vendredi 2 juillet 2010

Quelques remarques sur le vocabulaire de Gilles Paris, rédacteur en chef-adjoint du service international du Monde




La «mouvance pro-palestinienne»


Hier, Gilles Paris, rédacteur en chef adjoint du service International du Monde, répondait à cette grave question (que personne ne se pose pourtant): «Qui sont les Français pro-palestiniens?».

Poser ainsi la question, c'est introduire l'idée d'un oxymore, comme si «Français» et «pro-palestiniens» étaient deux termes contradictoires. L'image accompagnant l'article montre d'ailleurs une jeune femme au teint très mat et aux cheveux noirs, le visage masqué par sa pancarte, et dont on ne voit que les yeux très maquillés. Genre orientale. Et le résumé de l'article, tel qu'il est passé dans le flux RSS, explique: «La mouvance pro-palestinienne en France repose essentiellement sur la gauche, l’extrême gauche et les écologistes, ainsi que sur un réseau dense d’associations et d’organisations.»

Ce résumé est détaillé dans l'article et se termine par la mention d'une association «interdite aux États-Unis»: «La composante politique de la mouvance pro-palestinienne se double d’un réseau dense d’associations et d’organisations, qu’il s’agisse de mouvements de défense des droits de l’homme (Ligue des droits de l’homme), d’associations de collectivités locales (Association des villes françaises jumelés avec des camps de réfugiés palestiniens) ou d’ONG comme le Comité de bienfaisance et de secours aux Palestiniens (CBSP), dont sont membres la majorité des Français présents dans la flottille de Gaza. Le CBSP, qui a son siège en France, est interdit aux Etats-Unis pour ses liens supposés avec le Hamas.»

«Mouvance» n'est évidemment pas un terme neutre, puisqu'il désigne un groupuscule ultra-minoritaire suspecté d'activités dangereuses sur la base d'opinions politiques extrémistes. Je n'ai jamais entendu parler, par exemple, de «mouvance pro-israélienne». Pourtant, ce sont bien les «pro-israéliens» qui sont ultra-minoritaires (ce qu'on va voir dans la suite), qui mènent des activités dangereuses et sont motivés par des opinions politiques extrémistes.

Les motivations des partis politiques «pro-palestiniens», tels qu'exposées, sont assez navrantes: «Sur cette question, la position de l’extrême-gauche (Lutte ouvrière et Nouveau parti anticapitaliste) est assez similaire, avec la dénonciation de l’axe diplomatique entre Israël et les Etats-Unis.»

Quant aux Verts, c'est encore pire: «C’est en grande partie du fait de leur ancrage historique à gauche, du moins pour une partie d’entre eux, que les Verts prennent également position en faveur du mouvement national palestinien.»

Pour ne reprendre que des événements extrêmement récents, la destruction du Liban et de Gaza en 2006 et leur lot de crimes, les violations constantes des résolutions internationales, le racisme israélien (gouvernement d'extrême-droite, sondages montrant la montée des opinions racistes,...), le bombardement en Syrie en 2007, les crimes de guerre à Gaza en 2009, l'assassinat à Dubaï avec des passeports européens en 2010 et le récent meurtre des militants de la flottille humanitaire internationale, tout cela n'a aucune raison de constituer des motifs. Non, ce qui motive la «mouvance», c'est la dénonciation de l'axe israélo-américain pour des raisons idéologiques (archaïques) et, pour les Verts, c'est du suivisme lié à leur positionnement «à gauche».

Plus généralement, cela renvoie aux très nombreux articles qui s'interrogent sur la dégradation de l'«image» d'Israël. Quand ça ne concerne pas directement des Occidentaux, les articles s'inquiètent de la «colère» dans le Monde arabe (manière de désamorcer le sujet: Israël assassine à Dubaï avec des passeports européens, mais la seul conséquence serait une baisse de l'image dans le monde arabe, comme si les citoyens occidentaux n'avaient aucune raison d'être en colère).

Ces très nombreux articles sur l'«image» d'Israël sont eux-mêmes, en réalité, des opérations de communication. Ils suggèrent que c'est seulement à la suite de quelques épisodes spécifiques, et seulement à l'intérieur d'une très restreinte «mouvance pro-palestinienne», ou dans la «rue arabe», qu'il y aurait une «mauvaise image» d'Israël.
Ce qui permet ensuite à nos politiques de poursuivre les partenariats économiques, politiques et militaires avec Israël, et de ne jamais rien faire pour forcer Israël à respecter un droit international minimal.

Au point que, chaque fois qu'on discute entre copains de la «mouvance» (hé hé), il y a toujours quelqu'un pour se demander comment «on pourrait informer les gens», «faire comprendre la situation»,... C'est-à-dire que même au sein de la «mouvance», les gens ont tendance à se croire/sentir minoritaires. Ce qui, à mon avis, produit de la perte de temps, de l'inefficacité et une grande «timidité».

Pourtant, et ça me semble important, les seules questions légitimes seraient aujourd'hui:
    * Qui sont (encore et malgré tous les crimes israéliens) les Français pro-israéliens?
    * Qu'est-ce qui constitue la mouvance pro-israélienne? Quelles sont ses motivations?
    * Pourquoi autant de politiciens européens soutiennent-ils Israël et proclament leur «amitié» pour cet État, alors que les populations qui les élisent sont aussi majoritairement critiques envers Israël?

Parce que c'est le point aveugle de toute cette communication: occulter le fait que toutes les statistiques démontrent de manière constante que l'«image» d'Israël est catastrophique depuis des années dans les opinions publiques occidentales.

