samedi 17 juillet 2010
A Belfast, la pauvreté moteur de la colère
C’est le dénuement bien plus que le sectarisme qui est à l’origine des émeutes du 12 juillet dans la capitale nord-irlandaise. Celles-ci se sont déroulées lors de la parade annuelle des orangistes protestants.
Vous avez probablement déjà beaucoup entendu parler de l’Irlande du Nord ces derniers jours, notamment des émeutes qui y ont éclaté et des condamnations ainsi que des inquiétudes qu’elles suscitent. Peut-être avez-vous même vu certaines vidéos sur YouTube montrant (essentiellement) des jeunes et des adolescents bombardant les forces de police de cocktails Molotov ou de tout autre objet contondant leur tombant sous la main.
Toutefois, à moins d’être particulièrement bien renseigné sur les évènements ou de suivre régulièrement les actualités en Irlande du Nord, il est probable que vous soyez stupéfaits de voir ces images qui nous rappellent "les mauvais jours du passé" et sont "diffusées dans le monde entier", comme le dit un porte-parole de la police, et ce alors que la paix était censée être durablement installée.
Bon nombre d’autres journalistes, sur ce site et ailleurs, nous rappellent d’ailleurs l’arrière-plan immédiat sur lequel s’inscrivent ces émeutes, notamment le rôle de l’Ordre d’Orange, de la Commission des Parades, des dissidents et des "émeutiers occasionnels". Si tous ces éléments sont absolument essentiels à la bonne compréhension des évènements actuels, il n’en est pas moins intéressant de prendre un peu de distance pour les examiner sous un angle légèrement différent. Il est impossible pour moi qui ai grandi dans l’une des zones les plus affectées pendant les Troubles, de ne pas remarquer que les quartiers en proie aux émeutes, aux incendies de voiture et aux confrontations avec les forces de police sont précisément ceux qui ont le plus souffert pendant les décennies précédentes. Ce n’est pas un hasard. Ce n’est pas un hasard si ces violences n’enflamment pas les régions plus riches de province, comme par le passé.
Je regarde ces jeunes et à part un changement de mode vestimentaire, je me dis que ce sont exactement les mêmes que ceux qui étaient dans la rue dans les années 70 et 80. Ce spectacle me perce l’âme. Il y a tant de raisons complexes expliquant pourquoi les jeunes d’aujourd’hui reproduisent les actes de leurs aînés. Il existe toutefois un facteur trop souvent ignoré dans les médias: leurs conditions d’existence. De fait, en dépit de tous les progrès – et Dieu sait s’il y en a eu ces dernières années – les quartiers comme l’Ardoyne ou l’ouest de Belfast restent des zones profondément déshéritées. Malgré tout le travail – admirable – des habitants, des associations et des communautés locales pour changer les choses, la discrimination perdure et la pauvreté et l’exclusion sociale se font ses complices.
Il est trop facile – et même franchement irresponsable à long terme – de balayer ces émeutiers d’un revers de la main en les qualifiant de "voyous", de "bigots", de "délinquants" ou d'"émeutiers occasionnels" (et croyez-en ma triste expérience, tous auront leur rôle à jouer). Si ces émeutes ne sont que l’œuvre de jeunes manipulés par des dissidents, ainsi que le suggèrent bon nombre d’analystes, cela n’explique toujours qu’un aspect du problème. Pour se comporter ainsi, ces jeunes ont déjà atteint un certain niveau de frustration, de désespoir, de perte des repères et de tribalisme.
En dépit de tous les investissements ayant suivi les accords du Vendredi Saint et du changement politique dans la région, les provinces du nord de l’Irlande qui défraient la chronique aujourd’hui figurent toujours parmi les plus pauvres du Royaume-Uni. Certains quartiers du nord et de l’ouest de Belfast souffrent d’un chômage endémique (même en période de croissance) et sont régulièrement classés en bas de l’échelle par tous les indices de pauvreté et d’exclusion. Si nous voulons vraiment trouver des solutions aux problèmes d’exclusion, de pauvreté, de délinquance juvénile, d’agressions à l’arme blanche et de toute autre manifestation d’une société malade qu’on puisse trouver un Irlande du Nord ou ailleurs dans le monde, il est temps de se demander "pourquoi" et de répondre à cette question autrement que par le renforcement du statu quo.
Ne vous y trompez pas, il ne s’agit nullement d’expliquer les violences de ces derniers jours pour mieux les excuser. Il s’agit seulement de reconnaître que les habitants de ces quartiers méritent mieux. Ils ont supporté leur sort en silence pendant trop longtemps.
Mary O’Hara
16.07.10
Source: courrier international
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