Yehuda Shaul, 28 ans, ex-officier de l'armée israélienne, est l'auteur de «Breaking the Silence», un livre événement à paraître en janvier où les combattants de Tsahal racontent leur intolérable comportement dans les territoires occupés à Gaza. Un entretien exclusif pour Paris Match.
- Paris Match: votre livre est une bombe par ses révélations; quel effet concret en espérez-vous?
- Yehuda Shaul: j’espère pouvoir enfin susciter une vraie discussion sérieuse en Israël car, cette fois-ci, nos témoignages sont innombrables, vérifiés, incontestables: il y en a 180 et nous en tirons une analyse, ce qui est nouveau.
- Pensez-vous que l’opinion israélienne ignore ce que signifie l’occupation militaire des territoires palestiniens?
- Le public a des clichés dans la tête qui incitent à l’approbation aveugle. Par exemple, en hébreu, la politique israélienne dans les territoires occupés se résume à quatre termes que l’on ne peut pas contester: “sikkul” (la prévention du terrorisme), “afradah” (la séparation entre la population israélienne et la population palestinienne), “mirkam hayyim” (la “fabrication” de l’existence palestinienne) et “akhifat hok” (l’application des lois dans les territoires occupés). En réalité, sous ces noms de code se cachent de terribles déviations qui vont du sadisme à l’anarchie et bafouent les plus élémentaires droits de la personne. Cela va jusqu’aux assassinats d’individus innocents dont on suppute qu’ils pourraient être des terroristes. Et je ne parle pas des arrestations arbitraires et des harcèlements en tout genre.
- Quel est le but?
- Il est clairement défini: c’est de montrer la présence permanente de l’armée, de produire le sentiment d’être traqué, contrôlé, bref, il s’agit d’imposer la peur à tous dans la société palestinienne. On opère de façon irrationnelle, imprévisible, créant un sentiment d’insécurité qui casse la routine.
- L’occupation des Territoires n’est-elle pas nécessaire pour éviter des “surprises” terroristes?
- Non! L’occupation systématique ne se justifie pas car elle recouvre une série d’interdictions et d’entraves inadmissibles. Nous souhaitons en discuter maintenant. Ni au sein de l’armée ni au sein de la société civile ou politique on ne veut affronter la vérité. Et cette vérité, c’est que nous avons créé un monstre: l’occupation.
- Peut-on espérer que de sérieuses discussions sur la paix améliorent la situation?
- Non, chercher à finir le conflit est une chose, finir l’occupation en est une autre. On est tous d’accord pour rechercher la paix, mais on oublie l’occupation. Or, il faut commencer par cela.
- Vos témoignages révèlent l’incroyable impunité dont bénéficient les colons, véritables adjoints des militaires: ils brutalisent leurs voisins palestiniens, entraînent leurs enfants à l’agressivité et à la haine des Arabes...
- En effet, mais ce ne sont pas eux le problème. C’est le mécanisme d’occupation qui leur a alloué ce pouvoir démesuré. Moi, quand j’étais militaire à Hébron, je ne pouvais pas arrêter un colon qui enfreignait ouvertement la loi sous mes yeux. Ils font partie de ce système immoral.
- Pensez-vous trouver un soutien dans l’opinion israélienne?
- Pour l’instant, nous sommes minoritaires mais optimistes! Il le faut car on vit des temps sombres, l’opinion israélienne est apathique, les gens en ont ras-le-bol. Et le prix à payer pour cette occupation n’est pas lourd. C’est pourquoi il n’y a pas de volonté politique. En revanche, le prix moral est énorme.
- C’est la première fois que de telles révélations sont faites?
- Non, il y a un an, nous avions raconté les exactions infligées dans la Bande de Gaza, et nous avions été attaqués de toutes parts: par l’armée, la société civile et la société politique. Netanyahu nous avait accusés d’avoir “osé briser le silence”. Mais quel silence? C’est un silence honteux sur un scandale tonitruant! Ils ont tout fait pour nous discréditer. Ils tombaient mal car nous sommes tous d’anciens officiers qui avons vécu ces événements pénibles.
- Justement, pas mal de soldats et d’officiers qui s’expriment semblent traumatisés par ce qu’ils ont dû accomplir. Une souffrance qui perdure.
- Oui... Enfin, ne nous trompons pas: les victimes, ce sont les Palestiniens qui endurent ce contrôle. Je me souviendrai toujours de la réponse d’un commandant de l’armée lors d’une discussion sur un plateau télé en 2004. Nous avions organisé une expo photo avec une vidéo des témoignages. Il m’a dit: “Je suis d’accord avec ce que vous montrez, mais c’est comme ça, il faut l’accepter, cela s’appelle grandir, devenir adulte.” Je suis resté sans voix.
- Certains pensent qu’Israël a intérêt à maintenir le conflit et que les Palestiniens n’auront jamais leur terre.
- C’est faux. Il est impossible d’éradiquer une population de 3,5 millions d’habitants. Le problème n’est pas de leur accorder une terre, il est dans l’obsession de vouloir les contrôler.
- Les jeunes générations de 20-30 ans sont-elles plus perméables à votre point de vue?
- Toute ma génération n’est pas d’accord avec moi, mais aucun ne peut dire que je mens. Nous sommes tous d’ex-membres de l’armée nationale, nous avons payé le prix, nous avons gagné le droit de parler. Il faut que les esprits changent de l’intérieur.
- Vous êtes juif orthodoxe et vous tenez un discours étonnamment ouvert. Votre foi vous aide-t-elle dans ce combat?
- Pas plus que ça... Mais je sais ce que signifie être un juif religieux: ne pas rester silencieux devant ce qui est mal. Et je veux apporter une solution, pas un problème. Point final
Interview Catherine Schwaab
pour Paris Match
22.12.10
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