dimanche 19 décembre 2010
Entretien avec Gideon Spiro, fondateur du Comité Israélien de Soutien à Mordechai Vanunu...
Hommage de Berlin à Mordechaï Vanunu, rendu par la Ligue internationale des Droits de l'Homme
Black-out de la presse française sur le prix Carl von Ossietzky décerné à Mordechaï Vanunu
La presse française est une des pires qui soient si on la compare à celle qu’on trouve dans des pays comparables. Sa couverture de l’actualité le montre tous les jours, et on ne s’étonnera pas de constater l’existence d’un assez large consensus de cette presse pour éreinter le travail de WikiLeaks.
Et je ne peux que souscrire aux observations très désobligeantes sur cette presse faites par l’ambassade des Etats-Unis à Paris et qui ont fuité sur WikiLeaks: en quelques lignes, tout est dit, pas besoin d’en rajouter comme disait une certaine publicité. Une belle critique de medias aux ordres du fric et du pouvoir formulée par la mission diplomatique du pays qui incarne le capitalisme!
Tiens, la presse espagnole par exemple est bien meilleure que la presse française avec ses journaux soi-disant de qualité. Ce n’est en effet pas par la presse française, en dehors de la presse internet militante et d’une brève sur Rue 89, que vous pourrez savoir que Mordechaï Vanunu devait recevoir un prix pour la paix à Berlin, le prix Carl von Ossietzky, mais qu’il n’a pas pu être présent car il est toujours sous étroite surveillance dans l’entité sioniste après avoir purgé une longue peine de prison.
Il y a eu de fait un black-out des journaux français sur cette information et on peut se demander pourquoi.
Le journal espagnol La Vanguardia en parle cependant et pas sous la forme d’une brève puisqu’il nous gratifie d’une belle interview de Gideon Spiro, un militant antinucléaire de l’entité sioniste et qui anime un comité de soutien à Mordechaï Vanunu. Je dois dire que le discours de Gideon Spiro,d’une grande qualité et d’une grande lucidité mérite d’être porté à la connaissance des lecteurs francophones. C’est donc chose faite.
Gideon Spiro: «La ténacité de Vanunu les rend fous»
Entretien avec Gideon Spiro, fondateur du Comité Israélien de Soutien à Mordechaï Vanunu et pour un Moyen-Orient sans armes nucléaires
La Ligue Internationale des Droits de l’Homme, une organisation des plus vénérables, a tenu hier à Berlin la cérémonie annuelle de remise de prix, une tradition vieille d’un demi-siècle, décerné cette année au pacifiste et dissident israélien Mordechaï Vanunu. A l’instar du dissident et prix Nobel de la paix Chinois Liu Xiaobo, Vanunu n’a pas été en mesure de recevoir à Berlin son prix qui porte le nom de Carl von Ossietzky, un journaliste pacifiste Allemand des années 1930.
Von Ossietzky fut condamné pour ‘trahison’ pour avoir divulgué en 1931 dans la revue Die Weltbuhne, le réarmement secret de l’Allemagne. En 1936, il se vit décerner le prix Nobel de la paix mais les nazis ne permirent pas à Ossietzky, d’aller le chercher: il était enfermé dans un camp de concentration où il mourra deux ans plus tard de la tuberculose. De même, Mordechaï Vanunu a été condamné en 1986 à 18 ans de prison pour trahison et ‘espionnage’. Son crime fit de révéler que les Israéliens disposaient secrètement de l’arme nucléaire. Libéré en 2004, il reste interdit de tout contact avec la presse et n’est pas libre de ses mouvements. A la cérémonie berlinoise, où le nom de Julian Assange, autre divulgateur de secrets, était sur toutes les lèvres, était présente Mairead Corrigan-Maguire, prix Nobel de la paix 1976, qui a qualifiée de «honte» l’absence imposée à Vanunu.