Toutes ces statistiques démontrent que les gouvernants occidentaux adoptent, concernant Israël, des positions opposées à leurs opinions publiques. Elle expliquent également que la «guerre de communication» menée par Israël, qui peut sembler d'une nullité ahurissante, ne vise pas réellement l'opinion publique occidentale, mais bien avant tout l'opinion publique israélienne. Parce que les opinions occidentales, malgré ce que croient beaucoup de «pro-palestiniens», sont largement au courant, et particulièrement sceptiques concernant la grande «démocratie» israélienne et la moralité de son armée.

On pourrait les reprendre systématiquement, mais je vais me contenter de quelques exemples qui rappellent que la «mouvance pro-palestinienne» désigne en réalité la majorité des citoyens occidentaux, et que c'est bien la «mouvance pro-israélienne» qui constitue une minorité spécifique et isolée, mais agissante, efficace et sur-valorisée médiatiquement et politiquement.

Une enquête menée deux jours après l'attaque contre la flottille humanitaire indique que 40% des Norvégiens sont partisans d'un boycott des produits israéliens. Ça n'est pas qu'une «opinion négative», c'est une volonté d'agir: or, mobiliser les opinions publiques pour les amener à «agir», même a minima, est quelque chose de très difficile à obtenir.

Gilles Paris, qui s'interroge sur l'identité de la «mouvance pro-palestinienne», avait pourtant signalé quelques semaines plus tôt (avant l'attaque israélienne), un sondage réalisé par la BBC: «Un sondage de la BBC publié le 19 avril témoigne de la mauvaise image d’Israël dans le monde. Dans un échantillon de 28 pays, l’Etat juif est rangé dans le peloton des pays mal vus, avec la Corée du Nord, le Pakistan et l’Iran, le plus mal classé.»

En France, seulement 20% des répondants ont une image «plutôt positive» d'Israël, et 57% une image «plutôt négative» de l'influence d'Israël. En Allemagne, 13% d'image positive et 68% d'image négative. En Grande-Bretagne, 17% d'image positive, 50% d'image négative. Vraiment, il faudrait se poser la question: «Qui est cette mouvance pro-israélienne ultra-minoritaire qui peine à atteindre les 20% dans les pays européens?» Quand nombre de nos politiciens proclament leur «amitié» pour Israël, ils parlent pour qui?

Même aux États-Unis, seul pays où l'image d'Israël est plus positive que négative (et où le discours politique est orienté à sens unique d'une manière stupéfiante), les chiffres ne sont pas si bons: certes 40% d'image positive, mais tout de même 31% d'image négative. Au Canada, seulement 23% d'image positive et 38% d'image négative.

L'un des sondages les plus spectaculaires a été publié à l'initiative de la Commission européenne (qui n'est pas, à ma connaissance, membre de la «mouvance pro-palestinienne») en octobre 2003. C'est-à-dire bien avant les guerres de 2006 et les massacres qui se sont succédés depuis.
À la question: «Pour chacun des pays suivants, dites-moi si, selon vous, il représente ou non une menace pour la paix dans le monde?», c'est Israël qui a obtenu le plus mauvais score: 59% des Européens interrogés (55% des Français) estiment qu'Israël représente une menace pour la paix dans le monde. Aucun autre pays proposé n'obtient un aussi mauvais score (même l'Iran, même la Corée du Nord, même les États-Unis de Bush).
Plus précisément: Israël représente-il une menace pour la paix dans le monde?
    * 18% Oui, tout à fait
    * 41% Oui, plutôt
    * 24% Non, plutôt pas
    * 13% Non, pas du tout.

J'insiste: la question est très spécifique. Elle ne demande pas si les gens ont une image «plutôt négative» d'Israël, mais si Israël constitue une «menace pour la paix dans le monde». C'est donc un résultat particulièrement spectaculaire à une question extrêmement forte.

À noter:
    * Même chez ceux qui, à l'époque, trouvent l'intervention en Irak justifiée, 57% considèrent qu'Israël est une menace; peu de différence avec ceux qui trouvent l'intervention non justifiée.
    * Plus le niveau d'éducation augmente, et plus Israël est considéré comme une menace (passant de 50% à 66%).

Ces derniers points sont assez remarquables. Contrairement à l'image très répandue, d'une «élite» pro-israélienne, représentant l'opinion majoritaire, opposée à une «mouvance» populiste et jouant sur un antisémitisme inavoué, plus les gens sont instruits, plus ils considèrent qu'Israël est un danger pour la paix.

Par ailleurs, contrairement à la présentation de Gilles Paris (une mouvance politiquement motivée contre l'axe américano-israélien), on obtient quasiment le même jugement négatif à l'encontre d'Israël chez ceux qui soutiennent l'intervention en Irak et ceux qui s'y opposent. Si les «Français pro-palestiniens» étaient bien cette mouvance qu'il décrit (axe gauchiste anti-américain), on aurait une forte adéquation entre méfiance envers Israël et condamnation de l'intervention américaine en Irak; adéquation qu'on ne retrouve que marginalement dans les chiffres.

J'aimerais savoir, Gilles Paris, si ces 59% d'Européens qui considèrent qu'Israël menace la paix dans le monde (aucun pays n'obtient un aussi mauvais score) constituent ce que vous appelez «la mouvance pro-palestinienne»? Pourriez-vous enquêter sur les motifs de cette minorité de seulement 37% d'Européens qui pensent qu'Israël ne constitue pas une menace contre la paix, ces seulement 20% qui en ont une opinion «plutôt positive»? Sont-ils une mouvance, ont-ils un agenda politique inavouable, dans quelle mesure recoupent-ils les opinions racistes et islamophobes en Europe?

Nidal
05.06.10
Source: loubnan ya loubnan

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