Les politiques veulent débattre de l'islam, mais les musulmans en sont pratiquement absents. Va-t-on penser "neuf", régler des comptes ou imposer des vues déjà arrêtées ?
Les "Assises de l’interculturalité" prévues par l’accord intergouvernemental seront une occasion importante pour montrer la capacité de la société et de la classe politique belge de faire face à des enjeux complexes et ce par une méthode "à la belge", celle d’un pragmatisme cadré et négocié. Ce qui est différent du mode français, qui se fonde sur la forte identité républicaine, sur l’autorité de l’Etat et sur sa puissance d’injonction. Et qui est différent du mode britannique qui développe un pragmatisme trop confiant dans la force assimilatrice naturelle de la British way of life.
Pour que ces "Assises" aboutissent, il faudra quelques conditions.
1. La nécessité de sortir des euphémismes et des non-dits. Les "Assises de l’interculturalité" ont été lancées parce que les responsables politiques veulent parler de l’islam, cette religion dont l’implantation relativement récente soulève des enjeux nouveaux et problématiques dans la gestion de la vie commune. Autant le dire: ce qui permettrait de mettre en place un dispositif plus clair que celui envisagé, très classique mais peut-être, en l’occurrence, inadapté.
2. Se donner les moyens intellectuels de s’informer à fond : la technique des auditions prévues (qui ne sont pas publiques) n’aidera pas beaucoup tout comme l’appel à des pseudo-enquêtes ou à la sommaire Commission française dite Stasi.
3. Avoir le courage de penser neuf à tout point de vue. Il ne suffit pas de penser dans le cadrage intellectuel d’il y a vingt, quarante, cinquante ans si pas du XIXe siècle.
4. Ne pas vouloir régler les comptes entre réseaux scolaires - officiel et catholique - à travers le débat sur le foulard. Le fait qu’on envisage son interdiction éventuelle dans le réseau officiel est un bon moyen pour celui-ci de renvoyer la patate bouillante au réseau catholique, car des élèves en encore plus grand nombre pourraient y trouver refuge. Le débat sur le foulard concerne l’ensemble de la société et aurait avantage à être posé comme tel.
5. Il faudrait un débat entre les parties en présence pour sortir de controverses quelque peu autistes. Et là, le dispositif prévu pourrait faillir. Les musulmans en sont pratiquement absents; ils ne sont pas co-sujets de débat, mais objet de celui-ci.
Dans ce débat, il sera indispensable que les parties en présence argumentent et ne se satisfassent pas d’avancer des évidences. Il faudra aussi qu’elles laissent les soupçons systématiques et réciproques au vestiaire. Et qu’elles acceptent d’écouter les arguments d’en face.
Prenons la controverse sur le foulard.
Celles et ceux qui affirment que le port du foulard par des jeunes filles musulmanes est "nécessairement et en général" un signe de domination devraient préciser les faits sur lesquels ils se fondent pour une telle affirmation. Ils devront préciser si cette domination s’exerce plus qu’à l’égard de femmes, musulmanes ou non, qui n’ont pas de foulard. Et ils devraient préciser en quoi le port d’un foulard qui singularise un habillement féminin, est-il différent de talons aiguilles, d’un décolleté ou de régimes amaigrissants. Affirmer éventuellement que la différence provient du fait que c’est un signe religieux, ne suffira probablement pas pour convaincre qu’il s’agit d’autre chose que d’une position antireligieuse de principe. Ils devraient préciser aussi leur catégorisation générale, des "femmes au foulard", et pourquoi ils mettent toutes ces femmes dans le même sac; d’autant plus que, souvent, des filles qui portent le foulard accompagnent leur identité religieuse par un grand volontarisme dans les études.
Les musulmanes et musulmans, de leur côté, qui défendent le port du foulard devront expliquer aussi pas mal de choses. Pourquoi l’exigence de la pudeur enseignée par le Prophète comme règle de conduite pour les hommes et pour les femmes devient une crispation autour des règles vestimentaires féminines strictes ? Quelles règles interprétatives sous-tendent la lecture du texte coranique et des hadiths ? Qui sont les porteurs des interprétations multiples ? Quelles visions des rapports de genre sous-tendent ces positions ? Pour répondre à ces questions de manière convaincante, il ne suffira pas de répéter mécaniquement et de manière non critique les arguments de prédicateurs et de vrais ou présumés cheikhs, entre autre pour justifier non seulement le port d’un foulard, mais également du niqab qui couvre l’entièreté du visage. Il ne suffira pas non plus d’utiliser les arguments qui se bornent à dire que ce foulard est expression de la subjectivité et de l’identité personnelle. Car ce foulard est aussi un symbole et souvent un étendard. Il faudra enfin répondre à la question de savoir si, en amont, il n’y a pas une réédition de la réponse à l’angoisse de perte de suprématie patriarcale d’hommes, vieux ou jeunes, par le biais d’une obligation religieuse.
A travers ce débat, les uns et les autres devront mieux cerner les raisons (anciennes et surtout nouvelles) pour lesquelles dans des instances publiques d’une démocratie pluraliste, on en est arrivé dans la majorité des pays européens à la conclusion que, peut-être, les convictions politiques et celles intimes, religieuses ou athées, auraient avantage à être modérées. Enlever les foulards, tout comme les croix, les kippas ou les autocollants du Flambeau. Mais que propose l’école à la place ?
Mais il y aurait une autre question : faut-il débattre uniquement des signes convictionnels (à la manière du XIXe siècle) ou bien de tous les signes, et notamment ceux des marques de vêtements, expression de la lourde idéologie consumériste ou hédoniste - quasi religion de notre temps - dans laquelle les jeunes baignent jusqu’au cou ? Elle est source de frustrations, de rivalités et parfois cause de délinquance. Peut-être que des jeunes femmes préfèrent se distinguer par un habit religieux, plutôt que défier l’impossible concurrence des marques tandis que des jeunes hommes, eux, se replieront plutôt dans leur ghetto ethnique de mâles crâneurs.
L’interculturalité ne devrait-elle donc pas aussi porter sur les cultures contemporaines hégémoniques que l’école contribue à véhiculer ?
Pour répondre à fond à ces questions, parmi bien d’autres, les "Assises" devront éviter de pratiquer la langue de bois, se soucier d’analyser et se documenter, accepter d’écouter sans se prévaloir de solution toutes faites (ce qui n’est pas le cas en entendant des membres du comité de pilotage aux opinions déjà toutes tranchées) ni rechercher à la va-vite des solutions.
Car le plus grand défi de ces "Assises" est plus dans la recherche de la bonne méthode que dans l’acquisition de résultats et conclusions. Méthode qu’il sera d’autant plus important d’expérimenter que, certainement, ces "Assises" ne trouveront pas, dans l’année qu’elles ont devant elles et par un coup de baguette magique, les solutions à toutes les questions. Loin de là. Beaucoup de questions resteront ouvertes, incertaines. Le débat autour de la construction de l’islam européen durera encore des longues années. Mais il faut qu’il y ait débat.
Felice Dassetto
23.09.09
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