Corrigan-Maguire et cinq autres prix Nobel, dont l’Allemand Gunter Grass, avaient demandé que Vanunu soit autorisé à venir à Berlin, sans obtenir aucune réponse. En son absence, des pacifistes israéliens proches de Vanunu ont participé à la cérémonie, dont le journaliste Gideon Spiro, fondateur du Comité de soutien à Vanunu.
Spiro, 75 ans, est né à Berlin en 1935, dans une famille juive allemande. Son père, Shmuel, était un médecin Berlinois bien connu et sa mère était photographe «comme quoi s’il n’y avait pas eu le nazisme, peut-être aurai-je continué à vivre dans cette ville et j’aurais même pu être député ou même chancelier fédéral», plaisante-t-il. Au lieu de quoi, sa famille émigra en Palestine et participa à la création d’Israël. Gideon Spiro fut éduqué dans un kibboutz, puis servit son pays comme parachutiste. Bien plus tard, il fondera le mouvement pacifiste «Yesh Gvul» ("Il y a une limite" - ndlr) et, en 1986, le «Comité de soutien à Mordechaï Vanunu et pour un Moyen Orient sans armes nucléaires, chimiques et biologiques.» Il réside aujourd’hui à Tel Aviv mais il parle couramment l’Allemand.
- Comment avez-vous connu Mordechaï Vanunu?
- C’est quand le Mossad l’a enlevé à Rome en 1986 pour l’emmener en Israël et le mettre en prison. Quand j’ai entendu parler de lui, j’ai pris son parti, parce qu’avant de connaître son affaire, je militais déjà contre le nucléaire militaire.
- Quel type de travail effectuait Vanunu à la centrale nucléaire israélienne de Dimona?
- Il travaillait comme technicien sur le réacteur qui a servi à la production des armes atomiques israéliennes. Il avait une bonne connaissance de ce qui se passait là bas. En neuf ans de travail, il a eu le temps de savoir ce qui s’y faisait et ce qu’on y entreposait. Quand il s’est rendu compte qu’il participait de la machine nucléaire militaire et que c’était contraire à sa conscience, il a décidé de révéler ce qu’il savait au Sunday Times de Londres.
- La possession d’armes nucléaires par Israël était un secret de Polichinelle en 1986, en qui était-ce une révélation?
- Tout le monde le savait, le supposait. Toutes les institutions internationales concernées par le problème, les centres de recherches etc. partaient du fait qu’Israël était une puissance nucléaire, mais personne n’en avait la preuve. Vanunu a apporté la «preuve flagrante», il a brisé l’ambigüité. Ce qu’Israël disait, c’était seulement que Dimona était prête à la production d’armes nucléaires en cas de nécessité, mais ce n’était pas la vérité. Vanunu l’a dit: il avait vu les armes de ses propres yeux et les avait photographiées.
- Il a passé 18 années en prison…
- … dont 11 années en régime d’isolement…
- Qu’est-ce que cela signifie?
- Quelque chose qu’Amnesty International décrit comme «inhumain». Le but était de le rendre fou pour qu’il finisse sa vie dans un asile. Ils étaient sur le point d’y arriver parce qu’à un moment donné Vanunu a commencé à perdre le sens de la réalité. Une des plus grandes réussites de notre comité, la seule en fait, fut d’obtenir qu’il soit mis fin à son régime d’isolement. Ce fut toute une campagne internationale. Mordechaï est une personnalité très intéressante. Très tenace. Inébranlable. Les autorités ne peuvent pas lui pardonner que, après 13 ans de détention, il soit sorti de prison avec les mêmes idées qu’au début de son incarcération: l’abolition des armes atomiques. Sa position n’a pas bougé d’un centimètre. Ca les rend fous et ils continuent à le harceler et à le maltraiter.
- Aujourd’hui, Vanunu est chrétien.
