mardi 14 décembre 2010

Le temps de la vérité, rien que la vérité (Morning Star)




 
Un nouveau film du journaliste d’investigation John Pilger explique pourquoi le travail de dénonciation de WikiLeaks est si important.


Dans La Guerre invisible (The War You Won’t See), Pilger décrit les campagnes de relations publiques destinées à garantir que le public ne puisse jamais connaître les tenants et les aboutissants des guerres. Les journalistes étant complices de ce qui se passe.

Le film débute par des images de civils mitraillés: un massacre épouvantable commis par des soldats étatsuniens en Irak. On passe ensuite à la Première Guerre mondiale, avec un échantillon de scènes macabres. Pilger nous remémore une conversation entre le rédacteur en chef du Manchester Guardian et le Premier ministre Lloyd George qui estimait que «si les gens connaissaient vraiment la vérité sur la guerre en cours, elle cesserait demain matin. Mais ils ne la connaissent pas et ne peuvent pas la connaître.»

Ce mantra a marqué pratiquement tous les gouvernements britanniques durant les guerres menées depuis 1918. La subtilité de ce procédé, nécessaire pour rendre acceptable au public ce qui est inacceptable, est devenue de plus en plus marquée au fil des années grâce à l’emprise toujours plus grande de l’industrie des relations publiques sur le journalisme indépendant. Trop de journalistes ont facilement échangé leur rôle d’inquisiteur pour celui de siphon des vérités officielles.

Un des meilleurs exemples de la manière dont les médias ont bradé leur indépendance est la pratique de l’incorporation (embedding). Quelques 700 reporters furent ainsi incorporés dans les forces étatsuniennes et britanniques lors de l’agression contre l’Irak.

Résultat de ce type de collusion, comme l’a par la suite reconnu l’ancien correspondant de la BBC Rageh Omaar, la chute de Bassora fut annoncée 17 fois avant d’avoir réellement eu lieu. De plus, comme l’avocat Phil Shiner le fit observer, il y avait peu de chances que les grands médias relatent des violations des droits de l’homme par les forces étatsuniennes et britanniques.

Il en fut tout autrement avec les quelques journalistes indépendants qui se rendirent en Irak et en Afghanistan et qui révélèrent des épisodes épouvantables de sauvagerie meurtrière. Les réseaux d’information dominants ne s’y intéressèrent nullement, ne serait-ce que pour équilibrer la nature partiale de leur propre traitement de l’information.

Pilger insiste sur ce problème d’équilibre. Pourquoi les reportages en faveur de l’establishment belliciste sont-ils tellement à sens unique? Où sont les voix dissidentes?

On retrouve très clairement ce problème d’équilibre dans les reportages sur Israël. Pilger met sur la sellette la BBC, tout particulièrement lorsque Mark Regev, principal propagandiste de son pays, [porte parole du Premier ministre, ndt], put s’exprimer tout à loisir au début d’un reportage sans que son intervention fût contrebalancée par d’autres points de vue. Cela signifie que des reportages, comme celui du mitraillage, par des soldats israéliens, de militants qui convoyaient de l’aide pour Gaza il y a quelque mois, sont élaborés quasiment selon le point de vue israélien.

La conception qu’a Tel-Aviv des relations publiques est sans nuances et agressive. Les responsables israéliens rendent la vie tellement difficile à tout journaliste qui essaie, d’une manière ou d’une autre, de montrer un point de vue différent qu’il finit, soit par présenter la ligne officielle, soit par rester à l’écart du problème.

Le professeur Greg Philo, directeur du Centre de recherches sur les médias de Glasgow, explique comment un producteur bien connu lui a récemment confié que les journalistes «attendent avec angoisse un coup de téléphone des Israéliens» après avoir réalisé un reportage sur ce pays.

Dans ce contexte, l’activité de WikiLeaks et des journalistes indépendants devient d’autant plus importante. La vérité difficile à admettre qui ressort de ce film est que le public a été entraîné dans des guerres catastrophiques en Irak et en Afghanistan sans qu’on lui fournisse jamais des faits authentiques sur la situation qui prévalait dans ces pays. Rien, par exemple, sur le nombre toujours croissant des victimes civiles. Alors que, pendant la Première Guerre mondiale, cette proportion était de 10%, elle a atteint 90% dans le conflit irakien.

La manière dont les médias dominants rejettent pratiquement toutes les informations sauf celles qui sont officielles est réellement effrayante.

Il faut souhaiter que les révélations de WikiLeaks et le film de Pilger permettront de déclencher un mouvement vers plus de vérité dans ces domaines, sur ce qui se passe réellement et sur les intérêts personnels pour lesquels ces guerres sont menées.

La priorité des journalistes est de remettre en question les vérités officielles. Trop de journalistes sont disposés à suivre des directives officielles sur les conséquences de telle ou telle crise, qu’il s’agisse de guerres, de crises financières ou du changement climatique.

Il est vital pour le journalisme et la démocratie que des voix indépendantes puissent se faire entendre et que ceux qui nous gouvernent soient tenus pour responsables de leurs actes.

La guerre invisible
(The war You Don’t See) sera projetée sur ITV le 14 décembre à 22h35.

Paul Donovan
13.12.10
Traduction: Bernard Gensane
Source: legrandsoir

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