Le 19 août 2009 , le jumbo d'Air France vol 438 qui effectuait le trajet Paris-Mexico sans escale s'est vu refuser de survoler le territoire des Etats-Unis. En conséquence il a dû changer d'itinéraire, piquer vers le Sud, contourner la Floride par les Caraïbes, ce qui a signifié une heure de vol supplémentaire.
Alors que nous volions au milieu de l'Atlantique, un membre de l'équipage est venu me voir pour me dire, au nom du capitaine, que ce changement de trajectoire, qui allait apparaitre sur les écrans, était dû à ma présence à bord. Après le décollage ils avaient envoyé la liste des passagers aux autorités américaines qui ont répondu que je figurais sur leur liste noire, avec interdiction de survoler les Etats-Unis. La même situation s'était présentée quelques mois auparavant, avec M. Hernando Calvo, un journaliste du journal Le Monde Diplomatique. A cette occasion l'avion avait dû même faire escale à la Martinique pour se réapprovisionner en kérosène.
Pour mon retour en Europe, Air France m'a imposé un autre itinéraire qui incluait une escale dans les Caraïbes.
Mes ennuis avec les autorités américaines ont commencé le 18 juillet 2004 - trois ans après le 11 septembre, sous l'administration Bush - lors d'un transit à Miami qui n'aurait dû durer qu'une heure. Comme collaborateur du groupe GUE/GVN du Parlement européen j'accompagnais alors une délégation parlementaire qui revenait du Venezuela et du Nicaragua. Au bureau de l'immigration à Miami, le douanier a trouvé suspect que mon passeport soit rempli de cachets de séjours en Afrique, en Amérique latine et en Asie. Il a dès lors ordonné ma détention, et bien que j'aie montré mon accréditation au Parlement européen, et que j'aie expliqué qu'il s'agissait de voyages réalisés dans le cadre de mon travail au Parlement européen (ACP, délégations AL,..., Forum Sociaux) il a décidé de me retenir. Durant les premières 5 heures de détention, divers policiers m'ont interrogé par intermittence, la plupart hispanophones. L'un d'eux m'a commenté qu'il était un ancien garde somoziste et a affirmé qu'il y en avait d'autres comme lui dans son service. Ils m'ont posé diverses questions sur mes voyages du type: "Etes-vous allés à Cuba ? Avez-vous parlé personnellement avec Fidel Castro ? Vous êtes allés au Venezuela, avez vous parlé personnellement avec Hugo Chavez ?..." Ensuite ils ont consulté internet et m'ont posé des questions sur des articles que j'ai écrit dans diverses revues. Après cela ils ont pris les empreintes de mes dix doigts, photographiés les iris, etc..., et ont inscrit un code sur la couverture de mon passeport, partie intérieure. Ils m'ont déclaré que si je souhaitais revenir aux Etats-Unis, je devais impérativement demander un visa.
Ensuite ils m'ont emmené dans une cellule dans le sous-sol de l'aéroport. 24 heures plus tard, ils m'ont emmené à l'avion Iberia en confiant mon passeport au pilote, pour qu'il le donne à la police espagnole. A Madrid j'ai été détenu par la police espagnole, et immédiatement relâché.
En Juillet 2007, je devais me rendre en Equateur, toujours pour mon travail au Parlement, pour conseiller les députés de mon groupe assistant à la réunion officielle d'Eurolat qui se tenait à Quito et qui était organisée par le Parlement européen et les parlements régionaux d'Amérique latine. Y aller via les Etats-Unis coûtait moins cher et me permettait de savoir si les Etats-Unis allaient me délivrer un visa. J'ai demandé ce visa via le service du protocole du Parlement européen. L'ambassade a fait savoir aux fonctionnaires du protocole étonnés, qu'il fallait que je vienne moi-même pour demander le visa. C'est la consule en personne qui s'est occupée de moi. Le 29 Juin 2007 elle m'a remis un formulaire libellé à mon nom sur lequel il est indiqué que mon visa de transit était refusé avec comme motif coché: "section 212(a)(3)(B): terrorist activities". J'ai demandé si on pouvait savoir de quelles activités terroristes il s'agissait, elle m'a dit que non. J'ai demandé s'il y avait un recours possible, elle m'a dit que non. J'ai demandé s'il y avait une limite de temps, et elle m'a également répondu par la négative. J'en ai informé ma hiérarchie de cette situation absurde, et j'ai voyagé à Quito par un vol direct.
Le 19 août 2009 c'est à Mexico que je devais me rendre à Mexico avec une délégation du groupe GUE/NGL pour y assister à la réunion du Forum de Sao Paolo. En achetant un billet Air-France Paris-Mexico, j'étais loin de me douter que ce vol serait dévié suite à ma présence à bord et que je figurais sur une liste des personnes ne pouvant même pas survoler les Etats-Unis à plus de 10.000 mètres...