- Il est né dans une famille juive convaincue. Son père était rabbin. Il s’est converti au christianisme en Australie lorsqu’il avait quitté Israël avec tous les secrets dans sa mallette. Là bas, il a connu une communauté anglicane. Elle l’a attiré parce qu’elle était très internationale et ouverte, tout le contraire de la situation en Israël où il n’y a pas de séparation entre religion et Etats. Son adhésion à l’église anglicane était surtout une forme de protestation parce que cette église est libérale et ouverte à toutes les races et nationalités, elle est aux antipodes de la situation en Israël avec le chauvinisme et la discrimination religieuse à l’égard des non-juifs. A la base, Vanunu est quelqu’un de laïc. Ce qu’Israël ne pardonne pas non plus. Un juif qui s’est converti au christianisme et qui en plus connaît l’histoire de Dimona devient la personne la plus détestée. Cet esprit indépendant, qui ne s’est pas laissé laver le cerveau, est une provocation.
- Quelle portée a son origine marocaine dans l’Israël d’aujourd’hui?
- Les juifs du Maroc sont discriminés par l’establishment israélien d’origine européenne. Ils sont à la périphérie du pays et de la société, avec les emplois les plus ingrats et généralement subalternes et faiblement qualifiés et c’est pour toutes ces raisons qu’ils connaissent un taux élevé de délinquance. L’origine du problème est qu’en Israël, on n’a pas le minimum de respect pour tout ce qui vient du monde arabe Ce qu’a fait Vanunu a été pour eux une surprise à double titre en raison de tout ce contexte. Prenons le cas d’un colonel qui avait espionné pour l’Union Soviétique, ils l’avaient condamné à quinze ans de prison en Cour martiale pour le laisser en liberté huit ans après. C’était un juif européen. Vanunu, au contraire, est méprisé en tant qu’oriental par l’establishment. «Comment a-t-il osé, ce juif marocain?» C’est cette mentalité. Et il a accompli l’intégralité de sa peine…
- Vous accuse-t-on d’antisémitisme en Israël?
- C’est la bombe atomique de leur propagande. Par exemple, si quelqu’un en Espagne condamne le système israélien d’apartheid, on vous rétorquera que vous perpétuez la tradition espagnole qui avait abouti, à une époque, à l’expulsion des juifs. Si vous êtes un véritable antisémite, c’est sans importance pour vous, mais si vous êtes un humaniste, un défenseur des Droits de l’Homme et un pacifiste, ils vous obligent à vous défendre, à vous expliquer, ils vous mettent sur la défensive. C’est une arme efficace, surtout en Allemagne, pays qui offre à Israël des sous-marins capables de porter des missiles nucléaires, une folie qui contribue au prochain holocauste par honte du précédent, une stupidité. Mais cette arme perd de sa puissance, parce que la génération des victimes comme celle de ceux qui organisèrent le massacre des juifs en Europe est en train de s’éteindre. Dans une vingtaine d’années, son utilisation disparaîtra. La politique de l’Allemagne n’est pas un soutien à Israël mais à son militarisme. C’est une folie, ils contribuent au prochain holocauste nucléaire, en introduisant la technologie des armes de destruction massive dans la région la plus instable du monde, au nom de l’holocauste précédent. Et la fourniture de sous-marins a commencé avec Joshka Fischer, un politicien pacifiste du parti des Verts… Nous devons empêcher l’Iran d’avoir la bombe, mais si nous ne nous centrons que sur l’Iran, et permettons à Israël de la posséder, n’importe quel autre pays arabe voudra l’avoir. Nous sommes pour une dénucléarisation du Moyen Orient parce que c’est une question de survie pour tous, Israéliens compris.
- Vous êtes très marginaux dans la société israélienne.
- En ce qui concerne la question du nucléaire, nous sommes très marginaux et nous dépendons beaucoup du soutien international. Même dans le camp pacifiste, nombreux sont ceux qui préfèrent ne pas toucher au thème du nucléaire parce qu’il y a l’idée que la bombe est une garantie pour l’existence de l’Etat, pourtant ce n’est pas une garantie mais au contraire une menace. Pour Israël et pour tous les autres.
par Rafael Poch
La Vanguardia (Espagne) 12 décembre 2010 traduit de l’espagnol par Mounadil Al Djazaïri
Source: legrandsoir
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