienne en Afrique du Sud. Le gouvernement vient de promulguer un projet d’ordonnance pour lutter contre l’immigration asiatique illégale, obligeant tous les Indiens à se faire inscrire auprès des autorités et à laisser leurs empreintes digitales sous peine d’amende, de prison ou de déportation. Le 11 septembre 1906, Gandhi organise un important meeting au théâtre impérial de Johannesburg au cours duquel il fait prêter serment aux trois mille participants de ne jamais se soumettre à cette « loi noire », qualifiée de « loi scélérate ». C’est le « serment du jeu de paume » de la désobéissance civile ! Cet engagement d’insoumission marque le début d’une campagne d’action qui ira en s’intensifiant, notamment quand la loi sera promulguée. Précisons qu’à ce moment-là, Gandhi n’employait pas encore le terme de « désobéissance civile ». Insatisfait par l’expression « résistance passive » d’origine anglaise qu’il employait alors, mais qu’il jugeait confuse, il avait forgé un nouveau mot sanskrit : satyagraha, qui signifie : Dire non à l’injustice, avec fermeté, publiquement, sans violence et en acceptant les conséquences judiciaires de ses actes. Le satyagraha, c’est la toute première expression politique de la désobéissance civile dans l’histoire des luttes pour les droits de l’homme.

Avant que Gandhi ne s’en empare, l’expression « désobéissance civile » (civil disobedience en anglais) apparaît pour la première fois en 1866 dans un recueil posthume des œuvres complètes de l’écrivain américain Henry David Thoreau. Celui-ci avait passé une nuit en prison en 1846 pour avoir refusé de payer l’impôt afin de ne pas cautionner l’esclavage des Noirs et la guerre contre le Mexique. Il avait expliqué son geste dans une conférence donnée en 1848 sur Les droits et les devoirs de l’individu face au gouvernement. C’est cette conférence, remaniée par Thoreau, qui fut éditée sous le titre Du devoir de désobéissance civile. Dans ce texte, Thoreau explique qu’il ne suffit pas de condamner par la parole les injustices, de voter une fois par an même dans le sens de la justice, de vouloir amender la loi injuste pour l’améliorer. Il affirme qu’il ne faut pas être soi-même complice de l’injustice que l’on condamne. En payant l’impôt qui sert à financer la politique de l’esclavage et la guerre, le citoyen américain collabore directement à l’injustice. Thoreau montre que la responsabilité du citoyen est engagée dans l’injustice lorsqu’on obéit à la loi injuste. D’où sa célèbre formule : « Si la machine gouvernementale veut faire de nous l’instrument de l’injustice envers notre prochain, alors je vous le dis, enfreignez la loi. Que votre vie soit un contre-frottement pour stopper la machine. Il faut que je veille, en tout cas, à ne pas me prêter au mal que je condamne ».

L’histoire est riche de ces insoumis, objecteurs de conscience, dissidents qui, à titre individuel ou collectif, ont refusé d’obéir à des ordres illégitimes, ont défié les dictatures et les systèmes totalitaires, ont combattu sans violence les injustices sociales, économiques et politiques. Ces femmes et ces hommes ont toujours fait prévaloir les exigences de la conscience, de la raison et de l’humanité pour justifier leur désobéissance aux lois discriminatoires afin de ne pas être complices de l’injustice, de l’oppression et de l’infamie par passivité, silence, ou collaboration active. Dans les années soixante, Martin Luther King, disciple de Thoreau et de Gandhi, se considérait lui-même comme l’héritier d’une « tradition de contestation créatrice ». Tout au long de son combat exemplaire pour les droits civiques, il n’a cessé d’organiser la transgression des lois ségrégationnistes pour faire advenir la justice sociale et l’égalité entre Noirs et Blancs.

En France, depuis quelques années, la désobéissance civile pointe son nez dans certains mouvements sociaux d’envergure. Ainsi, les militants de Droit au Logement investissent et occupent illégalement les appartements vides pour reloger les familles à la rue. Plus récemment, les Faucheurs volontaires, en l’absence de débat démocratique sur les OGM, détruisent les champs de maïs transgénique. Les Déboulonneurs dénoncent l’agression publicitaire en barbouillant les panneaux qui envahissent les villes et défigurent les paysages. Aujourd’hui, le Réseau Education Sans Frontières protège les familles sans papier menacées d’expulsion. Et on se souvient qu’en 1997, les cinéastes avaient impulsé un mouvement qui menaçait de recourir à la désobéissance civile pour s’opposer à la loi Debré sur l’immigration ; arme de dissuasion citoyenne, elle avait fait reculer le gouvernement.

Utilisée massivement, la désobéissance civile exerce une pression sur le législateur et le pouvoir politique. Elle se déroule toujours à visage découvert et assume les risques de la sanction. C’est bien ce qui la différencie de la désobéissance délinquante. Mais les pouvoirs, y compris les pouvoirs démocratiques, parfois impuissants à juguler ces mouvements qui défient l’ordre établi, ont toujours la tentation de « criminaliser » cette désobéissance pour mieux la discréditer et la réprimer. Comme un aveu de faiblesse... En réalité, la désobéissance civile est une force politique qui s’oppose, mais qui aussi propose, construit l’alternative et redonne du pouvoir aux citoyens. « Légitime révolte », « respiration de la démocratie », selon les belles formules de l’avocat François Roux, elle apparaît aujourd’hui comme une stratégie d’action citoyenne radicale, mais constructive. L’arme ultime qui ouvre tous les possibles pour agir efficacement sans violence et promouvoir de nouveaux droits dans une démocratie qui, plus que jamais, a besoin de contre-pouvoirs citoyens.

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