Il s'agit là soit d'une erreur des autorités américaines, ou plus probablement d'un nouvel abus des mesures antiterroristes afin de réprimer la liberté d'expression, et plus généralement de frapper la gauche et le mouvement des droits de l'homme. Je travaille depuis 18 ans au Parlement européen pour le groupe GUE/NGL.
En Belgique, en Amérique latine, en Afrique, et même aux Etats-Unis, beaucoup de personnes connaissent bien mes activités comme défenseur des droits de l'homme et comme militant de gauche, utilisant les divers instruments politiques à disposition pour agir de façon pacifique et démocratique. Je suis membre de divers collectifs de solidarité et de défense de droits de l'homme, notamment sur la Colombie.
Il est normal que dans le cadre de mon travail et dans ma vie militante j'ai maintes fois contribué à donner la parole à des victimes de politiques des Etats-Unis ou de leurs transnationales et j'ai écrit quelques articles dans ce sens, ou d'autres, notamment dans Le Monde Diplomatique, appuyant les nouveaux gouvernements de gauche d'Amérique latine et leurs politiques en faveur de la justice sociale et l'intégration émancipatrice de leur continent. J'ai aussi participé à des documentaires sur l'invasion du Panama ou sur l'assassinat de syndicalistes ou leaders paysans en Colombie pour la télévision publique belge RTBF. J'ai participé à des manifestations contre la guerre en Irak, contre les politiques de la Monsanto, contre le renouvellement par les Pays-Bas, du bail d'une base militaire US à Aruba. Dans le cadre de mon travail au Parlement européen diverses auditions ont été organisées au cours desquelles des points de vue critiques sur les politiques des Etats-Unis ou de leurs transnationales américaines ont été exprimés, par exemple sur les lois Helms-Burton, sur le Plan Colombie, ou sur les abus de Coca-Cola en Inde et en Colombie, etc...). Mais mon attention principale a toujours porté la nécessité de changer l'orientation de la politique internationale de l'Union européenne elle-même.
Le fait que mon nom soit stigmatisé dans les médias et présenté sur une liste de personnes présumées violentes - quoique je n'aie commis aucun délit ni aucune action violente - constitue un handicap bien entendu pour développer des activités professionnelles et militantes, et arrange bien les gouvernements que nous critiquons pour les violations massives des droits de l'homme.
D'autres difficultés s'y ajoutent, notamment le fait de ne pas pouvoir voyager aux Etats-Unis, ni vers d'autres pays par des vols faisant escale ou même survolant un coin des Etats-Unis rend difficiles et dispendieux les voyages dans la région. J'ignore si ces mesures vont encore s'étendre et à quel rythme, dans leurs portée ( autres pays alliés des Etats-Unis, mesures économiques tels que blocage de cartes bancaires, etc...) ou dans leurs destinataires (famille, amis, autres militants, etc...)
Il faut s'interroger sur le fait que les autorités européennes aient négocié en 2007 avec les Etats-Unis un accord comportant des concessions purement unilatérales (comme le Panama en 1903...) qui ouvre toute grande la porte à de tels abus contre la liberté d'opinion et la liberté de circulation. Pourquoi de telles mesures sont-elles possibles contre des citoyens européens qui ont commis un "délit d'opinion", tandis que de véritables criminels tels que Posada-Carriles, qui se vante d'avoir fait exploser un avion civil en plein vol, ou les tortionnaires de la prison d'Abou Ghabi ou de Guantanamo, qui ne sont pas inquiétés aux Etats-unis, peuvent-ils voyager sans entraves en Europe ?
Il serait légitime d'attendre des autorités de la Belgique et de la France qu'elles réagissent et défendent dignement les droits d'expression et de circulation de leurs citoyens notamment en appliquant des mesures de réciprocité, face à de tels abus contre leurs nationaux.
Il serait légitime d'attendre du coordinateur de la lutte antiterroriste de l'UE qu'il pose des questions aux autorités américaines sur la l'efficacité de leur lutte contre le terrorisme et sur la raison pour laquelle des noms de personnes qui n'ont rien à voir avec le terrorisme y figurent.
Il serait bon de savoir aussi si cette politique du gouvernement Bush d'utilisation claire de la lutte contre le terrorisme à des fins de limitation des droits civils sera ou non poursuivie par l'administration du président Obama.
Les Etats-Unis sont franchement bien malades. Lorsque les autorités, -sous prétexte de lutte contre le terrorisme ou autre-, s'en prennent en réalité à la liberté d'expression et au travail politique pacifique et démocratique, au lieu d'améliorer la sécurité des citoyens ils renforcent et donnent des arguments à ceux qui prônent des solutions violentes.
Paul-Emile Dupret
17.09.09
RAPPEL > Conférence-débat :
La lutte contre le terrorisme et ses dérives - La criminalisation Made in USA de militants belges
ce mardi 22 septembre à 19 h au Garcia Lorca, rue des Foulons 47/49 - 1000 Bruxelles
(voir annonce ci-dessous dans le blog)
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